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Full text of "Revue archéologique"

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REVUE 

ARCHÉOLOGIQUE 


v  o  i  r  e  i.  i  ,k     S  i  it  t  r. 

Juillet  à   Décembre  1861. 


IV 


PARIS.   IMPRIMERIE   DE  PILLET  FILS   AÎNÉ 

5,    RUE    DES    GUANDS-AUGUSTINS. 


THE  J.  PAUL  GETTY  CENTER 
""—        LIBRARN/ 


BATAILLE   D'OCTODURE 

{Suite  et  Fin.) 


La  cause  de  l'expédition  de  Galba  était...  quod  iter  per  Alpes, 
quo  magno  cum  periculo,  magnisque  cum  portoriis  mercatores  ire 
consuerant.,  patefieri  volebat.  Il  résulte  pleinement  de  là  que  depuis 
longtemps  déjà  le  passage  des  Alpes  Pœnines  ou  du  grand  Saint- 
Bernard  était  fréquenté,  malgré  ses  dangers  et  malgré  les  droits 
considérables  d'importation  ou  de  portage,  auxquels  les  marchan- 
dises y  étaient  taxées. 

Je  ne  traiterai  pas  ici  la  question  de  la  route  suivie  par  Annibal 
lors  de  son  invasion  de  l'Italie  à  travers  les  Alpes,  et  je  me  contente- 
rai de  dire  que  le  texte  de  l'inscription  de  Saint-Maurice,  rapportée 
plus  haut,  aussi  bien  que  ceux  des  inscriptions  votives  du  Saint- 
Bernard,  avec  l'orthographe  constante  POENINVS  et  par  fois  môme 
PHOENINVS,  ne  me  laissent  pas  de  doute  sur  la  réalité  du  passage 
des  Carthaginois  par  le  grand  Saint-Bernard.  Pour  moi  donc  Polybe 
a  raison  et  Tite-Live  a  tort. 

César,  dans  tous  les  cas,  nous  prouve  que  de  son  temps  le  passage 
du  grand  Saint-Bernard  était  très-praticable  et  très-important  depuis 
nombre  d'années. 

La  douzième  légion,  mise  sous  les  ordres  de  Servius  Galba,  avait 
donc  mission  de  protéger  et  de  maintenir  libre  un  passage  très-fré- 
quenté  à  travers  la  chaîne  des  Alpes.  Cette  légion  devait,  si  la  chose 
paraissait  nécessaire  à  son  chef,  hiverner  sur  place,  avec  la  condition 
de  rendre  sa  présence  efficace;  elle  alla  se  poster  à  Octodure,  ou 
Martigny;  il  en  résulte  invinciblement  que  le  passage  à  garder  était 
celui  du  grand  Saint-Bernard,  puisqu'à  portée  de  Martigny  il  n'y  en 
pas  d'autre.  Ce  ne  fut  pas  sans  vaincre  quelques  obstacles  semés 
sur  la  route,  que  Galba  parvint  à  Octodure,  mais  bien...  secundis 
aliquot  prailiis  faclis,  compluribusque  eorum  castellis  expugnatis. 

IV. —   Juillet.  1 


2  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

Où  curent  lieu  ces  divers  combats?  quelles  étaient  les  forteresses 
qu'il  fallut  enlever  en  passant-?  Nous  ne  le  saurons  probablement 
jamais  d'une  manière  précise,  el  nous  devons  nous  contenter  d'enre- 
gistrer le  fait,  sans  faire  de  vaines  tentatives  pour  l'éclaircir.  Toute- 
fois la  position d'Agaunum,  si  forte,  si  facile  à  défendre  contre  la 
légion  envahissante,  dul  être  infailliblement  une  de  celles  qu'il  fallut 
forcer;  elle  étail  en  eflfet  la  clef  de  toute  la  vallée  supérieure  du 
Rhône.  Galba  laissa  deux  des  dix  cohortes  qu'il  avait  à  sa  disposition 
chez  les  Nantuates  :  construit  cohortes  duas  in  Nanlualibus  collo- 
care.  Je  n'ai  aucune  espèce  de  scrupule  à  croire  que  ces  deux  co- 
horles  tinrent  garnison  à  Âgaunum  même. 

Faut-il  rapporter  à  la  lutte  même  qui  rendit  Galba  maître  d'Agau- 
muii  une  inscription  malheureusement  incomplète,  et  qui  se  voit 
aujourd'hui  encastrée  à  droite  et  au-dessus  de  la  porte  méridionale 
de  l'église  paroissiale  de  Saint-Maurice?  Je  suis  bien  tenté  de  le 
croire,  sans  néanmoins  vouloir  me  permettre  de  rien  affirmer  à  ce 
sujet.  Voici  celte  inscription  : 

IVNI    MAR1NI 
VE  EXDVCENA 
RIO   HIC   AB 
HOSTIBUS   PV. 


Ce  fragment  comportait  très-vraisemblablement  les  sigles  ini- 
tiales D.  M.  et  les  mots  PV  (gnâ  occiso),  suivis  de  la  mention  des 
consécrateurs.  Mommsen  (n°19)  a  rapporté  cette  curieuse  inscrip- 
tion en  acceptant  la  restitution  d'Orelli  :  Hic  ab  hostibus  pugnâ 
occisus  est,  correction  qui  ne  s'accorde  ni  avec  le  génitif  du  nom 
propre  ni  avec  le  datif  du  titre  Exducenarius.  11  est  ordinaire  de 
trouver  l'emploi  simultané  du  génitif,  suivi  du  datif,  dans  les  épi- 
taphes  antiques,  et  je  n'en  citerai  qu'un  seul  exemple  emprunté  aux 
monuments  conservés  à  Saint-Maurice  même.  Ainsi  on  voit  au  pied 
de  la  grande  tour  de  l'abbaye,  servant  de  pied-droit  de  gauche  à 
l'ancienne  porte  aujourd'hui  abandonnée,  un  cippe  de  grandes  di- 
mensions malheureusement  fort  effacé  et  devant  lequel  j'ai  dû  passer 
à  plusieurs  reprises  des  heures  entières,  afin  de  reconnaître  le  texte 
correct  de  l'inscription.  La  voici  : 


BATAILLE   D  OCTODURE.  3 

D  •  M  • 
L  ■  TINCI  VERE 
GVNDI   OMNI 
BVS  HONOKIBVS 

FVNGTO 
VASSONIA  M  .  F  • 
TVRCA  GONIVGr 
MON  •  D  •  KARIS  ■ 

Mommsen  (n°  22)  a  transcrit  ce  texte  d'une  manière  presque  en- 
tièrement satisfaisante,  et,  je  le  déclare,  il  y  avait  du  mérite  à  le 
faire,  grâce  au  déplorable  état  de  la  pierre. 

Revenons  à  l'inscription  de  Junius  Marinus.  A-t-il  été  tué  à  la 
prise  d'Agaunum?  son  épilaphe  a-t-elle  été  consacrée  par  les  co- 
hortes qui  restèrent  en  garnison  en  ce  point?  Nous  ne  le  saurons 
jamais;  mais  ce  que  nous  pouvons  affirmer,  c'est  que  les  caractères 
de  ce  texte  sont  assez  beaux  pour  pouvoir  être,  sans  inconvénient, 
reportés  à  la  date  dont  il  s'agit. 

Maintenant  revenons  à  Servius  Galba  et  au  lieu  qu'il  choisit  pour 
y  établir  ses  quartiers  d'hiver.  Ipse  (constituit)  cum  reliquis  ejus 
legionis  cohortibus  in  vico  Yeragrorum  qui  appellatur  Octodorus 
hiemare;  qui  vicus  positus  in  valle,  non  magnâ  adjectâ  planitie, 
altissimis  montibus  undique  continetur.  Cum  hic  in  duas  partes 
tlumine  divideretur,  alteram  partem  ejus  vici  Gallis  concessit;  alte- 
ram,  vacuam  ab  illis  relictam,  cohortibus  ad  hiemandum  attribuit; 
eum  locum  vallo  fossaque  muni  vit. 

Commençons  par  examiner  l'importance  de  la  dernière  phrase  du 
passage  que  je  viens  de  trancrire,  phrase  qui  m'avait  laissé  quelque 
espoir  de  retrouver  des  traces  de  ce  vallum  et  de  son  fossé.  Mal- 
heureusement il  m'a  suffi  de  visiter  le  terrain  une  seule  fois  pour 
reconnaître  l'inanité  absolue  de  cet  espoir.  A  plusieurs  reprises 
depuis  l'époque  à  laquelle  se  rapporte  le  fait  de  guerre  qui  nous  oc- 
cupe, Octodure  et  ensuite  Martigny  ont  été  visités  par  le  plus  terrible 
des  fléaux,   l'inondation.  Des  excavations  faites  à  proximité  delà 


'l  REVUE    ARCHEOLOGIQUE. 

gare  du  chemin  de  fer  de  Sion,  montrent  à  quelle  hauteur  se  sont 
élevés  les  détritus  de  toute  nature  répandus  sur  la  surface  de  la  vallée,^ 
à  chacune  des  catastrophes  de  ce  genre  qui  sont  venues  successive- 
ment la  désoler.  Je  ne  crains  pas  de  dire  que  le  sol  antique,  le  sol 
foulé  par  les  cohortes  de  Galba,  doit  être  enterré  aujourd'hui  sous 
une  couche  de  graviers  et  de  cailloux,  roulés  dont  la  hauteur  atteint 
an  moins  quatre  mètres,  si  elle  ne  les  dépasse  pas.  Le  pavé  antique 
delà  vom  qui  conduisait  à  Sion  a  été  reconnu  à  cette  profondeur, 
entre  le  Vivier  et  les  dernières  maisons  de  Martigny- Ville;  c'est  de 
plus,  à  cette  profondeur,  que  se  trouvent  enfouis  les  débris  de  l'an- 
tique Octodure. 

Si  l'on  veut  d'ailleurs  se  faire  une  idée  de  ce  qu'entraîne  de  gra- 
viers une  inondation  de  la  Dranse,  qui  n'est  autre  chose  que  le  fleuve 
désigné  par  César,  on  n'a  qu'à  interroger  les  habitants  de  Martigny 
sur  les  effets  de  la  dernière  de  ces  inondations,  et  l'on  sera  véritable- 
ment effrayé. 

Le  16 juin  1818,  le  glacier  de  Gietroz  se  déplaça  et  lança  sur 
Martigny  de  telles  masses  d'eau,  que  le  niveau  marqué  sur  la  mu- 
raille de  l'hôtel  de  la  Tour  s'élève  à  près  de  trois  mètres  au-dessUs  du 
sol  actuel  des  rues,  sol  qui  s'est  haussé,  en  cette  circonstance,  de  près 
d'un  mètre  et  demi  au-dessus  du  sol  précédent.  On  voit  donc  que 
s'il  reste  des  traces  de  rempart  et  de  fossés,  ces  traces  sont  ensevelies 
sous  plusieurs  mètres  de  gravier.  Il  n'y  a  donc  aucune  possibilité  de 
reconnaître  à  quelque  vestige  que  ce  soit,  sur  le  terrain,  l'emplace- 
ment même  des  quartiers  d'hiver  de  Servius  Galba. 

L'Octodure  des  Veragres  était  une  bourgade  divisée  en  deux  par 
une  rivière  qui  ne  peut  être  le  Rhône,  malgré  sa  proximité  ;  car 
César  n'eût  pas  manqué  de  nommer,  comme  en  d'autres  passages, 
un  fleuve  de  cette  importance.  La  rivière  sur  les  bords  de  laquelle 
était  établi  Octodure  était  donc  très-certainement  la  Dranse,  qui  va 
se  jeter  dans  le  Rhône  vers  le  pied  du  pâté  de  montagnes  dominé 
par  la  Dent  de  Mordes,  au  point  où  la  vallée  du  Rhône,  après  avoir 
couru  directement  du  nord  au  sud,  de  Saint-Maurice  à  Martigny, 
s'infléchit  brusquement  à  angle  droit  et  se  dirige  à  l'est,  vers  Sion. 

Mais  le  lit  actuel  de  la  Dranse  n'est  plus  du  tout  le  lit  ancien  de 
cette  rivière.  On  l'a  endiguée,  en  quelque  sorte  canalisée,  et  aujour- 
d'hui cette  rivière  coule  entre  le  faubourg  de  Martigny  connu  sous 
le  nom  de  Batiaz,  et  Martigny-Ville.  Un  pont  couvert,  en  bois,  et  à 
deux  voies,  relie  en  ce  point  les  deux  rives  de  la  Dranse,  encaissée 
entre  deux  murailles.  Il  est  facile,  en  se  rendant  de  Martigny-Ville 


BATAILLE    D  OCTODURE.  5 

au  Vivier,  de  reconnaître,  à  une  dépression  bien  caractérisée  du 
terrain,  le  lit  ancien  que  la  Dranse  a  abandonné.  L'une  de  ses  rives 
comportait  la  portion  du  vicus  Veragrien  concédé  aux  habitants, 
que  les  Romains  forcèrent  d'abandonner  l'autre  rive,  pour  s'y  établir 
solidement  eux-mêmes. 

Ici  se  présente  une  question  importante.  Les  Romains  s'établirent- 
ils  sur  la  rive  droite  ou  sur  la  rive  gauche  de  l'ancien  lit  de  la 
Dranse?  Je  n'hésite  pas  un  instant  à  les  placer  sur  la  rive  droite,  et 
voici  mes  raisons  : 

1°  Ils  étaient  ainsi  à  proximité  d'une  côte  boisée,  capable,  par  con- 
séquent, de  leur  fournir  les  bois  et  matériaux  dont  ils  devaient  avoir 
un  besoin  incessant  :  sur  l'autre  rive,  ils  se  fussent  adossés  à  des 
roches  abruptes  et  nues  ;  2°  en  rejetant  la  population  gauloise  d'Oc- 
todure  sur  la  rive  gauche  de  la  Dranse,  ils  coupaient  en  quelque 
sorte  leurs  communications  avec  le  reste  des  Veragres  et  des  Seduns  ; 
ils  les  tenaient  mieux  en  respect,  enfermés  qu'ils  paraissaient  entre 
la  Dranse,  le  Rhône  et  la  montagne,  ayant  derrière  le  dos  les  deux 
cohortes  laissées  chez  les  Nantuates,  et  en  face  les  huit  cohortes  du 
camp;  3°  ils  étaient  à  proximité  plus  immédiate  de  l'entrée  de  la 
gorge  quidonne  accès  dans  l'Enlremont,  et  probablement  môme  à  che- 
val sur  la  route  primitive  du  passage  des  Alpes  Pœnines.  Le  nom  ac- 
tuel de  Montagne  du  Chemin,  porté  par  la  montagne  à  laquelle  le  camp 
de  Galba  devait  être  adossé,  comme  nous  le  verrons  tout  à  l'heure, 
semble  nous  avoir  conservé  la  preuve  de  ce  fait  que  dans  l'antiquité 
on  entrait  dans  l'Entremont  par  la  rive  droite  de  la  Dranse.  Un  sen- 
tier y  existe  toujours,  et  ce  sentier,  après  avoir  tourné  la  Montagne  du 
Chemin,  vient,  par  une  passerelle,  regagner  la  route  moderne  de  la 
rive  gauche.  Rien  ne  prouve  qu'il  n'en  a  pas  toujours  été  ainsi.  Du 
reste,  ainsi  que  je  viens  de  le  faire  pressentir,  les  circonstances  de  la 
bataille  démontrent  d'une  manière  évidente  que  le  quartier  de  la 
ville  occupé  par  les  Romains  fut  celui  qui  couvrait  la  rive  droite 
de  la  Dranse. 

Depuis  un  certain  nombre  de  jours  Galba  occupait  la  position 
militaire  qu'il  avait  choisie  ;  il  avait  donné  les  ordres  nécessaires 
pour  faire  affluer  à  son  camp  les  grains  dont  il  aurait  besoin  pour 
toute  la  durée  de  son  séjour;  enfin  il  avait  entre  les  mains  des  otages 
qu'il  croyait  suffisants  pour  lui  répondre  de  la  soumission  des  Ve- 
ragres, lorsque  tout  à  coup  ses  espions  vinrent  le  tirer  de  la  funeste 
sécurité  dans  laquelle  il  vivait,  en  lui  annonçant  que  toute  la  popu- 
lation gauloise  reléguée  dans  la  partie  de  la  ville  à  eux  attribuée 


6  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

avail  disparu  pondant  la  nuit,  et  que  toutes  les  hauteurs  qui  domi- 
nai.nt  le  camp  étaient  couvertes  par  une  multitude  de  Seduns  et 
«le  Veragres. 

César  nous  apprend  quelles  étaient  les  dernières  raisons  qui 
avaient  motivé  cette  levée  de  boucliers  si  peu  attendue.  Pendant 
( I u , •  les  Romains  se  trouvaient  menacés  à  revers  par  les  populations 
de  la  Vallée  supérieure,  les  Veragres  d'Octodure  s'étaient  réunis  à 
leurs  compatriotes  de  la  Vallée  inférieure  et  avaient  occupé  les  hau- 
teurs du  Trient,  de  Salvan,  de  Vernayaz  et  d'Evionnaz,  pour 
couper  la  route  aux  huit  cohortes  de  Galba  et  intercepter  toute 
communication  avec  les  deux  cohortes  laissées  en  garnison  chez 
les  Nantuates. 

Au  moment  où  ces  fâcheuses  nouvelles  étaient  transmises  à  Ser- 
vius  Galba,  ses  travaux  de  défense  n'étaient  pas  achevés,  ses  appro- 
visionnements étaient  incomplets  encore,  et  une  partie  de  son 
monde  avait  quitté  le  camp  pour  aller  activer  et  protéger  la  venue 
des  convois  de  vivres.  La  situation  était  donc  des  plus  perplexes,  et 
le  général  romain,  autant  sans  doute  pour  mettre  sa  responsabilité 
personnelle  à  couvert  que  pour  s'entourer  des  conseils  des  mili- 
taires expérimentés  qu'il  avait  avec  lui,  réunit  en  toute  hâte  un 
conseil  de  guerre  et  recueillit  les  avis.  On  délibéra  en  face  d'un 
ennemi  ardent  que  l'on  voyait  fourmiller  en  armes  sur  les  pentes 
voisines;  les  routes  étant  coupées,  il  n'y  avait  à  espérer  ni  se- 
cours d'hommes,  ni  secours  de  vivres,  «  neque  subsidio  veniri, 
«  neque  commeatus  supportari.jnterclusis  itineribus.possent;  »  celte 
phrase  démontre  jusqu'à  l'évidence  que  l'ennemi  était  maître  de 
la  route  d'Agaunum  (Saint-Maurice),  et  que  son  plan  d'attaque  était 
parfaitement  conçu.  Tout  paraissait  donc  désespéré;  aussi,  comme  il 
arrive  en  pareilles  conjonctures,  les  avis  furent-ils  divers;  les  uns 
voulaient  abandonner  immédiatement  les  bagages  et  le  camp,  se 
ruer  sur  la  route  qui  avait  amené  la  légion  dans  ce  coupe-gorge,  et 
faire  une  trouée  vers  le  pays  des  Nantuates,  pour  regagner  la  Pro- 
vince romaine.  La  majorité  cependant  décida  que  l'on  défendrait  le 
camp,  el  que  s'il  devenait  impossible  d'y  tenir,  on  tenterait  l'unique 
voie  de  salut  qui  resterait,  c'est-à-dire  que  l'on  essayerait  de  se  faire 
jour  en  passant  sur  le  corps  des  Gaulois  maîtres  de  la  Vallée  infé- 
rieure. 

Le  conseil  de  guerre  venait  de  terminer  sa  séance,  on  avail  à 
peine  en  le  temps  de  passer  à  rexécution  de  la  vaillante  détermina- 
tion qui  était  adoptée,  lorsque  L'ennemi,  à  un  signal  donné,  fondit 


BATAILLE    D  OCTODl'RE.  / 

sur  les  retranchements  romains,  en  s'élançant  au  pas  de  course  et 
de  toutes  parts,  du  haut  des  pentes  qu'il  occupait,  et  se  mit  inconti- 
nent à  lancer  des  pierres  et  des  gœsa  sur  les  défenseurs  du  camp. 
hostes  ex  omnibus  partibus,  signo  dato,  decurrere,  lapides  gœsaque 
in  vallum  conjicere. 

Ce  passage  est  décisif  pour  la  détermination  du  point  où  devait 
être  le  camp  de  Galba  par  rapport  au  cours  de  la  Dranse.  Si  nous 
tenons  compte  en  effet  de  la  situation  de  l'ancien  lit  de  cette  rivière, 
à  laquelle  ce  camp  était  appuyé,  la  rive  gauche  se  reliait  aux  escar- 
pements abrupts  de  la  montagne  du  château  de  la  Bal iaz  et  delà 
continuation  du  flanc  escarpé  qui  s'étend  jusqu'assez  près  de  la  bi- 
furcation des  routes  du  Saint-Bernard  etde  Chamounix.  La  rive  droite, 
au  contraire,  s'étend  jusqu'aux  premières  pentes  boisées  et  partout 
praticables  de  la  Montagne  du  Chemin.  Pour  se  ruer  des  hauteurs 
qui  dominent  la  rive  gauche  de  la  Dranse  sur  le  camp  romain,  en  le 
supposant  placé  sur  cette  rive,  les  assaillants  auraient  eu  à  faire  un 
saut  à  pic  d'une  centaine  de  pieds.  Cette  raison  est  plus  que  suffi- 
sante, on  en  conviendra,  pour  reporter  sur  la  rive  droite  la  portion 
du  bourg  d'Octodure  occupée  par  Galba  et  ses  huit  cohortes.  Le 
Vivier,  ainsi  que  je  l'ai  déjà  dit,  répond  à  merveille  à  la  topogra- 
phie impliquée  dans  le  récit  de  César,  et  je  n'ai  aucun  scrupule  à 
affirmer  de  la  manière  la  plus  précise  que  là,  c'est-à-dire  à  rempla- 
cement actuel  du  hameau  du  Vivier  et  de  son  enceinte  circulaire 
antique,  était  placé  le  camp  de  Galba. 

Je  ne  reviendrai  pas  sur  le^péripéties  de  ce  terrible  combat  ;  elles 
sont  si  explicitement  rapportées  dans  le  récit  dont  j'ai  donné,  en 
commençant,  la  traduction,  que  je  ne  saurais  les  raconter  d'une 
manière  aussi  brève  ni  aussi  énergique. 

Après  six  heures  d'une  lutte  pendant  laquelle  il  ne  fut  pas  pos- 
sible aux  blessés  eux-mêmes  de  se  retirer  de  l'action,  la  garnison 
romaine  se  trouvait  à  bout  de  forces  et  à  bout  de  munitions  de 
guerre.  Les  armes  de  jet  commençaient  à  manquer,  une  plus  longue 
résistance  dans  de  pareilles  conditions  était  impossible;  en  plus  d'un 
point  le  fossé  était  comblé  et  des  brèches  entamaient  le  rempart.  Ce 
fut  alors  que  Publius  Sextius  Baculus,  brave  centurion  primipile, 
et  le  tribun  des  soldats  Caïus  Volusenus,  homme  de  cœur  et  d'ac- 
tion, accoururent  auprès  de  Galba,  et  lui  déclarèrent  qu'il  n'y  avait 
plus  de  chance  de  salut  que  dans  une  sortie  désespérée.  Galba  n'eut 
pas  de  peine  à  se  laisser  persuader.  Les  centurions  furent  aussitôt  ap- 
pelés auprès  du  général,  qui  les  chargea  de  transmettre  immédiate- 


8  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

ment  à  leurs  soldats  l'ordre  de  reprendre  haleine,  de  se  contenter  de 
parer  les  traits  lancés  par  l'ennemi,  et  de  se  tenir  prêts  au  pre- 
mier signal  à  se  précipiter  hors  du  camp,  à  devenir  d'assaillis  assail- 
lants, el  à  mettre  tout  espoir  de  salut  dans  leur  propre  énergie. 

Nous  avons  vu  tout  à  l'heure  que  les  armes  de  jet  des  Gaulois 
étaient  des  pierres  et  des  gœsa.  Le  gaesum  était  donc  un  javelot 
puissant,  et  non  une  lance  que  l'on  conservait  à  la  main  pendant 
l'action.  Notons  en  passant  le  rapprochement  déjà  fait  depuis  long- 
temps par  les  commentateurs  entre  le  nom  dejavelot  gaulois,  gœsum, 
et  |,'  mol  gas  qui,  dans  l'idiome  gaulois,  dislingue  toujours  un 
homme  vigoureux  et  brave. 

Cette  fois  encore  la  tactique  romaine  devait  l'emporter  sur  la  force 
brutale.  Au  signal  donné  la  sortie  s'exécuta  avec  vigueur  par  toutes 
les  portes  du  camp  à  la  fois,  et  si  inopinément,  que  les  Gaulois  n'eu- 
renl  pas  le  temps  de  comprendre  ce  qui  se  passait,  ni  de  se  recon- 
naître en  se  ralliant.  A  l'instant  même  la  face  du  combat  changea 
complètement,  et  ceux  qui  étaient  accourus  à  l'attaque  avec  l'en- 
tière conviction  que  le  camp  des  Romains  était  à  eux,  se  virent  entou- 
rés en  un  clin  d'œil  et  massacrés  sans  merci.  Ici  César  nous  donne  des 
chiffres  qui  malheureusement  trahissent  un  peu  trop  évidemment 
ce  qu'on  appelle  le  style  de  bulletin.  Sur  30,000  assaillants  10,000  fu- 
rent égorgés  dit-il,  et  les  survivants,  pourchassés  l'épée  dans  les 
reins,  n'eurent  même  pas  la  faculté  de  résister  sur  les  pentes  d'où  ils 
étaient  partis.  Voyons  un  peu  quel  est  le  chiffre  officiel  de  la  popu- 
lation actuelle  du  pays  des  Seduns  et  celle  du  pays  des  Veragres,  en 
partant  de  ce  principe  que  la  population  moderne  est  à  coup  sûr 
aussi  nombreuse  qu'elle  l'était  à  l'époque  de  César. 

Le  Valais  tout  entier,  c'est-à-dire  le  pays  des  Nantuates,  des 
Veragres,  des  Seduns  et  des  Vibères,  comprend  aujourd'hui 
81,559  habitants;  ajoutons-en  10,000  environ  pour  la  partie  du  can- 
ton de  Vaud  comprise  sur  la  rive  droite  du  Rhône  entre  Eslex  et 
Villeneuve,  et  nous  aurons,  pour  toute  la  vallée  du  Rhône,  environ 
1)2,000  habitants.  Si  de  ce  chiffre  nous  retranchons  celui  qui  doit  re- 
présenter les  anciennes  peuplades  des  Nantuates  et  des  Vibères,  les- 
quelles ne  prirent  point  part  à  la  bataille  d'Oclodure,  il  nous* restera, 
en  cavant  au  plus  haut,  40,000  âmes  pour  représenter  les  Seduns  et 
les  Veragres;  si  de  ce  chiffre  nous  défalquons  encore  les  vieillards, 
les  enfants  et  les  femmes,  je  ne  sais  trop  comment  nous  ferions 
pour  retrouver  les  30,000  combattants  de  Galba,  réduits  d'un  tiers 
en  un  instant.  Non,  ces  chiffres  sont  impossibles,  et  nous  devons  les 
regarder  comme  empreints  d'une  énorme  exagération. 


BATAILLE   D'OCTODURE.  9 

Quoi  qu'il  en  soit,  l'attaque  fut  repoussée  pour  cette  fois;  mais 
Galba  avait  vu  sa  légion  assez  fortement  compromise  pour  n'avoir 
aucune  envie  de  tenter  une  seconde  fois  la  fortune  en  ce  point.  Il  eut 
la  prudence  de  laisser  une  nuit  de  repos  à  ses  soldats  exténués  par 
une  lutte  qui  avait  dû  quelque  peu  les  démoraliser,  et  dès  le  lende- 
main, après  avoir  brûlé  la  ville  d'Octodure,  il  prit  la  roule  du  pays 
des  Nantuates,  chez  lesquels  il  ne  jugea  pas  prudent  de  séjourner,  et 
il  rentra  dans  la  terre  des  Allobroges,  chez  lesquels  il  passa  l'hiver. 

Résumons  : 

1°  Agaunum,  aujourd'hui  Saint-Maurice,  fut  le  point  où  Galba 
laissa  en  garnison  deux  cohortes  de  la  douzième  légion. 

2°  Tarnaise  ou  Tarnadœ  de  l'Itinéraire  d'Antonin  doit  être  dis- 
tingué d'Agaunum.  C'était  une  station  militaire  placée  où  est  aujour- 
d'hui le  village  de  Massonger. 

3°  L'Octodure  de  César  s'étendait  sur  les  deux  rives  de  l'ancien  lit 
de  la  Dranse,  entre  Martigny-Ville  et  Martigny-Bourg. 

4°  Le  quartier  de  la  ville  gauloise  choisi  par  Galba  pour  y  établir 
son  quartier  d'hiver  s'étendait  de  la  Dranse  au  pied  de  la  Montagne 
du  Chemin. 

5°  Le  hameau  moderne  nommé  le  Vivier  représente  parfaitement 
l'emplacement  du  camp  de  Galba,  dont  le  rempart  et  le  fossé  doivent 
avoir  été  recouverts  depuis  des  siècles  par  les  masses  de  gravier  en- 
traînées par  la  Dranse,  lors  des  grandes  inondations  causées  par  les 
terribles  débordements  de  ce  torrent  fougueux. 

F.  de  Saulcy. 


NOUVELLES  OBSERVATIONS 


L'INSCRIPTION  GRÉCO- LATINE 


fROUVEE    A    t'HKJLS 


■  Los  lecteurs  de  ectte  Revue  ont  eu  la  bonne  fortune  d'être  des 

premiers  à  jouir  de  la  petite  récolte  épigraphique  faite  par 
M.  Alexandre  pendant  son  séjour  dans  le  midi  de  la  France.  Parmi 
ces  inscriptions,  publiées  dans  les  deux  précédents  numéros  et  ac- 
compagnées d'une  traduction  et  d'un  commentaire,  il  en  est  une 
très-curieuse  et  très-intéressante  à  plusieurs  points  de  vue.  Je  veux 
parler  de  l'inscription  gréco-latine  découverte  à  Fréjus,  et  dont  la 
partie  grecque  renferme  un  petit  problème  philologique.  Comme 
mon  interprétation  est  différente  de  celle  qui  a  été  publiée,  je  de- 
mande la  permission  d'examiner  de  nouveau  ce  monument,  épigra- 
phique,  et  d'exposer  les  raisons  qui  me  semblent  militer  en  faveur 
de  l'explication  que  je  propose. 

Pour  l'intelligence  de  la  discussion  qui  va  suivre,  il  est  nécessaire 
de  reproduire  ici  l'inscription  avec  la  traduction  qui  a  été  donnée 
dans  le  numéro  précédent  : 

C.  Vibio  Liguri  Maxsuma  mater  fecit. 

J  ov  tecepov  ^pyoÇovto  Y£p*lOT£'potÇ  '  ô  8è  Aatu.wv 

Nr'-iov  àvreêoXriff'  i-mttetsç  jcXtpuxTi. 

SuVYevéeç  ysvsTai  "   ôu.où  ov  eOcc^ocv  sOa'l/av 

îaïov.  "il  [lepoTrwv  eXttiSeç  où  uloviixoi! 

\  Çaius  Viliius  Ligur  sa  mère  Maxime.  On  construisait  celte 
tombe  pour  de  plus  âgés.  Mais  l'arbitre  ôe^  destinées  a  frappé  (mot  à 


INSCRIPTION    GRÉCO-LATINE    DE    FRÉJUS.  11 

mot,  a  rencontré,  a  atteint)  un  petit  enfant  de  sept  ans  par  l'in- 
fluence du  climat  (mot  à  mot,  de  la  région,  de  la  contrée).  Ses  pio- 
ches et  les  auteurs  de  ses  jours,  tous  ensemble,  ont  enterré  celui 
qu'ils  avaient  élevé,  (leur  cher)  Caius.  Oh!  que  les  espérances  des 
mortels  sont  peu  stables  !  » 

On  avait  d'abord  coupé  le  premier  vers  autrement  et  on  avait  ima- 
giné de  supposer  une  faute  du  graveur  (un  o  pour  un  e)  et  de  lire  : 

Tôv  xobov  r,fYà£ovTO  fZoonoXEûoi  •  si  01  Aatutov,  etc. 

Mais  sur  mon  observation,  cette  conjecture  a  été  abandonnée,  et 
on  a  adopté  celle  que  je  proposais,  -feçaurvéçou;  •  6  os  A.  Ces  deux  leçons 
présentent  absolument  le  même  sens,  comme  il  est  facile  de  le  mon- 
trer. Avec  la  première,  yepawcepoi,  le  sens  serait  :  «  des  personnes 
âgées  préparaient  ce  tombeau,  etc.  »  La  destination  n'est  pas  indi- 
quée :  préparaient,  pour  qui?  Pour  toi,  jeune  enfant?  Mais  ce  n'est 
pas  admissible;  desparents  ne  s'occupent  pas  d'avance  du  tombeau  de 
leur  enfant.  Reste  donc  l'autre  sens  :  préparaient  pour  eux-mêmes, 
c'est-à-dire  se  faisaient  construire  ce  tombeau.  Ce  qui  revient  exac- 
tement à,  on  préparait  ce  tombeau  pour  (1),  etc.  Les  deux  rédactions 
présentent  donc  le  même  sens;  toutefois,  celle  qui  a  été  adoptée  a  le 
double  avantage  de  ne  rien  changer  au  texte  et  à  la  construction,  et 
de  rendre  plus  sensible  l'opposition  entre  yscaioTéfoiç  ctvr>iov,  opposi- 
tion qui  existait  certainement  dans  la  pensée  du  poëtc.  Voici  un  tom- 
beau qui  était  destiné  à  des  personnes  âgées;  mais  le  destin,  qui  se 
joue  sans  cesse  des  prévisions  humaines,  saisit  un  enfant  de  sept 
ans,  etc.  On  voit  comme  la  pensée  se  présente  naturellement  et 
justifie  la  présence  du  verbe  «vt86oXy)<w  au  vers  suivant.  Un  mot  en- 
core sur  ywaioTÉpoiç.  Je  ne  pense  pas  qu'il  faille  entendre  ce  compa- 
ratif par  rapport  à  Vibius.  Le  sens  est  assez  âgés,  plus  âgés  que  la 
pluralité  et  la  grande  masse;  on  sent  que  le  positif  yspaioi  eût  été 
faux,  le  comparatif  l'adoucit  et  remplit  ici  le  rôle  qu'il  joue  habituel- 
lement dans  les  langues  anciennes  (2).  Le  français  ne  fournissant  de 


I)    Dialog.    de  A$trolog.,    p.   23  (Havniaj,   1830)  :  lloi/.i'/oy;  Oopjo&v;  -/.eu  -a^a/a; 
ÊV  te  Tï6),£<7t  "/.ai  à&vcfftv  oaoi;  -/.ai  iôia  ïy.clgzm  twv  àvOpoVnMV  éf/à^ov-rai. 

(2)  On  trouve  précisément  un  exemple  de  ce  comparatif  dans  une  inscription 
trouvée  à  Marseille  et  qui,  je  ne  sais  pourquoi,  a  été  omise  dans  le  recueil  de  Boeckh  : 
VETAIMOS  AIONIIIOV  kïTIOÏ  EVTAEIAI  KAI  rKPÏïTEl'OÏ  STKHSAS 
E<l>HBOr£  KAI    rVMNAZIAPXHIAi:  tfft,  Seninr  qui  vicit  adolescentes. 


12  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

forme  ni  pour  le  comparatif,  ni  pour  le  superlatif,  le  sentiment  de 
ces  nuances  délicates  nous  fait  un  peu  défaut. 

Examinons  maintenant  le  mot  âvTe6oÀ*i<re,  qui  est  très-important 
dans  la  discussion.  «  Au  second  vers,  dit  M.  Alexandre,  le  verbe 
<xvti6oXw,  dans  le  sens  de  rencontrer,  construit  avec  l'accusatif, 
est  d'une  grécilé  douteuse.  Si  c'est  une  faute,  il  faut  l'attribuer 
sans  doute  à  l'habitude  d'employer  ce  même  verbe  ainsi  construit 
dans  son  acception  poétique  et  attique  de  supplier.  Mais  avec  le  sens 
qu'on  lui  donne  ici,  je  n'en  connais  qu'un  seul  exemple.  Je  le  trouve 
dans  les  Oracles  sybillins,  que  j'ai  édiles,  livre  III,  v.  737,  passage 
du  second  siècle  avant  notre  ère  :  Mifroi  xaxbv  àvriêûÀi^ç,  de  peur  que 
tu  ne  rencontres  (c'est-à-dire,  que  tu  n'éprouves)  quelque  mal.  Encore 
voit-on  qu'ici  la  construction  est  renversée  :  c'est  la  personne  qui 
rencontre  le  mal,  et  non  le  mal  qui  va  au-devant  de  la  personne.  » 

Cette  dernière  réserve  est  faite  avec  d'autant  plus  de  raison  que 
l'exemple  cité  repose  sur  une  faute  évidente,  dont  la  correction  per- 
met de  ramener  le  verbe  àvTiêoXIw  à  son  emploi  et  à  son  acception 
ordinaires.  Citons  le  passage  en  question  : 

My|  xtvei  Kouxocpivav  ■  àxivY)xoç  yap  àf/.eivcov. 

IlapoaXiv  U  xoCttjç,  M  H  TOI  xaxov  ANTIB0AH2H2. 

Au  lieu  de  pitoi  les  bons  manuscrits  donnent  pi  «,  leçon  qui  con- 
viendrait avec  &méîoÀV)<îï]{.  Comme  la  métrique  s'y  oppose,  le  savant 
éditeur  ajoute  en  note  :  «  edd.  pi  toi  »  en  deux  mois,  qu'il  réunit 
pour  en  faire  pfroi.  Mais  comment  justifier  la  présence  de  la  parti- 
cule toi,  qui  serait  une  cheville  d'autant  plus  déplacée  ici  qu'il  s'agit 
d'un  morceau  très-bien  écrit  et  remontant  à  une  respectable  anti- 
quité? Les  anciennes  éditions  avec  pi  toi  nous  mettent  sur  la  voie 
pour  nous  faire  trouver  la  véritable  correction  : 

IlapoaXiv    Ix   xoitïi;  (p)    iydpr\s   OU    xivt]<ty)ç),   MH  TOI   xaxov    'ANTI- 

[B0AH2H, 

ne  tibi  malum  occurrat  ou  eveniat. 

Dès  lors  tout  est  régulier  et  conforme  à  l'usage  adopté  par  Homère 
et  par  tous  les  poètes  postérieurs.  Témoin  ce  passage  (Hymn.  in 
Merc,  v.  170),  qui  semble  fait  exprès  pour  justifier  la  correction 
que  je  propose  : 

El  ïi  [x    spsuvrço-£i  A-^toû;  afixuôÉoç  uîôç, 

yAXXo  t(  01  xflù  jaeîÇov  ôtoyuxt  'ANTIB0AH2EIN. 


INSCRIPTION   GRÉCO-LATINE   DE   FRÉJUS.  13 

Dans  le  passage  des  Oracles  sybillins,  le  mot  en  question  est  précédé 
et  suivi  d'une  foule  de  verbes  à  la  seconde  personne  ou  à  l'impératif. 
Les  copistes,  pour  lesquels  àvn.ëoXÉ«  était  un  ancien  verbe  dont  ils 
n'entrevoyaient  le  sens  qu'à  travers  les  nuages,  ont  écrit  tout  natu- 
rellement àvTiêoX7]cn)ç  au  lieu  d'àvTtêoXïfay),  et  c'eût  été  un  miracle 
qu'ils  eussent  résisté  à  cette  tentation. 

Du  reste,  l'édition  môme  nous  fournit  les  moyens  de  justifier  cette 
correction.  En  effet,  on  y  trouve  un  autre  passage  du  même  livre, 
très-ancien  comme  nous  avons  vu,  ou  toi  est  employé  pour  aol.  C'est 
le  vers  548  :  Ttç  toi  7tXàvov  Iv  <ppe<rl  ôrjxe.  Puis  en  note  :  «  Lactantii  co- 
dices  plerique  :  t(ç  toi,  »  et  dans  l'Index  grœcitatis,  placé  à  la  fin  : 
Toi' (pro  «roi')  III,  548. 

Cet  unique  exemple  une  fois  écarté,  il  ne  reste  plus  rien  pour 
autoriser  l'emploi  de  ce  verbe  avec  l'accusatif  dans  le  sens  donné  par 
l'inscription  dont  nous  nous  occupons,  et  il  est  bien  constaté  main- 
tenant que  le  poète  a  commis  une  erreur  manifeste.  L'élision  àvT£- 
êo'Xïiff',  pour  àvTEéoOoidsv,  prouve  aussi  qu'il  a  voulu  s'exprimer  comme 
les  anciens.  L'opposition  entre  yepaioTspoiç  et  vfaiov,  dont  nous  avons 
parlé  plus  haut,  explique  le  choix  d'un  mot  comme  àvTiëaXXw  ou 
àvTiëoXéw  dans  la  composition  duquel  la  préposition  <xvtï  entrerait  ici 
avec  le  sens  de  au  lieu  de  :  dès  lors,  on  a  une  pensée  régulière  et 
une  opposition  semblable  à  celle  que  le  poète  a  recherchée  plus  bas 
dans  £6p£'}<xv  sOa^av.  Quant  au  verbe  àvTiëoXÉw,  employé  souvent  par 
Homère,  il  est  neutre  dans  l'usage,  mais  sa  forme  sonne  comme 
un  actif.  Or,  comme  il  y  a  un  sujet  indubitable,  Aaijxwv,  et  un  accu- 
satif, vifriov,  on  est  en  quelque  sorte  fondé  à  croire  que  l'auteur  l'a 
pris  pour  un  verbe  actif.  La  poésie  qui  provient  des  souvenirs  d'une 
lecture  poétique  envahit  le  style  épigraphique  avec  une  grande 
transparence.  C'est  là  un  fait  incontestable  dont  on  peut  voir  des 
exemples  remarquables  dans  l'appendice  de  {'Anthologie  Palatine 
et  dans  la  Sylloge  de  Welcker. 

Arrivons  maintenant  au  mot  xX^tm,  le  seul  peut-être  qui  offre 
quelque  difficulté  d'interprétation.  Suivant  la  traduction  proposée 
plus  haut,  il  a  été  pris,  non  dans  le  sens  aujourd'hui  vulgaire  du 
mot  français  climat,  devenu  presque  synonyme  de  température,  mais 
dans  celui  que  les  Grecs  lui  donnaient  ordinairement  et  qui  est  em- 
prunté aux  géographes.  Puis  viennent  quelques  citations  à  l'appui, 
et  entre  autres  celle-ci  :  «  Dans  Dorothée  de  Sidon,  poète  astrologique 
inédit,  mais  cité  par  Saumaise  :  (k0u7rXoûxu)v  (dans  les  précédentes 
éditions  gaôu^XouTov)  xXij^a  TaXXwv.  »    Le   poème  de  Dorothée  de 


i't  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

Sidon  est  perdu ,  et  les  fragments  que  l'on  en  connaît  ont  été 
publiés  plusieurs  fois,  et  réunis  en  dernier  lieu  à  la  fin  du  vo- 
lume consacré  aux  Poetœ  bucolici  et  didactici  dans  la  collection 
Didot.  Je  crois  devoir  donner  ici  cette  petite  indication  bibliogra- 
phique parce  que  précisément  le  motxXiua  y  revient  avec  le  même 
sens  pour  ainsi  dire  dans  chacun  des  articles  consacrés  aux  signes 
du  zodiaque  Le  (UaOuTiXouTwv  xXi|j.a  FaXXwv  répond  au  signe  du  Sagit- 
taire.  Le  nom  de  Dorothée  de  Sidon,  introduit  dans  la  discussion, 
me  hure  à  taire  ici  un  petit  aveu  auquel  probablement  ne  seront 
pas  indifférents  ceux  qui  prennent  intérêt  aux  lettres  grecques.  Le 
nombre  des  vers  de  ce  poëte  recueillis  jusqu'à  présent  ne  s'élève 
qu'à  quatre-vingt-six;  j'en  possède  plus  de  deux  cents  qui  sont  iné- 
dits :  j'espère  pouvoir  les  publier  prochainement.  Cette  citation  aura 
eu  cela  de  bon,  de  stimuler  ma  paresse  ou  mon  insouciance  qui  de- 
puis un  grand  nombre  d'années  laissait,  sans  profit  pour  la  science. 
celle  petite  découverte  littéraire  sommeiller  au  fond  d'un  carton. 
Mais  revenons  à  notre  sujet. 

M.  Alexandre  invoque  ensuite  le  témoignage  de  Vitruve  pour 
arriver  à  la  notion  géographique  du  mot  x)a'f/.a,  appliquée  à  l'hygiène, 
et  qu'il  cherche  à  l'aire  rentrer  dans  le  sens  de  notre  épitaphe.  Puis 
il  ajoute  :  «  Il  est  vrai  que  la  position  de  Fréjus  pour  les  Romains, 
ni  même  pour  les  Grecs,  n'est  pas  bien  septentrionale  :  mais  les  an- 
ciens s'exagéraient  en  général  la  rigueur  du  climat  des  Gaules,  et 
celui  de  Fréjus  passe  encore  aujourd'hui,  à  tort  peut-être,  pour  le 
plus  froid,  le  plus  inconstant  de  toute  la  côte  de  Provence.  » 

Ce  dernier  argument  serait  favorable  à  la  thèse  développée  plus 
haut  s'il  était  appuyé  autrement  que  par  une  simple  affirmation. 
Malheureusement  les  témoignages  anciens  et  modernes  sont  tout  à 
fait  contraires  à  cette  opinion  en  ce  qui  concerne  le  climat  de  la 
Provence.  Suivant  Pline  (III,  5),  c'était  un  très-agréable  pays  et  une 
autre  véritable  Italie  :  «  Narbonnensis  provincia...  amne  Varo  ab 
Italia   discreta,  Alpiumque  vel  saluberrimis  Romano  imperio  jugis. 

agrorum  cullu,  virorum,  morumque  dignatione,  amplitudine 

dpum.  nulli  provinciarum  postferenda,breviterque  Italia  veriusquam 
provincia.  »  Pomponius  Mêla  (II,  5)  dit  aussi  en  parlant  de  ce  pays, 
«  magiscultaetmagisconsita,  ideoque  etiam  laelior.  »  Enfin,  suivant 
Salvien  (lib.  VIL  p.  fôl),  cette  contrée  présente  l'image  du  Paradis  : 
«  Ul  vere  possessores  ac  domini  terrée  non  tain  soli  istius  portionem 
quam  Paradisi  imaginem  possessisse  videantur.  »  Voibà  pour  la 

l'mvence. 


INSCRIPTION    GRÉCO-LATINE   DE    FRÉJUS.  15 

Quant  à  Fréjus,  en  supposant  môme  que  son  climat  fût  un  des 
plus  froids  de  la  Provence,  ce  que  je  ne  pense  pas,  il  s'en  faudrait 
de  beaucoup  qu'il  eût  été  considéré  par  les  Grecs  et  les  Romains 
comme  un  de  ceux  qu'il  était  dangereux  d'habiter.  Il  suffit  de  se 
rappeler  que  César  a  honoré  cette  ville  de  son  nom  et  que  les  Ro- 
mains y  firent  de  nombreux  travaux  dont  les  restes  subsistent  encore 
aujourd'hui,  pour  prouver  que  les  anciens  n'avaient  pas  une  mau- 
vaise idée  des  conditions  climatériques  dans  lesquelles  se  trouvait 
cette  contrée.  Nos  ancêtres  n'étaient  sans  doute  pas  plus  de  cet  avis 
quand  ils  y  établissaient  de  nombreuses  maisons  religieuses,  un 
séminaire,  voire  même  un  hôpital,  qui  sont  comme  autant  de  pro- 
testations contre  l'opinion  avancée  plus  haut.  Pour  que  le  poète  se 
fût  exprimé  d'une  façon  intelligible,  il  aurait  fallu  que  les  effets 
délétères  du  site  de  Fréjus  fussent  connus  de  tous  et  dans  la  bouche 
d'un  chacun  :  hors  de  là,  point  de  sens  dans  le  mot  xXifMrtt . 

Il  s'agit  ici  d'une  famille  indigène,  comme  doivent  le  faire  sup- 
poser et  le  nom  de  Vibius,  qui  était  très-répandu  dans  le  midi  de  la 
Gaule,  et  le  cognomen  Ligur,  qui  pourrait  bien  n'être  qu'un  ethnique. 
Pourquoi  alors  rendre  le  climat  responsable  de  la  mort  de  cet  enfant 
enlevé  à  sept  ans?  à  quel  âge  cessait  cette  responsabilité?  Pourquoi 
y  rester,  si  son  influence  presque  fatale  était  si  connue?  D'un  autre 
côté,  s'il  s'agit  d'une  famille  étrangère,  comment  supposer  que  l'épi- 
taphe  n'eût  pas  mentionné  les  regrets  des  parents  d'être  venus 
aborder  sur  une  plage  aussi  inhospitalière?  Les  objections  se  pré- 
sentent en  foule,  et  il  est  bien  difficile  d'y  répondre. 

Toutes  ces  réflexions  me  confirment  de  plus  en  plus  dans  ma 
première  pensée,  qui  consiste  à  donner  ici  au  mot  xXiaaxt  un  sens 
astrologique  et  surtout  celui  d'année  climatérique.  Je  sais  bien, 
comme  j'ai  eu  le  soin  de  le  dire  devant  l'Académie,  je  sais  bien  qu'il 
n'y  a  aucun  rapport  étymologique  et  prosodique  entre  les  mots  x%a 
et  xXtijiaxTYip ,  mais  il  est  évident  pour  moi  que  le  poète  a  attaché  au 
mot  x^t-jt-au  une  idée  d'astrologie  judiciaire  à  cause  de  l'âge  auquel 
l'enfant  était  mort.  Avec  é|aeTeç  ou  twfrnç  qui  pouvaient,  l'un  ou 
l'autre,  entrer  dans  le  vers,  le  rapprochement  n'avait  plus  lieu  et 
une  pareille  pensée  ne  serait  pas  venue  au  poëte. 

Cette  observation  m'avait  suggéré  une  conjecture  que  j'avais 
d'abord  abandonnée,  mais  à  laquelle  je  reviens  aujourd'hui  avec  une 
certaine  apparence  de  conviction.  Dans  la  pensée  qu'une  épithète  ne 
pourrait  être  que  favorable  au  mot  xXCpum,  je  lisais  faroétH  au  lieu 
de  Ixrarrs;,  leçon  excellente,  suivant  moi.  et  qui  préparerait  parfai- 


16  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

tement  à  la  hardiesse  de  remploi  du  mot  xkipam.  Si  le  lapicide  (ce 
qui  esl  probable,  puisqu'il  n'y  a  point  de  faute),  si  le  lapicide  com- 
prenait le  grec,  il  est  possible  qu'il  ail  pris  sur  lui  de  mettre  un  C  à 
la  place  de  I.  en  pensant  que  le  vvfriov  était  ir-at-zk  et  que  celle  indi- 
cation ne  devait  pas  manquer  sur  L'épitaphe.  Je  dois  dire  cependant 
que  l'adjectif  ici  ne  me  paraîtras  précisément  indispensable  :  «  Le 
destin  y  a  jeté  un  enfant  de  sept  ans  par  ou  à  l'époque  du  xXi'ua,  » 
c'est-à-dire,  par  cette  même  année  climatérique,  ou  par  la  position 
des  astres  généthliaques  qui  exerce  son  effet  surtout  cette  année. 
Suivant  moi,  IxraE-rèç  éveille  dans  l'esprit  une  idée  qui  dispense 
xXiWri  de  tout  autre  déterminatif.  A  sept  ans  l'enfant  pouvait  tomber 
à  l'eau  ou  mourir  par  suite  d'un  autre  accident;  par  xX^acn  le  poëte 
veut  dire  qu'il  n'y  a  pas  eu  d'accident,  qu'il  n'y  a  eu  que  l'influence 
de  l'époque  climatérique. 

En  bonne  critique,  on  doit  toujours  tenir  compte  des  temps,  des 
lieux  et  des  individus.  Dans  la  circonstance  dont  il  s'agit,  par  exem- 
ple, il  ne  faut  pas  oublier  que  nous  sommes  dans  le  midi  de  la  Gaule, 
à  une  époque  où  la  langue  grecque  avait  presque  complètement 
disparu,  et  où  il  y  avait  bien  des  chances  pour  qu'elle  fût  écrite  peu 
correctement  (1).  Quand  on  découvre  un  monument  littéraire  ou 
êpigraphiqne,  il  ne  s'agit  pas  de  savoir  comment  l'écrivain  ou  le 
poëte  aurait  dû  s'exprimer,  mais  bien  ce  qu'il  a  voulu  dire  et  quel  est 
le  sens  véritable  de  sa  pensée.  Je  maintiens  donc  que  notre  poëte  qui, 
nous  le  reconnaissons,  a  commis  une  faute  si  évidente  à  propos  du 
verbe  àv-egoXr^ô,  a  très-bien  pu  broncher  sur  le  sens  de  xAipotTi.  Les 
mois  xÀuj.a  et  xXiaaxTvip  étaient  des  termes  employés  très-fréquemment 
par  les  généthliaques  :  or  il  arrive  que  des  savants  môme  se  mé- 
prennent sur  l'emploi  des  termes  techniques  quand  ils  parlent  d'un 
art  ou  d'un  métier  qui  ne  leur  est  pas  familier.  Qu'arrivera-t-il  donc 
lorsqu'il  s'agira,  comme  ici,  de  quelque  pauvre  poëte,  gagnant  sans 
doute  sa  vie  à  composer  des  épitaphes  en  grec  (2)  pour  quelques 
familles  romaines?  On  ne  doit  pas  avoir  une  idée  bien  avantageuse 
du  savoir  d'un  échappé  de  la  Grèce,  qui  vivait  à  une  pareille  époque 
dans  ces  contrées  de  la  Gaule.  Qu'y  serait-il  venu  faire?  Quel  emploi 
pour  ses  talents  littéraires  et  par  quel  moyen,  par  quel  contact  au- 
rait-il pu  les  entretenir? 

(1)  On  est  élonr.é  du  petit  nombre  de  monuments  d'épigraphie  grecque  fournis 
par  le  midi  de  la  France,  où  cependant  la  langue  grecque  paraît  avoir  été  long- 
temps en  usage. 

On  sait  que  la  partie  grecque  a  été  ajoutée  après  coup  dans  l'inscription  de 
Fréjus. 


INSCRIPTION    GRÉCO-LATINE   DE   FRÉJUS.  17 

Constatons  maintenant  que  l'inscription  de  Fréjus  nous  reporte  à 
un  siècle  où  l'astrologie  judiciaire  était  très  en  honneur  parmi  les 
Romains.  C'était  l'époque  où  cette  science  envahissait  tout  et  où 
chacun  faisait  dépendre  ses  qualité3  physiques  et  morales  de  l'in- 
fluence des  astres.  Ces  croyances  populaires  avaient  été  rédigées  sous 
forme  de  doctrine  dans  des  ouvrages  tels  que  celui  de  Manilius,  dont 
les  traditions  allaient  bientôt  être  continuées  par  plusieurs  écrivains 
astrologiques  et  entre  autres  par  Firmicus  Maternus.  Ce  dernier,  par 
exemple,  nous  parle  de  constellations  qui  deviennent  bonnes  ou 
mauvaises  suivant  les  climata  dans  lesquels  elles  se  trouvent;  il  ap- 
pelle regiones  aureas  le  climat  de  Rome,  par  rapport  à  l'heureuse 
influence  de  Yastrum  génitale  sous  lequel  il  est  placé.  Et  d'ailleurs, 
si  le  mot  latin  regio  a  été  transporté  de  la  terre  au  ciel  pour  indiquer 
la  situation  des  astres,  comment  le  mot  x)^a  ne  l'aurait-il  pas  été? 
Voici  du  reste  un  passage  qui  semble  fait  exprès  pour  la  circon- 
stance, et  qui  lèvera  toute  espèce  de  doute  à  cette  égard;  il  est  tiré 
d'un  traité  inédit  d'astrologie  judiciaire  :  'Ex[/iv  oOv  twv  Tz^okù.s^it.(vo^ 

Trjç  twv  Çwgiwv  cpuceojç  xat  twv  X  7rXavo)[j.£VO)v  ecttiv  £up£Ïv  7ta^u[/.£pw;  [J.£V 
tov  wpo<JX07rov  ty)  cuve^eT  TOipa  xal  yuavasia,  ypojt/.£Vouç  t?j  twv  Çwoicov 
te  xalàffTÉpwv  tpiicm  xal  T0I2  KAIMA2I  'Effl  TÎÎN  *HAH  TEAEIQ0EN- 
TiiN  'ANOPlîTIiîN,  eç  àxptêouç  oÈ  wpOGxo-iroutjav  [jioTpav,  xaTa  tv)v  tou 
6eiou  IlTo)v£(J.atou    [xÉOoôov,  -?jV  £iip(ffxo|X£V  <r/soov  eVi  iravTWV  àXT|6Euou<7av.  On 

ne  niera  pas,  j'espère,  qu'il  ne  s'agisse  ici  des  climats  astrologiques, 
et  cela  précisément  à  propos  de  la  mortalité  humaine.  Est-il  besoin 
aussi  de  citer  les  composés  tylvxoi  et  cbioxXi|ji.a  (1),  employés  si  souvent 
par  les  écrivains  généthliaques? 

En  résumé,  mon  sentiment  est  que  le  mot  xX^octi  de  l'inscription 
de  Fréjus  doit  être  pris  dans  le  sens  astrologique  et  signifie  que  l'en- 
fant a  succombé  à  l'influence  climatérique  du  chiffre  sept,  ce  que  je 
rendrais  ainsi  dans  cet  essai  de  traduction  en  vers  : 

.  ■  * 

Maturis(2)  tumulumfecere;  at  numeu  iniquum  est, 


(i)  Je  lis  encore  dans  un  traité  anonyme  d'astrologie  judiciaire  :  cO  Se  èv  totcoiç 
xaXslrai  cpaùXov  àu6xXi[J.a  xal  TtpôôW:;  xal  Trpoxaxacpopà  xal  [AaTax6q.uo;  xal  xaxrj  xûyi\. 
Il  s'agit  ici  des  douze  Totoi  célestes.  Et  ailleurs  :  'Ig-téov  êtO'  ote  r]  Ta  àTOxXitj.aTa 
■/pr,[j.aTÎ^Ei  xal  ÈvÉpyEiav  où  tyjv  xu^ouiav  irepl  tou  à7i:0TsXs<7[AaT0;  Xôfov  itoiEtxai. 

(2)  Le  mot  maturus  se  met  ordinairement  avec  œvi,  annis,  œvo,  etc.;  mais  on  le 
trouve  aussi  seul  dans  Horace  (Od.  IV,  4,  55)  :  «  Gens  (Trojana)  natosque  maturos- 
que  patres  Pertulit  Ausonias,  ad  urbes.  »  Et  dans  VArt  poét.,  115  :  «  Intererit  mul- 
tum,  loquatur  Maturusne  senex  an  adhuc  florente  juventa  Fervidus.  »  C'est  bien  là  le 
sens  de  yspaiOTÉpoiç,  peut-être  avec  une  allusion  aux  rnatuvœ  fruges  qui  tombent.  Le 
mot  senibus  m'aurait  paru  trop  fort. 

iv.  2 


18  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

Septcnnique  (1)  puer  climatc  corripitur. 
Una  contumulant  quem  frustra  aluere  parentes 

Gaium!  O  spes  liominum.  quam  brevis  atque  levis! 

Du  reste,  j'en  appelle  au  futur  concile,  et  je  laisse  le  soin  de 
décider  la  question  aux  savants  qui  seront  chargés  de  donner  une 
nouvelle  édition  de  l'anthologie  grecque. 

Dans  tous  les  cas,  et  quel  que  soit  le  sens  que  l'on  adopte,  nous 
devons  dire  que  M.  Alexandre  a  rendu  un  véritable  service  à  la 
science  en  publiant  un  monument  épigraphique  d'un  genre  peu 
commun  et  très-important  pour  l'histoire  de  la  langue  grecque  en 
France,  et  en  provoquant  une  petite  discussion  philologique  qui,  je 
lisière,  ne  paraîtra  pas  dépourvue  d'intérêt. 

E.  Miller. 


P.  S.  Je  comptais  m'occuper  aussi  dans  cet  article  d'une  autre 
inscription  latine,  publiée  dans  le  dernier  numéro,  p.  460;  mais  en 
l'absence  d'estampage  ou  de  fac-similé  de  ce  monument  épigraphique, 
on  en  est  réduit  à  se  livrer  à  des  conjectures  plus  ou  moins  justifiables. 
Je  m'abstiendrai  donc  pour  le  moment,  et  j'attendrai  qu'on  soit 
mieux  édifié  sur  l'état  matériel  et  sur  la  physionomie  réelle  de  l'in- 
scription. Toutefois  je  profiterai  de  l'occasion  pour  dire  ici  quelques 
mots  du  chiffre  XL  qui  a  exercé  la  sagacité  de  M.  Alexandre  et  pour 
donner  une  explication  qui  pourrait  bien  être  la  véritable.  J'avais 
d'abord  moi-même  proposé  A[NN.]  XL,  sous-entendu  VIXIT;  mais 
dépuis  j'ai  renoncé  à  cette  conjecture,  et,  en  observant  que  le  chiffre 
XL  est  suivi  de  HERES,  j'ai  pensé  qu'il  fallait  lire  tout  simplement 
A[ER.]  XL  (2),  œris  quadragies  hères  (3)  :  ce  qui  ne  fait  pas  loin 
d'un  million  de  francs.  L'expression  se  trouve  dans  Tite-Live,  dans 


(1)  Ou  septennisque,  si  l'on  n'adopte  pas  la  correction  ÉTtxàeTEî  pour  êwraetéç. 

(2)  Peut-être  le  graveur,  à  l'exemple  de  quelques  personnes,  a-t-il  mis  le  trait 
entre  Xet  L  au  lieu  de  le  mettre  au-dessus. 

(3)  Voy.  la  manière  de  compter  la  monnaie  dans  les  Antiquités  romaines  d'Adam, 
t.  II,  p.  :  !8. 


INSCRIPTION    GRÉCO-LATINE   DE    FRÉJUS.  19 

Cicéron,  partout,  et  Varron  cite  comme  exemple  de  œris  :  œris 
millies  legasse.  Notre  Baricbalus  a  peut-être  voulu,  comme  Tjimal- 
cion,  que  la  somme  figurât  sur  le  monument.  On  se  rappelle  l'épi  - 
taphe  que  se  fit  ce  dernier  (Petr.  LXXI,  12),  et  dans  laquelle  il 
inséra  :  Ex  parvo  crevit.  Sestertium  reliquit  trecenties.  Ce  qui  rap- 
pelle ce  passage  d'Horace  (Sat.  If,  3,  84)  : 


Hœredes  Staberi  summam  incidere  sepulcro 
Ni  sic  fecissent, 


ils  étaient  condamnés  à  une  amende.  C'est  je  crois  de  cette  expli- 
cation que  l'on  peut  dire  :  «  Qu'elle  lève  au  moins  toute  difficulté.  » 
Dans  tous  les  cas  je  la  soumets  au  jugement  de  ceux,  qui  seront 
tentés  d'examiner  à  nouveau  l'épitaphe  de  Baricbalus. 

E.   M. 


NOUVELLES 

OBSERVATIONS  SUR  LE  PAPIER 

AU  FILIGRANE  DE  JACQUES  CŒUR 


Monsieur  le  directeur, 

L'hospitalité  que  la  Revue  archéologique  a  bien  voulu  accorder, 
sous  les  auspices  de  M.  Vallet  de  Viriville,  à  mes  recherches  sur  la 
papeterie  supposée  de  Jacques  Cœur,  a  acquis  aux  hypothèses  que 
j'émettais  à  ce  sujet  une  notoriété  qui  m'engageait  à  compléter  ce 
que  j'en  disais  par  de  nouvelles  investigations  dans  nos  archives. 
J'y  trouvais  l'occasion  de  justifier,  même  à  mes  propres  yeux,  ce 
que  mes  inductions  antérieures  pouvaient  offrir  de  contestable.  Une 
portion  de  nos  archives  départementales,  que  les  nécessités  d'un 
nouveau  classement  fermaient  à  mes  recherches  il  y  a  quelque 
temps,  viennent  de  m'être  rouvertes,  et  j'en  ai  profité  pour  vérifier 
sur  de  nouvelles  pièces  si  j'y  trouverais  la  confirmation  de  ce  que 
j'avais  supposé.  C'est  le  résultat  de  ces  dernières  investigations  que 
je  viens  vous  transmettre,  monsieur  le  directeur,  en  vous  priant  de 
réseryer  à  ici  le  communication  l'accueil  que  la  précédente  a  déjà 
reçue  de  vous. 

Le  principal  élément  de  mes  recherches  avait  été  la  collection  des 
registres  de  délibérations  du  chapitre  de  Saint-Étienne  de  Bourges. 
J'avais  regretté  de  n'avoir  pas  alors  à  ma  disposition  les  comptes  de 
ses  receveurs,  dans  lesquels  j'espérais  trouver  quelques  faits  nou- 
veaux à  ajouter  aux  précédents.  Le  dépouillement  de  ces  registres 
de  comptes  n'a  fait,  en  effet,  que  fortifier  mes  premières  suppositions, 
comme  on  peut  s'en  convaincre  si  l'on  veut  bien  suivre  avec  moi 
l'ordre  de  mes  recherches,  volume  par  volume,  et  dans  la  période  de 
temps  qui  intéresse  la  question. 


PAPIER  AU   FILIGRANE   DE   JACQUES   COEUR.  21 

Le  premier  de  ces  registres,  qui  contient  les  années  1418  et  1419, 
est  en  parchemin.  Je  me  contente  de  le  signaler  en  passant,  pour 
tirer  plus  tard  de  ce  fait  les  conséquences  qui  me  paraissent  en  dé- 
couler. 

De  là,  jusqu'en  1434,  lacune.  Les  registres  que  nous  retrouvons 
ensuite  (années  1434-38)  et  les  suivants,  sont  désormais  en  papier. 
Jusqu'en  1460,  et  sans  tenir  compte  des  vides  que  fait  dans  la  collec- 
tion l'absence  de  plus  d'un  volume,  le  papier  n'offre  que  les  types 
connus  de  la  roue,  du  bœuf  ou  de  l'ancre.  De  1460  à  1466,  lacune 
regrettable.  Mais  avec  le  registre  des  comptes  pour  1666  l'écu  de 
Jacques  Cœur  apparaît.  Tous  les  feuillets  y  sont  marqués  au  type  A. 
Lacune  ensuite  jusqu'en  1477.  Dans  le  registre  de  1477  nous  trou- 
vons le  filigrane  au  type  G.  Manque  l'année  1478.  Le  registre 
de  1479-80  contient  des  spécimens  des  types  B  et  C.  Absence  de  l'an- 
née 1481  ;  mais  les  registres  de  1482-83  et  1484-85  nous  offrent, 
avec  le  papier  orné  du  P  majuscule  gothique,  celui  au  type  E  régu- 
lier (1). 

Ici,  chose  remarquable,  la  même  particularité  s'offre  que  dans  les 
registres  précédemment  consultés,  c'est-à-dire  que,  arrivé  là,  nous 
sommes  à  la  limite  où  cesse  l'emploi  de  la  signature  des  Cœur  dans 
le  filigrane.  Le  registre  de  1488  manque,  il  est  vrai;  mais  cette 
absence  a  peu  d'importance,  puisqu'on  a  conservé  celui  de  1489,  et 
que  le  papier  qui  le  compose  est  tout  à  un  type  nouveau  (l'aiguière 
surmontée  d'une  croix). 

Dans  le  registre  de  1494  qui  suit,  et  dans  les  autres  postérieurs, 
d'autres  types  connus  reparaissent,  plus  ou  moins  variés,  tels  que 
la  licorne,  la  main  ouverte,  etc.,  mais  surtout  le  P  gothique.  Or  ce 
signe  est  connu  comme  ayant  servi  à  des  fabriques  ou  papeteries 
étrangères  à  notre  province,  et  même  à  la  France.  Ce  qui  donne  lieu 
de  croire  qu'il  avait  fallu  de  nouveau  recourir  à  l'industrie  pape- 
tière  de  nos  voisins,  après  avoir  vu  périr  la  nôtre. 

Je  feuillette  maintenant  la  collection  des  comptes  de  la  Sainte 


(1)  Ceci,  pour  être  compris,  nécessite  une  rectification  à  la  note  par  nous  insérée 
précédemment  dans  la  Revue,  pour  ce  qui  est  du  type  de  l'E  régulier  opposé  au 
même  type  irrégulier.  Cela  ne  s'entend  que  du  fleuron  qui  termine  l'écu  par  en  bas. 
Cette  fleur,  quand  elle  s'offre  régulière,  est  une  crucifère  avec  anneau  central  : 
mais  une  variété,  celle  que  nous  avions  choisie  pour  la  reproduire,  présente  une 
déformation  de  cette  figure  dans  laquelle  l'anneau  du  centre  a  disparu.  Cette  parti- 
cularité, le  texte  dont  nous  accompagnions  la  figure  E,  l'a  indiquée  assez  obscuré- 
ment par  suite  de  la  mauvaise  construction  de  la  phrase,  pour  que  nous  avions  cru 
devoir  saisir  l'occasion  d'y  revenir. 


22  HEVUE    ARCHEOLOGIQUE. 

Chapelle  de  notre  ville  ;  et  le  registre  de  1463-64  est  celui  où  com- 
mence à  se  manifester  l'écu  des  Cœur  mêlé  à  l'ancre,  dont  les  varié- 
es signalent  seules  le  papier  dans  les  registres  précédents  de  cette 
dernière  collection.  Les  lacunes,  trop  considérables  dans  la  suite  des 
registres  postérieurs,  ne  m'ont  pas  permis  d'y  constater  la  date  de 
disparition  de  notre  type. 

Mais  la  collection  la  plus  curieuse  peut-être  à  étudier,  sans  sortir 
de  Bourges,  est  celle  des  registres  de  comptes  du  chapitre  de  Saint- 
Pierre  le  Puellier.  La  succession  des  années  n'y  éprouve  presque 
aucune  interruption,  et  nous  voyons  s'y  dérouler  successivement 
tous  les  types  de  notre  papier  à  leur  date  de  fabrication,  ou  du  moins 
à  une  date  très-rapprochée,  et  dans  l'ordre  où  ils  ont  été  émis. 

Je  néglige  toutes  les  années  antérieures  à  1464,  car  elles  ne  nous 
offrent  rien  de  ce  que  nous  cherchons.  Je  me  contente  de  faire  ob- 
server que  dans  les  dernières  années  de  cette  première  période  do- 
mine le  papier  au  P  gothique.  C'est  donc  avec  le  registre  de  1464  qu'y 
apparaît  l'écu  de  Jacques  Cœur  en  filigrane.  Pour  cette  année  et  les 
années  1468,  1469,  1471,  1472  et  1476  (les  intermédiaires  font  dé- 
faut), le  type  A  s'offre  seul.  Dans  les  registres  de  1478  et  1480  il  est 
remplacé  par  le  type  B.  Le  type  C  apparaît  dans  le  volume  de  1481, 
puis  il  cède  la  place  au  type  B,  qui  reparaît  en  1482.  A  l'année  1483 
présence  du  type  E.  Le  registre  de  1485  forme  une  interruption  dans 
cette  série.  Deux  filigranes  ornent  son  papier  :  l'un  est  un  massacre 
de  cerf  de  petites  dimensions,  l'autre  le  grand  P  gothique  que  nous 
avions  perdu  de  vue.  Mais  avec  1486  on  revient  à  l'écu  des  Cœur. 
Le  type  E  s'y  montre  dans  ses  deux  variétés,  c'est-à-dire  avec  sa  fleur 
régulière  ou  irrégulière.  Dans  le  registre  de  1487,  nouvelle  éclipse 
de  noire  type  local;  il  est  remplacé  par  l'étoile  couronnée  et  l'éternel 
P  gothique.  En  1488  seulement,  c'est  le  type  D  qui  se  manifeste, 
et  c'est  lui  qui  a  l'honneur  de  clore  la  série.  Peut-être  Taurions- 
nous  vu  également  dans  le  registre  de  1489,  qui  manque  :  mais,  à 
partir  de  1490,  il  est  remplacé  par  le  P  majuscule  gothique  qui,  en- 
fin débarrassé  de  la  concurrence,  s'y  montre  sous  plusieurs  variétés 
jusque  vers  la  fin  du  siècle,  et  tantôt  seul,  tantôt  accompagné  d'an- 
tres figures. 

La  communauté  des  moines  augustins  de  l'abbaye  de  Saint- 
Ambroix  est  la  dernière  à  laquelle  nous  demanderons  des  rensei- 
gnements à  Bourges  môme.  Dans  son  registre  de  comptes  de  1489, 
nous  retrouvons  les  types  B  et  E;  mais  déjà,  à  l'année  1491,  l'emploi 
de  ce  papier  a  cessé. 


PAPIER    AU   FILIGRANE   DE    JACQUES    COEUR.  23 

Chose  remarquable  d'ailleurs,  il  semble  qu'en  dehors  de  notre 
ville  on  ait  peu  employé  ce  papier,  de  fabrique  évidemment  toute 
locale,  et  je  ne  pourrais  guère  citer,  dans  le  reste  du  déparlement, 
qu'un  terrier  de  l'abbaye  de  Saint-Satur,  daté  de  1481-82,  dans  le- 
quel se  retrouve  le  filigrane  B. 

Ainsi  la  date  de  1462,  fournie  par  M.  Moreau  de  Dun  le  Roi  pour 
l'apparition  du  type  A,  reste  encore  la  plus  ancienne  que  nous  lui 
connaissions.  Elle  doit  être  voisine  des  commencements  de  la  fabri- 
cation de  ce  papier.  Quant  à  la  succession  dans  laquelle  tous  les 
lypes,  y  compris  le  premier,  se  présentent,  la  voici  telle  que  nous 
la  donnent  les  dates  rapprochées  des  différents  registres  ci-dessus 
mentionnés,  et  en  reprenant  les  dates  déjà  publiées  par  la  Revue  ar- 
chéologique : 

Type  A.  —  1462,  1463,  1464,  1466,  1468,   1469,   1470,   1471, 
1472,  1476. 
Type  B.  —  1474,  1478,  1479,  1480,  1482,  1489. 
Type  C.  —  1477,  1478,  1479,  1481. 
Type  D.  —  1487,  1488. 
Type  E.  —  1483,  1484, 1485,  1486,  1489. 

11  est  facile,  à  l'inspection  de  ce  tableau,  d'apprécier  l'ordre  de  suc- 
cession de  ces  divers  papiers, pourvu  qu'on  tienne  compte  des  empiéte- 
ments d'une  ou  de  deux  années  les  unes  sur  les  autres,  empiétement 
motivé  par  l'irrégularité  de  leur  emploi,  l'année  où  ces  feuillets  furent 
mis  en  usage  n'étant  pas  nécessairement  celle  où  ils  furent  produits. 
Pour  ce  qui  est  du  type  C,  par  exemple,  il  faut  constater  qu'il  existe 
dans  un  registre  de  comptes  de  la  communauté  des  vicaires  de  Saint- 
Étienne  à  la  date  de  1501,  le  seul  à  peu  près  qui  subsiste  à  une  date 
aussi  ancienne  de  cette  collection.  Cela  ne  prouve  pas  le  moins  du 
monde  qu'en  1500  on  fabriquât  encore  du  papier  à  ce  filigrane;  mais 
seulement  qu'on  avait  attendu  jusque-là  pour  en  faire  usage.  Je  se- 
rais même  disposé  à  croire  que  ce  type,  qui  ne  doit  sans  doute  son  exis- 
tence qu'à  une  erreur,  est  le  produit  d'une  seule  année,  de  1477 
probablement,  puisque  je  n'en  rencontre  pas  d'échantillons  d'une 
époque  plus  ancienne. 

Quant  au  type  D,  le  plus  récent  de  tous,  il  est  aussi  le  plus  rare, 
car  il  n'apparaît  qu'en  1487  et  1488,  et  dans  des  spécimens  peu  nom- 
breux; continuation,  me  semble- t-il,  de  cette  hypothèse  qu'un 
brusque  événement  est  venu,  vers  cette  époque,  en  arrêter  la  fabri- 
cation. 


t\  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

Ces  nouvelles  observations,  comme  on  le  voit,  circonscrivent  la 
question  de  l'origine  de  notre  papeterie,  et  ne  permettent  guère 
d'en  reporter  les  commencements  à  une  époque  plus  ancienne  que 
L460,  puisque,  jusqu'ici,  nous  n'avons  pu  trouver  d'emploi  de  son 
papier  antérieur  à  l'année  1462.  Or  il  suffit  d'énoncer  cette  date 
pour  que  Jacques  Cœur  soit  mis  hors  de  cause  quant  à  ce  qui  con- 
cerne  la  fondation  de  cette  papeterie,  qu'on  est  naturellement  tenté 
de  lui  attribuer. 

[ci  s'offre  une  considération  qu'on  pourrait  peut-être  hasarder  en 
laveur  de  cette  dernière  opinion.  Il  se  pourrait,  d'une  part,  que  la 
papeterie  eût  fonctionné  tout  d'abord  avec  un  filigrane  différent  de 
celui  qui  nous  révèle  le  nom  illustre  de  ses  possesseurs.  Parmi  les 
types  qui  se  répètent  fréquemment  dans  les  papiers  antérieurs  à 
14G2,  figure  notamment  l'ancre  qui,  comme  emblème,  eût  pu  conve- 
nir assez  bien  au  grand  armateur. 

D'autre  part,  les  deux  collections  de  registres  du  chapitre  de  Saint- 
Étiennede  Bourges  (je  ne  parle  que  de  celles-là,  les  registres  de  nos 
autres  communautés  offrant  trop  de  lacunes  ou  commençant  trop 
tard),  ces  deux  collections,  dis-je,  ne  partent  que  de  l'année  1434; 
mais  un  des  registres  antérieurs,  échappé  au  naufrage,  nous  apprend 
qu'ils  étaient  alors  en  parchemin,  et  il  est  bien  permis  de  croire  que 
c'est  à  la  nature  même  de  la  matière  qui  les  composait  que  la  perte 
en  est  due.  Cette  date  d'introduction  de  l'usage  du  papier  dans  le 
chapitre  correspondrait-elle  avec  celle  de  l'établissement  de  notre 
papeterie?  On  comprend  très-bien,  dans  ce  cas,  que  la  facilité  plus 
grande  qui  s'offrait  alors  de  s'en  approvisionner  devait  décider  de 
l'emploi  plus  fréquent  du  papier  chez  ces  chanoines.  L'usine  aurait 
ainsi  fonctionné  une  trentaine  d'années  avant  que  d'arborer  sur  ses 
produits  des  armes  parlantes  qui  devaient,  quatre  siècles  plus  tard, 
les  signaler  à  l'attention  des  curieux. 

Sans  doute  cette  idée  est  séduisante,  mais  elle  n'a  pour  s'appuyer 
que  le  fait  d'un  type  si  commun  dans  les  papeteries  de  cette  époque, 
qu'on  ne  peut  sérieusement  établir  aucune  preuve  sur  sa  présence. 

Ainsi  nous  voilà  forcé  de  nous  arrêter,  quoique  nous  en  ayons,  à 
la  descendance  de  l'argentier  royal,  pour  rapporter  à  ses  héritiers 
l'initiative  d'une  création  qu'il  faut  renoncer  désormais  à  lui  attri- 
buer. 

Parmi  les  enfants  de  Jacques  Cœur,  je  ne  doute  pas  qu'en  raison 
des  circonstances  et  des  qualités,  on  ne  doive  choisir  l'archevêque  de 
Bourges,  Jean  Cœur,  comme  nous  avions  déjà  été  porté  à  le  faire. 


PAPIER   AU   FILIGRANE   DE   JACQUES   COEUR.  20 

A  cet  endroit,  je  dois  insister  surtout  sur  l'existence  d'un  détail,  je 
veux  dire  la  présence  de  la  croix  qui  accompagne  constamment  l'écu 
dans  chacun  des  cinq  types  que  nous  connaissons,  et  qui  me  semble 
déterminer,  de  préférence  atout  autre,  ce  personnage  comme  posses- 
seur de  l'écusson.On  pourra  bien  encore  objecter,  sans  doute,  que  cet 
attribut  de  la  croix  se  rencontre  assez  fréquemment  parmi  les  fili- 
granes des  anciens  papiers,  pour  qu'on  n'en  puisse  irrévocablement 
induire  le  caractère  distinctif  que  nous  lui  accordons.  Mais,  pour  que 
la  constatation  de  ce  caractère  eût  toute  sa  valeur,  il  faudrait  que  l'at- 
tribution des  filigranes  crucifères  fût  mieux  déterminée  qu'elle  n'a 
pu  l'être  jusqu'à  présent.  On  ignore  trop  généralement  l'origine  des 
papiers  qui  les  portent  pour  pouvoir  affirmer,  en  connaissance  de 
cause,  que  cette  particularité  des  filigranes  n'est  pas  due  préci- 
sément à  la  possession  de  la  fabrique  par  un  personnage  ou  une 
communauté  revêtus  du  caractère  ecclésiastique,  ou  tout  au  moins  à 
une  dépendance  quelconque  du  papetier  envers  l'Église.  Il  nous  sem- 
ble, au  moins,  que,  dans  l'incertitude  sur  l'attribution  de  ce  signe,  il 
y  a  toujours  plus  de  chances  de  tomber  juste  en  le  rapportant  à  un 
fait  d'origine  ecclésiastique  qu'à  un  simple  caprice  dû  à  l'inspira- 
tion individuelle  d'un  fabricant  d'ordre  purement  laïque. 

En  raisonnant  d'après  ce  principe,  il  est  certain  que  l'opinion  qui 
voudrait  considérer  le  filigrane  des  Cœur  comme  étant  propre  seule- 
ment à  l'archevêque  de  Bourges  y  trouverait  une  entière  et  pleine 
justification.  En  voyant  cette  croix  surmonter  cet  écu,  on  est 
admis  à  croire  qu'elle  a  pu  y  être  ajoutée  comme  une  sorte  de  bri- 
sure permise  seulement  à  la  position  sociale  toute  particulière  qu'oc- 
cupaient à  la  fois  deux  membres  de  la  famille  de  Jacques  Cœur, 
tels  que  son  frère  Nicolas,  l'évêque  de  Luçon,  et  son  fils  Jean,  l'ar- 
chevêque de  Bourges.  Et,  dans  le  doute,  il  nous  semble  qu'il  n'y  a 
guère  à  hésiter  sur  le  choix  à  faire  entre  les  deux  ;  le  patriarche 
des  Aquitaines  réunit  suffisamment  toutes  les  conditions  néces- 
saires pour  être  préféré. 

J'irai  encore  ici  au-devant  de  l'objection  qui  pourrait  être  faite 
quant  à  la  forme  même  de  la  croix,  qui  s'offre  ici  dépourvue  du  dou- 
ble croisillon,  attribut  déterminant  de  la  croix  patriarcale.  J'y  ré- 
pondrai en  disant  que  cette  absence,  à  bien  prendre,  ne  prouve  rien, 
attendu  que  la  forme  toute  orientale  de  la  double  croix,  que  nos 
prélats  ont  adoptée,  et  qu'on  désigne  ordinairement  sous  le  nom  de 
croix  de  Lorraine,  ne  fut  introduite  qu'assez  tard  en  Occident,  où  les 
archevêques  de  Bourges  furent  précisément  des  premiers  à  la  consa- 


26  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

iivr  comme  le  signe  de  leur  patriarcat;  qu'au  quinzième  siècle 
cette  consécration  n'était  pas  encore  chose  définitivement  établie, 
et  que  ce  ne  fut  enfin  qu'à  une  époque  relativement  moderne  que  le 
blason  signala  la  double  croix  comme  indicative  non-seulement  de 
ta  dignité  patriarcale,  mais  encore  archiépiscopale  (1).  Au  surplus, 
n'oublions  pas  que  nous  n'avons  pas  affaire  ici  à  un  monument  où 
les  règles  de  la  symbolique  doivent  être  scrupuleusement  observées. 
Il  faut  tenir  compte,  en  cette  circonstance,  du  libre  caprice  de  l'ar- 
tiste. 

Je  pourrais,  pour  appuyer  ce  raisonnement,  invoquer  l'exemple 
que  nous  offrent  d'autres  monuments  de  môme  temps  et  d'origine 
analogue  à  celle  de  nos  filigranes.  Ce  sont  les  initiales  d'un  manu- 
scrit de  la  Bibliothèque  de  Bourges,  porté  sous  le  n°  63  dans  le  cata- 
logue des  manuscrits  de  cette  collection.  Voici  comment  il  y  est  dé- 
signé :  «  Commentaire  sur  les  psaumes.  In-4°.  vel.  15e  s.  rel.  en 
bois  et  v.  f.  gauffré.  —  Au  dos  SE.  La  première  lettre  de  ce  manu- 
scrit, A,  contient  les  armes  de  Jacques  Cœur.  —  Passé  a  son  fils 
Jean  Cœur,  archevêque  de  Bourges,  ce  volume  sera  devenu  de  la 
sorte  la  propriété  du  chapitre  (2).  » 

Ce  volume  renferme  quelques  initiales  peintes  aux  armes  des 
Cœur,  et  dans  lesquelles  l'écu  s'accompagne  également  de  la  croix, 
mais  allongée,  et  passée  derrière  en  pal,  rappelant  ainsi  le  bla- 
son de  l'évêque  de  Luçon,  peint  sur  un  des  manuscrits  de  la  Bi- 
bliothèque impériale,  et  signalé  par  M.  Vallet  de  Viriville  clans  une 
note  du  premier  article  sur  le  sujet  qui  nous  occupe  ici.  La  simili- 
tude des  figures  avait  frappé  ce  savant  qui,  à  cette  occasion,  a  fait 
remarquer  l'analogie  qu'elles  présentent.  J'emprunte  au  manuscrit 
de  Bourges  une  de  ses  initiales,  que  je  reproduis  ici,  pour  qu'on  voie 
bien  comment  la  croix  s'y  présente  simple  et  pourvue  d'un  seul  croi- 
sillon. Cette  ligure  décide  la  question  posée  tout  à  l'heure,  puisque 


(1)  Cf.  sur  ce  point  les  Mélanges  <£ archéologie,  d'histoire  et  de  littérature,  par 
les  PP.  Martin  et  Cahier,  t.  Ier,  p.  230.  Et  pour  le  patriarcat  de  la  primatie  des 
archevêques  de  Bourges,  l'Histoire  de  Berry  de  La  Thaumassière,  qui  résume  cette 
question  dans  son  IVe  livre,  chap.  i  à  xii. 

(2)  Cette  possession  du  chapitre  Saint-Étienne  de  Bourges  est  indiquée  par  le 
monogramme  ^E  qui  est  le  sien.  (V.  Catalogue  des  manuscrits  de  la  bibliothèque  de 
Bourges,  par  M.  le  baron  de  Girardot,  Paris,  Didron,  1859,  in-4°,  fig.  dans  le  texte.) 
J'avoue  que,  quelque  séduisante  qu'elle  soit,  je  ne  saurais  admettre  l'opinion  qui 
rapporte  à  Jacques  Cœur  lui-même  l'origine  du  manuscrit.  Cette  opinion  n'a  pour 
se  justifier  que  la  présence  de  ses  armes,  qui  étaient  aussi  bien  celles  de  son  fils 
l'archevêque,  auquel  je  crois  jusqu'ici  plus  prudent  de  l'attribuer. 


PAPIER    AU   FILIGRANE    DE   JACQUES   COEUR. 


27 


tout  ce  qu'on  pourrait  dire  sur  les  lettres  enluminées  du  manuscrit 
serait  également  applicable  aux  filigranes  du  papier. 


Je  ferai  remarquer  que  dans  celle  miniature,  comme  daas  les  fili- 
granes, les  croisillons  ont  les  extrémités  simplement  annelées,  et  non 
trilobées,  comme  nous  sommes  habitués  à  voir  les  croix  de  nos  ar- 
chevêques. Mais,  sur  ce  point,  ce  qui  a  élé  dit  plus  haut  au  sujet 
du  double  croisillon  pourrait  se  répéter.  Dès  les  premiers  temps  où 
la  croix  se  dessine  et  se  sculpte  en  France,  elle  y  apparaît  indiffé- 
remment avec  les  croisillons  nus,  tteuronnés,  annelôs  ou  trilobés  : 
et,  bien  que  ce  dernier  mode,  répondant  mieux  aux  idées  symboliques 
si  chères  au  moyen  âge,  ait  fini  par  prédominer  pour  les  croix  épisco- 
pales,  cependant  il  n'était  pas  d'obligation  tellement  rigoureuse  qu'un 
artiste  dût,  au  quinzième  siècle,  s'y  astreindre  dans  une  représenta- 
tion où  le  caprice  avait,  jusqu'à  un  certain  point,  le  droit  d'inter- 
venir. Ce  qui  prouve  au  surplus  le  peu  d'importance  qu'a  ici  cet 
attribut,  c'est  que  le  type  E  offre  les  croisillons  nus. 

Quant  h  ce  qui  est  de  ce  fait  que  dans  nos  filigranes  la  croix  ap- 
paraît grecque  et  non  latine,  je  pense  qu'il  n'y  a  pas  lieu  non  plus 
d'y  insister  beaucoup.  La  fantaisie  de  l'ouvrier  explique  loul.  11  a  plu  à 


28  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

l'enlumineur  d'allonger  la  hampe  de  sa  croix,  comme  le  formier  a 
trouvé  bon  de  raccourcir  la  sienne,  sans  que  cela  tire  à  conséquence. 

Ainsi,  et  quoi  qu'il  en  soit,  ce  qu'on  peut  considérer  comme  acquis 
aujourd'hui,  c'est  la  fabrication  du  papier  aux  armes  delà  famille 
Cœur  sur  les  lieux  mômes  où  nous  le  retrouvons.  C'est  là  la  consé- 
quence forcée  de  cette  particularité  qu'on  ne  le  rencontre  guère  ail- 
leurs qu'à  Bourges  môme,  en  sorte  que  ce  papier  paraît  particulier  à 
notre  ville,  dont  il  ne  paraît  pas  avoir  beaucoup  dépassé  les  murs. 

En  outre,  et  quoique  cela  contrarie  l'idée  qui  sourit  le  plus  à  l'es- 
prit, on  ne  peut  plus  guère  faire  remonter  l'origine  de  la  papeterie 
qui  l'a  produit  à  Jacques  Cœur  lui-môme,  et  l'honneur  semble  en 
demeurer  définitivement  à  son  fils,  Jean  Cœur,  archevêque  de 
Bourges,  patriarche  et  primat  des  Aquitaines,  né  vers  1421,  promu  à 
t'épiscopat  en  1446,  et  mort  en  1482  ou  1483,  dans  le  pays  qu'il  ne 
quitta  jamais. 

Telles  sont,  monsieur  le  directeur,  les  considérations  que  j'ai  cru 
devoir  ajouter  à  celles  déjà  émises  sur  ce  sujet.  Offriront-elles  une 
solution  satisfaisante  à  la  question  restée  en  litige?  C'est  ce  que  je 
laisserai  au  lecteur  à  décider, 

En  vous  priant  d'agréer,  etc. 

HlPPOLYTE   BOYER. 


LES 


VILLES  DE  LA  TRIPOLITAINE 


«  Heureux  les  peuples  qui  n'ont  pas  d'histoire,  »  a-t-on  dit  quel- 
que part.  Si  cela  est  vrai,  les  habitants  de  la  Province  aux  trois 
villes,  Tripolis,  ont  dû  jouir  d'un  sort  digne  d'envie,  car  ils  n'ont  laissé 
dans  les  annales  du  monde  aucun  souvenir  saillant.  Entourés  de 
pays  célèbres,  voisins  de  Carthage,  de  Cyrène,  de  la  Numidie,  ils 
n'ont  jamais  fait  parler  d'eux,  ils  n'ont  légué  à  la  postérité  qu'un 
homme,  Septime  Sévère,  et  quelques  noms  de  villes  cités  en  pas- 
sant par  Strabon,  Pomponius  Mêla,  Pline  et  Ptolémée  :  les  trois 
métropoles  d'abord,  Sabrata,  Oëa  et  Leptis  la  Grande,  puis  Pontis, 
Neapolis,  Graphara  et  Abrotonon. 

L'identification  de  ces  antiques  cités  avec  les  localités  actuelles 
n'est  pas  facile,  elle  a  fourni  et  peut  encore  fournir  matière  à 
bien  des  dissertations.  Mais  on  s'est  arrêté  à  un  système  de  con- 
vention qui  fait  de  Sabrata  Tripolis  Vieux;  d'Oëa  la  ville  actuelle 
de  Tripoli,  capitale  de  la  Province,  et  de  Leplis  Magna  le  village  de 
Lebda.  On  place  les  autres  un  peu  au  hasard. 

Malgré  les  égards  dus  aux  opinions  depuis  longtemps  établies,  je 
pense  avoir  des  raisons  suffisantes  pour  proposer  quelques  change- 
ments. La  tradition  qui  donne  aux  ruines  de  Sabrata  le  nom  de  Tri- 
poli Vieux  indique  naturellement  que  Tripoli  est  par  comparaison 
une  ville  nouvelle,  et  cette  application  abusive  du  nom  de  la  Pro- 
vince à  deux  villes  ne  peut  être  l'effet  du  hasard.  C'est  évidem- 
ment la  trace  d'une  appellation  duplexe,  que  l'ignorance  des  conqué- 
rants étrangers  aura  faussée  en  la  raccourcissant. 

Il  y  avait  une  vieille  ville  de  la  Tripolis  et  une  nouvelle  ville 
(Neapolis)  :  on  en  a  fait  Tripoli  Vieux  et  Tripoli  Neuf,  ce  der- 
nier, survivant  seul,  est  devenu  Tripoli  de  l'ouest  (Tarabolas  el 
Gharb).  Je  n'hésite  donc  pas  à  reconnaître  dans  la  Tripoli  de  Bar- 
barie actuelle,  non  pas  Oëa,  comme  c'est  l'opinion  générale,  mais 
Neapolis,  la  ville  neuve  de  la  Tripolis. 

Un  texte  de  Ptolémée,  contesté  fort  légèrement  sur  la  foi  d'une 
variante  qui  ne  se  trouve  que  dans  un  seul  manuscrit  (1),  appuie 

(1)  In  codiee  Palatino.  Cellarius,  lib.  IV,  cap.  ni. 


30  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

d'une  manière  formelle  mon  opinion.  Les  mesures  données  par  l'Iti- 
néraire de  Scylax.  viennent  aussi  la  confirmer  d'une  manière  frap- 
pante, et  m'aider  à  déterminer  irréfutablement  deux  autres  points. 

«  Après  Neapolis,  »  dit-il,  «  à  un  jour  de  marche  Graphara,  après 
a  Graphara  à  un  jour  de  marche  Abrotonon.  »  Il  voyage  de  l'ouest 
à  l'est;  or,  si  vous  partez  de  Tripoli  en  suiyant  cette  direction,  vous 
arrivez  en  un  jour  au  Fort  Djafara  (Casr  Djafara);  de  là  dans  le 
môme  espace  de  temps  vous  atteignez  un  monticule  couvert  de  rui- 
nes informes  et  à  demi  enterrées  dans  le  sable,  qui  porte  le  nom  de 
Baiioum.  Au  pied  du  monticule  est  un  petit  lac  saumâtre.  J'y  re- 
connais Abrotonon,  car  c'est  exactement  le  site  décrit  par  Strabon, 
lI  certes  les  lacs  sont  chose  assez  rare  sur  la  côte  pour  que  toute 
hésitation  soit  impossible. 

11  reste  un  embarras  :  si  Tripoli  est  Neapolis,  où  mettrons-nous 
cette  pauvre  Oëa  qui,  de  par  tous  les  géographes  et  les  archéologues, 
est  en  possession  depuis  des  siècles  de  l'emplacement  de  Tripoli? 
Nous  l'installerons  avec  Pline  entre  Sabrata  et  Neapolis,  c'est-à-dire 
entre  Casr  Alega  et  Tripoli,  à  Saonga  où  il  y  a  une  belle  oasis  qui  con- 
tient trois  villages  groupés  autour  d'une  Zaouya  ou  collège  musul- 
man en  grand  renom  dans  le  pays.  Toujours  ces  établissements  por- 
tent le  nom  de  leurs  fondateurs  ;  ainsi  l'on  dit  :  la  Zaouya  de  Sidi 
Salam,  la  Zaouya  de  Terdjami,  la  Zaouya  de  Abd  el  Saïd.  Mais  par 
exception  celui-ci  s'appelle  la  Zaouya  de  Zaouya,  pléonasme  qui 
m'a  donné  beaucoup  à  penser. 

L'oasis  n'a  donc  pas  pris  son  nom  du  couvent,  et  devait,  avant  que 
celui-ci  fut  bâti,  porter  lui-môme  le  nom  de  Zaouya  ou  quelque  au- 
tre nom  semblable. 

Je  crois  ne  pas  être  trop  hardi  en  affirmant  qu'elle  s'appelait  O'éa. 

En  elïel,  partout  où  les  conquérants  musulmans  ont  succédé  à  des 
populations  de  langue  grecque  (et  Oëa  dépendait  de  Byzance),  ils 
ont  accolé  aux  noms  des  villes  la  préposition  que  les  vaincus  fai- 
saient sonnera  leur  oreille  pour  en  indiquer  la  direction.  Les  Grecs 
leur  disaient  :  «  Nous  allons  à  la  ville  »  istinpolin;  «  ce  chemin  con- 
duit à  Athènes  is  Athinas,  à  Attalie,  is  Attaliam,  à  Oëa  :  is  Oëa,  » 
et,  dans  leur  ignorance  de  l'analyse  grammaticale,  les  étrangers  ré- 
pétaient :  Istambol,  Setina,  Sataha,  Soëa. 

Ce  dernier  mot,  prononcé  vulgairement  Soëya,  se  rapprochait  fort 
d'un  autre  qui  avait  un  sens  pour  eux,  et  devint  bien  vite  Zaouya  : 
Zaouya  est  resté.  Baron  de  Krapff. 


PRINCIPES  ELEMENTAIRES 


LECTURE  DES  TEXTES  ASSYRIENS 


(Extrait  d'un  mémoire  lu  devant  l'Académie  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres  les  27  mars, 
5  et  12  avril  1861.) 


(Suite  et  fin.) 


Les  noms  propres  assyriens  des  inscriptions  trilingues  ont  pré- 
senté un  phénomène  plus  compliqué,  et  nous  ont  fourni  la  preuve 
que  la  puissance  idéographique  des  signes  s'étendait  à  des  groupes 
entiers,  et  que  ces  suites  de  signes  ne  répondaient  en  rien  aux  arti- 
culations que  le  texte  permettait  d'attendre.  C'est  ainsi  qu'on  trou- 
vait comme  correspondant  du  perse  Babirus,  qui  représentait  le 
nom  de  Babylone,  un  groupe  que  la  valeur  phonétique  des  signes 
faisait  lire  : 


DIN  TIR  Kl 


Au  perse  Nabukudratchara,  dans  lequel  on  pouvait  reconnaître  le 
nom  de  Nabuchodonosor,  correspondait  le  groupe  : 


-T     *=    Y    ET 

AN  PA.         SA.       DU/        SIS 


Ces  groupes  devenaient  inexplicables  par  les  procédés  ordinaires  de 


32  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

lecture;  mais  on  trouva  dans  les  inscriptions  unilingues  ces  mômes 
noms,  dont  la  forme  était  si  embarrassante,  écrits  en  toutes  lettres  avec 
des  articulations  qui  correspondaient  exactement  aux  transcriptions 
de  ces  noms  propres  telles  qu'elles  nous  avaient  été  transmises  par 
d'autres  idiomes.  D'un  autre  côté  les  noms  propres  des  inscriptions 
unilingues  présentèrent  le  même  phénomène.  On  trouva  dans  des 
textes  identiques  tantôt  une  suite  de  signes  incompréhensibles  en  y 
appliquant  des  valeurs  phonétiques,  tantôt  une  suite  de  signes  qui 
donnaient  le  nom  sous  sa  véritable  forme.  Les  noms  propres  assy- 
riens présentaient  donc  deux  manières  de  se  faire  comprendre,  l'une 
phonétique,  l'autre  idéographique,  et  il  était  évident  que  le  pouvoir 
idéographique  des  signes  pouvait  s'étendre  à  des  groupes  de  signes 
plus  ou  moins  nombreux. 

A  côté  de  la  difficulté  inhérente  à  cette  multiplicité  de  valeurs  et 
de  rôles,  l'interprétation  rencontre  une  difficulté  sérieuse  dans  la 
manière  de  se  faire  comprendre;  on  est  obligé,  en  effet,  d'avoir 
recours  à  un  subterfuge  pour  faire  sentir  à  la  fois  la  valeur  pho- 
nétique qui  doit  être  abandonnée,  et  le  rôle  idéographique  du 
signe  que  Ton  a  en  vue;  on  écrit  alors  avec  des  lettres  différentes 
les  signes  qui  doivent  être  pris  idéographiqueinent. 

HT       £T 

Ainsi  par  exemple  '  '         signifie  que  les  signes  ne 

AN.  UT 

doivent  pas  être  pris  avec  la  valeur  syllabique  de  AN  et  de  UT, 
mais  avec  la  valeur  idéographique  que  ces  signes  représentent, 
c'est-à-dire,  le  premier,  comme  exprimant  l'idée  de  Dieu,  le  second 
l'idée  du  soleil.  La  comparaison  des  textes  nous  a  appris  que  le  nom 
de  cette  divinité  ainsi  représentée  s'écrivait  Samas  en  assyrien. 

Il  en  est  de  même  des  groupes  idéographiques  plus  ou  moins 
nombreux  composés  de  deux  ou  trois  idées  exprimées  tantôt  phoné- 
tiquement, tantôt  idéographiquement. 

Ces  groupes  ne  se  forment  pas  arbitrairement,  le  système  idéogra- 
graphique  et  le  système  phonétique  ne  devaient  pas  se  mêler  au 
hasard.  Si  on  pouvait,  sans  raison,  passer  d'une  valeur  à  l'autre, 
l'écriture  assyrienne  aurait  été,  pour  les  Assyriens  comme  pour 
nous,  à  jamais  indéchirable,  et  la  pensée  serait  restée  incomprise  en 
présence  des  signes  qui  devaient  l'exprimer.  J'ai  expliqué  la  loi  qui 
préside  aux  combinaisons  que  les  signes  peuvent  produire  avec  ces 
deux,  valeurs  dans  les  noms  propres.  C'est  l'objet  d'une  brochure  par- 


LECTURE    DES    TEXTES   ASSYRIENS.  33 

ticuHère  à  laquelle  je  ne  puisque  renvoyer  ici  (1).  Les  difficultés 
qui  nous  attendent  désormais  viennent  de  ce  que  le  système  idéogra- 
phique ne  se  borne  pas  aux  noms  propres,  il  affecte  toutes  les 
parties  du  discours,  et  il  nous  faut  désormais  chercher  dans  les  textes 
un  nouveau  guide  pour  distinguer  la  forme  idéographique  de  la 
forme  phonétique  des  groupes. 

On  comprend  en  effet  les  difficultés  d'interprétation  qui  seront  la 
conséquence  d'une  lecture  vicieuse;  ainsi  au  perse  Baga  Vazarka 
Auramazda,  qui  signifie  un  Dieu  grand  est  Ormusd.  correspondent 
les  mots  : 


-T 

qu'on  peut  lire 

AN 

ou 

ilu 

:h    i 


Auramazda. 


G  AL     u 

rabu 


Dans  le  premier  cas  la  lecture  n'apporte  à  l'oreille  que  des  sons 
incohérents,  parce  que  l'on  donne  aux  signes  une  valeur  phonétique, 
tandis  qu'ils  doivent  être  pris  avec  leur  valeur  idéographique  ;  dans 
le  second  cas  la  lecture  phonétique  apporte  au  contraire  à  l'oreille 
des  articulations  sémitiques  assez  en  rapport  avec  le  perse  qu'ils 
doivent  traduire. 

Si  donc  la  lecture  d'un  groupe  est  assurée,  on  pourra  consulter 
les  racines  des  différents  idiomes  auxquels  l'assyrien  pourrait  se  rat- 
tacher pour  reconstituer  la  langue  que  nous  cherchons  dans  cette 
écriture.  Mais  si,  au  contraire,  la  lecture  est  indécise,  les  rappro- 
chements les  plus  ingénieux  resteront  sans  valeur  ;  il  faut  donc  qu'il 
n'y  ait  pas  d'équivoque  sur  le  rôle  des  signes  qui  composent  un 
groupe. 

Pour  déterminer  en  dehors  des  noms  propres  l'identité  des  grou- 
pes qu'il  s'agit  d'analyser,  nous  avons  des  guides  certains  :  ainsi  dans 
les  inscriptions  trilingues,  nous  avons  la  certitude  de  l'identité  de 
deux  groupes  quand  ils  traduisent  le  même  mot  perse.  Dans  les  in- 
scriptions unilingues  nous  avons  la  même  certitude  lorsque  les  deux 
groupes  se  trouvent  reproduits  dans  des  passages  identiques.  N'ou- 
blions pas  que  le  nombre  des  textes  unilingues  est  très-considérable 

(1)  Les  ?wms  propres  assyriens,  recherches  sur  la  formation  des  expressions  idéo- 
graphiques. 

iv.  3 


;\'i  REVUR    ARCHEOLOGIQUE. 

et  que  la  môme  version  est  quelquefois  répétée  deux,  trois,  quatre 
et  même  dix,  douze  et  quinze  fois.  Les  briques  présentent  des  mil- 
liers d'exemplaires  du  môme  texte,  et  la  comparaison  des  variétés 
qui  peuvent  se  rencontrer  dans  les  différentes  reproductions  du 
même  mot  amènent  les  résultats  que  je  vais  signaler  maintenant. 

Voici  d'abord  linéiques  principes  que  l'analyse  des  noms  propres 
assyriens  ont  permis  de  poser. 

Dans  la  composition  idéographique  des  groupes  les  signes  parlent 
pour  les  yeux,  ils  se  juxtaposent  sans  tenir  compte  du  son  qu'ils 
représentent.  Si  donc  on  voulait  lire  ces  groupes  avec  la  valeur  pho- 
nétique des  signes  qui  les  composent,  il  en  résulterait  souvent  des 
articulations  impossibles  à  prononcer  et  qui  heurteraient  toutes  les 
lois  phonétiques  que  la  transcription  des  noms  propres  écrits  pho- 
nétiquement a  permis  de  saisir.  Ainsi  il  est  constant  que  les  Assy- 
riens n'admettent  pas  d'hiatus,  le  groupe 


y 


t£= 


AN  PA  1. 

est  l'expression  idéographique  du  nom  de  Nabonide, 

JH     :>-  ~Mf   4T     ET  Al 

Na      -      bu      -      na  id 

Si  donc  deux  signes  se  succèdent  dans  un  groupe,  et  qu'en  appli- 
quant à  ces  signes  les  valeurs  phonétiques  connues,  leur  articulation 
forme  un  hiatus,  on  est  sûr  d'être  en  présence  d'un  groupe  qui  parle 
pour  l'œil  et  non  pour  l'oreille:  les  signes  doivent  donc  être  pris 
avec  leur  valeur  idéographique.  On  sait  encore  que  les  Assyriens 
avaient  l'habitude  d'employer  dans  le  corps  des  mots  les  signes  qui 
représentent  des  syllabes  aux  consonnes  initiales.  Donc  toutes  les 
fois  qu'on  rencontre  une  suite  de  signes  dont  la  valeur  syllabique 
présente  des  syllabes  aux  consonnes  désinentes,  on  est  certain  d'être 
en  présence  d'un  idéogramme,  ainsi 

HT     -Ut 

AN  AK 


LECTURE   DES   TEXTES   ASSYRIENS.  3S 

est  l'expression  idéographique  du  nom  du  dieu  Nebo,  qui  s'écril: 


-T      JH 

na        -        bu 


Mais  il  peut  arriver  que  le  hasard  des  images  amène  une  suite  de 
signes  qui  ont  l'apparence  d'un  groupe  phonétique,  ainsi  qu'on  peut 
le  voir  par  le  nom  de  Nabuchodonosor  :  comment  alors  distinguer 
la  forme  phonétique  de  la  forme  idéographique  ?—  Il  faut  compter 
moins  que  jamais  sur  le  secours  des  inscriptions  trilingues.  Le  texte 
perse  donne  bien  la  signification  d'un  groupe;  mais  il  ne  nous  en 
donne  pas  l'articulation,  puisqu'il  traduit  aussi  bien  l'idée  exprimée 
phonétiquement  que  l'idée  exprimée  idéographiquement.  L'embar- 
ras est  le  môme  dans  la  comparaison  de  deux  passages  identiques  des 
inscriptions  unilingues.  Quel  sera  donc  alors  le  guide  qu'il  faudra 
suivre  pour  se  décider  entre  deux  groupes  dont  les  articulations 
"ne  répugnent  pas  aux  lois  de  l'oreille?  Si,  pour  se  déterminer,  on 
avait  invoqué  le  sémitisme  de  l'idiome  assyrien,  on  aurait  commis 
une  pétition  de  principes;  car  si  le  sémitisme  est  contesté,  il  ne 
restera  plus  aux  formes  les  plus  satisfaisantes  auxquelles  on  ar- 
riverait, qu'une  ressemblance  accidentelle  qui  ne  pourrait  jamais 
servir  de  base  à  un  principe  de  lecture.  Il  y  a  plus  :  si  les  arti- 
culations auxquelles  on  arrive  dans  les  deux  groupes  n'ont  rien 
de  sémitique,  à  quel  signe  pourra-t-on  reconnaître  celui  qui  re- 
présente la  véritable  articulation  assyrienne?  Enfin,  dans  une  écri- 
ture où  les  signes  sont  à  la  fois  idéographiques  et  polyphones,  c'est 
en  vain  qu'on  aura  la  signification  d'un  mot.  par  les  inscriptions 
trilingues,  car  les  valeurs  idéographiques  traduisent  la  môme  idée 
dans  tous  les  idiomes,  et  on  pourra  toujours  arriver,  en  disposant  ces 
valeurs  à  son  gré,  à  un  ensemble  qui  réponde  aux  articulations  d'un 
idiome  désiré;  il  a  donc  fallu  chercher  dans  l'examen  des  textes 
mômes  des  moyens  plus  sûrs  d'arriver  à  ce  but. 

Si  je  rejette,  comme  prématurées,  les  ressources  que  l'idiome  par- 
ticulier peut  fournir  pour  la  lecture  des  textes,  ce  n'est  pas  à  dire 
qu'il  faille  se  dispenser  de  consulter  l'influence  que  l'idiome,  quel 
qu'il  soit,  peut  exercer  sur  l'expression  écrite  de  la  pensée.  L'idiome 
en  effet  exerce  une  influence  nécessaire  sur  les  mots  suivant  le  rôle 
qu'ils  jouent  dans  la  phrase  :  or  quelles  sont  les  modifications  que 
cet  idiome  exerce  sur  le  système   graphique  «les  Assyriens  ?   Les 


36  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

Assyriens,  avons-nous  dit,  avaient  deux  manières  de  se  faire  com- 
prendre:  1rs  signes  s'adressaient  tantôt  à  l'œil,  tantôt  à  l'oreille;  quand 
ils  s'adressaient  à  l'œil,  immobiles  comme  des  images,  ils  ne  pouvaient 
subir  aucune  modification  sans  dénaturer  la  pensée.  N'oublions  pas 
en  effet  que  les  signes  tirent  leur  origine  d'un  hiéroglyphe  que 
l'écriture  peut  rendre  plus  ou  moins  adroitement,  mais  qu'ils  doi- 
vent toujours  en  conserver  le  type  primitif.  Dès  lors  les  inflexions 
phonétiques  se  feront  comprendre  par  des  signes  qui  encadre- 
ront le  groupe  particulier,  mais  qui  n'altéreront  pas  la  forme  des 
caractères.  —  Quand  les  signes,  au  contraire,  s'adressent  à  l'o- 
reille, les  groupes  se  prêtent  à  toutes  les  modifications  vocales  que 
l'expression  de  la  pensée  doit  subir  en  employant  des  sons  pour  se 
faire  comprendre,  et  dès  lors  les  signes  qui  composent  les  groupes, 
tout  en  répondant  ;i  la  même  idée,  se  modifieront  pour  exprimer  les 
formes  particulières  qui  caractérisent  l'idiome  dans  lequel  ils  sont 
exprimés.  Les  monogrammes  nous  ont  guidé  dans  nos  premières 
recherebes,  ils  signalaient  les  noms  propres  dans  lesquels  il  fallait 
chercher  les  premières  valeurs  :,  mais  désormais  ces  indices  nous  font 
défaut,  et  il  s'agit  au  contraire,  pour  faire  de  nouveaux  progrès, 
d'éviter  les  expressions  idéographiques  et  de  rechercher,  à  travers 
les  textes,  les  groupes  mobiles  dont  les  différentes  modifications  in- 
diqueront l'influence  de  l'idiome  et  nous  permettront  peut-être  de 
le  caractériser. 

Au  nombre  des  bizarreries  qui  doivent  signaler  ces  études  je  pla- 
cerai celle  qui  va  se  produire  maintenant;  toutes  les  difficultés  qui 
ont  embarrassé  la  détermination  de  la  valeur  des  caractères  devien- 
nent, quand  elles  sont  vaincues,  autant  de  moyens  nouveaux,  de  fa- 
cilités nouvelles  pour  réaliser  de  nouveaux  progrès. 

Nous  avons  vu,  à  propos  du  nom  â'Ormusd,  que  la  prononciation 
assyrienne  variait  suivant  les  localités;  c'était  un  embarras  au  début. 
Aujourd'hui  nous  pouvons  comprendre  que  ces  différentes  manières 
d'articuler  le  même  groupe  nous  donnent  la  certitude  de  son  expres- 
sion phonétique.  Des  différences  plus  considérables  devaient  se 
produire  ainsi,  il  est  certain  que  les  articulations  du  même  organe 
n'étaient  pas  toujours  les  mêmes  à  Babjlone  et  à  Ninive.  Les  mono- 
grammes sont  ies  mêmes  dans  les  deux  localités;  mais  la  traduction 
phonétique  présente  les  indexions  vocales  propres  à  chaque  pays, 
nous  trouvons  à  Babylone  par  exemple  le  groupe  : 

^ÏTT       EHf 

SV  ya 


LECTURE    DES    TEXTES    ASSYRIENS.  37 

qui  s'échange  à  Babylone  et  dans  les  inscriptions  trilingues  avec  le 
groupe 


ces  deux  groupes  traduisent  le  perse  daçta  {main);  il  est  facile  de 
reconnaître  dans  la  terminaison  le  pronom  suffixe  de  la  première 
personne  :  mais  quelle  est  la  véritable  articulation  assyrienne  du 
mot  qui  exprime  la  main  ?  Est-ce  su  ou  gat.  Ces  deux  articulations 
ne  correspondent  à  aucune  articulation  sémitique  satisfaisante  ; 
mais  nous  trouvons  dans  les  inscriptions  de  Ninive  le  même  groupe 


illTT 
SU 


qui  s'échange  avec  le  groupe 

Ka       -         ti  ya 

Gatiya  et  Katiya  traduisent  le  même  signe  par  des  flexions  diffé- 
rentes; il  est  donc  évident  que  c'est  le  signe  *s=  \  qui  a  la  valeur 
idéographique  de  main  ( *e=T  jT  les  deux  mains),  et  que  les  articu- 
lations  Gatiya  et  Katiya  sont  les  articulations  phonétiques  de  la 

même  idée  suivant  l'altération  constante  des  consonnes  à  Babylone 
et  à  Ninive.  Je  n'ai  pas  besoin  d'ajouter  qu'il  ne  peut  y  avoir 
aucune  erreur  de  transcription,   et  que  la  valeur  du  signe      ^^ 

ya  (par  un  3),  de  même  que  celle  du  signe  4 J  Ka  (par  un  p) 

est  assurée  par  la  transcription  des  noms  propres  en  syllabes  sim- 
ples corroborée  par  de  nombreux  exemples. 

Le  premier  groupe  renferme  donc  une  valeur  idéographique,  et 
les  deux  autres  des  valeurs  phonétiques  qui  nous  donnent  l'articu- 
lation assyrienne  du  mot  qui  veut  dire  main. 


38  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

Les  syllabes  complexes  avec  leurs  valeurs  polyphones  avaient  oc- 
casionne un  embarras  sérieux  dans  le  déchiffrement;  elles  viennent 
encore  prêter  an  puissant  concours  aux  moyens  de  lecture  qui  nous 
permeltenl  de  distinguer  les  groupes  phonétiques.  En  effet,  s'il  faut 
deux  ou  trois  signes  pour  représenter  idéographiquement  une  idée, 
cette  idée  ne  peut  être  représentée  par  d'autres  signes.  S'il  faut  au 
contraire  deux  ou  trois  signes  pour  exprimer  phonétiquement  une 
idée  et  que  le  même  son  puisse  être  rendu  par  le  signe  qui  repré- 
sente la  contraction  de  deux  syllabes  simples,  on  aura  deux  groupes 
phonétiques  différents,  et  on  sera  sûr  «pie  l'expression  est  .phonéti- 
que si  la  contraction  a  lieu;  mais  pour  que  la  certitude  soit  com- 
plète il  faut  que  la  contraction  ait  réellement  lieu  à  défaut  d'autres 
indices. 

Je  vais  essayer  de  rendre  ma  démonstration  plus  sensible  par  un 
exemple.  Je  prends  à  cet  effet,  non  pas  au  hasard,  mais  à  dessein,  un 
groupe  assez  rare  et  d'une  signification  très-douteuse.  Les  inscrip- 
tions de  Khorsabad  présentent,  dans  un  certain  passage,  le  groupe 
dont  tous  les  caractères,  pris  isolément,  sont  connus;  ils  se  lisent  : 


=23      ^A      "3T 

Ka  cun  si. 


Ce  mot  se  trouve  isolé,  après  un  groupe  idéographique  parfaite- 
ment déterminé,  et  de  plus,  dans  la  planche  104  de  Botta,  il  termine 
la  ligne  17  Je  l'inscription  des  revers  de  Plaque  ;  c'est  un  indice  cer- 
tain que  le  mot  se  termine  avec  le  dernier  signe.  Ce  groupe  ainsi 
resserré  parait  donc  à  lui  seul  exprimer  une  idée,  et  les  signes  peu- 
vent former  un  mot  ou  plusieurs.  Ce  groupe  présente  une  contrac- 
tion possible.  Si  c'est  un  seul  mot  écrit  phonétiquement  la  contrac- 
tion pourra  avoir  lieu.  Le  signe  de  cette  articulation  complexe  nous 
est  bien  connu,  il  se  trouve  dans  le  nom  de  Kambyse  des  inscriptions 
trilingues.  Or  ce  groupe  ligure  seize  fois  dans  les  seize  passages 
identiques  des  inscriptions  des  revers  de  Plaque,  et  la  contraction  n'a 
pas  lieu.  Cette  preuve  négative  ne  nous  permet  pas  sans  doute  d'af- 
firmer qu'elle  n'est  pas  possible  ;  aussi  nous  ne  pourrions  avoir  la 
certitude  complète  à  cet  égard,  si  ce  n'est  que  nous  trouvons  dans 
les  textes  un  groupe  également  bien  déterminé,  qui  renferme  la 


LECTURE    DES    TEXTES   ASSYRIENS.  '.VA 

même  idée,  ou  une  modification  de  la  même  idée.  En  y  appliquant 
la  valeur  phonétique  des  signes  nous  le  lirons 

HT      ^      *3T 

Zn  am  si. 

Seulement  ce  n'est  plus  dans  la  comparaison  de  deux  passages 
identiques  que  nous  trouvons  ce  groupe,  puisqu'il  s'agit  de  deux  mo- 
difications de  l'idée  exprimée  par  les  deux  derniers  signes.  Quoi 
qu'il  en  soit,  il  n'y  a  pas  d"équivoque  ;  la  contraction  est  impossible, 
le  premier  signe  de  ces  groupes  est  donc  indépendant  des  suivants 
et  ne  peut  se  réunir  à  l'ensemble  qu'en  vertu  de  son  pouvoir  idéo- 
graphique. Le  groupe  Ka-amsi  ne  peut  former  un  groupe  phonéti- 
que et  Zu-amsi  un  autre.  Car  si  le  signe  de  la  syllabe  Ka  ou  am 
était  absorbé  phonétiquement  dans  un  signe  capable  de  représenter 
la  syllabe  complexe,  il  ne  pourrait  se  présenter  idéographique- 
ment  dans  l'autre.  Les  signes  KA  et  ZU  remplissent  donc  un  rôle 
idéographique  distinct,  et  au  lieu  de  les  lire  il  faut  voir  l'idée  qu'ils 
représentent  et  en  chercher  l'expression.  Le  mot  Ainsi  pourrait 
semblei-  phonétique,  mais  il  se  rencontre  assez  souvent  dans  les 
inscriptions  pour  que  nous  ayons  les  moyens  d'en  déterminer  l'arti- 
culation et  le  sens.  Sa  signification  du  reste  n'apporterait  aucun 
indice  à  l'appui  de  notre  démonstration. 

Je  citerai  un  autre  exemple  :  c'est  un  groupe  très-fréquent  dans 
les  inscriptions  unilingues  et  que  nous  reconnaîtrons  promptement 
pour  un  groupe  phonétique.  La  plus  grande  partie  des  briques  de 
Babylone  porte  le  nom  de  Nabuchodonosor;  toutes  ces  briques,  qui 
sortent  par  milliers  des  ruines,  présentent  le  même  texte,  quel  que 
soit  le  nombre  des  lignes  d'écriture  dont  il  se  compose.  On  y 
remarque  un  groupe  qui  est  écrit  le  plus  ordinairement: 

ff     ts:     53> 

Za      -      ni  in 


mais  aussi  il  est,  écrit 


Za      -      ni       -        nu 


't0  REVUE    VRCHÉOLOGIQUE. 

Ces  deu\  formes  ne  suffisent  pas,  ainsi  que  nous  l'avons  vu,  pour 
déterminer  la  lecture  de  ce  groupe,  car  les  terminaisons  melnwpeu- 
vent  iinli(|iier  des  modilications  idéographiques  différentes  du  groupe 
Za  ni,  sans  appartenir  au  môme  mot;  mais  nous  trouvons  sur  les 
mêmes  briques  dans  le  môme  texte  le  même  mot  écrit 

Za      -        nin 

C'est-à-dire  que  le  signe  T^>*— pEj  représente  la  contraction  pho- 
nétique des  deux  syllabes  ni  in  (cette  valeur  est  prouvée  du  reste 
par  de  nombreux  exemples),  il  y  a  donc  lieu  de  croire  que  Zanin  est 
un  groupe  phonétique;  et  puisque  la  syllabe  ni  s'est  contractée  pho- 
nétiquement, on  peut  déjà  pressentir  que  le  groupe  Zaninu  est  éga- 
lement phonétique  et  que  ce  groupe  ne  subit  qu'une  altération  vocale. 
Cependant  il  peut  encore  rester  des  doutes  sur  le  premier  signe  : 
fait-il  partie  du  même  groupe,  et  en  fait-il  partie  phonétiquement? 
S'il  en  fait  partie  phonétiquement,  nous  pourrons  rattacher  ce  groupe 
à  une  racine  dont  les  trois  consonnes  Z.  N.  N.  nous  représentent  le 
thème.  Mais  alors  ses  variations  répondant  à  des  états  différents  de 
la  même  idée,  la  comparaison  des  passages  identiques  ne  nous  fourni- 
rail  aucune  donnée  à  ce  sujet  ;  nous  devrons  donc  chercher  à  travers 
les  textes  les  modifications  que  l'idiome  imposera  à  ces  trois  lettres 
en  les  combinant  avec  des  voyelles  différentes.  Or  voici  les  modifica- 
tions que  ces  consonnes  subissent  en  prenant  les  groupes  dans  les- 
quels elles  figurent  sans  avoir  égard  à  la  place  quelles  occupent  ou 
au  sens  qu'elles  peuvent  présenter.  Nous  trouvons  d'abord  des  modi- 
fications vocales  qui  portent  sur  le  premier  signe  : 

>—> —  *» ►►< 


YT 

az 

ni 

TT 

*< 

az 

nu 

n 

-i 

iz 

nu 

1)1 


:ff 


un 


:ff 


un 


LECTURE  DES  TEXTES  ASSYRIENS.  il 

Pais  des  modifications  qui  démontrent  la  liaison  nécessaire  du 
premier  caractère  au  groupe  : 

za  an       -         nu 


nn     :=ïï      -< 


un         -         nu 


_H     If     -T< 

m     -     a      -      ti 


Puis  enfin  des  modifications  qui  portent  phonétiquement  sur  le 
groupe  tout  entier  : 

mu  uz      -      za     -     ni        -      in 


?   eet:t  ^  ^   ::> 

mw      -      sa  az     -     ni  in 


Il  est  donc  bien  évident  que  nous  sommes  toujours  en  présence  de 
la  même  racine  et  que  les  modifications  vocales  qu'elle  a  subies  in- 
diquent l'influence  de  l'idiome  particulier  dans  lequel  cette  idée 
quelle  qu'elle  soit  est  exprimée. 

A  quel  ordre  de  mots  peut-on  rattacher  tous  ces  groupes?  Le 
mol  ainsi  représenté  est  susceptible  de  modifications  qui  l'affectent 
au  commencement,  à  la  fin,  au  milieu;  il  reçoit  des  inflexions  voca- 
les qui  s'ajoutent  avant  ou  après  le  groupe.  Si  on  songe  surtout  que 
je  me  suis  attaché  à  ne  citer  que  les  formes  suffisantes  pour  bien  ca- 
ractériser la  lecture  phonétique,  et  que  les  textes  présentent  encore 
des  formes  dérivées  de  celles  que  j'ai  citées  qui  indiquent  plus  par- 
ticulièrement l'influence  grammaticale,  on  comprendra  aisément  que 
toutes  ces  modifications  ne  peuvent  affecter  qu'une  racine  verbale. 


ï2  REVUE    AHClIKOLOGlolK. 

J'ai  pris  à  dessein  une  racine  éminemment  assyrienne  et  qui  ne  se 
trouve  dans  aucun  autre  idiome.  J'ai  voulu  ainsi  que  ma  démonstra- 
tion ne  fût  influencée  par  aucune  considération  extérieure  et  qu'il  fût 
bien  constant  que  la  lecture  phonétique  d'un  groupe  peut  être  as- 
surée par  l'examen  même  des  textes.  La  plupart  des  racines  donnent 
des  dérivés  aussi  nombreux,  plus  nombreux  même  :  il  suffît  de  les 
chercher,  et  on  les  trouve  aisément  par  les  mômes  moyens.  On  peut  fa- 
cilement pressentir  maintenant  l'importance  d'un  pareil  résultat.  Il  est 
constant  qu'à  l'aide  du  syllabaire,  déterminé  par  le  dépouillement  des 
noms  propres,  on  peut  lire  et  analyser  dans  les  textes  les  racines 
exprimées  phonétiquement,  et  toutes  les  modifications  vocales  qu'elles 
subissent,  sans  se  préocuper  du  sens  qu'elles  peuvent  avoir.  On  ar- 
rive promptement  dans  la  pratique  à  généraliser  ces  procédés  et  à 
réunir  un  certain  nombre  de  racines  avec  leurs  modifications  vocales; 
si  on  rencontre  çà  et  là  des  différences  accidentelles  qui  peuvent 
égarer  un  instant  les  recherches,  on  arrive  bientôt  a  avoir  assez 
de  faits  pour  reconnaître  les  inflexions  qui  conviennent  à  chacune  des 
parties  du  discours.  C'est  alors  qu'on  peut  comparer  ces  inflexions  à 
celles  des  idiomes  connus;  c'est  alors  qu'on  peut  se  reporter  avec 
intérêt  vers  les  inscriptions  trilingues  qui  nous  donnent  la  signifi- 
cation des  groupes  dont  les  flexions  servent  à  caractériser  l'idiome. 

Ainsi  par  exemple  les  inscriptions  trilingues  nous  donnent  la  signi- 
fication précise  de  cent  sept  formes  verbales.  Je  citerai  trois  exemples 
qui  suffiront  pour  faire  comprendre  le  mécanisme  de  la  reconstruc- 
tion à  laquelle  ces  formes  permettent  de  se  livrer.  Ainsi  nous  avons, 
en  ayant  égard  seulement  aux  personnes  repré  sentées  par  les  flexions 
verbales . 

as        -       ku  nu 

qui  correspond  au  perse  Kunavam  (je  fis),  et  qui  représente  la  pre- 
mière personne  d'une  racine  dont  le  thème  serait  S.  K.  N.  ("p\y.) 

*~-Vf-4>  * 1  *~-> 1  *M*^ 

ta        -  ka  ab      -      bu 

qui  correspond  au  perse  tha  (tu  dis),  et  qui  représente  la  seconde 
personne  d'une  racine  dont  le  thème  serait  K.  B.  B.  (33p.) 


LECTURE   DES   TEXTES   ASSYRIENS. 

du    mi   m 

ts       -      tu  ur 


iô 


qui  correspond  au  perse  nipistam  akunaus  (il  a  fait  écrire),  et  qui 
représente  la  troisième  personne  d'une  racine  dont  le  thème  serait 
S.  T.  R.  htûU7). 

Il  est  facile  avec  ces  formes  nettement  déterminées  de  reconstruire 
celles  qui  sont  propres  à  chaque  racine,  hien  que  les  inscriptions  ne 
les  donnent  pas  toujours.  Ainsi  nous  aurons  les  formes  suivantes  re- 
construites sur  le  thème  3  D  V)  '- 


&^  ET    tW 


as 


kn 


un 


go 


ijn.gsE  & 


ta 


as 


ku 


:ïïf 


un 


xïï   tr   tm 


is 


ku 


un 


ou  bien  sur  le  thème  3  2p. 


1° 

ïf     M 

ZZ3 

a     -     ka 

ab 

C)o 

-EJTÏ  M 

Zzl 

ta     -     ka 

ab 

3° 

Ï3  M 

:n 

i      -      ka 

ab 

<4-< 

bu 


bu 


bu 


lï  BEVUE    AUCHKULOUlylE 

ou  enfin  sur  le  thème  "i  îO  VI 

Y 


ep=    hééi   n=i 

as      -         tu  ur 


ta  as      -         tu  ur 

is      -         tu  ur 


Aussi  lorsque  nous  rencontrerons  les  mêmes  flexions  dans  les  in- 
scriptions unilingues,  nous  pourrons  facilement  reconnaître  la  per- 
sonne exprimée  et  en  dégager  la  racine  ;  nous  avons,  par  exemple  : 


tE    -<    t^, 


Lre  personne  de  zatun  (reconstruire). 

az'    -    nu  un 

yt" 
ta  a:'    -    nu  un 

ù'     -    mt  nn 


ou  bien 


*~/~  i  lre  personne  de  bana  (bàtirj. 

ab       -    nu         u 
fa  aô       -     //'/  w 


LECTURE    DES   TEXTES   ASSYRIENS.  Vo 

TjV~T  ►-/  i  3'  personne  de  bana  (bâtir). 

ib     -     nu         u 


ou  bien  encore 


K^^Z         l I  ^J  T   1"  personne  de  zaknr  (se  souvenir). 

az1     -     ku  ur 


»  TT  !       t^         l*~~~]        U*"       I   2*        id.  id. 

fa  a«*      -      Aw  wr 


Œrd 


Ces  différentes  formes  ne  sont  pas  isolées,  et  c'est  en  poursui- 
vant l'analyse  des  textes  dans  cette  voie  qu'on  peut  arrivera  recon- 
struire complètement  la  grammaire,  et  à  caractériser  un  idiome  dont 
les  lectures  vicieuses  peuvent  altérer  la  pureté,  mais  dont  on  a  déjà 
pressenti  la  nature. 

Je  n'ai  pu  indiquer  dans  cette  esquisse  rapide  que  les  difficultés 
les  plus  sérieuses  que  les  textes  assyriens  présentent  :  des  difficultés 
secondaires  arrêteront  sans  doute  ceux  qui  ne  jetteront  sur  ces  do- 
cuments qu'un  regard  superficiel;  mais  elles  seront  promptement 
vaincues  par  ceux  qui  voudront  persévérer  dans  ces  éludes.  Toute- 
fois, si  j'ai  réussi  à  donner  une  idée  des  ressources  de  la  science,  je  ne 
dois  pas  en  dissimuler  les  limites.  La  détermination  du  syllabaire 
qui  comprend  les  signes  des  syllabes  simples  donne  la  possibilité, 
en  principe,  de  résoudre  toutes  les  difficultés;  mais  dans  l'appli- 
cation on  rencontre  de  nombreux  obstacles;  .ainsi,  par  exemple, 
il  est  difficile  de  dire  quelle  est  la  signification  d'un  signe,  d'un 
groupe  isolé  qui  n'apparaît  qu'une  fois  dans  les  textes;  car  il  est 
certain  que  pour  comprendre  ce  signe,  ou  ce  groupe,  les  efforts  de  la 


16  REVUE    ARCHÉOLOC.IQUE. 

science  seront  impuissants  tant  qu'une  découverte  heureuse  n'amè- 
nera pas  de  nouveaux  moyens  de  le  saisir.  Celte  impuissance  est-elle 
de  nature  à  jeter  du  doute  sur  les  résultats  déjà  acquis?  Je  ne  le 
pense  pas  ;  ou  alors  il  faudrait  exiger  des  assyriologues  une  intuition 
dont  ils  ne  peuvent  ni  ne  veulent  revendiquer  la  faveur. 

Qu'il  me  soit  permis,  pour  bien  faire  comprendre  ma  pensée, 
d'établir  une  hypothèse.  Je  suppose  en  effet  que  sur  une  inscription 
brisée  on  trouve  chez  nous,  en  France,  ces  trois  lettres  PAS  ;  avant 
de  pouvoir  y  attribuer  un  sens,  il  faut  que  nous  sachions  si  le  mot 
es!  complet;  car  il  peut  être  la  fin,  le  milieu,  le  commencement  d'un 
mot  plus  long;  puis  quand  il  sera  certain  que  le  mot  est  complet, 
il  faudra  savoir  qu'il  est  français,  et  quand  nous  saurons  qu'il 
est  français,  qui  nous  dira  à  quel  ordre  d'idées  il  pouvait  se 
rapporter?  qui  nous  dira  le  rôle  qu'il  jouait  dans  la  phrase  dont  il 
faisait  partie?  Il  y  a  donc  dan.  l'épigraphie  la  plus  simple  des  im- 
possibilités devant  lesquelles  on  s'incline  et  qu'il  faut  s'attendre  à 
rencontrer  en  assyrien.  C'est  un  signe  syllabique  indécomposé,  un 
idéogramme  non  transcrit,  un  signe,  un  mot  que  les  nombreux  textes 
ne  nous  montrent  encore  qu'une  fois  et  dont  les  sables  de  Ninive  gar- 
dent la  transcription.  Il  faut  donc  attendre.  Seulement  le  signe,  le 
mol  que  nous  ignorons  aujourd'hui  sera  peut-être  compris  demain,  et 
cette  espérance  suffit  pour  que  les  assyriologues  continuent  avec  per- 
sévérance des  recherches  qui  ont  donné  déjà  des  résultats  dont  on  ne 
peut  méconnaître  l'importance. 

JOACHIM  MENANT. 


LE 


CÈDRE  DANS   LES  HIÉROGLYPHES 


Parmi  les  manuscrits  égyptiens  découverts  jusqu'à  ce  jour,  on  ne 
connaît  encore  aucun  ouvrage  scientifique,  à  moins  qu'on  n'accorde 
ce  nom  aux  papyrus  de  Berlin  et  de  Leyde,  qui  traite  de  matières 
médicales.  Il  est  certain  toutefois  que  les  anciens  Égyptiens  avaient 
fait  de  notables  progrès  dans  les  sciences  d'observation.  Dans  le 
domaine  de  l'histoire  naturelle  notamment,  nous  apprenons  par  les 
documens  originaux  qu'ils  avaient  déterminé  et  nommé  un  grand 
nombre  d'espèces  végétales  et  minérales.  Ils  savaient  extraire  des 
plantes  des  sucs  médicamenteux,  des  parfums,  des  liqueurs  et  des 
extraits  comestibles.  Dans  la  riche  ornementation  de  leurs  jardins, 
ainsi  que  pour  leurs  édifices  et  leurs  meubles  de  luxe,  ils  ne  se 
contentaient  pas  des  espèces  propres  à  l'Egypte,  mais  se  procu- 
raient, par  le  moyen  du  commerce  ou  des  tributs  imposés  aux 
vaincus,  les  plantes  et  les  bois  précieux  des  pays  étrangers. 

Les  groupes  désignant  des  espèces  végétales  sont  aisément  recon- 
naissables  à  leurs  déterminatifs  génériques  :  la  triple  fleur,  le  signe 
de  l'arbre,  celui  du  bois,  qui  s'applique  surtout  à  la  matière  ligneuse 
et  aux  objets  qui  en  sont  fabriqués;  enfin  quelques  signes  spéciaux 
à  certaines  plantes. 

Mais  malgré  le  secours  de  ces  déterminatifs,  il  nous  est  le  plus 
souvent  impossible  d'identifier  ces  espèces  végétales,  dont  la  nomen- 
clature reste  pour  nous  une  liste  de  mots  dépourvus  de  sens;  le  copte 
n'offre  pas  assez  de  secours,  et  rarement  les  détails  donnés  par  les 
textes  offrent  une  prise  suffisante  pour  la  détermination  des  espèces. 

Je  me  propose  d'étudier  l'un  des  groupes  de  cet  ordre  qui  revient 
le  plus  souvent  dans  les  textes  et  qu'on  a  cru  désigner  l'acanthe  ou 
l'acacia.  Je  veux  parler  de  Yasch,  pour  lequel,  dans  son  travail  sur 
les  papyrus,  mon  savant  ami  M.  Goodwin  a  suggéré  la  valeur 
cèdre  (1),  tout  en  conservant  le  sens  acacia  dans  ses  traductions. 

())  Cambridge  Es.inys,  1858,  p.  257,  note  1. 


48  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

L'orthographe  ordinaire  de  ce  mot  est  **-— Jny  >  as',  (pro- 
noncez asch),  mais  on  le  trouve  aussi  accompagné  d'autres  détermi- 
natifs  tels  que  la  pointe  de  flèche  (1),  une  espèce  de  gousse  et  le 
signe  du  bois  (2). 

La  mention  de  Y  asch  revient  fréquemment  dans  !e  beau  papyrus 
de  Mme  d'Orbiney,  dont  l'administration  du  Musée  britannique  vient 
délivrera  l'étude  un  fac-similé  très-soigné  (3).  Les  lecteurs  de  la 
Revue  n'ont  pas  oublié  sans  doute  l'intéressante  traduction  que 
M.  de  Rougé  a  publiée  de  ce  curieux  manuscrit,  dès  l'année  1852  (4)> 

Dans  ce  papyrus,  la  montagne  (5)  où  se  retire  Baïta,  le  jeune  frère, 
est  nommée  ta  an  pa  as',  la  montagne  de  l'Asch.  Quoiqu'il  ne  faille 
pas  chercher  la  précision  dans  un  conte  où  le  merveilleux  domine, 
je  fais  remarquer  qu'il  n'est  pas  nécessaire  de  placer  cette  montagne 
au  voisinage  d'un  fleuve  dont  les  eaux  descendent  vers  l'Egypte,  car 

le  groupe    M  w  Ni  ^  ^vw»~ ,  iuma  (6)  désigne  la  mer,  comme  le 

copte  iou  et  l'hébreu  E\  et  rien  n'autorise  à  y  reconnaître  une  dé- 
nomination du  Nil.  La  montagne  de  Y  Asch  doit  avoir  été  placée  par 
l'auteur  du  conte  près  des  côtes  de  la  Phénicie  ou  de  la  Palestine. 
On  sait  qu'à  l'époque  contemporaine,  les  Égyptiens  y  possédaient 
des  établissements  fixes.  C'est  la  mer  qui  dut  porter  la  boucle  par- 
fumée vers  l'une  des  bouches  du  Nil,  près  d'un  atelier  de  blanchis- 
sage des  bardes  royales. 

Par  d'autres  passages  du  même  papyrus,  nous  apprenons  que 
Yasch  produisait  des  fleurs  :      Sssa""*>-i  >^ÏP    -   HULL   ou   hurr, 


(1)  Denkm.ïïl,  132,  en  e. 

(2)  Todtb.  134,9;  145,  4. 

(3)  Select  Papyri in  thehieratic  character,  II  part.,  London,  18G0. 

(4)  Rev.  arch.,  IXe  année,  p.  386. 

(5)  IpV^         ,  an,  selon  la  remarque  de  M.  Brugsch,  désigne  une  montagne,  et 

particulièrement  celle  d'où  l'on  extrayait  la  pierre  de  taille.  —  Au  papyrus  d'Or- 
biney, ce  mot  est  déterminé  par  la  pierre,  comme  le  groupe  bien  connu  tu,  montagne. 
Ailleurs,  il  a  le  déterminatif  ordinaire  des  noms  de  pays,  et  paraît  s'appliquer  à  toute 
région  montagneuse  coupée  de  vallées. 

(6)  Pap.  tTOrb.,  pi.  X,  lig.  5  et  sniv. 


LE   CÈDRE    DANS   LES    HIÉROGLYPHES.  49 

copte  2\hai  ou  «* | > 1 1 ï > i .  flos,  et  des  fruits  :      ÏV^fn   '     aari 

copie  epi,  fructus.  Ces  deux  expressions  n'ont  rien  de  spécial  et 
s'appliquent  à  toute  espèce  de  Heurs  et  de  fruits. 

Une  circonstance  plus  caractéristique  est  citée  dans  le  voyage  en 
Palestine  que  relate  le  papyrus  Anàstasi  Ier.  Cet  important  docu- 
ment, sur  lequel  je  me  propose  de  revenir  prochainement,  parle 
d'une  roule  plantée  d'arbres  aounnu,anulanu  et  d'aschs  atteignant  le 
ciel(i),  et  infestée  d'animaux  féroces.  Cette  description,  qui  s'appli- 
que certainement  à  quelque  localité  située  dans  l'un  des  rameaux  du 
Liban,  constate  que  Yasch  atteignait  une  grand  hauteur  dans  ces 
parages. 

D'autres  documents  originaux  établissent  que  les  Égyptiens  tiraient 
d'une  contrée  de  l'Asie  Mineure,  nommée  Khentshe  (2),  du  bois  d'asch 
pour  la  construction  des  temples.  La  mention  spéciale  dont  est  l'objet 
Yasch  de  Khentshe  démontre  qu'il  était  considéré  comme  une  qualité 
exceptionnelle  de  cette  essence. 

Ces  seules  données  nous  conduisent  à  rapprocher  Yasch  du  cèdre 
qui,  dans  le  Liban  et  le  ïaurus,  croissait  jadis  en  si  grande  abon- 
dance; mais  cette  assimilation  devient  presque  une  identité  si  l'on 
considère  que  les  hiéroglyphes  mentionnent,  à  propos  de  Yasch,  la 
plupart  des  propriétés  que  les  anciens  ont  à  tort  ou  à  raison  attri- 
buées au  cèdre. 

Le  cèdre,  qui  fournit  aux  piophètes  tant  d'images  brillantes,  est 
regardé  dans  l'Écriture  comme  le  plus  majestueux,  des  végétaux. 
Salomon,  dit  le  texte  sacré,  traita  de  toutes  les  plantes,  depuis  le  cèdre 
qui  est  dans  le  Liban  jusqu'à  l'humble  hyssope  (3).  On  sait  qu'Hiram, 
roi  de  Tyr,  fournit  à  ce  fastueux  monarque  une  quantité  considé- 
rable de  bois  de  cèdre  qui  fut  employé  à  la  construction  du  tem- 
ple (i).  Le  palais  des  rois  persans  à  Persépolis,  quAlexandre  fil 
brûler  après  une  débauche,  avait  également  ses  boiseries  en  cèdre,  et 
il  semble  qu'indépendamment  de  l'incorruptibilité  qui  rero  nmandail 
ce  bois  pour  les  constructions  de  longue  durée,  il  lui  ait  été  attribué 
une  valeur  mystique  dont  on  retrouve  la  trace  dans  les  cérémonies 
pour  la  puriiicalion  de  la  lèpre  (o),  dans  celle  de  la  vache  rousse  (6), 

(1)  Anast.  I,  pi.  XIX,  3. 

(2)  Brugsch,  Géog.,  3e  partie. 

(3)  R»is,  111,  ch.  iv,  v.  33. 
(Il)  lbid.,  ch.  v,  v.  6. 

(5)  Lévit.,  ch.  xiv. 

(6)  Nombres,  ch.  xix,  v.  G, 

IV.  ', 


50  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

et  clans  l'emploi  du  cèdre  pour  la  confection  des  simulacres  divins  (1). 

Or  Yasch,  surtout  celui  qu'ils  importaient  d'Asie  Mineure,  était 
employé  par  les  Egyptiens  dans  les  boiseries  et  surtout  pour  les 
portes  des  temples  (2)  et  des  palais;  les  portes  de  bois  d'asch  étaient 
souvent  garnies  de  métaux  importés  de  la  môme  contrée  (3).  On  en 
fabriquait  aussi  certains  meubles  (ouh'tu)  (4.)  regardés  comme  assez 
précieux  pour  mériter  une  mention  spéciale  dans  lYnuméralion  des 
richesses  des  temples.  Enfin,  l'emploi  du  bois  d'asch  pour  les  usages 
mystiques  est  constaté  au  Rituel  (5),  qui  prescrit  la  confection  d'une 
statuette  de  ce  bois  sur  laquelle  devaient  être  prononcées  des  formules 
de  consécration. 

Pline  parle  de  l'usage  du  cèdre  dans  la  construction  des  vaisseaux 
en  Egypte  ((3),  et  nous  trouvons  encore  ici  une  occasion  de  rappro- 
chement avec  Yasch  :  les  hiéroglyphes  mentionnent  en  effet  des 
barques  de  bois  d'asch  (7),  et  l'un  des  documcns  rassemblés  dans  le 
papyrus  Anastasi  IV  est  un  ordre  donné  pour  l'emploi  de  diverses 

pièces  [  â^V^T*"     s  asau-t,  coi,  trabs    de  bois  d'asch  à  la  ré- 


paration d'un  navire.  A  ce  propos,  le  texte  explique  qu'il  devra  être 
fait  choix  de  quatre  pièces  très-longues,  très-bonnes  et  très-épaisses 
pour  être  placées,  deux  au  côté  droit  et  deux  au  côté  gauche  du 
navire  (8). 

Nous  trouvons  enfin  dans  les  textes  égyptiens  la  mention  d'une 
huile  d'asch  au  moyen  de  laquelle  on  opérait  la  première  des  dix 
onctions  décrites  au  chap.  145  du  Rituel  (9),  et  celle  d'un  mestem 
ou  collyre  extrait  de  ce  même  végétal  (10).  De  même,  au  dire  de 
Théophraste,  de  Pline  et  de  Galien,  le  cèdre  fournissait  des  huiles 
et  des  résines  auxquelles  on  atlribuait  des  propriétés  médicamen- 
teuses. Les  anciens  paraissent  avoir  utilisé  dans  ce  but,  non-seule- 


(1)  Pline,  Hist.  nat.,  liv.  XIII,  en.  v. 

(2)  Denkm.  III,  132  en  e;  ibid.,  152. 

(3)  Brugsch,  Geog.,  3e  partie. 

(Il)  Mention  du  grand  papyrus  appartenant  à  Al.  Harris. 

(5)  Todtb.,  en.  cxxxiv,  9. 

(6)  Pline,  Hist.  nat.,  liv.  XVI,  en.  xl. 

(7)  Anast.  IV,  pi.  3,  6. 

(8)  Anast.  IV,  pi.  7,  lig.  7  et  suiv. 

(9)  Todtb.,  ch.  cxi.v,  U. 

(10)  Lepsius,  Ausw.,  XII,  ft2.  Ce  passage  est  malheureusement  mutilé. 


LE    CKDRE   DANS   LES   HIÉROGLYPHES.  51 

ment  la  résine  qui  découle  naturellement  des  conifères,  mais  encore 
les  bourgeons  et  même  la  sciure  du  cèdre  (1). 

Ainsi  donc  les  caractères  du  bois  ù'asch  et  ceux  du  cèdre  concor- 
dent d'une  manière  complète  :  l'un  et  l'autre  sont  des  arbres  de 
haule  taille,  abondants  en  Asie  Mineure,  fournissant  un  bois  re- 
cherché pour  la  marine  et  pour  les  monuments  les  plus  importants, 
ainsi  que  des  substances  résineuses  employées  à  des  usages  variés. 
Soit  en  raison  de  leur  élévation  dominante  dans  les  forêts,  soit  par 
rapport  aux  propriétés  de  leurs  bois  et  de  leurs  extraits,  ils  ont  mé- 
rité l'un  et  l'autre  d'être  employés  dans  les  cérémonies  du  culte.  En 
un  mot,  on  peut  dire  que  l'identification  est  complète. 

Si  mes  vues  sont  partagées  par  mes  confrères  en  égyptologie,  le 
mot  asch  sera  désormais  regardé  comme  le  nom  hiéroglyphique  du 
cèdre  (2). 

L'acacia  est  un  arbre  d'une  taille  moins  élevée  et  d'un  tronc  moins 
droit;  il  est,  par  conséquent,  moins  propre  à  la  confection  de  boi- 
series de  grandes  dimensions.  Pline  dit  que  l'acacia  croissait  en 
abondance  aux  environs  de  Thèbes  (3),  et  de  nos  jours  le  robinier, 
faux  acacia,  abonde  encore  en  Egypte.  L'acacia  serait  donc  un  arbre 
égyptien  et  n'aurait  pas  mérité  les  mentions  qui  nous  signalent  Y  asch 
comme  un  bois  rare  et  précieux,  dont  au  moins  les  plus  belles  va- 
riétés venaient  d'Asie  Mineure.  Aussi,  bien  que  la  variété  noire  de 
l'acacia  de  Pline  fût  employée  pour  le  corps  des  navires,  bien  que 
cet  arbre  produisît,  comme  le  cèdre,  des  sucs  médicamenteux  (4),  je 
ne  pense  pas  qu'il  ait  rien  de  commun  avec  Yasch  des  anciens  Égyp- 
tiens. 

F.  Chabas. 

Châlon  sur  Saône,  15  mai  1861. 


(1)  Pline,  Hist.  nat.,  liv.  XXIV,  cb.  v. 

(2)  Le  copte  a  peut-être  conservé,  sous  la  forme  altérée  CGI,  cedrus,  I'as'  des  hié- 
roglyphes. Le  nom  hébreu  est  î~)Xi  comme  en  chaldéen  et  en  syriaque. 

(3)  Pline,  Hist.  nat.,  liv.  XIII,  ch.  ix. 

(4)  Pline,  loc.  cit.,  Dioscoride,  ch.  cxv. 


OBSERVATIONS    CRITIQUES 


SUR    1A 


RHÉTORIQUE  D'ARISTOTE 


Tous  nos  manuscrits  de  la  Rhétorique  d'Aristote  dérivent  d'un  seul 
manuscrit  très-fautif  (1).  Parmi  eux,  il  en  est  un  qui  est  beaucoup 
plus  voisin  que  les  autres  de  la  source  commune;  non-seulement  il 
fournit  de  meilleures  leçons,  mais  encore  ses  fautes  mêmes  permet- 
tent souvent  de  remonier  au  texte  primitif  et  révèlent  des  altérations 
dont  il  ne  reste  ailleurs  aucun. vestige.  C'est  le  manuscrit  1741  de  la 
bibliothèque  impériale  de  Paris  (dans  Bekker  Ac).  Il  appartenait  au 
cardinal  Nicolas  Rodolphe;  il  fui  prêté  à  Victorius,  qui  lecollationna 
avec  soin  et  s'en  servit  pour  améliorer  le  texte  dans  une  foule  de 
passages.  Gaisford  l'a  fait  collationner  de  nouveau  pour  son  édi- 
tion (Oxford,  1820).  Bekker  a  repris  ce  travail,  et  a  donné 
toutes  les  leçons  dans  l'édition  de  Berlin  (1831).  Spengel  a  pris 
le  texte  de  ce  manuscrit  pour  base  de  son  édition  de  la  Rhétorique 
d'Aristote  (Rhetores  Grœci,  I,  3-162.  Teubner,  18o3).  J'ai  examiné 
de  nouveau  le  manuscrit  pour  tous  les  passages  que  je  discute  dans 
ces  observations  critiques  et  pour  quelques  autres  où  les  indications 
de  Bekker  ne  s'accordent  pas  avec  celles  de  Victorius  cl  de  Gaislord. 
Je  donne  ici  les  résultais  de  cette  collation  qui  complèlent  ou  recti- 
lient  les  indications  de  Bekker;  ils  ne  me  semblent  pas  fort  impor- 
tants; mais  j'ai  voulu  mettre  le  lecteur  en  état  d'en  juger  par  lui- 
même  (2). 


(1)  Voir  Spengol,  Mémoires  de  l'Académie  de  Bavière, P/n/osophie,  XXVII,  p.  508. 

(2)  Le  manuscrit  date  du  onzième  siècle.  Il  a  été  corrigé  par  un  lectrm-  qui  a 
ajouté  quelques  gloses  interlinéaires  ou  marginales  dans  le  premier  livre.  Les  cor- 
rections ne  s'étendent  pas  au  delà  du  second  livre.  La  main  du  correcteur  (je  la  dé- 


RHÉTORIQUE    d'âRISTOTE.  53 

Un  texte  qui  nous  est  parvenu  dans  ces  conditions  ne  peut  être 
que  très-fautif.  Victorius,  dans  son  commentaire  (1),  Muret  dans  sa 
traducLion  latine  des  deux  premiers  livres  (2),  Vater  (3).  Spengel 
surtout  (4),  Vahlen  (5)  ont  amélioré  le  texte  par  des  corrections 
évidentes  que  Bekker  a  admises  pour  la  plupart  dans  son  édition  de 
1859  en  y  ajoutant  quelques  conjectures  heureuses.  Ce  travail  d'épu- 
ration est  loin  d'être  terminé,  et  c'est  inévitable  quand  un  texte  est 
aussi  profondément  altéré.  Je  ne  me  suis  occupé  que  des  passages 
où  j'ai  cru  remarquer  une  altération  qui  n'avait  pas  encore  été 
aperçue,  ou  qui  me  semblaient  comporter  une  restitution  plus  vrai- 
semblable que  celles  qui  avaient  été  proposées.  Cependant  une  asser- 
tion d'Aristote,  relative  à  isocrate  (6),  le  sens  dans  lequel  sont  em- 

signe  par  l'abréviation  corr.)  est  partout  facile  à  distinguer  de  celle  du  copiste  (  je  la 
désigne  par  l'abréviation  pr.  m.),  par  une  écriture  plus  grosse  et  une  encre  plus  pâle 
qui  permet  presque  toujours  de  reconnaître  sous  les  surcharges  ce  qui  était  primi- 
tivement écrit.  L'orthographe  du  copiste  présente  presque  partout  deux  particu- 
larités; le  v  euphonique  se  trouve  presque  toujours  même  devant  une  consonne;  et 
on  lit  très-souvent  8è  sans  apostrophe  devant  une  voyelle.  Je  place  la  première 
la'leçon  de  l'édition  de  Berlin  (1831),  et  la  seconde  celle  du  manuscrit.  —  1356  a  31 
op.oiwu.a—  ôu-oîa.  1362  a  2  <ï>v  xai— xai  5>v.  1362  a  26  ècrov  Éxào-xwi  en  marge  pr.  m. 
1363  a  13  oùç—  14  àyaOoi  en  marge  pr.  m.  1369  a  2  àXôyicrxov —  â),oyov.  1370  a  22 
toïvoi —  iutvY).  1370  a  22  É'xaaxov  xpocprjç  ôiSo;  —  Ëxaorxov  d8o;  xpo^ç  eISoç.  1370  b  24 
ôso  xai  oxav  —  S'  6V  oxav  xai  barré,  excepté  les  deux  premières  lettres.  1372  a  24  xo 
[r/]ôéva  —  xô  oImç  p.r,Ô£va.  1372  a  26  xaùxa  toxvteç  —  xaùxa  uàvxa.  1373  a  16  oïç  —  ou;. 
1373  b  29  xôv — xwv.  1377  a  18  oû'xu)  Se — ouxtoç  S'  où  Se  1377  b  26  xo  itoiôv  —  xo  xe 
iroiov.  1378  a  3  TOÙvavrCov — xb  évavxtov.  1379  b  36  8i'  àuiXeiav  u.èv  yàp —  sic.  1379  b  37 
oXtywpîa — ôXiywpta  Tiç.  1381  «  34  xwOaTai —  xwt  îraïffat.  1381  b  16  xô — xai.  1383  b  30 
8pÇ$— S6|t).  1386  a  6  [AÉyeOo;— u.Eyé6ouç  pr.  m.  le  correcteur  a  récrit  un  a  par  dessus 
vo-.  1386  b  6  IXestvov—  sic.  1388  a  22  TtpsaguxEpoi  —  7rp£crëuxEpot  ye.  1388  «  33  smeixèç 
— eWhctjç.  1388  a  36  oy]  -  8è  pr.  m.  Syj  corr.  1390  a  19  oùx  eiç  uêptv  —  oùx.  uêptv.  1391 
a  14  yjôov;  ô  tûoÙxo;  —  Y]6oi;  7t)>oûxou  pr  m.  ttXoÛtoç  corr.  1391  «  24  è|ouo-i'  —  e£ovo-i 
pr.  m.  zZovaia.  corr.  1391  «  30  xaxà  xe  u.6pia  —  xaxà  p.6pià  xe.  1391  b  3  yiyv6p.sva  — 
ytv6p.£va.  1391  b  4  àra>  —  sî'c.  1394  6  22.  23  xy)v  opyr,v  omis.  1395  b  19  xîva  —  xtv '. 
1396  a  i  oùxto  —  oûxwc.  1398  a  30  êvexa  y)  xoûoe  y)  xoùSe  — ËVExa  y)  xoûSe.  1398  b  9 
0'tx£{av.  _  oixtav.  1398  b  16  xai  'AÔ^vaïoi  —  oxi  'AQïivaïoi  pr.  m.  xai  corr.  1401  a  19 
xùva  Sy)).ov  —  xùv  '  âSr^ov.  1401  a  30  irai— èVi.  1403  a  7  v)  xai  xà  —  y)  xaxà.  1409  6  14 
x£xe).s«ou.£v7i  —  xEXE>£a>p.Évï).  1413  b  17  ùrcoxpixixà  —  ùuoxpYjxîxà.  1416  a  8  wç  —  <i)i. 
1419  6  35  r]  (J.r,  —  si  u.v). 

(1)  Venet.,  1548. 

(2)  Aristotclis  Rhetoricorumlibriduo  M.  Antonio  Mureto  interprète.  Romse,1585. 

(3)  Animadversiones  et  lectiones  ad  Aristotelis  libros  très  Rheloricorum.  Lipsia;, 

1794. 

(4)  Ueber  die  RhetorikJer  Aristoteles  {Mémoires  de  l'Académie  de  Bavière,  Phi- 
losophie, XXVII,  1851),  et  préface  de  son  édition,  v-x. 

(5)  Rheinisches  muséum,  1854,  pp.  555  et  suiv. 

(6)  Voir  l'observation  suri,  9.  1368  a  21. 


54  REVUE    ARCHEOLOGIQUE. 

ployés  les  mots  Tomxa  (1)  lirMérov  (2)  otivSearjAoç  (3),  la  place  qu'Aris- 
tote  donne  dans  la  rhétorique  à  la  théorie  des  mœurs  et  des  carac- 
tères (4),  enfin  sa  définition  de  la  période  (5),  m'ont  paru  mériter 
des  recherches  nouvelles  dont  je  soumets  les  résultats  au  jugement 
du  public. 

I,  I.  1354  a  7  [2].  Après  avoir  dit  que  tous  les  hommes  ont  occa- 
sion d'attaquer  ou  de  soutenir  une  opinion,  d'accuser  ou  de  se  dé- 
fendre, AristOte  ajoute  :  twv  t/iv  ouv  ttoXXwv  ot  (Jtiv  sbôi  xaùxa  ôpcoaiv,  ot  os 

Sià  ffuvTiôsiav  àTrb  sçso)ç.  Cicéron  reproduit  celte  idée  De  oratore  II,  8, 
:)"2  :  Etenim  quuin  plerique  terne re  ac  nulla  ratione  causas  in  foro 
dicant,  nonnulli  autem  propter  exercitationem  aut  propter  consuetu- 
dinem  callidius  id  faciant....  Comme  il  est  évident  que  Cicéron  imite 
ici  le  texte  d'Arislote  et  n'a  pas  prétendu  le  traduire,  on  ne  pourrait 
conclure  qu'il  a  lu  y\  à™  àsj&faecaç.  Certains  éditeurs  ont  inséré  xal 
après  cuvriOstav,  ce  qui  fausse  le  sens.  Le  mot  ISjiç  qui,  dans  la  langue 
d'Aristole,  désigne  toute  disposition  permanente  (Catégories,  S,  la 
science,  la  vertu  sont  sçstç),  signifie  ici  :  une  faculté,  la  faculté  de 
persuader  ses  auditeurs  ou  d'embarrasser  son  adversaire.  Atà  <ruvr|ôstav, 
quoique  placé  le  premier,  modifie  pourtant  l'idée  exprimée  par  àno 
â':£(o;.  Aristote  a  voulu  dire  :  avec  une  faculté,  un  talent  développé 
par  l'habitude. 

1, 1.  1354  a  18  [4].  Aristote  blâme  les  rhéteurs  qui,  au  lieu  d'in- 
sister sur  l'argumentation,  traitent  longuement  des  moyens  d'exciter 

h'S  passions  :  m<tt  si  Ttepl  7rao-aç  rjv  tocç  xptastç  xaôairsp  sv  svtatç  ts  vuv  loti 
twv   tcoâswv   xoù   [j-t/Xicxa  xatç  sùvofxouas'vaiç,  oùosv   av  sr/ov  ô  ti  Xsyojaiv.  Il 

est  évident  que  pour  parler  exactement,  il  faudrait  dire  :  Si  dans 
tous  les  États  tous  les  procès  étaient  soumis  au  même  règlement  que 
le  sont  certains  procès  dans  quelques  États,  et  tous  les  procès  dans 
d'autres  États  qui  ne  sont  pas  les  plus  mal  gouvernés,  ces  rhéteurs 
n'auraient  rien  à  dire.  Je  crois  pourtant  qu'il  n'y  a  rien  à  changer 
au  texte,  où  je  vois  une  de  ces  négligences  de  rédaction  qui  ne  sont 
pas  rares  chez  Aristote.  Spengel  propose  d'insérer  après  xaQaTtsp  les 
mots  rapt  Ttvaç;  mais  l'expression  de  la  pensée  sera  toujours  incom- 
plète; pourquoi  n'y  aurait-il  pas  eu  des  États  où  la  disposition  qui 
n'existait  à  Athènes  que  pour  les  procès  portés  devant  l'Aréopage 

(1)  Voir  l'observation  sur  I,  2.  1356  6  12. 

(2)  Voir  l'observation  sur  III,  2.  1405  //  21-28. 

(3)  Voir  l'observation  sur  III,  5.  1407  fi  28-29. 
(k)  Voir  l'observation  sur  I,  8.  1366  fi  11. 

(5)  Voir  l'observation  sur  III,  9.  1409  6  16. 


RHÉTORIQUE   D'ARISTOTE.  55 

était  étendue  à  tous  les  procès  sans  exception  ?  Les  mots  xaïç  eùvo- 
ixouijis'vaiçqui,  dans  la  pensée  d'Aristote,  ne  s'appliquaient  certainement 
pas  à  Athènes,  indiquent  qu'il  connaissait  de  tels  États.  En  tout  cas, 
je  pense  qu'il  faut  lire  avec  kpengel  ^  au  lieu  de  te. 

I,  1.  1355  b  8  [14].  Après  avoir  établi  que  la  rhétorique  n'est  pas 
une  science  qui  ait  un  objet  déterminé,  que  la  manière  de  persuader 
peut  être  réduite  en  théorie,  que  le  plus  essentiel  de  cette  théorie  est 
l'argumentation  et  non  les  moyens  d'exciter  les  passions,  enfin  que 
la  rhétorique  est  utile,  Aristote  récapitule  son  exposition  en  ces 

termes  :  oti  [iiv  ouv  oùx.  e<7tiv  oute  evo;  tivoç  yevouç  àotopiu^lvou  -?)  pr-opt/.r', 
àXXà  xaôaTCp  •?)  SiaXEX.Tix.7],  xal  ô'xi  yç-f\GUJ.oç,  cpavepo'v,  xai  oti  où  to  7r£~<7at  £pyov 

ayT-^ç  x.  t.  X.  Il  vaudrait  mieux  mettre  un  point  après  tpavepov;  car  tout 
ce  qui  suit  est  surajoute  comme  une  sorte  de  post-scriptum  à  la  ré- 
capitulation et  ne  dépend  pas  de  la  particule  ouv.  Mais  il  y  a  une 
faute  grave  dans  la  récapitulation  ;  oute  exige  une  proposition  corres- 
pondante et  commençant  par  la  même  négation,  puisque  tout  dépend 
de  oùx  ecTiv.  Cette  indication  grammaticale  d'une  lacune  est  confirmée 
si  on  examine  le  fond  des  idées.  La  récapitulation  est  étrangement 
incomplète  puisqu'il  n'y  est  pas  rappelé  que  la  rhétorique  est  un 
art,  et  que  l'essentiel  de  cet  art  est  la  théorie  du  raisonnement,  pro- 
position sur  laquelle  Aristote  a  même  insisté  très-longuement. 

I,  2.  1356  b  12  [9]  ziq  S'  !<rc\  Siacpopà  7rapao£iYJJi.aTOç  xai  £v6u(/.7][jiaTO(;, 
©avspov   ex  twv  T07itxwv  •    exe?  YaP   irepi   (7uXXoyi<7[j.ou  xai  înuytii'piç   eipY]Tàt 

TipOTEpOV,      OTl    TO      [JlÈv     TO     £7Tl    7ToXXwV    XOCl    Ô|XOlO)V       8ElXVU(j6ai     OTl     OUTIOÇ      Vf SI 

sxeï  ;/.Èv  £7iav(»)Y*/i  IdTiv  evtocùOoc  os  Tcapao£tY;xa,  to  Se  Tivtov  ovtcov  Exspov 
ti  Oià  TauTa  <7uu.6aiVsiv  Trapà  TaÙTa  tco  tccùtoc  eïvoci,  Y)  xaOoXou  Y]  wç  ehi 
to    iroXù,    exe?  |*sv   <tuXXoyi<t(AC)ç   IvTaiïOa  8s   ev8u(/.Y)fi.a   xocXeItoci.     Il    semble 

qu'il  n'y  ait  dans  les  Topiques  d'Aristote  rien  qui  corresponde  à 
la  citation  qui  en  est  faite  ici.  Pour  résoudre  cette  difficulté,  il  faut 
examiner  les  autres  passages  de  la  Rhétorique  où  les  Topiques  sont 
cités;  la  plupart  sont  plus  ou  moins  embarrassants. 

Aristote  cite  les  Topiques  neuf  fois  dans  sa  Rhétorique,  deux  fois 
pour  rappeler  un  exemple  qu'il  y  a  employé,  sept  fois  pour  un  point 
de  théorie  générale. 

Des  deux  premiers  passages,  il  en  est  un  pour  lequel  la  citation 
peut  se  vérifier,  c'est  celui  qu'on  lit  II,  23.  1399  a  6  [13]  :  à'XXoç 

(toVoç)    EX  TWV     [JLEpwV,   «GTTEp     £V    TOIÇ  T07TlXoTç,   TTOIOC  Xl'vYj<7lÇ  Y]  {\^f't\   '   Y)8e  Y«P   Y] 

yÎoe.  Il  est  dit  en  effet  dans  les  Topiques  II,  4.  111  b  4,  que  pour 
réfuter  celui  qui  prétend  que  l'âme  se  meul.  il  faut  examiner  quelle 
espèce  de  mouvement  convient  à  l'âme;  si  on  trouve  successivement 
pour  chaque  espèce  de  mouvement  qu'il  ne  convient  pas  à  l'âme,  il 


Ofi  REVUE    ARCHEOLOGIQUE. 

sera  évident  que  l'âme  ne  se  meut  pas.  Ainsi  le  texte  de  la  Rhétorique 
signifie  :  un  nuire  lien  se  tire  de  la  considération  des  parties,  comme 
par  exemple  dans  les  Topiques,  les  différents  mouvements  qui  peuvent 
convenir  à  l'âme.  —  Quant  à  l'autre  passage  II,  23.    1398  a  29  [9] 

«AÀo;  (tottoç)  ex  tou  7roaa-/ô)ç,  oïov  ev  toTç  totuxo??  Tcept  toù  ôpÔw;,on  lie  re- 
trouve pas  la  citation  clans  nos  Topiques.  Nulle  part  Aristote  n'y 
emploie  le  mot  àfîSk  comme  exemple  des  différentes  acceptions  dont 
un  mol  est  susceptible.  Je  crois  qu'il  faut  lire  6*éV,  car  cet  adjectif 
est  souvent  cité  en  exemple  dans  les  Topiques  I,  15,  là  où  Aristote 
indique  comment  il  faut  étudier  les  différentes  acceptions  des  mois 
pour  trouver  des  raisonnements.  (Cf.  Phys  ,  VU,  4.  248  67-10.) 

Quant  aux  passages  où  Aristote  mentionne  les  Topiques  relative- 
ment à  un  point  de  théorie  générale,  il  en  est  deux  pour  lesquels  la 
citation  peut  se  vérifier.  Dans  Met.  1,  1.  1355  a  28  [12]  il  renvoie 
à  ce  qu'il  a  dit  Top.  I,  2.  101  a  30  sur  la  manière  de  raisonner  avec 
le  vulgaire  Dans  Met.  III,  18.  1419  a  24  [5],  après  avoir  indiqué 
comment  il  faut  répondre  à  des  questions  amphibologiques  ou  contra- 
dictoires, il  ajoute  :  cpavepbv  S1  fjjjuv  egtu  Ix  twv  T07iix<i>v  xai  touto  xai  aï 
Xuffstç.  Dans  Top.  VIII,  5-13,  il  donne  des  préceptes  sur  la  manière 
dont  le  répondant  doit  discuter,  mais  il  n'entre  dans  aucun  détail  sur 
les  différentes  manières  de  montrer  le  vice  d'un  raisonnement 
(Xu<7£iç);  au  contraire,  dans  le  traité  De  sophisticis  elenchis  (16-33),  il 
traite  complètement,  de  la  manière  de  répondre  à  des  questions  so- 
phistiques et  de  résoudre  les  sophismes  de  l'interrogeant;  c'est 
probablement  à  cet  ouvrage  qu'Arisiole  renvoie  dans  sa  Rhétorique, 
et  s'il  le  cite  sous  le  litre  de  Topiques,  c'est  que  sans  doute  il  le  consi- 
dérait comme  faisant  partie  de  son  ouvrage  sur  l'art  de  disputer.  On 
trouve  unecitation  semblable  dans  An.  pr.  Il,  17.  65  b  16  où  Aristote 
renvoie  au  traité  De  sophisticis  elenchis  (5.  163  b  21  et  suiv.),sous  le 
titre  de  Topiques,  et  une  autre  dans  le  De  interpretatione,  11,  20  b  26 
où  le  De  soph.  el.  (17,  175  b  39  et  30, 181  a  36)  est  cité  sous  le  même 
litre;  Waitz  (Aristoteiis  organon,  II,  p.  528)  a  conclu  de  ces  deux 
passages  el  d'autres  indices  que  le  De  soph.  el.  fait  partie  des  Topi- 
ques; cette  vue  est  confirmée  par  le  passage  de  la  Rhétorique. 

Sur  les  cinq  autres  textes  de  la  Rhétorique,  il  en  est  quatre  aux- 
quels on  ne  trouve  rien  de  directement  correspondant.  De  ces  quatre 
passages,  celui  qui  nous  a  servi  de  point  de  départ  se  distingue  des 
trois  autres  en  ce  que  les  Topiques  y  sont  cités  pour  un  point  qui  est 
tout  à  fait  en  dehors  de  leur  sujet.  En  effet,  les  Topiques  traitent  de  la 
dialectique  ou  aride  disputer;  l'exemple  et  l'enthymème  sont  des 
raisonnements  propres  à  Ja  rhétorique,  et  dont  Aristote  n'aurait  pu 


RHÉTORIQUE    d'ARISTOTE.  57 

traiter  que  dans  une  digression  dont  rien  n'indique  l'absence  dans 
nos  Topiques.  Brandis  (PhUologns,  IV,  p.  13)  et  Zeller  (Philosophie 
der  Griechen,  II,  2,  p.  54)  pensent  qu'Anstote  renvoie  à  Top.  I,  1.  12, 
seulement  pour  la  différence  du  syllogisme  et  de  l'induction.  Mais  la 
lettre  du  texte  ne  se  prête  pas  à  cette  interprétation,  et  on  ne  com- 
prend pas  pourquoi  Arisloie  n'aurait  pas  renvoyé  à  ses  Analytiques; 
car  dans  ses  Topiques  il  n'entre  et  ne  devait  entrer  dans  aucun  détail 
sur  ces  deux  espèces  de  raisonnements.  D'autre  part,  en  admettant 
avec  Spengel  (Mémoires  de  l'Académie  de  Bavière.  Philosophie, 
XXVII,  p.  497)  que  le  passage  des  Topiques  où  Aris'ote  traitait  de 
l'exemple  et  de  l'enthymème  n'a  pas  été  conservé,  on  ne  voit  pas 
pourquoi  Aristote  n'aurait  pas  renvoyé  à  ses  Analytiques,  où  il  traite 
de  l'exemple  et  de  l'enthymème,  en  montrant  comment  ils  se  rap- 
portent l'un  à  l'induction  et  l'autre  au  syllogisme  (An.  pr.  II,  24.  27). 
S'il  en  a  parlé  dans  ses  Topiques  (ce  que  rien  n'indique  dans  ce 
dernier  ouvrage),  ce  devait  être  avec  moins  de  détails.  Il  me  paraît 
probable  qu'il  faut  lire  àva)omxwv  au  lieu  de  ToitixSv.  —  Les  trois  au- 
tres passages  ont  cela  de  commun  qu'ils  se  rapportent  à  des  points 
fondamentaux  de  la  théorie  de  la  dispute,  à  des  définitions  et  à  des 
divisions  que  les  Topiques  supposent  partout  et  que  pourtant  on  n'y 
trouve  nulle  part  formellement  exprimées.  On  sait  que  dans  la  Rhéto- 
rique I,  2.  1358  a  2-28  (20-22)  Aristote  distingue  entre  les  proposi- 
tions qui  peuvent  servir  à  trouver  des  arguments  pour  toute  espèce 
de  sujet  (lieux  totoi),  et  les  propositions  propres  à  une  science  ou  à 
un  art  déterminé  (propositions  spéciales  eiSïj).  Il  conclut  ces  expli- 
cations en  disant  ligne  2!)  (22)  :  xaôdwrep  ouv  xal  iv  toï;  tottixoïç,  xal  lv- 

xaùOa  oiaipETEOV  twv   Ev6u[j.Yj|/.aT(ov  Ta  te  eÏSy]  xal  touç  tottouç  si  cov  \r\-KTtov. 

Or  on  ne  trouve  nulle  part  clans  les  Topiques  cette  distinction  fon- 
damentale; il  ne  l'y  établit  pas  formellement,  quoiqu'il  l'observe 
partout.  Quand  il  énumère  les  différentes  espèces  de  propositions 
dialectiques  (Top.  I,  10,  104  a  33*.  14',  105  b  1),  il  mentionne  celles 
qui  sont  propres  aux  différents  arts  (owxi  So'cjai  xaxà  te'/vocç  eï<uv),  il 
distingue  (1,14.  105  b  19)  trois  espèces  de  propositions,  éthiques, 
physiques,  logiques;  mais  il  ne  dit  pas  que  ces  propositions  soient 
essentiellement  différentes  des  lieux;  et  même  le  premier  passage 
des  Topiques  où  se  renconte  le  mot  totoi  (I,  18.  108  b  33  oî  Se  totoh 
-irpoç  oùç  yyrp\[xu.  Ta  XE/OéVra  oi'Se  e'ktiv)  n'est  précédé,  ni  accompagné, 
ni  suivi  d'aucune  explication  sur  la  signification  de  ce  terme,  ni  sur 
I  idée  qu'il  exprime.  Les  Topiques  ne  paraissent  avoir  offert  à 
Alexandre  d'Aphrodisiade  rien  de  plus  qu'à  nous  sur  ce  point,  car 


58  HEVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

c'est  à  Théophraste  (1)  qu'il  a  recours  pour  définir  le  lieu  (Commen- 
taire sur  les  Topiques,  252  a  12.  263  b  1,  édition  de  Berlin).  11  est 
moins  extraordinaire,  mais  il  est  pourtant  singulier  qu'Aristote  ne 
traite  nulle  part  dans  les  Topiques  de  ['objection  (sv<jra<nç)  en  général: 


(1)  Cette  définition  de  Théophraste  telle  que  la  rapporte  Alexandre  offre  des  diffi- 
cultés que  nous  allons  examiner.  Il  la  reproduit  deux  fois  252  a  12  et  263  b  4,  et  la 
seconde  fois  sous  une  forme  plus  simple  que  la  première,  et  probablement  plus 
voisine  du  texte  môme  de  Théophraste.  Comme  d'ailleurs  le  texte  du  second  passage 
ne  semble  pas  gravement  altéré,  nous  allons  d'abord  l'examiner  :  tônoz  luth  àpyr) 
-::  r,  r7TO'./_îtov,  à?'  ou  ).au.êâvou.ev  tàç  -rcspi  èxoKTtov  àpxaç,  t'fl  •rcecf/iypayr]  (j.sv  â)pi<ruivo;, 
Toiç  8è  /afJ'  ly.-xn-i  iôpiaroç.  Tous  les  termes  de  cette  définition  sont  empruntés  à  la 
langue  d'Aristote  et  peuvent  s'expliquer  par  elle.  Quoique  je  n'aie  rencontré  nulle 
part  dans  Aristote  le  mot  àpyô  employé  comme  synonyme  de  xôtioç,  il  peut  convenir 
à  cette  idée;  car  tout  point  de  départ  de  la  connaissance  d'un  objet  peut  être  appelé 
àp/Yj  {Met.  IV,  1.1013  a  14).  Quant  au  mot  oror/sîov,  Aristote  dit  formellement, 
Rhet.  II,  26.  1403  a  19  [1]  et  II,  22.  1396  b  21  [13],  qu'il  est  synonyme  de  xotoç.  Cette 
signification  est  expliquée  Met.  IV,  3.  1014  6  3,  où  après  avoir  dit  que  les  démon- 
strations en  forme  qui  entrent  dans  plusieurs  démonstrations  sont  dites  tjtoiyjXa.  xwv 
a-oociEewv,  Aristote  ajoute  :  xai  u.sxa:pÉpovxc;  os  crxoiyeiov  xa),oû<jiv  evxeùOsv,  6  àv  jv  m 
•/.ai  [iixpèv  £ttî  Tio/Xà  rj  /prjo-iu.ov.  Quant  à  l'expression  ai  àpyai,  elle  désigne  les 
propositions  d'où  se  tire  la  conclusion  d'un  raisonnement  {Met.  IV,  1.  1013  a  15). 
Quant  au  membre  de  phrase  tyj  jrepiYpa<pîj  —  àôpiaxoç,  Alexandre  l'explique  immédia- 
tement d'une  manière  satisfaisante.  Soit  le  lieu  :  Si  le  contraire  d'un  attribut  con- 
vient au  contraire  d'un  sujet,  l'attribut  convient  au  sujet.  Cette  proposition  est  dé- 
terminée quant  à  l'idée  générale  qui  y  est  exprimée  (tw  x*86Xov  topiaxai),  car  elle 
porte  sur  les  contraires  en  général;  mais  elle  ne  détermine  pas  ce  qui  est  relatif  à 
tels  ou  tels  contraires  en  particulier,  par  exemple  au  bien  et  au  mal,  à  la  vertu  et  au 
vice,  etc.  Le  mot  TcepiypoKpïj  ainsi  employé  n'est  pas  étranger  à  la  langue  d'Aristote; 
on  lit,  Rhet.  II,  22.  1396  b  8  [11],  que  si  on  improvise,  il  faut  chercher  les  arguments 
aTroê/ÉTrovra  u.ïj  ei;  àoptara  à)  V  ei;  xà  ûitàp^ovxa  uept  wv  6  ).6yo;,  xai  Ttspiypâcpovxa; 
(rapiYpâfOvra?)  ôxi  rcXeïara  xai  syyjxaxa  xorj  Tipàyu-aTOç.  Ainsi  ce  que  Théophraste  ap- 
pelle TcepiYpaçïj,  c'est  l'idée  générale  d'où  le  lieu  est  tiré,  et  qui  en  forme  la  circon- 
scription ;  par  exemple  l'idée  générale  des  contraires  forme  la  circonscription  du 
lieu  que  nous  avons  cité  plus  haut;  dans  cette  circonscription  sont  comprises  les 
propositions  relatives  à  toutes  les  espèces"  de  contraires.  Cette  expression  fait  com- 
prendre pourquoi  Aristote  a  choisi  le  mot  xôtioç;  car  il  définit  le  lieu  (dans  l'espace) 
TOTtépacTOÔTOpiéxovToçffwiiaToç  {Phys.  ause.  IV,  4.  212  a  5).  Mais  si  le  sens  delà 
proposition  xvj  7ispiypa^r,  —  àôpioroç  est  clair,  son  rapport  avec  la  proposition  princi- 
pale ne  l'est  pas.  Il  est  singulier  que  les  mots  wpiffuivoç  àôptcrxo-  se  rapportent  à 
to-o:  et  non  à  vw/iïm.  En  tout  cas  ils  sont  attribut  de  l'idée  exprimée  par 
TÔTto;,  et  en  résumé  la  définition  peut  s'entendre  ainsi:  Le  lieu  est  un  point  de 
départ  ou  un  élément  d'argumentation  d'où  nous  tirons  les  propositions  qui  ser- 
vent de  base  à  nos  raisonnements  sur  une  question  proposée;  il  est  déterminé  quant 
à  sa  circonscription,  et  indéterminé  quant  à  ses  applications  particulières. 

Voici  l'autre  texte  (252  ail)  :  sort  yàp  6  xôtcoç,  w;  "j.éyzi  (rieôcppao-xoç,  àpyô  xt;  •/] 
UTOiJteîpv,  àf'  où  )a;j.oavoi;.:v  t;.;  tt:v  ïxaorov  à^/à:,  £-'.T7r,<7avx£;  xrjv  ôiâvoiav,  tv; 
-:v.yp7/;r,  a:v  â)piO"u,éva)ç  fô  yàp  7tepiXau.êàvçi  xà  xoivâ  te  xai  xaOôÀov,  a  ècri  xà  xupia 


RHÉTORIQUE    tt'ARÏSTÔTÉ.  59 

il  suppose  partout  dans  les  Topiques  que  l'on  sait  en  quoi  consiste 
cet  élément  essentiel  de  toute  discussion.  Cependant,  dans  la  Rhéto- 
rique, il  mentionne  deux  fois  les  Topiques  à  propos  de  points  qui 


xwv  o-uXXoyio-uiùv,  r]  oùvaxai  y£  è£  aùxwv  xà  xoiauxa  8einvuoôaî  xe  xai  XauêâvEO-Oai) ,  xoï: 
8s  xaO'  sxaTxa  àoptTxw;  •  omo  xoûxcov  yàp  6pu,tof/.EVOV  êcrxiv  EÙiropEÏv  Ttpoxao'Ewç  svopçou 
Trpôç  xô  TtpoxsîuEvov  ■  xoùxo  yàp  Y]  àpyjrj.  1°  Nous  trouvons  ici  «piTuivax;  et  àopîo-xtoç 
au  lieu  de  ôpitfjiévoç  et  àôpioro;  qui  se  lisent  dans  l'autre  texte,  et  que  Alexandre  a 
certainement  employés,  comme  on  le  voit  par  les  explications  qui  suivent  (263  b  1). 
D'ailleurs  quel  sens  peut-on  tirer  de  :  Nous  empruntons  au  lieu  les  principes  des 
raisonnements,  d'une  manière  indéterminée  (/liant  aux  cas  particuliers  ?  Je  crois 
donc  qu'il  faut  écrire  ici  comme  dans  l'autre  passage,  «pto-uivoç,  àôpiaxoç.  2°  Le 
démonstratif  àrcè  xovxwv  ne  peut  se  rapporter  qu'aux  lieux,  comme  l'indique  le  reste 
de  la  proposition  et  le  verbe  ôpu-wuEvov,  qui  est  constamment  employé  avec  xôtio;; 
cf.  252  a  10  et  263  b  10.  D'autre  part  il  semble  que  ï%  aùxwv  doive  être  également  en- 
tendu des  lieux;  car,  d'après  l'alternative  posée,  si  le  lieu  ne  renferme  pas  ces 
propositions  communes  et  générales  qui  sont  les  principes  des  raisonnements,  il  peut 
servir  du  moins  à  démontrer  et  à  trouver  de  telles  propositions.  Ainsi  par  exemple  le 
lieu  des  contraires  renferme  la  majeure  du  raisonnement  suivant  :  Si  le  contraire 
d'un  attribut  convient  au  contraire  d'un  sujet,  l'attribut  convient  au  sujet;  or  le 
contraire  de  l'attribut  utile  convient  au  contraire  du  sujet  vertu  [nuisible  convient 
à  vice)  ;  donc  la  vertu  est  utile.  Ce  môme  lieu  sert  à  prouver  et  à  trouver  la  majeure 
du  raisonnement  suivant  :  Si  le  vice  est  nuisible,  la  vertu  est  utile;  or  la  justice  est 
une  vertu,  donc  la  justice  est  utile.  II  résulte  de  là  que  propositions  communes  et 
générales  comprises  dans  le  lieu  est  synonyme  de  lieu  ;  le  mot  uEpiXau-ëàvEi  n'est  pas 
fort  exact  ici  puisque  les  propositions  générales  que  le  lieu  sert  à  trouver  peuvent 
être  considérées  comme  y  étant  également  comprises.  Cependant  on  ne  voit  pas 
qu'il  y  ait  rien  à  changer.  s?  aùxwv  et  àra>  xoûxwv  se  rapporte  donc  à  ces  propositions 
générales  comprises  dans  le  lieu  et  qui  sont  en  réalité  le  lieu  lui-même.  On  pourrait 
lire  il  aùxoû  et  àuô  xo\>xo\);  mais  le  sens  serait  le  même.  3°  Il  est  évident  que  la  pro- 
position que  nous  venons  d'expliquer  n'est  pas  h  sa  place  après  wpw[i.£vw-,  et  que  la 
conjonction  yàp  ne  saurait  se  rapporter  à  ce  membre  de  phrase.  Si  le  lieu  est  déter- 
miné quant  à  la  circonscription,  ce  n'est  pas  parce  qu'on  peut  en  tirer  des  propositions 
générales  qui  n'y  sont  pas  immédiatement  renfermées,  comme  la  proposition  :  Si  le 
vice  est  nuisible,  la  vertu  est  utile  est  tirée  du  lieu  des  contraires;  car  relativement 
à  ces  propositions  le  lieu  est  indéterminé.  Je  crois  qu'il  faut  transposer  la  proposi- 
tion :f\  yàp  — Xau.ëàvEo-6ai  immédiatement  devant  ànb  xovxwvet  rapporter  la  conjonc- 
tion yàp  à  l'idée  de  Xau.6avou.Ev  —  àpyiç,  ;  alors  dans  àrà  xovxwv  yàp  la  conjonction 
se  rapportera  à  ?|  SûvœtaC  ys;  et  voici  quel  sera  l'enchaînement  des  idées:  Le  lien 
est  un  point  de  départ  ou  un  élément  d'argumentation  d'où  nous  tirons  les  proposi- 
tions qui  servent  de  base  à  nos  raisonnements  sur  une  question  proposée  ;  en  effet 
le  lieu  renferme  les  propositions  communes  et  générales  qui  sont  les  principes  des 
raisonnements,  ou  du  moins  il  peut  servir  à  démontrer  et  à  trouver  de  semblables 
propositions,  puisque  en  partant  du  lieu  il  est  facile  de  trouver  une  proposition 
plausible  relativement  à  la  question  proposée  ;  or  (il  me  semble  qu'il  faut  lire  en  tout 
cas  xoùxo  oè)  la  proposition  plausible  est  le  principe  (du  raisonnement  dialectique). 
Le  mot  y)  àp/j)  reprend  sous  une  autre  forme  l'idée  exprimée  par  à  èaxt  xà  xùpia  xwv 
auXXoyio-u,i>v  ;  expression  qui  est  elle-même  synonyme  de  xà;  àp^à;. 


60  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

touchent  à  la  théorie  générale  de  l'ohjection.  Ainsi,  Rhet.  II,  26. 

1403  a  31  [4]  il  (lit  :  'h  S'  Evcrcao-tç  oûx  £<mv  èv6u[xv)pta,  àXXoc  xaGoarep  ev  toTç 
to-ixoT;  to  eÎTteïv  iSoIjav  xivà  s;  ^;  serai  orjXov  ôti  ou  <yiAXEXoyiarai  yj  oxi  vpsuooç 
xi  eîXriœev.  Cette  distinction  est  bien  contenue  implicitement  dans  le 
passage  suivant  des  Topiques  (VIII,  10.  156  b  36)  :  faire  une  objec- 
tion ne  suffit  pas  quand  même  l'assertion  contestée  serait  erronée;  il 
faut  démontrer  en  quoi  elle  est  erronée.  Mais  cette  observation  sup- 
pose que  l'on  sait  que  l'objection  est  une  proposition  et  non  un  rai- 
sonnement; elle  n'établit  pas  cette  distinction.  Ailleurs,  Rhet.  II,  25. 

1402  a  35  [3    on  lit  :  al   8'    IvcxatTEtç  cpspovTat   xaOairsp  xai  Iv  xoïç  totuxoïç 

TETpcr/w;.  En  effet,  l'objection  peut  se  tirer  ou  de  la  proposition 
contestée  elle-même,  ou  de  son  contraire,  ou  d'une  proposition 
semblable,  ou  d'une  opinion  professée  par  quelqu'un  qui  fait  au- 
torité. On  a  cru  qu'Aristole  faisait  allusion  à  Top.  VIII,  8.  157  a 
1-15;  mais  Spengel  a  fait  remarquer  avec  raison  (Mémoires  de 
l'Académie  de  Bauière,  Philosophie,  XXVII,  p.  407)  que  les  ob- 
jections sont  divisées  dans  ce  passage  à  un  tout  autre  point  de 
vue  que  dans  la  Rhétorique.  La  division  indiquée  par  la  Rhéto- 
rique est  implicitement  contenue  dans  Top.  I,  13.  Aristote  y  établit 
que,  pour  trouver  des  syllogismes  et  des  inductions,  il  faut  rassem- 
bler des  propositions  plausibles  et  des  propositions  spéciales,  distin- 
guer les  diverses  acceptions  des  mots,  trouver  les  différences  entre 
les  idées,  considérer  leurs  ressemblances.  Il  fait  remarquer  qu'avec 
les  diverses  acceptions  des  mots,  les  différences  et  les  ressemblances 
des  idées,  on  peut  former  autant  de  propositions.  Or,  comme  l'objec- 
tion est  une  proposi  ion,  celui  qui  a  rassemblé  des  propositions  plau- 
sibles peut  opposer  une  objection  tirée  de  l'opinion  des  gens  qui  font 
autorité;  les  diverses  acceptions  des  mots  fournissent  l'objection,  qui 
est  tirée  directement  de  la  proposition  contestée  ;  les  différences  et 
les  ressemblances  des  idées  donnent  le  moyen  d'opposer  une  propo- 
sition contraire  ou  semblable.  Aristote,  dans  ce  passage  des  Topiques, 
a  pu  supposer  qu'il  donnait  les  moyens  cle  trouver  des  objections; 
mais  il  n'en  avertit  par,  expressément.  Ce  qui  est  remarquable,  c'est 
que  dans  les  premiers  Analytiques  (II,  26),  en  traitant  de  l'objection 
en  général,  il  la  définit  60  a  37  (ïvgtugiç  o'  Ioti  ^poTauiç  TipoTâW  svavxta), 
de  (elle  sorte  qu'on  peut  en  conclure  que  l'objection  est  distincte  du 
raisonnement,  mais  sans  le  dire  lui-même,  et  il  suppose  60  b  38 
comme  connue  la  division  des  objections  qu'il  a  établie  dans  sa  Rhé- 
torique. Il  est  assurément  étrange  que  dans  un  ouvrage  qui  a  pour 
but  la  théorie  de  la  dialectique,  Aristote  n'ait  défini  ni  le  lieu,  ni 
l'objection,  et  qu'il  donne  les  définitions  du  syllogisme  et  de  l'indue- 


RHÉTORIQUE    d'âRISTOTE.  61 

tion,  qui  étaient  moins  nécessaires.  Pourtant  il  n'y  a  aucune  trace  de 
lacune  dans  le  premier  livre  des  Topiques  où  des  explications  géné- 
rales sur  le  lieu  et  l'objection  auraient  trouvé  leur  place  naturelle. 
Si  Aristote  a  mentionné  les  Topiques,  dans  les  passages  de  la  Rliéio- 
rique  relatifs  à  ces  idées,  il  n'a  pas  sans  doute  eu  en  vue  un  texte 
déterminé  de  l'ouvrage  qui  porte  le  titre  des  Topiques;  peut-être 
a-t-il  désigné  par  le  terme  xà  xoirixà  la  théorie  môme  de  la  dialec- 
tique, la  Topique,  comme  dans  Met.  II,  3.  1005  b  3  xà  àvaXuxixa  dési- 
gne l'analytique  et  non  les  analytiques.  Ce  qui  autorise  cette  inter- 
prétation, c'est  que  dans  les  trois  passages  de  la  Rhétorique  relatifs 
au  lieu  et  à  l'objection,  Aristote  n'emploie  pas  de  ces  formules  comme 
£Ïpï)xai,  eXÉyoïJiev,  âtcopiffxat  par  lesquelles  il  dirait  formellement  qu'il  a 
traité  le  sujet  dans  les  Topiques. 

Dans  le  texte  qui  nous  reste  à  examiner,  le  mot  xà  xouixa  peut 
s'entendre  de  deux  manières.  Dans  les  Topiques,  avant  d'énumérer 
les  lieux,  Aristote  indique  des  procédés  d'argumentation  qu'il  appelle 
instruments  (opyava)  dialectiques.  Le  premier  de  ces  procédés  consiste 
à  rassembler  des  propositions  (Top.  I,  14).  De  môme  avant  de  donner 
des  lieux  oratoires,  Aristote  indique  comment  il  faut  rassembler  des 
propositions  (liket.  il,  22),  et  il  dit  1396  b  4  [10]  :  àvayxaîov,  warap 
ev  xoT;  xo7uxotç,  7tpwxov  Tcept  â'xaaxov  iftw  IçEiXEyjJtiva  Trspl  xwv  èvoe^ojjisvwv 

xal  xwv  £7uxoupoxàxwv.  Un  peut  voir  dans  xoîç  xoTuxoîç  soit  une  allusion  au 
chapitre  \iv  du  premier  livre  de  l'ouvrage  intitulé  Topiques,  soit  la 
désignation  de  la  Topique,  de  la  théorie  de  l'invention  dialectique. 
La  dernière  interprétation  me  parait  la  plus  naturelle;  et  dans  le 
passage  qu'on  lit  un  peu  plus  bas  l.  21  [12J  :  elç  piv  ouv  xporcoç  x^ç 

IxXoyïjç  xal  7tpwxo;  ouxoç  ô  xo7uxo'ç,  xà  os  axoi^sta  xwv  £vOutry]|j.axu>v  \iyuvj.tv, 

peut-être,  au  lieu  de  ô  xotuxoç  qui  ne  peut  pas  bien  s'expliquer,  faut- 
il  lire  xoîç  xoTuxoïç  en  l'entendant  de  la  Topique.  Aristole  veut  dire 
que  le  procédé  d'invention  qui  consiste  à  rassembler  des  propositions 
est  le  premier  dans  l'invention  dialectique,  comme  il  est  le  premier 
dans  l'invention  oratoire;  c'est  par  là  qu'il  faut  commencer  en  dia- 
lectique comme  en  rhétorique.  Il  reprend  sous  une  autre  forme  ce 
qu'il  a  dit  plus  haut:  àvayxaïov...   irpôrrov...    è^eiv 

I,  2.  13o6  b  18  [10] .  Après  avoir  expliqué  ce  qu'est  l'exemple  et 
ce  qu'est   l'enlhynième,  Aristote  ajoute  :  cpavEpov  S'  ô'xi  xal  éxaxEpov 

r^Ei   àyaOov    xo   elSoç   x9]ç  pY)XopixYJç- eiâ\  yàp   al  ;xÈv  7tapaoEiyf/.ax(.ôS£iç 

pyixopeïai  ai  Se  svÔu[/.7)[/.axixai,  xal  p^xops;  ôpt-oitoç  ol  [xh  TtapaSEty^axtoSetç 
ot  Si  £vOu[jL-/];j.axixoi.  lliOavol  piiv  oOv  où^  v]xxov  ol  Xoyot  oî  Sià  xâiv  7:apa- 
o£iyjji.axtov,  OopuSouvxai  Se  [j.â'XXov  ol  £vOuix-/)tji.axixoi.  \ater  (p.  20)  a  raison 


62  RI'.VIIK    ARCHÉOLOGIQUE. 

d'entendre  la  première  proposition  par  :  utramque  speciem  utilem 
esse  adpersiuulendum,  et  de  faire  remarquer  que  l'idée  est  reprise 
dans  la  conclusion  :  si  l'exemple  n'est  pas  moins  persuasif  que  l'enthy- 
mème,  l'enthy même  produit  une  impression  plus  rive.  Mais  comment 
construire  la  première  proposition?  Denys  d'Halicarnasse  donne  la 
leçon  vrfi  pr,TOf£ta<;quineme  paraît  pas  ici  plus  satisfaisante;  l'exemple 
et  l'cnlhymème  ne  sont  pas  plus  des  espèces  de  discours  ou  d'élo- 
quence que  des  espèces  de  rhétorique.  Ensuite,  quelle  que  soit  la 
leçon  qu'on  adopte,  àyaôov  doit  être  construit  substantivement,  ce 
qui  est  fort  dur.  Je  crois  qu'il  faut  lire  *j  p-/]Topixiq  et  construire  con- 
formément à  la  grammaire  :  IxaTspov  to  stSoç  8  f/si  r,  ^ipopucà  àyaOo'v 
l<ro.  L'une  et  l'autre  des  deux  espèces  d'argumentation  dont  dispose 
la  rhétorique  sont  bonnes  pour  persuader.  Le  mot  etâoç  est  employé 
de  la  même  manière  I,  9. 1367  b  36  [35],  où  il  désigne  le  moyen  d'ar- 
gumentation, et  1368  a  26  [40]  où  il  désigne  l'amplilication,  l'exem- 
ple et  l'entliymème.  —  Dans  le  manuscrit  1741,  le  mot  àyaôov  a  été 
effacé  ;  mais  il  reste  encore  des  traces  de  la  première  et  de  la  dernière 
syllabe. 

I,  2.  1356  b  33  [11].  Aristote,  pour  déterminer  quel  est  l'objet  des 
raisonnements  propres  à  la  rhétorique  et  à  quels  auditeurs  ils  s'a- 
dressent, procède  ainsi  :  Comme  ce  qui  est  persuasif  est  persuasif 
pour  quelqu'un  et  obtient  créance  ou  par  soi-même  ou  pour  paraître 
fondé  sur  des  raisons  persuasives  par  elles-mêmes,  comme  d'ailleurs 
aucun  art  ne  considère  l'individuel  (ainsi  la  médecine  n'examine  pas 
ce  qui  esthonpour  Socrate  ou  Callias,  mais  ce  qu'il  faut  à  un  homme 
ou  à  des  hommes  dans  telle  disposition;  car  c'est  là  ce  qui  est  du 
domaine  de  l'art;  l'individuel  est  illimité  et  ne  peut  être  connu 
scientifiquement),  de  même  la  rhétorique  ne  considère  pas  ce  qui 
est  plausible  pour  un  individu  comme  Socrate  ou  Hippias,  mais  ce 
qui  l'est  pour  telle  classe  d'hommes,  xaôaTrep  xal^j  oiaXsxTixvi  •  xoù  yàp 

sV.eÎvy]  ŒuXXoyiÇerai  oùx  !!■  wv  etit/ev  (cpaivErai  y&p  arca  xaiTOÏçirapaXvipoijaiv), 
àXX'   ÈxEt'vr,  [xev   ex  Toiv  Xo'you  oeouevojv,  ■?)   SI  p^/jTopiXY]  Ix  twv  r)8*/]  êouXEUEsOoa 

eîmôotgûv.  Dans  cette  dernière  proposition,  il  faut  substituer  irepl  à  ix; 
car  il  s'agit  des  propositions  sur  (-Epi)  lesquelles  on  raisonne,  des 
problèmes,  et  non  des  propositions  avec  (Ix)  lesquelles  on  raisonne, 
des  principes.  Cet  emploi  des  deux  prépositions  est  tellement  fixé  et 
par  leur  sens  et  par  l'usage  d'Aristote,  qu'il  ne  peut  rester  sur  ce  point 
aucun  doute.  On  traduira  donc  :  //  en  est  de  même  de  la  dialectique. 
En  effet,  la  dialectique  ne  raisonne  pas  sur  les  premières  propositions 
venues;  car  il  en  est  d'évidentes  même  pour  des  insensés;  elle  raisonne 


RHÉTORIQUE    d'ARISTOTE.  03 

sur  ce  qui  a  besoin  d'être  discuté,  et  la  rhétorique  sur  ce  dont  on  a 
coutume  de  délibérer.  Mais  comme  Valer  (p.  27)  Fa  déjà  remarqué, 
la  dernière  proposition  ne  se  lie  en  rien  avec  celle  qui  la  précède; 
car  le  texte  fait  dire  à  Anstote  :  La  rhétorique  et  la  dialectique  ne 
considèrent  pas  ce  qui  est  plausible  pour  chaque  individu  ;  car  l'une  ne 
raisonne  que  de  ce  qui  a  besoin  d'être  discuté,  et  Vautre  de  ce  qui  est 
ordinairement  mis  en  délibération.  Il  y  a  ici  confusion  de  deux  idées 
bien  distinctes:  les  auditeurs  auxquels  s'adressent  les  raisonnements 
de  la  rhétorique,  et  l'objet  sur  lequel  ils  portent.  Il  y  a  probable- 
ment avant  xaOaTusp  une  lacune  où  il  faut  suppléer  quelque  chose 
comme  :  et  elle  ne  raisonne  pas  sur  ce  qui  est  évident  par  soi-même. 
Il  en  est  de  même  de  la  dialectique,  etc.  L'examen  de  ce  qui  précède 
conduit  d'ailleurs  à  la  môme  conclusion.  En  effet,  la  proposition  ce 
qui  est  persuasif  est  persuasif  pour  quelqu'un,  se  rapporte  directe- 
ment à  l'apodose:  la  rhétorique  considère  ce  qui  est  plausible,  non 
pour  un  individu,  mais  pour  telle  classe  d'hommes;  mais  cette  même 
apodose  n'a  aucun  rapport  direct  avec  :  ce  qui  est  persuasif  est  per- 
suasif par  soi-même  ou  pour  paraître  fondé  sur  de  telles  raisons.  Cette 
dernière  proposition  semble  annoncer  qu'il  sera  dit  à  l'apodose  que 
la  rhétorique  ne  raisonne  que  sur  ce  qui  n'est  pas  persuasif  par  soi- 
même;  et  c'est  précisément  à  quoi  se  rapporte  la  comparaison  entre 
la  rhétorique  et  la  dialectique  qui,  dans  l'état  actuel  du  texte,  ne  se 
lie  pas  avec  ce  qui  précède. 

I,  2.  1357  a  16  [13].  Aristote  explique  la  nature  des  raisonnements 
oratoires  au  point  de  vue  de  l'objet  sur  lequel  ils  portent  et  des  au- 
diteurs à  qui  ils  s'adressent.  Ils  ne  portent  que  sur  ce  qui  peut  être 
mis  en  délibération;  et  on  ne  délibère  que  sur  ce  qui  peut  se  passer 
de  deux  manières  différentes,  sur  le  contingent.  Us  s'adressent  à  des 
auditeurs  peu  exercés;  et  ceux-ci  ne  peuvent  ni  suivre  une  longue 
cbaine  de  raisonnements,  ni  remontera  des  principes  abstraits  (lv{&- 
Ecjôat  TrdppwÔEv.  Cf.  An.  post.  I,  2.  72  a  4)  qui  ne  peuvent  pas  se  dé- 
montrer et  qui  pourtant  auraient  besoin  de  l'être  pour  des  gens  à  qui 

ils  ne  paraissent  pas  plausibles,  wgt'  àvocYXociov  to  te  EvOupiF*  Eivai  xat  to 
7raûàû£iY(J.a  itEf  t  twv  ÈvûE^O[j.é'vcov  coç  xà  itoXXà  e^eiv  xat  àXXwç,  to  jasv  Ttapa- 
OEr/uta   £7raYtoy})V  to  0    £vOu[xr,[ji.a  <juXXoyt3(J(.ov ,   xat  eç  ôXifiov  te  xat  7roXXaxt; 

ÈXaTTOVWV  7)  î\  &V  Ô   7TQWTOÇ  (^j)Cko^\.Q\x6ç,    '    SOCV  «fàû   Y]  Tl   TOUTWV  yVOJf  IfAOV,     OÙûÈ 

oeï  Xeyeiv  •  aÙToç  yap  T°wT0  TTpoGTi6ïi<jiv  ô  àxpoaTvîç.  Remarquons  d'abord 
que  la  proposition  /où  il  ôXtycov....  a  grammaticalement  pour  sujet 
l'enlhymème  et  l'exemple,  et  ne  se  rapporte  pour  le  sens  qu'à  l'en- 
tliymème.  Mais,  même  en  admettant  une  irrégularité  de  rédaction,  il 


G't  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

est  évident  que  la  conclusion  est  incomplète;  elle  n'exprime  qu'une 
(1rs  deux  conditions  auxquelles  le  raisonnement  oratoire  persuade 
des  auditeurs  peu  exercés,  c'est  qu'il  ne  soit  pas  long;  l'autre  condi- 
tion, qui  est  fort  importante,  est  omise,  c'est  que  le  raisonnement 
repose  sur  des  principes  admis  par  les  auditeurs.  Cette  condition, 
Aristote  y  insiste,  II,  22.  1395  b  30  [3],  dans  un  passage  où  il  ren- 
voie précisément  au  texte  que  nous  discutons,  et  il  me  paraît  diffi- 
cile à  croire  qu'il  n'ait  pas  exprimé  celte  idée  dans  un  membre  de 
phrase  qui  devait  se  trouver  avant  xal  il  ôX^wv.  En  outre,  il  faut  un 
point  avant  w<tte,  et  non  une  virgule;  car  Aristote  tire  sa  conclusion, 
non-seulement  de  la  proposition  qui  précède  immédiatement,  mais 
aussi  des  autres. 

I,  2.  1358  a  H.  12  [21].  Aristote  explique  en  quoi  les  raisonne- 
ments dialectiques  et  oratoires  diffèrent  de  ceux  qui  sont  propres 
à  une  science  déterminée,  et  qui  reposent  sur  les  principes  pro- 
pres de  cette  Science.  Affio  yàp  otaXEXTixouç  te  xal  prjTopixouç  (7uXXoyitu.oÙ; 
sïvai   7i£pl  Sv  toÙç   totiouç  XÉ-fouEV  •    outoi  û    eiatv    oî  xoivîj   irspi  Sixattov  xal 

OU<7lX(~)V    Xai     7C£Cl  TToXlTlXWV     XOCl     T.ZÇl    TToXÀwV     Ota'i£ÇOVTWV     ElOEl,     OlOV     0     TOU 

LtaXXov  xal  vttov  totïoç  •  oùcÈv  yàp  ixaXXov  serai  Ix  toutou  cTuÀXoviTafjOai  i\ 
£v8uu.7)ua   eitteiv  T.zù  Stxauâv  r,   c&usixwv  r,   7T£fi  ôtououv  ■    xanroi  TaÙTa    etoet 

Siaœépei.  Dans  la  première  proposition  7tep\  est  impropre;  car  les  lieux 
ne  sont  pas  les  objets  (icepl  Sv)  des  raisonnements,  mais  leurs  principes 
(Il  Sv);  Aristote  dit  lui-même  un  peu  plus  bas  Ix  toutou  GuXXoyiaao-Oai 
(faire  un  raisonnement  dialectique)  3|  Ivôua^aa  êïtoïv  (faire  un  raison- 
nement oratoire).  Je  crois,  en  conséquence,  qu'il  faui  lire  ï\  wv  au 
lieu  deiteplôv,  transposer  toù;  devant  ôiaX£XT-.xouçei  traduire  :  J'entends 
par  raisonnements  dialectiques  et  oratoires  ceux  qui  sont  tirés  des 
principes  que  nous  appelons  lieux. 

I,  2.  1358  a  2't  [21].  Aristote  vient  d'expliquer  la  différence  entre 
les  lieuxqai  n'appartiennent  à  aucune  science  déterminée  et  servent 
à  trouver  des  arguments  sur  quelque  question  que  ce  soit,  et  les  prin- 
cipes propres  à  chaque  science  :  xax£?va  fxèv  ou  ttoi^cei  izzcX  oùoèv  yévoç 
suocova  •  7tspl  O'joÈv  yàp  u-oxeijjievo'v  IdTtv  ■  taûra  Se,  osto  tiç  '  av  (3sXtiov 
IxXÉyYjTai  tocç  TOOraffEiç.  X^aei  itoiTjffaç  àXXy,v  Inc-rr'ar;;  ttjç  oiaXExTixrjç  xal 
&T)Topix9jç  •  av  yào  èvtu^ï)  àpyaïç,  oùxeti  SiaXsxTixr,  ou8e  prjTopixr)  àXX  Ixeiw, 
i^Tai  r;  £/£-.  ta;  àp/â;.  Le  mol  Taora,  qui  désigne  les  principes  propres 
à  chaque  science,  ne  peut  se  construire  comme  complément  deiroMrçoaç 
en  même  temps  qu'aXXïjv,  de  manière  à  offrir  un  sens  satisfaisant.  Je 
préfère  à  la  correction  que  j'ai  présentée  i  Etudes  sur  Aristote,  p.  238) 


RHETORIQUE   D  ARISTOTE.  65 

une  autre  que  je  dois  à  l'amitié  de  M.  Weil,  professeur  de  littérature 
ancienne  à  la  Faculté  des  lettres  de  Besançon  :  c'est  de  lire  iroi^davTa 
au  lieu  de  ironfaocç.  On  a  ainsi,  par  un  très-léger  changement,  le  sens 
suivant,  qui  est  très-satisfaisant  :  mieux  le  dialecticien  et  l'orateur 
choisiront  les  propositions  propres  à  une  science  déterminée,  moins  on 
s'apercevra  que  ces  propositions  ont  communiqué  des  connaissances 
scientifiques  qui  sont  étrangères  à  la  dialectique  et  à  la  rhétorique. 
La  correction  me  paraît  d'autant  plus  probable,  qu'on  lit  dans  An. 
post.  I,  2.  71  b  2o,  qu'un  syllogisme  qui  ne  repose  pas  sur  des  prin- 
cipes propres  à  une  science  déterminée,  ne  sera  pas  un  syllogisme 
scientifique  («TuXXoytffijLo;  £it«mfi[xovtxoç),  en  d'autres  termes  une  démon- 
stration  (àicoSeti-tç),  parce  qu'il   ne   donnera  pas  une   connaissance 

scientifique  (ou  y*?  tonfarei  £7riffTvi[/.Y]v). 

Charles  Thurot. 


(La  suite  prochainement.) 


IV. 


ARMES  ET  OBJETS  DIVERS 


DES   FOUILLES  EXÉCUTÉES  A  ALISE- SAINTE -REINE 

(côte  d'or) 


Nous  devons  à  une  communication  bienveillante  des  secrétaires 
de  la  Commission  de  la  carie  des  Gaules  les  dessins  que  nous  repro- 
duisons aujourd'hui  et  qui  représentent  une  partie  des  objets  pro- 
venant des  fouilles  exécutées,  d'après  les  ordres  de  S.  M.  l'empe- 
reur, à  Alise-Sainte-Reine,  ou  plutôt  dans  la  plaine  qui  s'étend  au 
pied  du  mont  Auxois.  Nous  avons  demandé  et  l'on  nous  a  accordé 
la  permission  de  les  donner  au  public. 

Nous  avons  l'intention  de  faire  graver  dans  les  numéros  prochains 
les  autres  armes  et  objets  que  cette  planche  n'a  pu  contenir,  et  un 
plan  exact  du  mont  Auxois  et  de  ses  environs,  avec  l'indication 
précise  des  points  où  chaque  objet  important  a  été  trouvé.  Nous 
donnerons  également  la  coupe  des  divers  fossés  que  les  fouilles  ont 
fait  découvrir. 

Nous  ferons  ainsi  ce  qui  dépend  de  nous  pour  mettre  nos  lecteurs 
à  même  de  juger  le  débat  qui  s'est  élevé  entre  les  partisans  d'Alise 
el  les  partisans  d'Alaise,  sans  nous  engager  dans  une  discussion  qui 
depuis  longtemps  a  perdu  tout  caractère  scientifique  pour  revêtir  la 
forme  d'une  polémique  passionnée  à  laquelle  la  Revue  croit  qu'il 
n'est  pas  de  sa  dignité  de  prendre  part.  La  science  a  besoin  avant  tout 
de  sang-froid  et  de  bonne  foi;  la  passion  détruit  l'un  et  l'autre. 

Nous  ne  nous  croyons  d'ailleurs  pas  le  droit  de  parler  avant  la 
Commission  de  la  carte  des  Gaules,  de  fouilles  qu'elle  fait  exécuter 
à  ses  frais  et  qui  ne  sont  pas  encore  terminées;  nous  attendrons  donc 
le  mémoire  qu'elle  prépare  pour  entrer  dans  les  détails  de  cette 
question  intéressante.  D'ici  là  nous  nous  bornerons  à  donner  des 
faits,  c'est-à-dire  des  dessins  et  des  plans  levés  avec  le  plus  grand 
soin  et  beaucoup  plus  instructifs  que  les  vagues  conjectures  aux- 
quelles se  sonl  livrés  la    plupart    de   ceux    qui    ont  parlé    du   mont 


fouilles  d'alise-sainte-reine.  67 

Auxois  et  de  la  plaine  des  Laumes  sans  s'être  donné  la  peine  de  les 
étudier  suffisamment, 

Notre  tâche,  jusqu'à  nouvel  ordre,  sera  de  rapprocher  des  objets 
trouvés  à  Alise  les  objets  analogues  que  possèdent  les  grands  musées 
de  la  France  et  de  l'étranger,  afin  d'en  déterminer  autant  que  pos- 
sible le  caractère. 

Nous  croyons  pouvoir  affirmer,  sans  aucune  hésitation,  que  les 
armes  que  contient  aujourd'hui  notre  planche  sont  des  armes  gau- 
loises. Ces  armes  deviendront  un  type  précieux  si,  comme  nous  en 
sommes  convaincus,  elles  sont  tombées  des  mains  défaillantes  des 
défenseurs  d'Alésia.  Quoi  qu'il  en  soit,  nous  le  répétons,  il  suffit 
d'ouvrir  les  revues  et  catalogues  où  sont  reproduites  les  armes  gau- 
loises recueillies  en  si  grand  nombre  en  Suisse,  en  Danemark  et  en 
•Angleterre,  pour  n'avoir  aucun  doute  à  cet  égard. 

Ces  armes  sont,  ainsi  qu'on  peut  le  voir  en  jetant  un  coup  d'œil 
sur  notre  planche  :  1°  des  pointes  de  javelot  en  bronze,  nos  2,  3,  4. 
7, 8, 9,  10, 11, 12, 14.  Ces  pointes  ont  été  trouvées  en  novembre  1860. 
au  fond  du  canal  d'écoulement  des  eaux  de  la  propriété  de  M.  de 
Gasc.  Ce  canal,  qui  porte  le  nom  de  Fausse  rivière,  est  très-ancien 
et  pourrait  avoir  été  un  bras  de  YOzerain.  Près  des  piques  se  trou- 
vaient des  fragments  de  feuilles  de  bronze  provenant  probablement 
d'un  bouclier; 

2°  Une  lame  de  bronze  en  forme  de  couteau.  Sa  douille  semble 
indiquer  qu'elle  était  placée  à  l'extrémité  d'une  haste  en  bois  et  ser- 
vait d'arme  (n°  1).  Provient  de  la  Fausse  rivière; 

3°  Sabot  trouvé  au  même  emplacement  et  présumé  avoir  fait  par- 
tie de  la  même  arme  que  le  n°  1  (n°  15)  ; 

4°  Haches  en  bronze  trouvées  avec  les  armes  qui  précèdent 
(n0S21,  22); 

5°  Pointes  et  sabots^  de  lance  en  bronze  trouvés  dans  le  même 
canal  et  au  même  point  dans  les  fouilles  exécutées  par  la  Commis- 
sion de  la  carte  des  Gaules  en  1861  (n°s  5,  6, 13,  17,  18); 

6°  Lame  d'épée  en  bronze  trouvée  dans  les  fouilles  du  canal  de 
Bourgogne,  au  bas  de  la  plaine  des  Laumes  (n°  23)  ; 

7°  Lame  d'épée  en  bronze  trouvée  en  1860  avec  les  pointes  de 
lance  et  les  haches  sus-mentionnées  (n°  24)  ; 

8°  Poignée  d'épée  en  bronze  trouvée  dans  les  fouilles  de  la  Com- 
mission en  1861  et  qui  paraît  se  rapporter  à  la  lame  n°  21t.  Le 
n°  24  a  représente  le  poussier  terminant  la  poignée; 

9u  Pointe  de  flèche  en  bronze  trouvée  en  1860  (n°  26)  ; 

10°  Fragment  de  lame  d'épée  (n  27); 


68  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

11°  Anneaux  de  diverses  grandeurs  trouvés  en  grand  nombre  dans 
la  Fausse  rivière  et  dans  les  tranchées  en  1800  et  1801  (n°  16). 

Nous  appelons  d'une  façon  toute  spéciale  l'attention  de  nos  leckurs 
sur  les  deux  pointes  hameçonnées  en  fer  (n°s  19  et  20). 

Le  n°  19  a  été  trouvé  dans  la  plaine  des  Laumes,  en  avant  des 
fossés  découverts  par  la  Commission.  Cette  pointe,  dont  la  forme 
primitive  était  semblable  à  la  pointe  n°  20,  est  brisée  au  coude  et 
tordue  à  son  extrémité  supérieure. 

Le  n°  20  a  été  trouvé,  non  plus  dans  la  plaine,  mais  sur  le  mont 
Auxois,  avec  cinq  autres  semblables,  sous  les  fondations  d'une  très- 
ancienne  construction.  On  ne  peut,  ce  nous  semble,  s'empêcher  de 
voir  dans  ces  pointes  les  stimuli  dont  parle  César. 

Ceux  de  nos  lecteurs  qui  douteraient  du  caractère  gaulois  des 
épées  dont  nous  leur  offrons  le  dessin,  peuvent  consulter  les 
nos  133  et  135,  p.  31,  du  Musée  de  Copenhague,  par  J.  J.  A.  Wor- 
sae,  et  les  nos  442,  444,  p.  318,  du  Musée  de  Dublin,  par  W.  R. 
Wilde,  et  la  première  livraison,  feuille  2,  n°  k,  du  Musée  de  Mayence, 
par  Lindensmit.  Ils  seront  incontestablement  convaincus. 

L'ouvrage  de  M.  Troyon  sur  les  antiquités  lacustres  contient 
aussi  plusieurs  épées  gauloises  du  même  genre. 

Une  épée  de  légionnaire  trouvée  au  fond  de  l'un  des  fossés,  à 
Alise,  servira  d'ailleurs  de  point  de  comparaison  et  démontrera  com- 
bien les  armes  des  Gaulois  différaient  des  armes  romaines.  Nous  en 
donnerons  le  dessin  dans  le  prochain  numéro. 


BULLETIN    MENSUEL 
DE    L'ACADÉMIE    DES    INSCRIPTIONS 


MOIS   DE    JUIN. 


Nous  avons  donné  dans  notre  compte  rendu  du  mois  dernier  le  procès- 
verbal  de  la  communication  de  M.  de  Saulcy  relative  aux  fouilles  d'Alise. 
Le  défaut  d'espace  nous  ayant  obligé  d'ajourner  le  reste  de  notre  analyse 
des  séances  de  l'Académie,  nous  publions  aujourd'hui  ce  supplément  avant 
d'aborder  la  séance  du  mois  de  juin. 

Avant  tout,  nous  retrouvons  encore  la  question  d'Alise. 

Il  s'agit  d'une  pièce  de  plomb,  dont  la  Revue  espère  pouvoir  donner  le 
dessin  à  ses  lecteurs,  et  qui  a  été  récemment  découverte  à  Alise-Sainte- 
Reine  et  achetée  par  M.  Philibert  Beaune,  maire  de  Vesvre.  Cette  pièce,  dit 
M.  de  Longpérier,  qui  s'est  chargé  de  la  présenter  à  l'Académie,  est  une 
tessère  ou  monnaie  de  plomb  du  moyen  module.  D'un  côté  on  voit  un  Mer- 
cure nu,  debout,  placé  sur  un  sedicule,  tenant  une  bourse  de  la  main  droite 
et  un  caducée  sur  le  bras  gauche.  Au  revers,  un  rameau  entouré  de  la 
légende  circulaire  ALISIENS  (Alisienses). 

L'existence  de  cette  pièce,  dont  le  sens  est  si  clair,  a  donné  à  M.  de  Long- 
périer l'idée  de  rechercher  s'il  ne  s'en  trouverait  pas  d'analogues  dans 
les  collections.  Une  recherche  rapide  lui  a  montré  dans  l'ouvrage  de 
M.  Ficorini,  publié  à  Rome  en  1740,  J  Piumln  antichi,  deux  pièces  au  type 
de  Mercure  debout,  l'une  desquelles  représente  les  lettres  AL  S,  maires  lec- 
tionis  du  nom  des  Alisiens;  la  seconde  ne  porte  qu'un  A,  initiale  du  même 
nom.  Ces  trois  monnaies  sont  de  modules  différents,  et  le  nombre  des  carac- 
tères diminue  en  proportion  de  l'étendue  des  flans  métalliques.  Ficorini 
n'avait  donné  aucune  explication  de  ces  deux  derniers  plombs;  mais  il 
suffit  de  les  rapprocher  de  la  pièce  découverte  à  Alise  pour  reconnaître 
qu'ils  appartiennent  à  la  même  fabrication,  au  même  système..  Le  plomb 
nouvellement  retrouvé  se  rapporte  au  style  des  monnaies  impériales,  et  la 
série  montre  l'importance  de  la  localité  à  une  époque  reculée. 

Après  la  communication  de  M.  de  Longpérier  en  vient  une  de  M.  de 
Witte,  correspondant  de  l'Académie,  touchant  une  note  reçue  par  lui  de 
M.  W.  H.  Wadington,  datée  de  Beyrouth,  8  avril  dernier.  Cette  note  est  re- 
lativeaux  tablettes  oustôles  assyriennes  de  Nahr-el-Kelb,  tant  controversées 
parmi  les  voyageurs  et  les  savants.  Les  données  recueillies  par  M.  Wa- 
dington, et  appuyées  de  deux  photographies  prises  par  M.  Georges  Hachette, 


7(1  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

qui  l'accompagnait,  mettent  hors  de  doute  que  plusieurs  de  ces  stèles  sont 
bien  réellement  égyptiennes  et  prouvent  encore  une  fois  qu'Hérodote  était 
bien  instruit  quand  il  parlait  de  stèles  semblables  dans  la  Palestine  et  dans 
la  Syrie.  M.  Wadington  en  compte  neuf  en  tout,  tant  égyptiennes  qu'assy- 
riennes, à  Nahr-el-Kelb,  toutes  sculptées  sur  les  rocbers  qui  bordent  la 
route,  et  formant  deux  groupes,  l'un  inférieur,  l'autre  supérieur,  qu'il  décrit 
successivement,  autant  qu'il  a  pu  les  voir  à  l'époque  de  l'année  où  il  les 
observait  et  quoiqu'il  y  ait  passé  une  journée  presque  entière,ce  qui  explique 
les  assertions  contradictoires  de  témoins  oculaires  également  dignes  de  foi, 
qui  ont  pu  voir  ou  ne  pas  voir  selon  la  hauteur  du  soleil  et  la  direction  de 
ses  rayons. 

Les  lettres  de  M.  Renan  continuent  à  apporter  à  l'Académie  d'intéres- 
santes nouvelles. 

Dans  une  lettre  adressée  à  l'empereur,  et  communiquée  à  l'Académie  par 
M.  Maury,  conformément  au  désir  de  Sa  Majesté,  M.  Renan  annonce  qu'un 
plus  attentif  examen  de  la  grande  mosaïque  découverte  par  lui  lui  a  fait 
reconnaître  que  la  partie  centrale  est  la  plus  importante.  Un  mosaïste  a  été 
expédié  de  Rome  par  ordre  de  l'empereur  avec  mission  de  procéder  à  l'em- 
ballage de  ce  beau  et  curieux  monument.  Un  séjour  prolongea  Amrita 
permis  à  M.  Renan  d'étudier  les  monuments  anciens  qui  s'y  rencontrent; 
le  savant  explorateur  signale  le  temple  comme  un  des  édifices  les  plus  re- 
marquables de  la  Phénicie  et  l'un  de  ceux  qui  peuvent  donner  le  mieux  une 
idée  de  ce  qu'a  été  le  temple  de  Jérusalem  :  un  amphithéâtre  taillé  dans  le 
roc  et  qu'il  a  découvert,  lui  paraît  quelque  chose  d'unique.  Avant  son  dé- 
part d'Amrit,  M.  Renan  avait  fait  déblayer  les  caveaux  situés  au-dessus 
des  trois  grandes  pyramides  monolithes.  M.  Renan  expose  ensuite  les  ten- 
tatives d'exploration  faites  à  l'île  de  Ruad  (Arad)  et  les  difficultés  que  lui  a 
suscitées  le  fanatisme  de  quelques  musulmans,  lesquels  exercent  dans  la 
contrée  une  véritable  terreur  et  paralysent  les  bonnes  dispositions  de  la  po- 
pulation tranquille. 

Les  fouilles  faites  à  Oumm-el-Avamid  ont  été  plus  fructueuses;  on  y  a 
trouvé,  enfin,  une  inscription  phénicienne  malheureusement  incomplète. 
Elle  est  circulaire  et  tracée  autour  d'une  sorte  de  gnomon.  M.  Renan  signale 
en  terminant,  comme  digne  d'attention,  l'acropole  d'Oumm-el-Avamid,  où 
subsistent  les  restes  de  temples  du  style  ionique  grec  le  plus  pur.  Une  tête 
humaine  en  ronde  bosse  et  un  lion  ont  été  récemment  trouvés  dans  cette 
localité  déjà  explorée,  il  y  a  quelques  années,  par  M.  de  Vogué,  mais  où  il 
reste  beaucoup  à  faire. 

M.  Vallet  de  Viri ville  l'ail  une  lecture  en  communication  sur  la  question 
suivante  :  Jeanne  Darc  a-t-elle  été  prise  par  fortune  de  guerre  ou  par  trahison? 

L'épisode  choisi  par  l'auteur  de  cette  communication  a  pour  sujet  la  prise 
de  Jeanne  à  Compiègne  par  les  Anglo-Rourguignons,  le  24  mai  1430  (car 
M.  Vallet  de  Viriville  hxe  au  24  mai,  veille  de  l'Ascension,  la  véritable 
date  de  cet  événement,  que  la  plupart  des  historiens  modernes  placent 
au  23). 


ACADÉMIE    DES    INSCRIPTIONS.    ETC.  71 

Depuis  des  siècles,  une  controverse  importante,  et  qui  dure  encore,  s'est 
élevée  parmi  les  historiens.  Jeanne,  en  cette  circonstance,  succomba -t-elle 
simplement  dans  une  rencontre  malheureuse?  subit-elle  delà  sorte  un 
revers  attaché  à  la  fortune  des  combats,  ou  bien  fut-elle  victime  d'une 
trahison?  Cette  dernière  explication  se  fit  jour  dans  les  esprits  dès  l'époque 
môme  de  l'événement.  La  plupart  des  anciens  historiens  s'y  sont  rangés. 
En  ces  dernières  années  seulement,  un  critique  des  plus  distingués  et  d'une 
autorité  toute  spéciale  en  cette  matière,  a  plaidé  la  cause  de  Guillaume  de 
Flavy.  Capitaine  de  Compiègne  à  la  date  de  cet  épisode,  Guillaume  de 
Flavy  était  prévenu  d'avoir  traîtreusement  livré  l'héroïne  à  ses  ennemis, 
et  de  lui  avoir  fermé  toute  retraite.  M.  J.  Quicherat,  dans  son  impartialité, 
avait  cru  devoir  l'absoudre  faute  de  preuves  suffisantes,  et  M.  Vallet  de 
Viriville,  à  son  tour,  avait  embrassé  jusqu'à  ce  jour  l'opinion  de  M.  Qui- 
cherat. Mais  de  nouvelles  recherches  ont  contraint  le  nouvel  historien  de 
Charles  VII  à  revenir  sur  cette  adhésion.  «  Même  aux  yeux  des  juges  les 
plus  favorables,  dit  M.  Vallet  de  Viriville,  Guillaume  de  Flavy  n'a  jamais 
été  considéré  comme  étant  à  l'abri  de  tout  soupçon.  On  s'accorde  générale- 
ment à  reconnaître  que  Jeanne  fut  environnée,  pour  ainsi  dire,  dès  le  pre- 
mier pas  de  sa  carrière,  par  une  odieuse  et  perfide  machination.  G.  de  la 
Tréinouille,  premier  ministre  ou  premier  favori  de  Charles  VII,  et  le  chan- 
celier Regnauld  de  Chartres  en  furent  les  agents  hypocrites  et  tout-puis- 
sants. Mais  on  ignorait  les  liens  de  connivence  qui  pouvaient  rattacher  dans 
cette  circonstance  Guillaume  de  Flavy  à  ces  deux  ennemis  de  l'héroïne. 
R.  de  Chartres,  ainsi  que  G.  de  Flavy,  possédaient  diverses  seigneuries  sur 
le  territoire  de  Compiègne.  Guillaume  de  Flavy,  d'après  les  généalogistes, 
était  l'onde  du  chancelier,  Hector  de  Chartres,  père  de  Regnauld,  ayant 
épousé  une  sœur  de  Guillaume.  Quant  a  la  Trémouille,  Flavy,  depuis  plu- 
sieurs années,  jouait  auprès  de  lui  le  rôle  de  créature  et  d'affidé,  chargé 
par  lui  de  diverses  missions  intimes,  politiques  et  secrètes.  Lors  de  la  sou- 
mission de  Compiègne,  Flavy  servait  comme  officier  dans  la  compagnie, 
c'est-à-dire  sous  le  commandement  de  la  Trémouille.  Flavy  étant  un  gen- 
tilhomme du  pays,  les  habitants  de  Compiègne,  en  signant  leur  capitulation, 
le  demandèrent  au  roi  pour  gouverneur  militaire  de  leur  ville.  Mais  la 
Trémouille  s'y  opposa.  Il  se  décerna  à  lui-même  cette  position,  qu'il  en- 
tendait se  réserver,  et  fit  seulement  aux  bourgeois  cette  concession  de  leur 
donner  Flavy  pour  lieutenant.  G.  de  Flavy  était  donc  à  l'attache  et  à  la 
dévotion  de  la  Trémouille.  Lorsque  la  Pucelle  fut  prise,  R.  de  Chartres, 
ulterego  de  la  Trémouille,  se  trouvait  lui-même  à  Compiègne.  Telles  sont 
les  notions  nouvelles  qu'a  réunies  M.  Vallet  de  Viriville  et  qui,  selon  lui, 
doivent  combler  les  intervalles  qui  séparent  les  opinions  opposées  sur  ce 
fameuxépisode.  Il  espère  qu'on  s'expliquera  parfaitement  désormais  quelles 
influences  agirent  sur  Guillaume  de  Flavy  dans  cette  mémorable  cir- 
constance. 

M.  Maury  communique  de  la  part  de  M.  Mérimée,  empêché  d'assister  à  la 
séance,  une  lettre  adressée  à  celui-ci  par  M.  Valentin  Carderera,  peintre  de 


72  REVUE    ARCHEOLOGIQUE. 

Sa  Majesté  Catholique,  et  datée  de  Madrid,  29  mai.  Dans  cette  lettre,  on  an- 
nonce la  découverte  à  Gesadamar,  localité  que  M.  Mérimée  suppose  avoir 
été  désignée  au  lieu  de  Guarrazar,  deux  nouvelles  couronnes  wisigothi- 
ques  :  l'une,  de  petite  dimension,  fut  apportée  a  la  reine  d'Espagne  par  un 
paysan  du  village  de  Guadamar;  elle  présente,  gravée  en  son  centre,  une 
légende  qui  paraît  se  lire  :  Sando  Stephano  hoc  munusculum  offert  Theodosus 
Abas.  La  reine  en  a  fait  l'acquisition.  Elle  chargea  ensuite  l'intendant  don 
Antonio  Florès  de  se  rendre  à  Guadamar  pour  s'informer  s'il  avait  été 
trouvé  d'autres  couronnes  et  d'autres  objets  analogues.  Il  trouva,  en  effet, 
entre  les  mains  du  paysan  des  restes  de  couronnes,  de  croix,  etc.,  entre 
lesquels  l'objet  le  plus  remarquable  était  une  couronne  presque  semblable  à 
celle  de  Receswinte,  bien  que  de  plus  grand  diamètre.  Elle  n'est  pas  ornée 
d'autant  de  perles  et  n'a  point  une  sorte  de  pommeau  pour  la  prendre,  mais 
on  y  distingue  des  restes  de  lettres  dont  l'étude' attentive  a  permis  de  lire: 
INTHILANVS  Ri  X  OFERET.  M.  Mérimée  fait  remarquer  à  cette  occasion 
que  la  lecture  est  évidemment  fautive  et  que  l'inscription  doit  porter  le  nom 
de  SW1NTILA. 

L'ornementation  de  cette  couronne  rappelle  celle  du  musée  de  Cluny.  On 
remarque  au  milieu  deux  croix  très-curieuses  et  de  forme  singulière,  au 
bras  desquelles  sont  attachées  des  pendeloques  de  saphir,  de  perles  et  d'au- 
tres pierres  précieuses.  Une  autre  croix,  dont  M.  Carderera  donne  un  dessin 
très-grossier,  porte  des  lettres  qui  n'ont  pu  être  déchiffrées.  On  a  découvert 
depuis  une  grande  quantité  de  pendeloques  analogues,  de  beaux  saphirs, 
une  boîte  pleine  de  pièces  de  diverse  nature  de  perles,  etc.,  entre  lesquelles 
il  faut  signaler  surtout  trois  grands  saphirs  magnifiques  et  une  émeraude 
également  fort  grande  sur  laquelle  est  gravé  en  creux,  d'un  travail  très- 
barbare,  un  sujet  qui  paraît  être  l'Annonciation. 

La  seconde  couronne  est,  comme  celle  du  musée  de  Cluny,  de  l'or  le  plus 
pur. 

M.  de  Lasteyrie  appelle  l'attention  de  l'Académie  sur  l'importance  des 
inscriptions  qui  accompagnent  celte  nouvelle  trouvaille.  Si,  comme  l'annonce 
.  M.  Mérimée,  tous  les  objets  proviennent  du  même  lieu,  il  en  résulterait  donc 
qu'en  ce  lieu  se  trouvaient  plusieurs  chapelles  ou  tout  au  moins  plusieurs 
autels  dans  la  même  église.  11  y  a  évidemment  là  une  question  importante 
à  élucider.  Enfin  M.  de  Lasteyrie,  à  la  première  vue  du  croquis  joint  à  la 
lettre  de  M.  Carderera,  remarque  un  caractère  et  un  style  très-différents  de 
celui  auquel  appartiennent  les  monuments  jusqu'ici  connus  du  trésor  de 
Guarrazar.  A.  B. 

Erratum.  —  Dans  le  dernier  numéro  de  la  Hernie,  Bulletin  mensuel  de  l'Académie 
des  inscriptions,  p.  496,  ligne  27,  une  erreur  typographique  nous  a  fait  dire  :  «  Quant 
à  ceux  qui  veulent  que  le  mont  Auxois  n'ait  pu  contenir  les  quarante  mille  hommes 
de  Vercingétorix,  etc.  »  C'est  (juutre-vingt  mille  hommes  qu'il  faut  lire. 


NOUVELLES  ARCHÉOLOGIQUES 


On  lit  clans  le  Moniteur  : 

«  Fontainebleau,  le  19  juin  1861, 
10  h.  15  m.  du  soir. 

«  L'empereur,  accompagné  de  MM.  Mérimée  et  de  Saulcy,  sénateurs, 
membres  de  l'Institut;  de  M.  le  général  Fleury,  premier  écuyer,  aide  de 
camp;  de  M.  le  commandant  baron  de  Vassart,  officier  d'ordonnance; 
de  M.  Maury,  membre  de  l'Institut,  son  bibliothécaire,  est  parti  de  Fon- 
tainebleau ce  matin,  à  huit  heures,  par  le  chemin  de  fer  de  Lyon,  pour 
se  rendre  à  Alise-Sainte-Reine  (Côte-d'Or);  l'empereur  voulait  visiter  les 
fouilles  qui  se  font  par  son  ordre  dans  cette  localité,  en  vue  de  retrouver 
des  vestiges  de  la  mémorable  action  dont  le  théâtre  fait  encore  l'objet 
des  discussions  des  antiquaires. 

«Arrivé  à  Alise-Sainte-Reine  à  midi,  l'empereur  a  été  reçu  par  M.  Bouil- 
let,  sous-préfet  de  Semur,  et  par  MM.  le  général  Creuly,  A.  Kertrand  et 
A.  Jacobs,  membres  de  la  Commission  de  la  carte  des  Gaules,  auxquels 
s'élait  adjoint  M.  G.  Rey,  géographe  distingué. 

«Sa  Majesté  s'est  rendu  à  pied  aux  points  où  des  tranchées  avaient  été 
ouvertes;  puis,  gravissant  le  mont  Auxois,  elle  a  atteint  le  sommet  élevé 
d'où  l'on  embrasse  tout  l'aspect  du  pays.  Là  l'empereur  a  relu  le  passage 
des  Commentaires  de  César  où  est  relaté  le  siège  d'Alise. 

«  Ilareconnu  que  les  détails  quiysont  rapportés  s'adaptent  parfaitement 
à  l'état  des  lieux,  et  a  achevé  ainsi  de  résoudre  une  question  qui  l'inté- 
resse au  plus  haut  point  et  préoccupe  vivement,  depuis  plusieurs  années, 
le  monde  savant. 

«L'empereurarepris  alors  l'exploration, à  pied,  de  tout  l'ancien  oppidum 
gaulois.  A  la  suite  de  cette  reconnaissance,  qui  n'a  pas  duré  moins  de 
trois  heures,  Sa  Majesté  est  rentrée  à  Alise-Sainte-Reine  dont  elle  a  visité 
l'hospice,  pieuse  fondation  qui  compte  déjà  plus  de  deux  siècles  d'exis- 
tence. L'empereur  a  particulièrement  examiné  le  musée  d'antiquités  que 
l'on  a  commencé  de  fonder,  selon  son  désir,  dans  une  salle  dépendant  de 
l'établissement. 

«  Reconnu  par  la  population  du  bourg,  l'empereur  y  a  trouvé  un  accueil 
enthousiaste,  et  a  laissé  à  l'hospice  et  pour  l'église  les  témoignages  de  sa 
munificence  habituelle. 

«  A  six  heures,  Sa  Majesté  reprenait  le  chemin  de  fer  à  la  station  des 
Laumes  et  rentrait  à  Fontainebleau  à  dix  heures  du  soir.  » 


7't  HEVUE   ARCHEOLOGIQUE. 

—  Les  lecteurs  de  la  Revue  n'ont  sans  doute  pas  oublié  l'article  publié 
dans  le  numéro  d'avril  par  M.  de  Saint-Marceaux,  sur  les  Silex  travaillés 
trouvés  dans  le  diluvium  à  Quincy  sous  le  Mont  (Aisne).  Quelques  tmaux 
exécutés  depuis  lors  dans  la  même  grévière  ont  été  pour  notre  savant  et 
zélé  collaborateur  l'occasion  de  nouvelles  découvertes,  moins  intéressan- 
tes peut-être  que  les  premières,  mais  cependant  dignes  d'être  mention- 
nées. En  voici  la  description  : 

1°  Un  fragment  de  couteau  en  silex  pareil  à  celui  des  instruments 
trouvés  dans  les  tourbières  d'Abbeville,  et  portant  neuf  centimètres  de 
long  sur  trois  centimètres  de  large; 

2°  Un  autre  fragment  de  couteau,  d'un  silex  blond,  qui  ne  paraît  pas 
provenir  de  la  localité,  portant  six  centimètres  de  long  sur  deux  de  large; 

3°  Un  petit  instrument  très-bien  affilé,  portant  quatre  centimètres  de 
long  sur  un  et  demi  de  large; 

4°  Un  morceau  de  silex  brun  en  forme  d'instrument  à  raboter  le  bois, 
portant  six  centimètres  carrés. 

Ces  découvertes,  quoique  peu  importantes  en  apparence,  promettent, 
pour  le  jour  où  l'on  reprendra  les  travaux  dans  la  grévière,  de  fournir  à 
la  science  archéologique  de  nombreuses  et  riches  acquisitions,  d'autant 
plus  précieuses  et  certaines  que  M.  de  Saint-Marceaux  est  mieux  préparé 
par  ses  études  géologiques  à  bien  déterminer  l'âge,  la  nature  et  la  for- 
mation des  terrains  qui  seront  explorés. 


BIBLIOGRAPHIE 


Études  étymologiques,  historiques  et  comparatives  sur  les  noms  des 
villes,  bourgs  et  villages  du  département  du  Nord,  par  E.  Marinier.  Paris, 
Aubry,  1861.  In-80.— Noms  anciens  de  lieux  du  département  de  la  Dordogne, 

par  le  vicomte  A.  de  Gourgues.  Bordeaux,  1861.  Grand  in-8°. 

Les  recherches  étymologiques  sur  les  noms  de  lieux  de  la  France  ont 
pris  depuis  quelque  temps  grande  faveur  parmi  les  antiquaires  des  dépar- 
tements; elles  ont  reçu  une  impulsion  nouvelle  de  la  préparation  du  Diction- 
naire historique  et  géographique  de  la  France  que  dirigent  les  comités  histo- 
riques établis  près  du  ministère  de  l'instruction  publique.  Recueillir  dans 
les  anciens  textes,  dans  les  chartes  et  les  pièces  manuscrites,  les  noms 
portés  par  les  différentes  localités  pendant  le  moyen  âge,  est  la  seule  voie 
qui  puisse  conduire  à  des  résultats  certains  :  telle  est  la  méthode  qu'ont 
suivie  M.  Mannier  pour  le  département  du  Nord,  et  M.  de  Gourgues  pour 
celui  de  la  Dordogne.  Leurs  ouvrages  seront  consultés  avec  fruit  par  tous 
ceux  qui  s'occupent  de  la  géographie  historique  de  la  France.  M.  de  Gour- 
gues s'est  borné  à  enregistrer  les  noms,  comme  l'avait  fait  l'année  précé- 
dente M.  Lepage  pour  le  département  de  la  Meurthe;  il  a  réservé  les  consi- 
dérations générales  pour  son  introduction,  qui  est  un  excellent  morceau  sur 
la  géographie  historique  du  Périgord,  qui  a  succédé  à  l'ancien  territoire  des 
Petrocorii.  M.  Mannier  s'est  plus  étendu;  il  a  consacré  à  chaque  localité 
une  notice  intéressante,  où  l'étymologie  est  mise  en  évidence  avec  beaucoup 
d'intelligence.  Tandis  que  M.  de  Gourgues  remonte  surtout  aux  étymo- 
logies  celtiques,  M.  Mannier  reste  plus  habituellement  dans  le  latin,  le 
flamand  et  le  wallon;  c'est  la  conséquence  du  caractère  ethnologique  différent 
des  départements  étudiés  par  les  deux  auteurs. 

Les  lecteurs  de  la  Revue  ont  déjà  eu,  dans  quelques  communications  de 
M.  Houzet,  le  spécimen  de  ce  qu'on  peut  appeler  la  vraie  philologie  géogra- 
phique. Les  recherches  de  MM.  Mannier  et  de  Gourgues  étendront  le  champ 
des  investigations.  Ce  qui  fait  surtout  le  mérite  du  premier,  c'est  d'avoir 
suivi  dans  tous  les  textes  les  transformations  successives  de  chacun  des 
noms.  Mais  si  le  livre  de  M.  de  Gourgues  n'offre  pas  ce  secours  aux  philo- 
logues, il  a,  par  contre,  traité  la  partie  géographique  avec  un  détail  et  un 
soin  que  je  ne  dois  pas  manquer  de  signaler.  M.  Mannier  avait  choisi  un 
département  moins  homogène  quant  aux  origines  territoriales;  il  n'a  pu 
se  placer  au  point  de  vue  si  fécond  de  l'auteur  du  mémoire  sur  les  Noms 
anciens  de  lieux  de  la  Dordogne. 


76  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

Les  deux  ouvrages  se  recommandent  conséquemment  par  des  mérites 
divers,  et  ont  l'un  et  l'autre  des  titres  à  être  classés  au  nombre  des  bons 
travaux  archéologiques  de  cette  année.  A.  M. 

Ethnogénie  gauloise,  ou  Mémoires  critiques  sur  l'origine  de  la  parenté  des 
Cimmériens,  des  Cimbres.  des  Ombres,  des  Belges,  des  Ligures  et  des 
anciens  Celtes,  par  Roget,  baron  de  Belloguet.  —  Introduction.  —  Preuves 
physiologiques.— Types  gaulois  et  celto-bretons.  Paris,  Duprat,  1861. 

L'ouvrage  que  nous  annonçons  ici  est  une  tentative  d'application  de 
l'étude  des  monuments  à  l'ethnologie  ancienne  de  la  France. 

Après  avoir,  dans  un  premier  ouvrage,  soumis  à  un  nouvel  examen  les 
éléments  philologiques  que  nous  possédons  pour  résoudre  la  question  si 
controversée  de  la  distribution  des  races  en  Gaule,  M.  Roget  de  Belloguet 
entreprend  la  critique  raisonnée  des  données  qui  nous  restent  pour  déter- 
miner les  éléments  dont  se  composait  la  population  gauloise.  Le  guide  qu'il 
adopte  dans  son  travail,  c'est  ce  qu'on  peut  appeler  le  type  de  race,  et  ce 
choix  indique  naturellement  qu'il  considère  le  type  comme  essentiellement 
permanent,  tant  que  des  mélanges  profonds  ne  viennent  pas  l'altérer. 
M.  Roget  de  Belloguet  a  patiemment  recueilli  tous  les  passages  des  auteurs 
grecs  ou  latins  indiquant  les  caractères  physiques  des  peuples  dits  celti- 
ques; il  les  a  confrontés  avec  un  certain  nombre  de  monuments  anciens 
où  sont  représentés  des  Gaulois  ou  des  Bretons  :  statues,  bas-reliefs,  mon- 
naies; puis,  rapprochant  ces  caractères  fournis  par  l'antiquité  de  ceux  qui 
sont  observables  ciiez  la  population  actuelle  de  la  France,  il  en  a  tiré  des 
conclusions  qui  viennent  confirmer  en  partie  celles  auxquelles  l'avait  con- 
duit la  philologie  comparée.  Ces  conclusions  sont  en  désaccord  formel  avec 
le  système  de  MM.  Edwards  et  Amédée  Thierry,  qui  a  joui  pendant  long- 
temps d'une  grande  faveur,  et  conserve  aux  yeux  de  beaucoup  son  auto- 
rité. 

Pour  M.  Roget  de  Belloguet,  les  Celtes  ou  Gaulois  appartenaient  tous, 
sans  distinction  de  Belges  ou  de  Gaulois  proprement  dits,  à  une  même  race 
dont  le  type  était  tout  septentrional,  race  blonde  et  de  haute  stature,  d'un 
tempérament  lymphatique  peu  propre  à  supporter  les  chaleurs  du  midi, 
race  à  la  tête  allongée,  distincte  d'une  autre  race  aux  yeux  et  aux  cheveux 
bruns  ou  noirs,  d'un  tempérament  sec  et  nerveux,  qui  formait  la  popu- 
lation de  la  Gaule  avant  l'arrivée  des  Celtes.  C'était  à  cette  race  indigène 
qu'appartenaient  les  Ibères;  mais  l'auteur  ne  fait  pas  pour  cela  des  Gaulois 
primitifs  des  Ibères  proprement  dits,  et  il  est  enclin  à  y  reconnaître  les 
membres  de  la  grande  famille  ligurienne,  à  laquelle  il  attribue  une  origine 
africaine. 

Si  les  témoignages  anciens  avaient  la  précision  des  définitions  des  anthro- 
pologistes  modernes,  si  le  mélange  des  races  et  les  influences  accidentelles  de 
climat  et  d'exposition  n'avaient  pas  rendu  très-Jilïicile  le  départ  entre  les 
descendants  actuels  des  diverses  populations  qui  se  sont  succédé  sur  notre  sol, 


BIBLIOGRAPHIE.  77 

nous  accepterions  sans  hésiter  une  bonne  partie  des  conclusions  de  l'auteur; 
mais  l'incertitude  des  témoignages  et  le  vague  des  descriptions,  la  confusion 
fréquente  faite  dans  l'antiquité  entre  le  caractère  des  Gaulois  et  des  Ger- 
mains, nous  rend  plus  réservé.  Toutefois,  on  doit  le  reconnaître,  M.  Roget 
de  Belloguet,  grâce  aux  monuments  dont  il  a  fait  un  heureux  emploi,  et 
qui  sont  les  guides  les  plus  sûrs,  bien  qu'on  les  ait  négligés  avant  lui,  a 
donné  une  grande  probabilité  à  l'opinion  qu'il  soutient,  que  les  deux  ra- 
meaux de  la  race  celtique,  les  Gaulois  et  les  Belges,  n'étaient  séparés  que 
par  des  différences  légères,  que  leur  type  avait  un  caractère  éminemment 
septentrional,  et  que  ce  type  s'est  modifié  par  le  croisement  avec  une 
population  à  yeux  et  cheveux  noirs.  Mais  cette  population,  quelle  était- 
elle?  C'est  ici  que  les  données  recueillies  par  l'auteur  sont  moins  con- 
cluantes. 

L'ouvrage  de  M.  de  Belloguet  se  divise  en  cinq  sections  :  la  première  est 
consacrée  aux  preuves  historiques  de  la  persistance  des  types  et  à  un  aperçu 
des  résultats  des  divers  croisements;  la  deuxième  traite  du  type  gaulois 
suivant  les  auteurs  anciens;  la  troisième,  du  type  gaulois  d'après  les  mé- 
dailles et  les  figures  sculptées;  la  quatrième,  du  type  gaulois  d'après  les  crânes 
trouvés  dans  les  tombeaux  ou  les  monuments  dits  celtiques;  la  cinquième, 
des  rapports  de  l'ancien  type  gaulois  avec  ceux  des  populations  celtiques 
actuelles.  L'auteur  a  incontestablement  plus  approfondi  les  intéressantes 
questions  d'ethnologie  auxquelles  son  livre  est  consacré,  qu'on  ne  l'avait 
encore  fait,  et  ses  recherches  portent  l'empreinte  d'un  travail  persévérant 
et  consciencieux  dont  il  a  du  reste  déjà  donné  bien  des  preuves. 

Il  est  à  regretter  que,  puisqu'il  a  eu  la  bonne  idée  d'interroger  les  monu- 
ments, lauteur  n'ait  pas  mis  plus  à  contribution  les  figurines  de  terre  cuite 
découvertes  en  assez  grande  abondance  dans  diverses  parties  de  la  Gaule, 
et  notamment  sur  le  territoire  des  anciens  Arverni.  Les  physionomies  au- 
thentiquement  gauloises  sont  si  peu  nombreuses  qu'il  ne  faut  en  négliger 
aucune. 

Par  contre,  l'auteur  me  paraît  avoir  un  peu  subi  la  préoccupation  de  re- 
trouver, à  l'heure  qu'il  est,  des  types  homogènes,  et  il  n'a  pas  assez  tenu 
compte,  ce  me  semble,  de  ces  influences  locales,  de  ces  différences  qui  se 
manifestent  dans  un  même  pays,  de  la  montagne  à  la  plaine,  de  la  vallée  à 
la  colline,  et  qui  font  au  premier  aperçu  croire  à  l'existence  de  l'infusion 
d'un  sang  différent.  Il  est  aussi  un  caractère  physique  des  Celtes  qu'il  paraît 
avoir  négligé,  c'est  la  petitesse  de  la  main,  petitesse  révélée  par  celle  de  la 
poignée  des  épées  gauloises,  que  notre  main  peut  à  peine  embrasser.  Enfin, 
s'il  avait  eu  à  sa  disposition  un  plus  grand  nombre  de  ces  monnaies  gau- 
loises sur  lesquelles  les  beaux  travaux  de  MM.  de  Saulcy,  de  la  Saussaye, 
de  Barthélémy  et  C.  Bobert  jettent  un  jour  de  plus  en  plus  vif,  il  aurait  été 
peut-être  en  possession  de  presque  tous  les  éléments  pour  résoudre  le  pro- 
blème. Mais  malgré  les  lacunes  qu'il  est  encore  possible  de  signaler  dans 
VEthnogènie  gauloise  de  M.  Boget  de  Belloguet,  ce  livre  n'en  demeure  pas 
moins  ce  qui  a  été  fait  de  plus  complet  sur  l'histoire  physiologique  de  notre 


78  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

race.  L?auieur  a  été  conduit  par  son  sujet  à  étudier  les  populations  de  l'An- 
gleterre et  de  l'Ecosse,  et  il  distingue  originairement  dans  les  deux  pays 
deux  éléments  différents. 

M.  Roget  de  Belloguet  a  prêté  inoins  d'importance  au  caractère  fourni  par 
l'inspection  des  crânes  qu'a  ceux  qui  résultent  de  l'expression  générale;  en 
cela,  il  nous  semble  avoir  eu  parfaitement  raison;  mais  la  physionomie 
elle-même  n'a-t-elle  pas  subi  des  modifications  dans  les  contrées  où  l'élé- 
ment germain  s'amalgama  plus  profondément  avec  l'élément  celtique,  et  ne 
doit-on  pas  croire  que  l'invasion  de  populations  toutes  germaniques  telles 
que  les  Francs,  les  Burgundes,  les  Goths,  ont  dû  ramener  pour  un  temps  le 
type  celtique  à  sa  ressemblance  avec  le  type  germanique  qu'il  avait  à  l'ori- 
gine? 

Le  type  celtique  originaire,  tout  septentrional,  comme  le  dit  fort  bien 
M.  Roget  de  Belloguet,,  se  rapprochait  beaucoup  de  celui  des  autres  na- 
tions qui  leur  avaient  succédé  dans  les  plaines  de  l'Allemagne  du  Nord,  de 
la  Pologne  et  des  contrées  danubiennes.  Le  savant  ethnologiste  me  semble 
avoir  un  peu  gourmande  à  tort  Claudien  de  ce  qu'il  leur  donne  à  toutes 
l'épithète  de  flavus,  flava,  blonde.  C'est  que  les  cheveux  blonds,  voilà  ce 
qui  distingue  par-dessus  tout,  pour  les  Romains,  les  nations  du  nord  de 
l'Europe.  Claudien  mérite  moins  qu'aucun  autre  le  reproche  de  n'avoir  point 
donné  exactement  les  traits  physiques  des  barbares,  lui,  au  contraire,  un  des 
poêles  qui  les  ont  le  mieux  connus,  le  mieux  peints.  Chaque  fois  qu'il  parle 
de  quelques-uns  de  ces  barbares  au  milieu  desquels  il  a  vécu,  il  le  désigne  par 
le  caractère  le  plus  saillant,  et  les  monuments  le  justifient  quand  il  parle  de 
l'Arabe  coiffé  de  la  mitre,  de  l'Arménien  à  la  belle  chevelure,  aux  cheveux 
crépus  (vibratis  crinibus),  du  Dace  qui  se  peint  le  corps,  du  Mède  qui  se 
farde,  du  noir  Hindou  aux  tentes  ornées  de  pierreries  (De  laudib.  Stili- 
cho?i.,  lib.  I);  comment  aurait-il  moins  connu  les  Gaulois,  lui  qui  avait  voyagé 
dans  leur  pays  et  si  bien  observé  l'instinct  de  leurs  mulets?  Je  ne  comprends 
donc  pas  pourquoi  M.  de  Belloguet  récuse  un  témoignage  qui  vient  au 
contraire  en  aide  à  sa  thèse.  Car  quand  Claudien  dil  en  parlant  des  habitants 
de  cette  flava  Gallia  croie  ferox 

Inde  truces  flavo  comitantur  vertice  Galli 

Quos  Rhodanus  velox,  araris  quos  tardior  ambit 

Et  quos  nascentes  explorât  gurgite  Rhenus 
Quosque  rigat  rétro  pernicior  unda  Garumna, 
{InRufin.,  II,  v.  110-112.) 

il  ne  fait  que  confirmer  l'unité  de  la  race  celtique  pour  laquelle  combat 
l'auteur  de  YEthnogénie  gauloise:  c'était  un  peuple  de  même  caractère,  mens 
eadem  cunctis,  comme  dit  encore  le  poète  alexandrin;  il  n'avait  rien  à  dire 
de  ces  Ligures,  de  ces  Ibères  perdus  dans  la  grande  nationalité  celtique  qui 
le  frappait  surtout,  et  dont  l'image  typique  était  toujours  pour  lui  telle 
qu'elle  apparut  aux  Romains  sur  les  bords  de  l'Allia. 
Ce  type  resta-t-il  pur  tant  que  des  mélanges  ne  vinrent  pas  l'altérer,  ne 


BIBLIOGRAPHIE.  79 

subit-il  pas  l'influence  d'un  ciel  plus  chaud,  d'une  lumière  plus  vive,  et  par 
sa  seule  présence  au  sud,  le  Celte  frère  du  Germain  ne  perdit-il  pas  quel- 
ques-uns des  traits  qui  accusaient  sa  parenté  ?  M.  de  Belloguet  ne  l'admet 
pas  assez,  à  ce  qu'il  me  semble.  L'étude  comparative  des  langues  euro- 
péennes n'a-t-elle  pas  démontré  que  des  populations  dites  septentrionales 
tels  que  les  Germains,  les  Slaves,  étaient  venues  de  l'Asie  centrale,  où  elles 
n'offraient  pas  cette  chevelure  blonde,  cette  taille  élancée,  ce  teint  lympha- 
tique, ces  yeux  bleus  qu'on  leur  trouve  en  Europe  et  qui  accusent  l'in- 
fluence prolongée  d'un  climat  plus  humide  et  plus  froid?  Car  enfin,  quand 
ils  émigrèrent  à  l'ouest,  les  peuples  de  l'Asie  n'ont  dû  rencontrer,  si  elles 
existaient  même,  que  quelques  peuplades  misérables  et  dair-semées  qu'ils 
ont  promptement  absorbées  et  détruites,  et  dont  le  type  n'a  guère  pu  mo- 
difier le  leur.  La  difficulté  est  d'apprécier  dans  quelles  limites  le  type  peut 
varier,  et  cette  difficulté  M.  Roget  de  Belloguet  ne  l'a  pas  résolue;  mais  son 
livre  n'en  est  pas  moins  un  précieux  exposé  de  l'histoire  physique  de  notre 
race  à  l'aide  de  l'archéologie.  Il  y  a  des  parties  excellentes,  et  d'autres 
contestables;  mais  toutes  sont  également  instructives.  A.  M. 

Jehan  de  Paris,  varlet  de  chambre  et  peintre  ordinaire  des  rois  Charles  VIII 
et  Louis  XII,  par  J.  Renouvier,  précédé  d'une  notice  biographique  sur  la  vie  et 
les  ouvrages  et  de  la  bibliographie  complète  des  OEuvres  de  M.  Renouvier,  par 
Georges  Duplessis.  Paris,  Aubry,  1861,  in-8°,  fig. 

Jean  Perréal,  ou  Jean  de  Paris,  ou  Jean  Perréal  de  Paris,  était  probable- 
ment natif  de  cette  ville  et  signait  en  1493  J.  Paris  (le  J  étant  lié  au  P  qui 
le  suit),  ainsi  le  lénioigne  un  curieux  autographe  qui  décore  la  brochure 
dont  nous  entretenons  le  lecteur.  Cet  artiste  apparaît  pour  la  première 
fois,  dans  les  documents  connus,  en  1483,  comme  valet  de  chambre  au 
service  de  la  fourrière  de  la  reine  Charlotte,  femme  de  Louis XI.  En  14s<», 
on  le  retrouve  à  Lyon,  chargé  par  !a  ville  des  travaux  d'art  pour  l'entrée 
de  Charles  VIII.  De  1493  à  1500,  il  suivit  successivement  Charles  VIII  et 
Louis  XII  en  Italie.  De  1506  à  1511,  il  fournit  les  premiers  plans  ou  projet 
primitif  de  la  merveilleuse  église  de  Brou.  11  fut  employé  par  la  cour  de 
France  et  par  la  ville  de  Paris  en  1513  à  l'occasion  des  funérailles  d'Anne 
de  Bretagne;  en  1514,  pour  le  second  mariage  de  Louis  XII,  et  en  1515, 
pour  les  obsèques  de  ce  prince.  Il  mourut  vers  1527. 

A  l'autographe  dont  nous  avons  parlé,  M.  Renouvier  a  joint  deux  autres 
planches  qui  contribuent  à  illustrer  et  à  vivifier  ce  curieux  opuscule. 
L'une  (page  16)  reproduit  deux  croquis  échappés  à  la  fantaisie  de  Jean  de 
Paris  et  retrouvés  sur  un  compte  qui  le  concerne.  L'autre,  qui  sert  de 
frontispice  à  la  brochure,  est  le  fac-similé  d'une  gravure  sur  bois,  exé- 
cutée en  1515,  qui  représente  Marie  d'Angleterre.  L'original,  peu  connu, 
se  trouve  en  tête  d'un  livre  du  temps  :  Epistola  consolatoria  de  morte  Ludo- 
vici...  de  Moncetto  di  Castiglione  d'Arczzo,  imprimé  par  Henri  Estienne,  à 
Paris;   liil.'i.  pet.  in-4°.  Ce  dessin  confirme,  par  un  précieux  témoignage, 


80  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

les  autres  éléments  que  nous  possédions  déjà  pour  nous  instruire  touchant 
l'effigie  individuelle  de  cette  belle  et  intéressante  princesse.  A  cette  occa- 
sion, nous  signalerons  ici,  aux  amateurs  d'iconographie,  une  liste  de  divers 
portraits  que  nous  avons  recueillis  et  qui  représentent  Marie  d'Angleterre, 
reine  de  France  pendant  une  année. 

1°  Peinte  en  1514-1515,  dans  un  manuscrit  présenté  à  Marie  d'Angle- 
terre par  l'Université  :  N°  9715,  ancien  fonds  français; 

2°  Portrait  peint  à  la  même  époque  dans  le  manuscrit  1251 ,  suppl.  fran- 
çais. Voyez  l'ouvrage  intitulé  :  Lives  of  the  •princesses  of  England,  par 
Mmc  Everett  Green.  Londres,  1854.  In-8°,  t.  V.  p.  70; 

3°  Gravé  sur  bois,  d'après  nature  ou  d'autres  portraits  du  temps,  dans 
Moncetto  di  Castiglione.  Epistola,  etc.  1515.  Paris,  H.  Estienne,  pet.  in-8°; 
reproduit  dans  l'opuscule  de  M.  Renouvier  ; 

4°  Peinte  en  1515-1516,  lors  de  son  second  mariage,  et  représentée  avec 
Charles  Brandon,  marquis  de  Suffolk,  son  nouvel  époux;  gravé  par 
Mme  Green,  Lives,  etc.,  en  tête  du  volume  cité  ; 

5°  Tapisserie  du  seizième  siècle  représentant  Marie  et  Suffolk  ;  citée  par 
Mme  Green.  Ibid.,  p.  105,  note  2; 

6°  Gravé  vers  1645,  «  d'après  son  portrait  de  Londres,»  dans  la  suite 
des  Rois  et  Reines  qui  accompagnent  la  grande  édition  de  Mézeray,  Histoire 
de  France  ; 

7°  Gravé  dans  les  Femmes  célèbres  de  Lanté  :  Voyez  Green,  vol.  cité, 
p.  70  (1). 

Le  mémoire  qui  fait  l'objet  de  ce  compte  rendu  est  une  œuvre  posthume 
de  M.  J.  Renouvier.  M.  G.  Duplessis  a  bien  voulu  se  charger  de  la  mettre 
au  jour.  Il  a  retracé  la  vie  de  l'auteur  dans  une  notice  substantielle  qui 
sert  de  préface  à  cette  plaquette,  destinée  à  prendre  place  sur  les  tablettes 
de  tous  les  amateurs  et  bibliophiles.  A.  V.  V. 


(1)  Cette  liste  est  tirée  d'une  collection  de  bulletins  iconographiques,  par  person- 
nages, dont  je  poursuis  la  formation.  Ces  matériaux  ont  été  réunis  en  vue  d'une 
publication  dont  le  plan,  approuvé  par  des  juges  compétents,  a  néanmoins  été  inu- 
tilement soumis  et  présenté  jusqu'ici  aux  divers  comités  historiques  institués  près 
le  ministère  de  l'instruction  publique.  Le  livre  dont  il  s'agit,  et  qui  tôt  ou  tard  trou- 
vera son  heure,  aurait  pour  titre  :  Iconographie  historique  de  la  France,  ou  Recueil 
des  portraits  de  personnages  célèbres,  morts  avant  1515,  reproduits  en  noir  et  en 
couleurs,  avec  notices,  d'après  les  monuments  originaux  qui  se  sont  conservés.  (Marie 
d'Angleterre  figure  dans  ce  cadre,  comme  reine  de  France,  par  Louis  XII,  son  pre- 
mier époux,  mort  en  1515.) 


•  _  i86i 


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/;r,/„.„„„    „„   ,/„.,,  r   <U    la  ffranjUur  rrr//e 


EPEES    ROMAINES     /y.  2J  EPÉES     GAULOISES    / 3.  â-J 


LES 


MUSÉES  ET  LES  COLLECTIONS 

ARCHÉOLOGIQUES 


LE  MUSÉE  DE  NAMUR 

C'est  un  fait  nouveau  et  qui  mérite  d'être  signalé  et  encouragé 
que  la  création  récente  d'un  grand  nombre  de  musées  et  de  collec- 
tions archéologiques,  locales  ou  provinciales,  soit  en  Fiance, soit  à 
L'étranger.  Tous  ces  musées,  nés  pour  ainsi  dire  spontanément  en 
l'absence  de  toute  impulsion  directe  des  divers  gouvernements  qui 
commencent  maintenant  seulement  à  les  protéger,  sont  une  preuve 
éclatante  du  changement  qui,  depuis  une  cinquantaine  d'années, 
s'est  opéré  partout  dans  les  esprits,  relativement  à  l'utilité  des  re- 
cherches et  des  découvertes  archéologiques.  Il  y  a  quarante  ou  cin- 
quante ans,  l'on  ne  s'imaginait  pas  que  l'on  pût,  archéologiquement 
parlant,  étudier  autre  chose  que  la  Grèce,  l'Italie  ou  l'Egypte.  Nous 
avions  un  Musée  des  antiques  et  un  Musée  égyptien,  une  collection 
de  vases  grecs  et  de  vases  étrusques;  mais  en  dehors  de  ces  richesses 
que  possédions-nous?  à  peu  près  rien  :  et  il  ne  nous  semble  pas  que 
l'Angleterre  ou  l'Allemagne  fut  sous  ce  rapport  plus  avancée  que 
nous.  Le  goût  des  antiquités  du  moyen  âge  qui,  par  réaction,  prit 
des  proportions  exagérées,  nous  fit  sortir  de  cette  immobilité  où  la 
science  semblait  exposée  à  s'amoindrir  et  à  s'étioler  peu  à  peu. 
Poussés  par  le  besoin  instinctif  que  tous  les  bons  esprits  ressentaient 
de  briser  le  cercle  où  l'on  s'était  laissé  enfermer,  les  plus  ardents 
avaient  tout  d'abord  mis  la  main  sur  l'étude  qui  était  le  plus  à  leur 
portée  et  qui  nous  touchait  de  plus  près  ;  mais  ce  n'était  pour  ainsi 
dire  qu'une  manière  de  sortir  de  prison;  une  fois  au  grand  air  et  de 

IV. —    Aoi'<t.  " 


82  HEVUE    ARCHEOLOGIQUE. 

nouveau  en  possession  de  sa  liberté,  chacun  s'est  aperçu  qu'il  avail 
devant  lui  un  horizon  bien  plus  vaste  et  un  champ  de  recherches 
bien  plus  étendu.  Toutes  les  branches  de  l'archéologie  propre- 
ment dite  se  sont  successivement  développées.  La  numismatique, 
l'épigraphie,  la  céramique  ont  demandé  leur  place  au  soleil,  et 
bientôt  une  grande  place.  En  même  temps  l'amour  des  .histoires 
locales  s'est  l'ait  jour  partout.  On  a  voulu  connaître  les  origines  de 
chaque  ville,  puis  de  chaque  bourgade;  en  l'absence  de  documents 
écrits  on  a  interrogé  tou^  les  débris  que  le  sol  pouvait  contenir,  on 
a  fouillé  les  tombeaux  de  nos  premiers  pères,  on  a  étiqueté  et  classé 
tant  bien  que  mal  toutes  les  richesses  que  les  fouilles  ou  le  hasard 
faisaient  découvrir.  Les  musées  n'ont  plus  représenté  seulement 
l'histoire  de  l'art;  ils  ont  été  un  dépôt  de  renseignements  précieux 
sur  les  mœurs  et  les  usages  des  populations  primitives,  sur  les  houle- 
versements  et  les  transformations  subies  par  chaque  contrée.  Le 
Gaulois,  le  Romain,  le  Franc,  le  Burgonde,  le  Saxon  sont  sortis  pour 
ainsi  dite  tout  armés  de  leurs  sépulcres  pour  nous  apprendre  ce  que 
les  livres  avaient  négligé  de  nous  dire,  et  l'on  s'est  aperçu  qu'il  y  avait 
toute  une  histoire  à  faire  à  côté  de  l'histoire  proprement  dite  et  comme 
un  monde  nouveau  à  découvrir  dans  le  passé.  Quand  les  musées  étaient, 
avant  toute  chose,  des  sanctuaires  où  l'on  exposait  les  chefs-d'œuvre 
de  l'art  antique,  il  n'y  avait  que  les  grandes  villes,  les  riches  capitales 
qui  pussent  avoir  la  pensée  orgueilleuse  de  posséder  ces  rares  trésors. 
Mais  depuis  qu'on  s'est  habitué  à  porter  intérêt  à  tout  ce  qui  a  appar- 
tenu à  nos  pères,  qu'on  s'est  aperçu  qu'un  vase  de  poterie  grossière, 
un  couteau  en  silex  ou  une  hache  en  pierre  pouvaient,  aux  yeux  de 
l'historien,  être  aussi  instructifs  qu'un  vase  étrusque  ou  grec,  il  n'est 
pour  ainsi  dire  plus  de  province  qui  ne  puisse  avoir  la  légitime 
ambition  de  créer  un  dépôt  où  soient  représentées  les  mœurs  et  l'in- 
dustrie du  pays  aux  divers  âges  qu'il  a  parcourus  depuis  les  temps 
reculés  où  les  peuplades  qui  l'habitaient  n'étaient  encore  que  de 
véritables  sauvages.  Rien  n'est  plus  instructif  et  plus  intéressant 
que  ces  collections  locales  que  peut  facilement  former  et  à  peu  de 
frais  toute  ville  petite  ou  grande  ayant  eu  un  passé.  Quand  ces  col- 
lections se  seront  multipliées,  quand  les  villes  qui  leur  donnent 
asile  et  les  encouragent  en  auront  fait  publier  les  divers  catalogues 
(ce  qui,  par  la  force  même  des  choses,  ne  pourra  manquer  d'arriver), 
la  science  archéologique,  qui  est  encore  à  l'état  d'enfance,  sera  véri- 
tablement créée. 

Ces  réflexions  nous  sont  inspirées  par  une  excursion  que  nous 
avons  récemment  faite  en  Belgique  et  où  nous  avons  été  agréable- 


LE   MUSÉE   DE   NAMUR.  83 

ment  surpris  en  trouvant  dans  une  ville  où  un  tout  aulre  intérêt  nous 
appelait,  un  musée  ne  datant  pour  ainsi  dire  que  d'hier,  et  que  l'on 
peut  présenter  déjà  cependant  comme  un  modèle  et  un  exemple  à 
suivre  aussi  bien  en  France  qu'en  Belgique.  Nous  devons  ajouter  que, 
depuis,  le  musée  archéologique  de  Besançon  nous  a  paru  mériter  les 
mômeo  éloges;  nous  demanderons  la  permission  d'en  parler  dans  un 
aulre  article.  Revenons  au  musée  de  Namur. 

C'est,  comme  le  début  de  cet  article  a  pu  le  faire  pressentir,  un  musée 
exclusivement  provincial.  Tout  ce  qu'il  renferme  appartient  à  la  pro- 
vince de  Namur.  Il  n'en  est  pas  moins  varié,  et  pour  nous  il  en  est 
beaucoup  plus  intéressant.  La  classification  des  objets  y  est  très-sim- 
ple et  très-nette,  et  ce  qui  est  bien  précieux,  chaque  objet  porte  une  éti- 
quette indiquant  sa  provenance.  On  peut  ainsi  savoir  facilement  dans 
quelles  circonstances,  dans  quel  milieu  chaque  objet  a  été  irouvé,  et 
en  déterminer  plus  aisément  et  le  caractère  et  la  date.  C'est  ce  qu'ont 
fait  les  habiles  et  zélés  conservateurs  du  musée  de  Namur.  Tandis 
que  dans  beaucoup  d'autres  musées  tous  les  âges  nous  ont  paru 
confondus,  les  attributions  généralement  fausses,  les  provenances 
non  signalées  ou  inconnues,  nous  n'avons  trouvé  aucune  objection 
à  faire  aux  classifications  de  Namur. 

Une  première  vitrine  est  réservée  à  ce  qu'on  peut  appeler  les 
temps  primitifs.  Des  armes  et  instruments  en  pierre  provenant  en 
général  de  tumulus  ou  d'anciennes  enceintes  en  terre  nous  rappel- 
lent ce  qu'étaient  les  premiers  habitants  de  ces  vastes  plaines.  Cette 
vitrine,  quand  on  a  vu  les  collections  de  Suisse  et  de  Danemark, 
paraît  assez  pauvre.  Elle  tend  à  prouver  toutefois  qu'il  y  a  eu  là 
comme  dans  ces  deux  pays  un  premier  âge  de  sauvage  grossièreté 
qui  a  précédé  l'âge  du  bronze  (1),  c'est-à-dire  l'invasion  des  popu- 
lations asiatiques  qui  ont  apporté  très-vraisemblablement  en  Occi- 
dent la  connaissance  et  l'usage  de  ce  précieux  métal. 

Vient  ensuite  l'époque  gauloise  ou  celtique  avec  ses  haches  en 
bronze,  ses  anneaux,  ses  bracelets  de  môme  métal,  mais  tout  cela  en 
petit  nombre;  soit  que  la  contrée  ne  fût  pas  primitivement  très-peu- 
plée, soit  qu'elle  fût  très-pauvre  avant  l'invasion  romaine.  Une  série 

(1)  11  nous  paraît  aujourd'hui  parfaitement  démontré  pour  le  Danemark,  la  Suède 
et  la  Suisse  en  particulier,  que  le  bronze  a  été  apporté  par  des  populations  conqué- 
rantes venant  d'Asie,  où  les  armes  en  bronze  étaient  depuis  longtemps  connues.  Ses 
populations,  qui  habitaient  alors  nos  contrées,  ne  se  servaient  que  a'armes  de  pierre 
et  d'os.  11  y  a  donc  eu  véritablement,  sous  ce  rapport,  en  Occident,  un  âge  de  la 
pierre  et  un  âge  du  bronze,  et  en  nous  servant  de  ces  expressions  consacrées  par  les 
archéologues  du  Nord,  nous  ne  faisons  que  constater  un  fait  bien  établi. 


84  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE.  » 

de  monnaies  des  Aduatuques  rappelle  la  présence  dos  Cimbres  et 
l'établissement  dans  le  pays  des  six  mille  hommes  laissés  à  la  garde  de 
leurs  bagages.  (Ces.,  liv.  II,  c.  29.)  Deux  vitrines  ont  suffi  jusqu'ici 
à  représenter  cette  période. 

La  partie  vraiment  intéressante  du  musée  de  Namnr'  com- 
mence avec  l'époque  gallo-romaine.  Cinq  ou  six  grandes  armoires 
vitrées  font  revivre  à  nos  yeux  cette  ère  importante  de  civilisation 
pour  la  Belgique.  Des  vases  de  toute  sorte,  depuis  la  vaste  amphore 
et  l'urne  cinéraire  jusqu'au  vase  à  parfums  et  à  la  fiole  lacrymatoire, 
s'\  étalent  dans  un  ordre  parfait  et  méthodique.  Un  seul  cimetière, 
le  cimetière  gallo-romain  de  Flavion  en  a  fourni  plus  de  mille.  On 
peut  y  étudier  la  céramique  des  Gai  lo-romains  sous  toutes  ses  faces.  Un 
nombre  considérable  de  fibules,  de  bagues,  de  fuseaux,  d'épingles,  de 
styles,  analogues  à  ceux  de  tous  nos  musées,  nous  permettent  de 
constater,  sous  ce  rapport,  l'uniformité  de  l'art  gallo-romain  dans 
toute  l'étendue  des  Gaules. 

Cette  collection  est  encore  intéressante  à  un  autre  point  de  vue.  Si 
l'on  veut  sedonner  la  peine  de  lire  les  étiquettes  qui  couvrent  les  vi- 
trines, on  voit  qu'une  partie  des  objets  qu'elles  renferment  pro- 
viennent de  tumulus,  que  d'autres  ont  été  trouvés  a  côté  de  squelettes 
ensevelis  dans  la  terre  à  un  ou  deux  pieds  de  profondeur,  sans 
qu'aucun  signe  extérieur  indiquât  la  présence  d'une  tombe.  Ailleurs, 
l'incinération  était  pratiquée,  et  les  urnes  cinéraires  pieusement  dé- 
posées dans  de  grands  cercueils  en  pierre.  L'ère  gallo-romaine  com- 
prenait donc  en  Belgique  ces  trois  modes  divers  de  sépultures. 

Dans  toutes  les  vitrines  de  cette  période,  le  fer  est  mêlé  au  bronze, 
qui  est  la  matière  avec  laquelle  sont  fabriqués,  comme  dans  l'âge, 
précédent,  les  fibules  et  les  bracelets.  Un  morceau  de  fer  long 
de  0m,07  paraît  avoir  été  la  poignée  d'une  épée  :  un  autre  pourrait 
être  un  bout  de  javelot:  les  armes  gallo-romaines  font,  toutefois,  à 
peu  près  complètement  défaut  :  c'est  une  lacune  regrettable. 

Les  poteries  de  cette  époque  tantôt  très-grossières  et  tantôt  très-fines, 
se  distinguent  assez  facilement  des  poteries  celtiques.  Les  bouteilles 
et  les  urnes  de  verre  ne  sont  pas  rares.  Quelques  monnaies  romaines 
du  Haut  et  du  Bas-Empire  trouvées  avec  les  objets  servent  à  en 
déterminer  la  date.  Nous  citerons  surtout,  parmi  les  objets  que 
nous  avons  distingués,  des  tablettes  pour  écrire  très-bien  con- 
servées et  très-curieuses  dont  il  serait  à  désirer  que  l'on  publiât  un 
dessin. 

Si  en  passant  des  vitrines  de  l'époque  primitive  à  celles  de  l'époque 
gauloise,  puis  de  l'époque  gallo-romaine,  on  est  frappé  de  différences 


LE    MUSÉE    DE    NAMUR.  85 

très-notables  et  très-propres  à  justifier  les  classifications  adoptées,  ce 
sentiment  du  brusque  passage  d'une  civilisation  à  une  autre  est  bien 
plus  vif  quand  on  arrive  aux  vitrines  bien  autrement  riches  encore 
de  l'époque  franque.  Les  Francs  régnent  au  musée  de  Namur  comme 
ils  ont  régné  autrefois  en  dominateurs  sur  la  contrée.  Il  semble  qu'on 
n'ait  eu  besoin  que  de  frapper  le  sol  pour  en  faire  sortir  des  vases  et 
des  armes  franques.  Citons  d'abord  une  très-belle  collection  de  vases 
en  verre  de  toutes  formes,  dont  soixante-dix  sont  sortis  du  seul  cime- 
tière de  Samson  (1).  La  forme  qui  domine  est  celle  du  cornet  à  jouer 
aux  dés,  ou  de  nos  anciens  verres  à  boire  le  vin  de  Champagne  mous- 
seux. Mais  ils  sont  privés  de  pied,  ou  n'en  ont  qu'un  très-petit  :  on  ne 
pouvait  les  poser  sur  la  table  que  complètement  vides;  ce  qui  ne  sem- 
ble pas  faire  grand  honneur  à  la  sobriété  de  nos  pères  :  il  leur  fallait 
vider  leur  verre  d'un  trait.  A  part  un  petit  nombre  plus  élevés,  leur 
hauteur  est  de  10  à  15  centimètres  et  leur  diamètre  supérieur 
de  6  à  7.  Parmi  ces  verres,  il  en  est  un  particulièrement  remar- 
quable ayant  la  forme  d'une  trompe  de  chasse,  avec  deux  tenons  pour 
le  suspendre.  Son  pourtour  est  orné  extérieurement  d'une  sorte  de 
réseau  composé  de  petites  baguettes  de  verre.  Les  filets  qui  se  trou- 
vent au  sommet  sont  de  verre  noir.  Nous  n'avons  vu  nulle  part 
ailleurs  de  verre  semblable;  ce  verre  se  rapproche,  pour  la  forme, de 
certains  rhytons. 

Comme  dans  toutes  les  collections  provenant  de  tombeaux  francs, 
les  seaux,  bassins  et  plats  en  bronze  abondent  :  ils  ressemblent  d'ail- 
leurs à  tous  ceux  qui  ont  été  publiés  jusqu'ici,  notamment  par 
M.  l'abbé  Cochet;  nous  croyons  inutile  d'en  rien  dire.  La  vitrine  des 
armes  doit  nous  arrêter  davantage.  Trois  angons  ou  longs  javelots 
d'une  parfaite  conservation  y  attirent  tout  d'abord  l'attention.  Le  plus 
beau,  d'une  longueur  de  98  centimètres,  consiste  en  une  hampe  de  fer 
de  0m,88,  surmontée  d'une  pointe  de  0m,10,  quadrangulaire,  et  garnie 
à  sa  base  de  deux  ailes  courbes  destinées  à  déchirer  les  chairs  si  l'on 
voulait  arracher  le  fer  de  la  blessure.  Ce  devait  être  une  arme  terri- 
ble. Comparativement  à  la  francisque,  l'angon  est  rare  en  Belgique 
comme  ailleurs.  M.  l'abbé  Cochet  a  peut-être  raison  de  le  considérer 
comme  une  arme  de  choix  et  l'attribut  des  chefs.  A  côté  des 
trois  angons  dont  nous  venons  de  parler  les  vitrines  contiennent, 
en  effet,  plus  de  soixante  francisques;  nous  en  avons  remarqué  de 


(I)  Les  gorges  de  Samson  sont  situées  près  de  Namèclie,  station  du  chemin  de  fer 
entre  Namur  et  Liège,  à  un  quart  d'heure  environ  de  Namur. 


86  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

très-petites  qui  sont  étiquetées  comme  provenant  de  tombeaux  d'en- 
fants. C'est  un  délail  qui  ne  doit  pas  être  oublié. 

Les  épées,  si  rares  en  Normandie,  se  sont  rencontrées  en  nombre 
moins  restreint  aux  environs  de  Namur;  à  Samson,  on  en  a  compté 
neuf  sur  deux  cent  cinquante  sépultures  ouvertes.  La  longueur  des 
lames,  qui  coupent  des  deux  côtés,  est  en  général  de  75  centimètres, 
leur  largeur  de  5  à  G;  elles  sont  presque  toutes  bien  conservées: 
l'une  d'elles  a  encore  sa  poignée,  qui  est  en  ivoire. 

Trois  umbos  nous  montrent  ce  qu'était  le  bouclier  des  Francs;  à 
côté  des  boucliers  figurent  une  trentaine  de  lances  de  formes  et  de 
dimensions  assez  diverses  et  que  l'habile  conservateur  du  musée  de 
Namur  considère  comme  des  framées.  Leur  longueur,  y  compris  la 
hampe,  varie  de  22  à  2i  centimètres;  la  lame,  proprement  dite,  a  gé- 
néralement quatre  angles,  dont  deux  sont  plus  développés  que  les 
autres;  quelques  lames  pourtant  sont  presque  complètement  plates  et 
ne  présentent  que  deux  angles;  la  pointe  est  tantôt  fort  courte  et 
tantôt  plus  allongée.  Il  n'y  a  pas  uniformité  sous  ce  rapport. 

Le  couteau  est  une  des  armes  le  plus  fréquemment  signalées  dans 
les  cimetières  de  la  période  franque.  Les  auteurs  distinguent  le  grand 
couteau  ou  sabre,  appelé  aussi  scramasaxe,  et  le  petit  couteau,  qui 
servait,  semble-t-il,  à  des  usages  domestiques.  Le  musée  de  Namur 
possède  quelques  petits  couteaux,  presque  tous  brisés.  Mais  nous  n'y 
avons  vu  qu'un  scramasaxe,  ce  qui  mérite  d'être  noté.  Dans  le  cime- 
tière de  Samson,  sur  deux  cent  cinquante  tombes  ayant  produit 
cinquante  francisques,  trente  lances,  neuf  épées,  trois  angons  et 
trois  boucliers,  on  ne  trouva,  en  effet,  aucun  scramasaxe.  Celui  qui 
est  dans  les  vitrines  provient  de  Védrin.  Les  tribus  franques  de  la 
province  de  Namur  ne  se  servaient-elles  donc  pas  généralement  de 
cette  arme?  Nous  avons  été  aussi  étonné  de  trouver  des  couteaux  en 
silex  à  côté  des  francisques.  On  nous  a  affirmé  qu'ils  provenaient  des 
mêmes  tombeaux. 

Parlerons-nous  maintenant  des  ornements  de  toute  espèce  de  la 
même  époque,  boucles  de  ceinturons,  débris  de  coffrets,  pinces  à 
épiler,  peignes,  aiguilles,  bagues  en  or  et  en  argent,  bracelets  en 
verre,  épingles  à  cheveux,  pendants  d'oreilles  ornés  de  perles  et  de 
verroteries  rouges,  colliers  d'or,  d'ambre,  de  verre  doré,  de  jaspe  cl 
de  pâte  colorée  dont  le  musée  de  Namur  possède  de  si  nombreux 
et  de  si  beaux  échantillons?  Cela  serait  bien  difficile  sans  une  planche 
qui  accompagnât  nos  descriptions  et  que  nous  regrettons  de  ne  pou- 
voir offrir  aux  lecteurs  de  la  Revue.  Nous  dirons  seulement  que  ceux 


LE   MUSÉE   DE   NAMUR.  87 

qui  veulent  avoir  une  idée  exacte  du  costume  et  des  coutumes  des 
populations  germaniques,  ne  peuvent  mieux  faire  que  d'aller  visiter 
le  musée  de  Namur. 

Or  ce  musée,  si  intéressant  déjà  et  'si  riche,  a  à  peine  douze  années 
d'existence.  Aucune  subvention  ne  lui  a  été  primitivement  allouée  : 
le  zèle  de  quelques  archéologues  belges  a  tout  fait.  La  commune  n'a 
donné  que  le  local.  M.  Del  Marmol,  président  de  la  Société  archéo- 
logique de  Namur  et  directeur  du  musée,  mérite  donc  les  plus  grands 
éloges.  Assisté  d'un  jeune  archéologue  aussi  modeste  que  dislingué, 
M.  Alfred  Béquet,  il  a  réussi  à  doter  son  pays  d'une  magnifique  col- 
lection dont  nos  plus  grands  musées  pourraient  être  fiers.  Un  peu 
d'argent,  beaucoup  de  soins  et  de  sagacité,  une  attenlion  constante  à 
profiter  des  occasions  qui  se  présentent,  des  fouilles  bien  dirigées  et 
bien  surveillées  ont  produit  ce  miracle.  Espérons  que  l'exemple  de 
Namur  sera  suivi. 

Alexandre  Bertrand. 


RECHERCHES 

SUR    L'ÉTYMOLOGIE 

DE  QUELQUES  NOMS  DE  LIEUX 
Seconde  lettre  au  directeur  de  la  Revue  archéologique. 


Dans  le  post-scriptum  de  votre  dernière  lettre,  vousme  dites  :  Don- 
nez-moi, si  cela  vous  est  possible,  Fétymologie  du  nom  de  noire 
Pouilly  fCôte-d'Or).  De  quel  Pouilly  voulez-vous  parler?  Est-ce  de 
Pouilly-en-Auxois,  Pauliacusinpago  Alsensi  (1)?  est-ce  de  Pouilly- 
sur-Vingoanne,  Polliacus  in  pago  Attoariorum  (2)?  de  Pouilly-lez- 
Dijon,  Poliacus  in  pago  Divionensi  (3);  de  Pouilly-sur-Saône,  Pol- 
liacus  in  pago  Oscarensi  (4)  ;  serait-ce  enfin  de  Pouilly-en-Lassois, 
Pauliacus  in  pago  Latiscensi  (o),  tous  dans  le  département  de  la 
Côte-d'Or?  Mais  pardon,  ce  dernier  Pouilly  a  disparu  comme  une 
ombre,  et  depuis  plus  de  cent  ans  les  savants  de  la  Bourgogne  et  de 
la  Champagne  sont  à  sa  recherche.  Ce  n'est  probablement  pas  sur 
celui-là  que  vous  venez  me  demander  des  renseignements  :  eh  bien, 
c'est  précisément  de  celui-là  dont  je  vais  vous  parler.  La  raison 
de  mon  choix  est  bien  simple  :  comme  il  ne  nous  est  resté  de  cette 
localité  perdue  qu'une  traduction  latine,  c'est-à-dire  Pauliacus,  il  me 


(I)  Courtépée.    Hist.  de  Bourg.,  édit.    in-8°,  t.  IV,  p.  44,  Polliacum,  Puliacura, 
Polleijum,  Poilli,  Poillé,  Pollé. 

(2)Garnier.  Chartes  Bourg.,  p.  62,    Polliacum.  Courtépée,  t.  IV,  p.  729,  Puu- 
liacum. 
(3)  Garnipr,  ibid.,  p.  66,  Poliacum. 

(II)  Ibid.,  p.  71,  Pulliacum. 

(5)  Ibid.,  p.  76,  Pauliacum.  Quantin,  L'art,  de  l'Yonne,  t.  I,  p.  22  et  2k,  Pau- 
liacum. 


ETYMOLOGIE  DE  QUELQUES  NOMS  DE  LIEUX.  89 

sera  permis  de  supposer  sous  la  traduction  toutes  les  formes  françaises 
du  nom  de  lieu  qu'elle  représente,  et  de  vous  en  donner  la  liste.  La 
voici  : 

Paillé  [Charente-Inférieure]  (1);  Pailly  [Yonne]  (2); 

Paulhac   [Cantal]    (3);    Pauliac  [Lot]  (4);  Pauliat  éc.    de  Serillac  [Corrèze]   (5); 

Pouillac  [Charente-Inférieure]  (6)  ; 

Polliat  TAin]  (7);  Pouillat  [Ain]  (8);  Pouillay  [Sarthe]  (9); 

Poillé  [Sartlie]  (10);  Pouillé  [Vienne]  (11); 

Pouilley  [Doubs]  (12);  Polliez-le-Grand  [Suisse]  (13); 

Pouillieu  [Isère]  (14);  Pouillieux  [Ain]  (15); 

Poilly  [Marne]  (16);  Poilly  [Yonne]  (17);  Pully  [Suisse]  (18); 

Pouilly-lez-Feurs  [Loire]  (19);  Pouilly-sur-Loire  [Nièvre]  (20); 

Pavilly  [Seine-Inférieure]  (21);  Pullich  [Grand-duché  de  Bas-Rhin]  (22)  ; 

Et  encore  je  ne  vous  parle  pas  de  la  finale  flamande  ies  de  Pollies, 
ni  de  la  finale  languedocienne  argues  de  Bouillargues  (23). 


(1)  F.  de  Vaudoré.  Vigueries  du  Poitou,  p.  72.  Villa  Poliacus. 

(2)  Quantin.  Cart.  de  l'Yonne,  t.  1er,  p.  530.  Palliacum  —  Pauliacum. 

(3)  Pouillé  du  diocèse  de  Saint-Flour.  Pauliacum. 

(4)  Deloche.  Cart.  de  Beaulieu,  p.  73  et  125.  Pauliacum,  vicaria  Pauliacensis. 

(5)  Ibid.,  p.  155.  Paoliacus. 

(6)  Pouillé  du  diocèse  de  Saintes.  Pauliacus. 

(7)  A.  Bernard.  Cart.  de  Savigny.  Passim.  Poilliacus,  Pollia,  Poilias. 

(8)  Ibid.  Polliacum,  Poilliacum,  Pollia,  Pouilla,  Polies. 

(9)  Bilard,  Doc.  hist  de  la  Sarthe,  p.  42  et  63.  Pogliacus. 

(10)  Mabillon.  Analecta,  p.  243.  Poliacum. 

(11)  F.  de  Vaudoré    Vig.  du  Poitou,  p.  47.  Poliacus. 

(12)  Pouillés  du  diocèse  de  Besançon.  Pauliacum,  Pulleyum,  Poil/eg. 

(13)  Doc.  de  la  Soc.  d'histoire  de  la  Suisse  romande,  t.  VI,  p.  20.  Pollie.—  T.  VII, 
p.  28.  Pulliacum. 

(14)  A.  Bernard.  Cart.  de  Savigny.  Polliacus,  Poilliacus,  Paolleu. 

(15)  Ibid.  Poliacus,  Poilliacus,  Poilteu,  Pollieu,  Poylleu. 

(10)  Guérard.  Polypt.   de  Saint-Remy  de   Reims,  p    13  et  18.   Paviliacus,  Pa- 
villeus. 

(17)  Quantin.  Rech.  sur  lu  géogr.  de  la  cité  d'Auxerre,  p.  60  et  78.  Pauliacus, 
Poilei. 

(18)  Doc.  de  la  Soc.  d'hist.  de  la  Suisse  romande,  t.  VI,  p.  12,  43,250.  Pulliacum, 
Puliacum,  Pullie.  —  T.  VII,  p.  25.  Pulliacum. 

(19)  A.   Bernard.   Cart.    de  Savigny.   Polliacus,    Poilliacus,    Pollieu,   Poi/leu, 
Poylleu. 

(20)  Mabillon.  Annal,  ord.  S.  Bened.,  t.  I",  app.,  p.  694.  Pauliacum. 

(21)  Ibid.,  t.  Ie1',  p.  459.  Pauliacum.—  H.  de  Valois.  Not.  Gai.,  p.  441.  Pauliacum. 
—  Guer.ird,  Cart.  de  la  Sainte  Trinité  de  Rouen,  p.  451  et  467.  Pauliacus. 

(22)  Pouillé  du  diocèse  de  Trêves.  Pauliacum. —  Honlheini.   Hist.  Trev.,  t.  Ier, 
p.  69,  79  et  393.  Peleche,  Polch,  Pulicha. 

(23)  Vous  trouverez  cette  finale  ies,  que  j'appelle  flamande,  dans  le  département 


00  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

Vous  n'avez  qu'à  choisir  entre  toutes  ces  formes  celle  qui  vous 
semblera  la  plus  convenable  pour  désigner  notre  Pauliacus  in  pago 
Latiscensi ;  vous  èies  libre.  Pour  moi,  ce  que  je  puis  faire  de  mieux, 
c'est  de  vous  indiquer  sa  position  à  peu  près  exacte,  sauf  à  vous  don- 
ner ensuite  l'étymologie  de  son  nom. 

Nous  avons  en  Bourgogne  une  petite  rivière  qui  prend  sa  source 
au  bourg  de  Laignes  (Côte-d'Or)  et  qui,  après  avoir  passé  à  Molesmes, 
aux  trois  Riceys,  Ricey  Haut,  Bicey  Bas,  Ricey-Hauterioe,  non  luin 
de  Bagneux-la-Fosse  et  à  Balnot,  vient  se  jeter  dans  la  Seine  à  Po- 
lisy,  au-dessus  de  Bar-sur-Seine.  Cette  rivière  se  trouvait  dans  les 
limites  de  la  contrée  que  nos  ancêtres  avaient  appelée  le  Lassois, 
du  nom  de  son  chef-lieu,  le  château  de  Latisciun.  près  Vix-Saint- 
Marcel. 

Or  vous  saurez  qu'en  69't  (1)  une  certaine  Léotherie  donna  au 
monastère  de  Saint-Pierre  le  Vif  de  Sens  un  manse  patrimonial  et 
une  église  situés  en  Lassois.  dans  les  lieux  nommés  Ricey  et  Pauline 
(Retiacum  sive  Pauliacum);  et  qu'en  711  (2)  Ingoara,  sœur  de  saint 
Ebbon,  archevêque  de  Sens,  laissa  au  même  monastère  de  Saint-Pierre 
des  propriétés  également  dans  le  Lassois  à  Pauliac,  à  Bagneux-la- 
Fosse  et  même  à  Bicey,  d'après  la  chronique  de  Clarius  (3).  Puis 
nous  voyons  vers  1116  (4)  que  l'abbé  de  Molesmes  achète  Pauliacus 
à  Milon,  fils  de  Bainard  de  Montbar,  qui  s'en  était  emparé,  tandis 
que  l'abbé  de  Réomes  se  rendait  maître  de  l'église  de  Bicey.  Plaintes 
de  l'abbé  de  Saint-Pierre  le  Vif,  mais  plaintes  inutiles;  car  au  trei- 
zième siècle  l'abbé  de  Molesmes,  tranquille  possesseur  de  notre  Pau- 
liacus, le  rangeait,  dans  le  pouillé  des  dépendances  de  son  abbaye,  à 
côté  de  Molisinus  caput  abbatiœ  sous  le  titre  de  Pauliacus  caput parro- 
chiœ  (o). 

Vous  pouvez  facilement  conclure  de  là  que  Pauliacus  ne  devait 

du  .Nord,  à  Illies,  à  Or  :hie<,  à  Morunchies,  etc.  La  forme  argues  ne  se  rencontre  que 
dans  le  midi  de  la  France,  à  Virargues  Cantal},  à  Bail/argues  (Hérault),  etc.  Le  dimi- 
nutif de  la  finale  ac  est  aguet,  Paulhac,  Paulliaguet;  Meyrac,  Meyraguet;  le  diminutif 
de  la  finale  argues  est  avguet,  Virarguet  (Lot  et  Garonne),  Baillarguet  (Hérault).  La 
finale  y  fait  son  diminutif  en  el,  Fleury,  Fleuiiel;  Gauchy,  Gauciel;  Mery,  Mcriel; 
Macy,  Maciel ;  Noisy,  Noisiel ;  Pacy,  Paciel,  etc. 

(1)  Pardessus.  DipLeteh.,  t.  II,  p.  231. 

2   Ibid.,  p.  288. 

3)  Quantin.  Cart.  de  l'Yonne,  p.  22  et  24. 

H)  Roverius.  Hist.  monast.  S.  Joannis  Reomaemis,  p.  185  et  suiv.  —  Chifllet. 
tienus  M.  S.  Bemardi,  passim. 

(5)  Pouillé  de  Molesirrs.  Coll.  Fontette,  Bibl.  imp.,  t.  28,  f°  160. 


ÉTYMOLOGIE  DE  QUELQUES  NOMS  DE  LIEUX.  91 

pas  être  très-éloigné  de  Molesmes,  puisque  Molesmes  était  dans  la 
circonscription  de  cette  paroisse. 

Quant  à  l'étymologie  de  Pauliacus,  c'est  une  autre  difficulté.  Tout 
à  l'heure  nous  n'avions  pas  de  mots  dans  le  Lassois  pour  retrouver 
ce  village;  à  présent  il  s'en  présente  deux  pour  lui  donner  une 
origine.  Car  Pauliacus  peut  tout  aussi  bien  venir  du  nom  propre  Paul, 
que  du  nom  commun  armoricain  Poull,  qui  veut  dire  fosse,  marais. 

Les  Celles  nos  ancêtres  avaient  un  suffixe  ac,  que  les  Latins  ont 
traduit  par  acus.  Ce  suffixe  ac  élait  représenté  dans  le  dialecte  cam- 
brique  ou  gallois  par  aux  =  auc,  dans  le  dialecte  armoricain  ou  bas- 
breton  par  ek,  et  dans  la  langue  irlandaise  par  ach  ou  ech  (1).  On  se 
servait  de  cette  finale  ac  =  auc  =  ek=  ach  toujours  dans  l'inten- 
tention  d'ajouter  un  qualificatif  à  un  mot,  mais  avec  des  nuances  très- 
différentes,  savoir  : 

1°  Ac  s'employait  pour  former  un  adjectif  d'un  nom  substantif,  et 
de  gcnid  (gain)  on  faisait  gonidek  (gagneur)  ;  de  korn  (corne), 
kornek  (angulaire)  (2)  ;  de  pwl  =  poul  (étang),  piclauc  (maréca- 
geux) (3);  de  plum  (plume),  plumauc  (empkimé)  (4);  de  marc'h 
(cheval),  marchauc  (cavalier)  (5);  de  angheu  (mort),  angheuach 
(mortel)  (6);  de  enoec  (bosse),  enocach  (bossu)  (7);  de  dead  (fin), 
dedenach  (final)  (8). 

2°  Ac  servait  aussi  pour  construire  ou  créer  des  noms  propres,  c'est- 
à-direqu'on  utilisait  dansce  but  le  substantif  adjectivéetque,  comme 
on  avait  fait  de  carat  (amour),  caratauc  (aimable)  (9),  on  faisait 
ensuite  de  Caratauc  le  nom  d'homme  cité  dans  Tacite  et  dans  Gruter, 
sous  la  variante  latine  de  Caratacus;  de  llyghes  (navire),  qui  don- 
nait lyggessauc  (naval)  (10),  on  forma  le  nom  propre  traduit  dans 
Zeuss  par  Classicus. 

3°  Ac  conservant  toujours  sa  valeur  adjective,  servait  encore, 
comme  je  crois  vous  l'avoir  déjà  dit,  de  finale  patronymique  et 
ethnique. 


(1)  Zeuss,  Gr.  celt.,  p.  18,  -20,  83,  110, 112,  772  et  suiv. 

(2)  Legonidec.  Dict.  fr. -breton,  passim. 

(3)  Zeuss,  p.    108.  —  (4)  Jbid.,  p.  110.  —  (5)  Ibid.,  p.  110.  —  (6)  Ibid,,    p.  138. 
(l)Ihid.,  p.  77  et  776. 

(8)  Ibid.,  p.  67.  Consultez  le  Vocabulaire  comique  de  Zeuss,  p.  1105  et  suiv.  Vous 
trouverez  :    Teith  (famille) ,    theithiauc    (légitime)  ;   galluid    (pouvoir) ,   galluidor 

puissant);   tolz  (masse),    talzoch  (épais)  ;  choil  (pré-age),  chuillioc  (augure);  scol 
(école),  scolheic  (scolaire)  ;  gaou  (fausseté),  gouhnc  (menteur),  etc.,  etc. 

(9)  Ibid.,  p.  96.  —  (10)  Ibid.,  p.  106. 


92  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

On  disait  Briarmach,  Donullach.  le  descendant  de  Brian,  deDonull  (i); 
on  disait  au-si  :  Erionnach,  Albanach,  Irlandais,  Écossais  (2);  et  on 
voit  dans  l'inscription  du  temps  de  Tibère  trouvée  sous  le  chœur  de 
de  Notre-Dame,  Nautœ  Parisiaci,  les  bateliers  parisiens. 

4°  Ac,  ajouté  à  un  nom  propre,  donnait  à  ce  nom  un  sens  d'appar- 
tenance, de  propriété.  Aussi  Zeuss,  p.  772,  croit  que  Turnacum  et 
Nemetacum  (Tournay  et  Arras)ont  été  composés  sur  les  noms  d'hom- 
mes Turnus  et  Nemet,  et  d'Anville  suppose,  Notice  de  la  Gaule,  p.  112 
et  132,  que  Avaricum  et  Autricum,  c'est-à-dire  Bourges  et  Chartres, 
ont  tiré  leur  nom  des  rivières  Avara  et  Autura  (l'Evre  et  l'Eure;, 
qui  baignent  les  murs  de  ces  deux  villes.  Ce  qui  est  certain,  c'est  que 
Breclieniauc  signifiait  la  ville  de  Brechenius,  aujourd'hui  Breknok, 
au  même  titre  que  Pompeiacum  et  Aureliacum  (.3)  voulaient  dire  la 
ville  de  Pompée,  la  ville  d'Auièle,  et  que  Theodberciacum  et  Tiridi- 
ciacum  des  monnaies  mérovingiennes  représentaient  Theotbertivil- 
lare  et  Theodorici  castrum,  c'est-à-dire  Dietlwiller  (Haut-Bhin)  et 
Château-Thierry  (Aisne)  (4). 

5°  Ac  servait  enlin  à  donner  aux  substantifs  un  sens  de  collecti- 
vité, et  les  noms  de  lieux  gaulois  traduits  en  latin  par  Taniacum, 
Bussiacum,  Verniacum,  Tiliacum,  qui  devaient  s'écrire  et  se  pronon- 
cer comme  aujourd'hui  en  bas-breton  Tannek,  Beuzek,  Guernek,  Til- 
iek,  représentaient  des  endroits  abondants  en  chênes,  en  buis,  en 
aunes,  en  tilleuls,  et  répondaient  exactement  à  nos  mots  français 
Chênaie,  Buissaie,  Aunaie  et  Tillaie  (o). 

11  est  probable  que  cette  désinence  celtique  ac,  qui  n'existe  plus 
dans  notre  langue,  doit  avec  toutes  ses  significations  différentes  vous 


(Ij  Mone.  Keliische  Forschungen,  p.  231. 

(2)  R.  de  Belloguet.  Gloss.  gaul.,  p.  287. 

(3)  Quelques  savants  ont  cru  que  acus  était  une  finale  latine.  Non,  ac  est  un  suffixe 
gaulois,  et  il  n'y  a  de  latin  dans  acus  que  la  désinence  us.  Quand  les  Romains  nous 
ont  transmis  le  nom  de  lieu  Juliacum,  ils  l'ont  latinisé  sur  le  mot  employé  parles 
Celtes  ou  les  Germains,  c'est-à-dire  sur  Juli  ach  ou  Jxd-ich.  Ils  auraient  fait  Julium 
ou  Julianum  d'un  nom  de  lieu  de  forme  latine.  Aussi  dans  l'Italie  ancienne  vous  ne 
trouverez  pas  une  seule  localité  avec  la  terminaison  acum,  et  dans  l'Italie  moderne, 
la  finale  ago  ne  te  rencontre  que  dans  le  Nord. 

(4)  Juviniacum,  proprium  quod  fuerat  Jovini  in  solo  Suessonico,  représente  iden- 
tiquement en  gaulois  ce  que  veut  exprimer  en  latin  ecc/esia  Joviniana  ubi  vir  Jovi- 
nus  requiescit,  c'est-à-dire  Juvigny  (Aisne).  Pardessus.  Dipl.  et  ch.,  t.  1er,  p.  87. 

(5)  Remarquez  que  cette  finale  ac=ec,  avec  sa  signification  collective,  est  la  seule 
qui  soit  restée  dans  notre  langue.  Car  malgré  la  différence  de  la  prononciation,  on 
sent  que  THIek  répond  à  Tillaie,  comme  veracus  à  vrai,  hracca  à  braie,  paga  à 
paye,  etc.,  etc. 


ETYMOLOGIE    DE   QUELQUES    NOMS    DE    LIEUX.  93 

paraître  fort  étrange.  Mais  vous  n'avez  qu'à  prendre  comme  point 
de  comparaison  la  finale  française  en;  l'une  vous  fera  facilement 
comprendre  l'autre  et  vous  donnera  l'explication  naturelle  du  rôle 
qu'elles  jouent  toutes  deux.  Ainsi  en  français  la  finale  en  sert  comme 
servait  jadis  en  gaulois  la  finale  ac  :  1°  comme  terminaison  adjective  : 
musicien,  terrien,  diluvien,  mitoyen;  2°  comme  marque  de  pro- 
priété :  Valenciennes,  Marchiennes,  Louveciennes  ;  3°  comme  signe 
de  parenté  ou  d'alliance  :  Bourbonien,  Napoléonien  ;  4°  comme  dési- 
gnation ethnique  :  Prussien,  Alsacien,  Autrichien. 

La  finale  ac  étant  connue,  il  nous  reste  à  savoir  ce  que  signifie  le 
primitif  Paul.  Si  Paul  désigne  le  nom  propre  Paulus,  la  chose  est 
toute  simple,  Pauliacus  voudra  dire  :  Villa  qu;ea  Paulo  aliquonomen 
accepisse  videtur,  comme  s'exprime  H.  de  Valois,  c'est-à-dire  la 
ville  de  Paul.  Mais  si  Paul  représente  le  mot  qu'on  retrouve  dans 
tous  les  dialectes  celtiques  avec  un  sens  de  terrain  bas  et  enfoncé,  d'é- 
tang, de  marais,  Pauliacus  devra  s'entendre  par  la  ville  de  l'Étang, 
la  Marécageuse,  et  c'est  précisément  cette  dernière  signification  qui, 
dans  bien  des  cas,  me  paraît  la  plus  probable. 

Zeuss,  dans  sa  Grammaire  celtique,  p.  108  et  111,  nomme,  sous  deux 
citations  du  Mabinogion  (1),  l'adjectif  pyllauc  (marécageux,  palustrej 
venant  du  substantif  pull  (fosse,  marais),  et  le  pluriel  polyon  venant 
aussi  du  singulier  peur/,  autre  forme  de  pull.  Le  Gonidec,  dans  son 
Dictionnaire  breton-français,  nou.;  donne  à  son  tour  le  mot  poull 
avec  la  signification  de  mare,  de  terrain  bas  et  aqueux,  et  le  présente 
comme  identique  au  mol  poil  des  Gaëls  écossais  (2).  D.  Toussaint  du 
Plessis,  Description  de  la  Normandie,  t.  II,  p.  211,  prétend  que 
bouille  veut  dire  bourbier,  et  il  ajoute  même,  p.  2G7,  que  les  noms 
de  Pouilly  et  de  Pavilly  en  sont  dérivés.  Enfin  M.  Fabi,  dans  son  Dic- 
tionnaire géographique  de  l'Italie,  aux  articles  Vaulo  et  Pavullo, 
croit,  eu  égard  à  la  situation  de  ces  localités,  que  leur  nom  vient  de 
Padulc,  parola  latina  dei  secoli  di  mezzo,  e  che  usavasi  per  indicare 
un  luogo  paludoso  (3). 

Je  n'ai  pour  appuyer  l'explication  de  Pauliacus  par  la  ville  de 
Paul  que  l'exemple  cité  dans  la  Grammaire  celtique  de  Zeuss.  p.  77:!. 

(1)  Charlotte  Guost.  The  Mabinogion  from  the  Llyfr  coch  o  Hergest,  and  other 
ancient  welsh  manuscripts.  London,  1840. 

(2)  Le  Gonidec  cite  à  propos  du  mot  poull  cette  phrase  bretonne  :  Goloed  eo  ar  vro 
a  boullou  (couvert  est  le  pays  de  marécages).  Iioitllou  est  ici  pour  jioul/ou,  comme 
Boulai/  (Mayenne),  traduit  en  610  par  Pauliacus,  est  pour  Poullay.  Cauvin.  Géogr. 
du  (Hoc.  du  Mans,  p.   454. 

(3)  Voyez  Ducange,  aux  mot>  Padulectum,  Padules,  Patuie. 


04  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

et  emprunté  aux  Bollandistes.  Mais  je  puis  vous  soumettre  quelques 
traductions  latines  qui  semblent  bien  prouver  que  Pauliacus  signi- 
fiait aussi  la  Marécageuse. 

L'église  de  Neuyy-le-Pailloux  (Indre)  est  représentée  dans  le  pouillé 
du  diocèse  de  Bourges  par  ecclesia  de  Xovo-vico  paludoso  (1),  et  les 
noms  de  Lambert  et  Jordan  de  Puel  (2)  sont  rendus,  dans  des  pièces 
du  mémoire  de  M.  Grandgagnage,  l'un  par  Lambertus  de  Palude, 
l'autre  par  Jordanus  de  Lacu  (3).  On  voit  aussi  dans  Chapeau- 
ville,  t.  II,  p.  44,  sous  la  date  de  1099,  une  localité  traduite  en  latin 
par  Pollo-mortis.  Butkens  la  retrouve  à  Poillemort,  M.  Grandga- 
gnage à  Meeren-Pocl,  près  Gassoncourt  (Belgique),  et  il  explique  son 
nom  par  moor,  quasi  synonyme  de  meer,  signifiant  tourbière,  cl  par 
poel.  une  mare,  un  étang  (4).  Sur  ce,  je  laisse  à  votre  sagacité  le  soin 
de  découvrir  le  sens  possible  du  territoire  belge  nommé  en  680 
Fabula,  (p),  traduit  depuis  par  Pabulensis  pagus  et  désigné  aujour- 
d'hui par  Puelle  et  Pevele,  vousdonnant  comme  point  de  repère  la  ville 
nommée  dans  les  pouillés  Arlesium  in  Pabula.  et  représentée  en  fran- 
çais dans  le  département  du  Nord  par  Arleuxen-Pm/e,  ou  en  Pal- 
lue,  ou  en  Palliiez,  ou  aux-Marais  (6). 

En  final,  si  vous  voulez  avoir  l'étymologie  probable  de  votre 
Pouilly  (Côle-d'Or,)  examinez  attentivement  les  lieux  où  il  est  situé; 
si  vous  trouvez  là  un  terrain  enfoncé  qui  a  pu  servir  dé  lit  à  des 
eaux  stagnantes,  à  une  rivière  débordée,  n'hésitez  pas,  vous  avez 
affaire  à  la  Ville  du  Marais;  dans  le  cas  contraire  faites-en  la  Ville  de 
Paul.  Quant  à  mon  Pouilly-en-Lassois,  qui  avec  son  église  Saint- 
Pierre  était  peut-être  un  des  Riceys,  il  veut  dire  la  Marécageuse, 
comme  Ricey  =  Riciacum  veut  dire  la  Riveraine. 


(1)  Labbe.  Pouillé  du  diocèse  de  Bourges,  reproduit  par  Alliot. 

(2)  L'ancien  moi  flamand  Puel,  Pule,  qui  se  dit  en  flamand  moderne  Poel,  est  tra- 
duit en  latin  par  Palus-. 

(3)  Grandgagnage.  Mém.  sur  les  noms  de  lieux  de  la  Belgique,  p.  85. 
(«)  Ibid.,  p.  106. 

(5)  Pardessus.  Dipl.  et  ch.,  t.  II,  p.  187. 

(G)  J.  Desnoyers.  Topogr.  ecclés.  Annuaire  de  l'histoire  de  France,  année  1861, 
p.  297. 


LE  BRONZE  ET  LE  FEE 


DANS  L  ANTIQUITE  ET  AU  MOYEN  AGE 


Dans  heaucoup  de  contrées  de  l'Europe,  il  l'ut  une  époque  où 
l.i  pierre  était  employée,  en  l'absence  presque  absolue  de  tout 
métal,  pour  fabriquer  les  armes  mêmes;  elle  fut  ensuite  rem- 
placée par  le  bronze,  auquel  succéda  plus  tard  le  fer  :  voilà  ce 
(pie  les  recherches  de  l'archéologie  moderne  ont  mis  hors  de  doute. 
Mais  les  découvertes  qui  ont  conduit  à  ce  résultat  n'ont  été  faites, 
du  moins  à  notre  connaissance,  que  dans  le  nord  et  les  régions  cen- 
trales, et  nous  ignorons  si  l'on  a  noté  les  trois  périodes  succes- 
sives dans  le  midi  de  l'Europe  :  peut-être  le  même  hasard  qui  a* 
tiré  de  l'oubli  les  habitations  lacustres  de  l'Helvétieel  les  autres  tra- 
ces des  siècles  passes  permettra-t-il  de  recueillir  un  jour  en  aussi 
grande  abondance  les  vesliges  d'une  antique  civilisation  dans  l'Italie 
et  dans  la  Grèce  I 

Mais  en  attendant,  si  le  défaut  de  monuments  ne  nous  permet  pas 
d'affirmer  que  ces  contrées  aient  eu  un  âge  de  pierre,  Hésiode  nous 
a  rapporté  la  tradition  de  l'âge  d'airain  ou  de  bronze  et  de  l'âge  de 
fer,  avant  lesquels  il  compte  l'âge  d'argent  précédé  de  l'âge  d'or; 
progression  naturelle,  puisque  l'or,  qui  esl  toujours  à  l'étal  natif,  est 
de  tous  les  métaux  leplus  facile  à  exploiter  et  que  la  difficulté  augmente 
successivement  pour  les  autres.  Quant  aux  regrets  sur  la  perversité 
croissante  de  l'espèce  humaine,  il  ne  faut  pas  s'en  étonner  :  Pline 
lui-même  regarde  la  découverte  du  1er  comme  funeste  pour  l'homme  : 
que  dirait-il  s'il  voyait  maintenant  estimer  la  civilisation  d'un  peuple 
à  proportion  du  fer  qu'il  consomme? 

Nous  ne  savons  rien  sur  l'âge  d'or  et  l'âge  d'argent,  qui  ne  sont 
probablement  que  des  époques  mythologiques  :  nous  avons  au 
contraire  des  renseignements  précis  sur  la  transition  de  l'âge 
de  bronze  à  l'âge  de  fer  dans  les  poëmes  d'Homère,  qui  n'était  pas 
seulement  le  poète  souverain,  comme  dit  le  Dante,   mais  aussi  le 


00  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

savant  encyclopédique  de  ces  temps  reculés  :  que  s'il  lui  est  ar- 
rivé parfois  de  prêter  aux  héros  de  la  guerre  de  Troie  les  mœurs  et 
l'industrie  de  ses  contemporains,  à  la  distance  où  nous  sommes 
de  ces  époques  cette  confusion  n'a  guère  d'importance;  or  il  est  cer- 
tain que  le  bronze  était  alors  employé  d'une  manière  générale,  même 
pour  les  armes  offensives,  et  que  dans  presque  tous  les  endroits  où 
les  traducteurs  parlent  de  fer,  il  faut  lire  le  bronze,  car  le  texte  dit 
yaXxoç. 

Cependant  Homère  connaissait  très-bien  le  fer,  qu'il  appelle  par 
son  nom,  fffôïjpoç.  Seulement  ce  métal,  difficile  à  fondre  et  à.  exploiter, 
n'apparaît  chez  lui  que  comme  une  substance  rare  et  exception- 
nelle :  en  voici  la  preuve.  Pour  honorer  les  funérailles  de  Patrocle, 
Achille  fait  célébrer  les  jeux  de  la  lutte,  de  la  course,  etc..  ;  enfin  il 
propose  de  lancer  le  disque;  et  le  disque  lui-même,  qui  est  en  fer, 
doit  être  la  récompense  du  vainqueur.  —  «  Celui  qui  le  possédera, 
dit  Achille,  aura  une  provision  de  fer  pour  cinq  ans,  quelles  que 
soient  l'étendue  et  la  fertilité  de  ses  terres  ;  ses  bergers  et  ses  labou- 
reurs ne  seront  pas  obligés  d'aller  s'en  fournir  à  la  ville.  » 

Plusieurs  concurrents  se  présentent  pour  se  disputer  ce  singulier 
trophée,  et  le  vainqueur  le  fait  soigneusement  emporter  sur  son  vais- 
seau. C'était  donc  alors  une  chose  précieuse  qu'une  masse  de  fer  telle 
qu'un  homme  pût  la  porter  et  même  la  lancer  au  loin.  Il  est  vrai,  se- 
lon Homère,  qu'un  homme  de  ce  temps-là  en  valait  trois  du  sien  : 
combien  en  vaudrait-il  du  nôtre? 

Ainsi  le  fer  servait  à  l'agriculture,  sans  doute  pour  faire  des  faux, 
des  faucilles  et  des  socs  de  charrue  plus  tranchants  que  ceux  de 
bronze.  La  Bible  parle  aussi  (Paralipomen.,  I,  20,  v.  3)  de  chariots  à 
roues  ferrées  et  de  herses  armées  de  pointes  de  fer.  Ce  métal  n'était 
pas  négligé  non  plus,  dans  certains  cas,  pour  les  usages  de  la  guerre, 
et  Homère  nous  apprend  qu'on  en  faisait  quelquefois  des  pointes  de 
flèche  :  on  connaît  aussi  la  légende  suivant  laquelle  Télèphe,  ayant 
été  blessé  par  la  lance  d'Achille,  fut  guéri  par  la  rouille  de  cette  même 
lance.  Toutes  les  légendes  ont  un  côté  de  vérité,  et  l'on  doit  conclure 
de  celle-ci  que  certaines  armes  étaient  de  fer  ou  d'acier,  car  la  rouille 
de  tout  autre  métal,  tel  que  le  cuivre,  ferait  très-mauvais  effet  sur  une 
blessure. 

Du  reste  le  mot  ufô/ipoç,  employé  par  Homère,  ne  semble  pas  indi- 
quer le  fer  pur,  mais  l'acier,  seul  capable  d'être  durci  par  la  trempe, 
opération  que  le  poëte  décrit  avec  une  précision  remarquable. 

On  sait  qu'Ulysse,  enfermé  avec  ses  compagnons  dans  la  grotte  de 
Polyphème,  parvient  à  enivrer  le  Cyclope  et  à  crever  son  œil  unique 


LE  BRONZE   ET  LE  FER.  97 

avec  un  pieu  de  bois  pointu  et  durci  au  feu.  L'auteur  fait  une  des- 
cription effrayante  de  cet  œil  qui  brûle  et  dont  les  vapeurs  s'évapo- 
rent en  sifflant;  puis  il  ajoute  la  comparaison  suivante  : 

«  De  même  lorsqu'un  forgeron  plonge  une  bacbe  ou  une  doloire 
dans  l'eau  froide  qui  jette  un  bruit  strident,  il  durcit  le  métal,  car 
c'est  ce  qui  fait  la  force  du  fer  (de  l'acier).  » 

Le  mot  /aXxcu;,  que  l'on  traduit  par  forgeron,  paraît  signifier  un 
ouvrier  qui  travaille  l'airain;  mais  il  s'applique  en  général  à  tout 
ouvrier  en  métaux  (le  schmidt  allemand,  le  smith  anglais). 

La  trempe  donnait  à  l'acier  une  telle  supériorité  que,  sans  doute, 
on  avait  cherché  à  l'appliquer  à  d'autres  métaux,  et  l'on  peut  trou- 
ver une  trace  de  ces  tentatives  malheureuses  dans  la  tragédie  d'Es- 
chyle intitulée  Agamemnon.  Le  poëte  introduit  Clytcmnestre,  atten- 
dant le  retour  du  roi  et  faisant  devant  le  chœur  un  éloge  plus  éloquent 
que  véridique  de  sa  fidélité.  Elle  le  termine  en  disant  : 

Je  ne  connais  pas  mieux  les  plaisirs  condamnables 
Que  la  trempe  du  bronze. 

Ce  passage  a  embarrassé  les  commentateurs,  quoique  le  mot  pa^, 
dont  l'auteur  se  sert,  fût  bien  connu  pour  exprimer  la  trempe  d'un 
métal  ;  l'on  s'étonnait  de  le  voir  appliqué  à  autre  chose  qu'à  l'acier, 
comme  s'il  ne  pouvait  pas  être  passé  en  proverbe,  pour  exprimer 
qu'une  chose  était  impossible,  de  dire  :  c'est  comme  la  trempe  du 
bronze.  En  effet,  de  pareilles  tentatives  devaient  produire  un  effet  tout 
opposé  à  celui  que  l'on  attendait,  car  l'on  sait  que  le  secret  longtemps 
inconnu  de  la  fabrication  des  tams-tams  et  des  cymbales  consiste  en 
ce  que  l'on  trempe  cette  espèce  de  bronze  pour  le  rendre  malléable, 
et  qu'après  luiavoirdonné  la  forme  désirée  on  le  recuit,  c'est-à-dire 
qu'on  le  fait  chauffer  de  nouveau  pour  le  laisser  refroidir  lentement, 
ce  qui  lui  rend  sa  sonorité.  C'est  tout  le  contraire  de  ce  qui  arrive 
pour  l'acier.  Comment  comprendre  que  la  trempe  et  le  recuit  modi- 
fient ainsi  d'une  manière  si  diverse  les  propriétés  des  métaux?  Cela 
paraît  difficile;  mais  la  science  est  rarement  en  défaut:  si  cette 
espèce  de  bronze  présente  le  phénomène  que  nous  avons  indiqué,  c'est 
que  le  cuivre  et  l'étain  de  l'alliage  sont  mêlés  plus  intimement  à  une 
température  élevée  et  que  la  masse,  étant  plus  homogène,  est  aussi 
plus  ductile;  tandis  que,  par  un  refroidissement  lent,  les  deux 
métaux  tendent  à  cristalliser  séparément,  ce  qui  rend  l'alliage  plus 
dur  et  plus  cassant.  Si,  au  contraire,  la  trempe  durcit  l'acier,  c'est 
que  les  molécules  de  la  surface  se  rapprochant  subitement  par  leur 
iv.  7 


98  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

immersion  dans  l'eau  froide,  il  s'établit  un  équilibre  forcé  et  peu 
stable  entre  l'intérieur  et  l'extérieur. 

Non-seulement  les  anciens  savaient  utiliser  l'acier  pour  la  guerre 
et  les  usages  domestiques,  mais  ils  paraissent  avoir  même  connu  l'art 
de  l'embellir  et  de  l'employer  comme  métal  d'ornement,  ce  dont  il 
semble  peu  susceptible.  Voici  comment  Homère  nous  met  sur  la  trace 
de  ce  genre  d'industrie.  Au  commencement  du  onzième  livre  de 
l'Iliade,  le  poète  fait  une  description  détaillée  de  l'armure  d'Aga- 
nitiiinon,  presque  aussi  curieuse  que  celle  d'Achille;  il  s'arrête  sur- 
tout à  décrire  la  cuirasse  : 

«  Elle  avait  dix  cannelures  d'acier  rembruni,  douze  d'or  et  vingt 
d'étain.  » 

Nous  suivons  l'opinion  des  traducteurs  qui,  expliquent  par  acier 
rembruni  les  mots  piiXavoç  xuavoio,  ce  qui  signifie  littéralement 
un  métal  d'un  noir  bleuâtre.  Ce  ne  peut  être  le  zinc,  qui  est  d'un 
bleu  presque  blanc  :  on  pourrait  y  voir  l'argent  oxydé,  comme  on  dit 
vulgairement,  au  lieu  d'argent  sulfuré;  mais  il  est  plus  probable 
qu'il  s'agit  en  effet  d'un  acier  bleu  comme  celui  îles  ressorts  de  mon- 
tre. 

Les  nuances  variées  que  présentent  plusieurs  métaux  sont  dues  à 
une  légère  coucbe  d'oxyde  formée  à  leur  surface,  et  cette  coloration, 
analogue  à  celle  des  bulles  de  savon,  tient  à  l'épaisseur  extrême- 
ment petite  de  cette' couche.  Suivant  qu'elle  est  plus  ou  moins  mince, 
la  teinte  varie;  ces  diverses  nuances,  bleue,  jaune  ou  rouge,  sont  ob- 
tenues sur  l'acier  par  les  différentes  températures  de  la  trempe  ou 
du  recuit.  On  voit  que  cette  observation  n'avait  pas  échappé  aux  an- 
ciens; ils  savaient  encore  donner  à  diverses  parties  de  la  même 
pièce  d'acier  des  couleurs  différentes  :  cela  se  reconnaît  par  la  des- 
cription d'une  partie  de  cette  même  cuirasse  où  figuraient  des  dragons 
semblables  à  des  arcs-en-ciel. 

Quand  même  Homère  ne  nous  préviendrait  pas  que  les  armes  ordi- 
naires étaient  en  bronze  et  l'emploi  des  autres  métaux  une  rareté, 
ce  luxe  et  ces  raffinements  prouveraient  assez  que  l'acier  était  alors 
réservé  pour  les  chefs  de  peuplades.  En  effet,  le  plus  grand  privi- 
lège de  la  ricbesse  et  de  l'aristocratie  à  cette  époque  était  d'avoir  de 
bonnes  et  belles  armes;  les  recherches  de  l'art  s'y  joignaient  à  l'éclat 
des  métaux  précieuXj  comme  on  le  voit  par  la  description  si  magni- 
fiquement exagérée  que  fait  Homère  du  bouclier  d'Achille. 

Parmi  ces  métaux  employés  comme  ornements,  on  voit  figurer 
l'étain,  xaaorrspoç;  mais  plusieurs  archéologues  pensent  aujourd'hui, 
vu  la  rareté  des  mines  d'étain,  que  le  métal  ainsi  appelé  dans  ta  Bible 


LE   BRONZE    ET   LE   FER.  99 

et  dans  Homère  n'était  autre  chose  qu'un  plomb  riche  en  argent; 
cependant  il  fallait  bien  que  les  anciens  eussent  de  l'étain  en  assez 
grande  quantité  pour  faire  le  bronze.  Enfin  nous  observerons  que 
l'usage  de  l'acier  était  exceptionnel,  môme  pour  les  bergers  des  peu- 
ples, comme  dit  Homère;  car  il  leur  met  souvent  dans  la  main  des 
armes  de  bronze.  C'était  aussi  le  bronze  qui  faisait  la  base  des  pano- 
plies défensives,  et  même  des  plus  riches;  les  autres  métaux  ne  ser- 
vaient que  pour  l'ornement.  C'est  ce  que  la  Bible  nous  montre 
encore  par  la  description  de  l'armure  en  bronze  que  portait  Goliath  et 
de  sa  cuirasse  à  écailles. 

Jusqu'à  quelle  époque  l'usage  du  bronze  est-il  resté  le  plus  ré- 
pandu? On  l'ignore  :  tout  fait  croire  que  dans  les  beaux  temps 
de  la  Grèce  et  de  Rome  les  armes  offensives  étaient  faites  d'ordinaire 
en  fer  ou  en  acier;  cependant  il  nous  semble  que  cela  n'a  pas  dû  ar- 
river si  tôt  que  le  pensent  quelques  archéologues.  Par  exemple  si  les 
Romains,  à  la  bataille  de  l'Allia,  avaient  eu  autre  chose  que  l'an- 
cienne épée  de  bronze,  auraient-ils  été  aussi  épouvantés  des  grandes 
épées  en  fer  que  portaient  les  Gaulois,  et  qui  pourtant  n'étaient  pas 
si  meurtrières  qu'elles  le  paraissaient  au  premier  coup  d'œil?* 

Pour  éclaircir  ces  questions  sur  la  nature  et  la  forme  des  armes 
grecques  et  romaines,  le  témoignage  des  auteurs  n'est  pas  d'un  aussi 
grand  secours  qu'on  pourrait  l'espérer.  Cette  naïveté  primitive  avec 
laquelle  Homère  mêlait  à  la  poésie  les  détails  de  la  vie  réelle 
n'existe  plus  chez  les  historiens  des  âges  suivants,  qui,  d'ailleurs,  ne 
pouvaient  décrire  exactement  que  les  mœurs  contemporaines.  Enfin 
les  meilleures  descriptions,  quand  même  on  les  posséderait,  ne  sau- 
raient suppléera  la  disette  de  monuments  matériels,  et  malheureuse- 
ment ces  monuments  n'existent  aujourd'hui  en  certaine  abondance 
que  pour  les  époques  les  plus  reculées. 

Comment  se  fait-il  donc  que  l'on  ait  recueilli,  au  point  de  vue  des 
usages  militaires  et  domestiques,  tant  de  richesses  archéologiques 
de  ces  peuplades  mystérieuses  dont  l'histoire  et  les  noms  mêmes 
nous  sont  inconnus,  et  si  peu,  au  contraire,  de  ces  nations  dont  la 
gloire  a  rempli  le  monde?  C'est  ce  qu'il  est  facile  de  comprendre, 
d'après  les  circonstances  où  ont  eu  lieu  les  découvertes  dont  nous 
parlons,  presque  toutes  ces  découvertes  ayant  été  faites  dans  les  tom- 
beaux, tumulus  ou  hypogées,  dans  lesquels  les  races  septentrionales 
rassemblaient  auprès  des  morts  ce  qui  les  avait  occupés  pendant 
leur  vie,  et  surtout  leurs  armes.  Les  Etrusques  et  les  Egyptiens,  qui 
nous  offrent  un  mode  de  sépulture  analogue,  nous  ont  laissé  aussi 
des  débris  de  leur  antique  civilisation;  du  reste,  presque  toutes 


100  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

leurs  armes  sont  en  bronze  :  chez  les  Grecs  et  les  Romains,  au  con- 
traire, le  mode  de  sépulture  était  autre  et  leurs  tombeaux  ne  nous 
ont  pas  procuré,  à  beaucoup  près,  jusqu'ici,  la  même  abondance  de 
renseignements  positifs. 

Les  habitations  lacustres  ont  encore  fourni,  sur  ces  emps  et  ces 
peuples  si  peu  connus,  des  monuments  aussi  précieux  qu'inattendus. 
Nous  n'avons  rien  de  pareil  pour  les  temps  historiques.  Hérodote 
raconte,  il  est  vrai  (livre  V,  chap.  16),  que  le  lac  Prusias,  près  de 
la  Macédoine,  contenait  une  cité  de  cette  nature  qui  résista,  grâce 
à  sa  position,  aux  attaques  de  Mégabyse;  mais  l'on  ne  peut  guère 
songer  à  y  faire  des  fouilles  d'ici  à  longtemps,  et  elles  ne  nous  éclai- 
reraient d'ailleurs  que  sur  les  mœurs  de  populations  exceptionnelles. 

Il  faudrait  peut-être  explorer  près  des  villes  de  l'Italie  et  de  la 
Grèce  le  lit  des  rivières,  comme  on  le  fait  maintenant  à  Paris;  il 
faudrait  encore  creuser  le  sol  de  ces  mêmes  villes  et  celui  des  anciens 
champs  de  bataille  :  les  ossements  exhumés  ne  seraient  pas  sans 
doute  gigantesques,  comme  le  croyait  Virgile  d'après  les  traditions 
sur  la  dégénérescence  de  l'espèce  humaine,  mais  on  trouverait 
ce  que  prédit  le  poêle  des  armes  et  des  casques  : 

Agricola  incurvo  terrain  molitus  aratro 

Exesa  inveniet  scabra  rubigine  tela 

Aut  gravibus  rastris  galeas  pulsabit  inanes. 

Les  villes  jadis  ensevelies  par  le  Vésuve  nous  ont  donné  déjà  une 
riche  moisson  qui  n'est  pas  encore  épuisée  ;  malheureusement  l'époque 
de  Titus  est  trop  moderne  pour  qu'une  pareille  révélation  éclaire 
toute  l'histoire  romaine.  Aussi  nous  croyons  pouvoir  demander  si 
les  archéologues  connaissent  parfaitement  la  nature  et  la  forme  des 
armes  antiques  de  Rome  et  de  la  Grèce  :  l'insuffisance  des  vestiges 
matériels  ne  saurait  être  compensée  par  des  représentations  telles 
que  les  bas-reliefs,  car  il  n'est  pas  toujours  facile  de  distinguer 
jusqu'à  quel  point  elles  sont  figuratives  ou  symboliques  :  faudrait-il 
juger  des  vaisseaux  modernes  par  celui  que  nous  présentent  les  armes 
de  la  ville  de  Paris? 

Cette  incertitude  (en  admettant  qu'elle  existe  comme  nous  le  sup- 
posons) est  d'autant  plus  regrettable  qu'elle  jette  une  certaine  obscu- 
rité sur  la  question,  encore  controversée  aujourd'hui,  de  savoir  com- 
ment l'âge  de  bronze  a  succédé  à  l'âge  de  pierre  chez  ces  nations 
septentrionales  dont  nous  avons  parlé  au  commencement.  Pendant 
longtemps  on  a  cru  que  toute  civilisation  venait  des  Grecs  et  des  Ro- 


LE   BRONZE    ET    LE   FER.  1U1 

mains;  on  pensait  donc  que  ces  deux  peuples  fournissaient  aux  na- 
tions du  Nord,  sinon  les  objets  en  bronze  tous  fabriqués,  du  moins 
le  cuivre  et  l'étain  déjà  peut-être  réunis  par  l'alliage;  n\ais  l'on 
est  plus  porté  maintenant  à  croire  que  l'âge  de  bronze  a  pris 
naissance  dans  le  nord  de  l'Europe  à  la  suite  d'une  invasion.  Ce  peu- 
ple envabissant  serait  venu  de  l'Orient,  sans  doute  par  de  longues 
étapes,  et  l'on  cherche  maintenant  la  trace  de  ses  diverses  stations.  Il 
serait  trop  long  de  répéter  ici  les  preuves  que  divers  archéologues 
ont  données  à  l'appui  de  cette  opinion,  qui  d'ailleurs  peut  plus  facile- 
ment qu'on  ne  pourrait  le  croire  se  concilier  avec  la«précédenle,  car 
il  est  aujourd'hui  plus  que  probable  que  ce  sont  des  peuples  de  môme 
race,  de  même  origine  qui,  sous  des  noms  différents,  ont  peuplé  le 
nord  et  le  midi  de  l'Europe. 

Nous  sommes  donc  porté  à  adopter  une  partie  des  idées  émises  par 
Pelloutier  dans  son  Histoire  des  Celtes.  Rien  n'empêche  d'admettre 
que  l'invasion  que  nous  désignerons  sous  le  nom  générique  de  celti- 
que se  soit  divisée  en  deux  courants,  l'un  dirigé  vers  le  nord,  l'autre 
vers  le  midi .  on  explique,  par  cette  communauté  d'origine,  une  foule 
d'analogies  de  toute  espèce;  celles,  par  exemple,  que  l'on  remarque 
entre  les  armes  celtiques  et  ce  que  nous  connaissons  des  armes 
grecques,  étrusques  et  romaines  primitives  :  ainsi  on  a  trouvé  à 
Ithaque  un  poignard  de  bronze  semblable  à  ceux  du  nord. 

Mais,  quelb  que  soit  l'hypothèse  que  l'on  fasse  pour  se  rendre 
compte  de  l'introduction  du  bronze  dans  différents  pays,  on  éprouve 
quelques  embarras  à  en  expliquer  la  fabrication.  On  sait  que  le  bronze, 
ou  airain  des  statues,  des  armes  et  autres  objels  antiques,  est  un  al- 
liage où  le  cuivre  est  combiné  à  peu  près  avec  le  dixième  de  son  poids 
d'élain  (dans  les  alliages  sonores  la  proportion  de  ce  dernier  métal  est 
plus  que  double).  Pour  concevoircette  uniformité  de  composition  dans 
tous  les  temps  et  dans  tous  les  pays,  sauf  quelques  différences  qui 
tiennent  surtout  à  la  nature  des  minerais  employés,  il  faut  admettre 
qu'une  nation,  assurément  très-ancienne,  ayant  obtenu  cet  alliage  et 
observé  qu'il  est  plus  dur,  plus  fusible  et  moins  altérable  à  l'air  que 
le  cuivre  pur,  en  a  gardé  la  tradition,  et  l'a  communiquée  peu  à  peu, 
par  le  commerce  ou  l'invasion,  jusque  dans  des  contrées  extrême- 
ment reculées. 

Il  est  certain  d'abord  que  l'industrie  du  bronze  est  d'importation  en 
Europe  :  car,  si  elle  y  avait  pris  naissance,  elle  aurait  été  précédée, 
comme  au  Mexique,  par  celle  du  cuivre,  qu'on  aurait  plus  lard 
seulement  allié  avec  l'étain  ;  or  il  n'en  est  pas  ainsi;  les  objets  an- 
ciens de  cuivre  pur  y  sont  tout  à  fait  exceptionnels  :  de  plus,  les 


102  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

objets  en  bronze  de  la  plus  haute  antiquité  offrent  en  Europe  déjà 
une  perfection  remarquable  dans  les  ornements.  Cependant,  d'où 
venait  cette  industrie?  La  petitesse  des  poignées  d'épée  et  d'autres 
particularités  ont  fait  supposer  une  origine  orientale;  la  question 
toutefois  est  encore  bien  obscure. 

L'importation  du  bronze  a  dû  éprouver  en  effet  bien  des  diffi- 
cultés, surtout  pour  être  complètement  vulgarisée.  Quand  une  peu- 
plade émigrait,  elle  emportait  certainement  avec  elle  une  foule  d'objets 
en  bronze,  armes,  ornements,  ustensiles  de  toute  espèce;  mais  pour 
les  renouveler  ei  surtout  pour  en  enseigner  la  fabrication  aux  anciens 
habitants  du  pays,  il  fallait  que  les  émigrants  eussent  conservé  avec 
la  mère  patrie  des  relations  de  commerce,  ou  bien  sussent  recon- 
naître et  exploiter,  dans  le  pays  où  ils  arrivaient,  les  minerais  néces- 
saires. L'absence  ou  la  rareté  des  minerais  dans  beaucoup  de  localités 
et  la  difficulté  des  communications  ont  dû  causer  bien  des  obstacles  : 
cependant  les  découvertes  des  habitations  lacustres  nous  montrent 
l'industrie  du  bronze  parfaitement  organisée.  On  a  trouvé  des 
moules  de  hache  qui  prouvent  que  chaque  bourgade  importante 
fabriquait  elle-même  ses  instruments;  on  a  même  découvert  des  lin- 
gots de  cuivre  et  d'autres  d'étain,  qui  font  penser  que  chaque  fabrique 
savait  la  proportion  convenable  pour  faire  du  bronze. 

Outre  l'alliage  ordinaire  dont  nous  avons  parlé  jusqu'à  présent,  les 
anciens  connaissaient  encore  d'autres  espèces  de  bronze  que  Pline 
appelle  en  général  jEris  metalla  ;  il  semble  même  entendre  parla 
tous  les  métaux  non  précieux,  car,  à  la  fin  du  livre  ainsi  intitulé,  il 
parle  du  fer.  Mais  il  nous  apprend  d'abord  que  les  anciens  alliages 
de  cuivre  contenaient  quelquefois  de  l'or  et  de  l'argent  :  on  sait  que 
les  Corinthiens,  pour  donner  du  prix  aux  produits  de  leur  fabrique, 
avaient  prétendu  que,  pendant  l'incendie  de  leur  ville,  lorsqu'elle 
fut  prise  par  Mummius,  tous  les  métaux,  précieux  on  non,  fondus 
ensemble  et  courant  comme  de  l'eau  dans  les  rues,  avaient  formé  un 
airain  inimitable,  dont  cependant  leur  commerce  ne  manquait  ja- 
mais; Pline  croit  à  cela,  ainsi  qu'à  bien  d'autres  choses  aussi  incroya- 
bles. Du  reste  il  dit  que  l'on  avait  autrefois  mêlé  volontairement  l'or 
et  l'argent  avec  le  cuivre,  mais  que,  de  son  temps,  le  secret  de  ces 
combinaisons  était  perdu.  On  a  bien  retrouvé,  en  effet,  des  statues  de 
bronze  doré,  mais  aucune  trace  de  ces  alliages  précieux,  du  moins  à 
notre  connaissance.  D'ailleurs  la  fraude  que  nous  reconnaissons  dans 
l'airain  prétendu  naturel  de  Corinthe  nous  en  fait  soupçonner  une 
semblable  dans  ces  airains  artificiels  où  tout  le  secret  consistait  peut- 
être  à  donner  au  cuivre,  par  son  mélange  avec  quelques  métaux  non 


LE  BRONZE  ET  LE  FER.  103 

précieux,  une  couleur  qui  rappelât  celle  de  l'or  et  de  l'argent. 
Au  moyen  âge,  et  môme  plus  tard,  une  fraude  de  cette  nature 
s'est  faite  à  propos  de  la  fonte  des  cloches,  dans  lesquelles  on 
croyait  avoir  mis  une  quantité  très-considérable  d'argent  pour  leur 
donner  un  plus  beau  son,  et  qui  cependant  n'ont  pas  fourni  un 
atome  d'argent  quand  on  les  a  fondues  à  la  révolution.  Comment 
expliquer  celle  disparition  en  présence  des  compte  rendus  officiels, 
constatant  que  beaucoup  de  personnes  pieuses  étaient  venues  publi- 
quement jeter  leur  argenterie  dans  le  fourneau  des  fondeurs?  C'est 
que  cette  argenterie  était  reçue  dans  un  compartiment  séparé  où 
elle  se  fondait  sans  se  mêler  au  vrai  métal  de  cloche.  Les  Annales 
des  sciences  physiques  et  chimiques  font  le  récit  curieux  de  la  dé- 
couverte el  de  la  disposition  d'un  fourneau  de  cette  nature,  où  les 
fondeurs  recueillaient  ainsi  l'offrande  des  fidèles.  Les  anciens  n'a- 
vaient guère  de  contrôle  contre  de  pareilles  fourberies,  et  la  fameuse 
découverte  d'Archimède,  à  propos  de  la  couronne  de  Hiéron,  bien 
qu'admirable  au  point  de  vue  de  la  science,  est  insuffisante  comme 
analyse  chimique,  car  les  métaux  pouvaient  se  condenser  ou  se 
dilater  dans  l'alliage. 

Nous  avons  vu  qu'une  des  grandes  difficultés  de  la  vulgarisation 
du  bronze  avait  dû  être  la  nécessité  de  combiner  deux  métaux,  l'un 
d'eux,  c'est-à-dire  l'étain,  ne  se  trouvant,  aujourd'hui  du  moins,  que 
clans  peu  démines  exploitables.  Il  se  rencontre  dans  l'Inde,  à  Banca 
et  à  Malacca;  dans  l'Europe,  en  Saxe  et  en  Bohême,  et  surtout  dans 
le  pays  de  Cornwall  :  c'est  là,  ainsi  qu'aux  îles  Cassitérides,  que  les 
Phéniciens  allaient  le  chercher  pour  le  répandre  dans  le  commerce 
de  l'ancien  monde.  Mais,  outre  les  mines  aujourd'hui  connues, 
l'antiquité  pouvait  en  utiliser  d'autres  dont  elle  a  pris  le  minerai  le 
plus  riche  et  qui  ne  valent  pas  la  peine  d'être  exploitées  aujourd'hui; 
car  si  nous  consommons  plus  de  métaux  que  les  anciens,  la 
main-d'œuvre  est  bien  plus  coûteuse  pour  nous  que  pour  eux  : 
aussi  certains  archéologues  ont  peut-être  tort  d'accuser  d'erreur 
les  auteurs  anciens  qui  parlent  de  mines  d'étain  exploitées  en 
Espagne. 

La  même  difficulté  n'existe  pas  pour  le  fer;  mais  il  s'en  présente 
une  autre  tout  aussi  grande  dans  l'élévation  de  température  que  ré- 
clame cette  métallurgie,  et  il  suffit  de  jeter  un  coup  d'œil  sur  les 
procédés  qui  servent  aujourd'hui  à  préparer  le  fer  et  l'acier  pour 
comprendre  qu'ils  n'étaient  nullement  à  l'usage  des  anciens. 

Imaginez  un  haut-fourneau  long  de  dix  à  vingt  mètres,  et  dans 
lequel  on  entasse  par  couches  le  charbon  et  le  minerai,  c'est-à-dire 


104  REVUE   ARCHEOLOGIQUE. 

l'oxyde  ou  le  carbonate  de  fer,  mélangé  des  matières  terreuses  dont 
il  a  été  impossible  de  le  débarrasser;  enfin  le  fondant,  qui  consiste 
en  d'autres  matières  terreuses  convenablement  choisies  pour  changer 
en  verre  appelé  laitier,  à  l'aide  de  la  chaleur,  tout  ce  qui  altérait  la 
pureté  de  l'oxyde.  Cet  oxyde,  sous  l'influence  du  charbon,  perdra 
son  oxygène,  qui  se  dégagera  en  gaz  acide  carbonique  et  oxyde  de 
carbone,  tandis  que  le  fer  se  combinera  avec  le  charbon  en  excès 
pour  former  de  la  fonte  :  c'est  là  ce  fleuve  mélallique  qui  s'échappe 
en  lave  brûlante  quand  on  ouvre  la  porte  du  fourneau,  et  sur 
lequel,  néanmoins,  on  peut  sans  crainte  courir  pieds  nus,  tant  qu'il 
n'a  pas  encore  commencé  à  se  refroidir. 

Maintenant  il  faut  oblenir  du  fer  pur,  et  pour  cela  faire  enlever  par 
l'oxygène  de  l'air  le  carbone  à  la  fonte;  enfin,  comprimer  la  masse 
avec  d'énormes  martinets,  pour  en  extraire  le  reste  du  laitier  :  c'est 
ce  qu'on  appelle  cingler  laloupe. 

La  transformation  du  fer  en  acier  se  fait  par  la  cémentation  :  on 
met  les  barres  de  fer  dans  des  caisses,  avec  des  lits  alternatifs  de 
charbon  en  poussière,  et  l'on  chauffe,  mais  à  une  température  infé- 
rieure à  celle  qui  serait  nécessaire  pour  fondre  le  fer  et  même  l'acier; 
aussi  est-ce  là  une  exception  remarquable  à  cet  axiome  chimique  : 

Corpora  non  agunt  nisi  soluta. 

En  effet,  quoique  le  fer  ne  soit  pas  fondu  et  le  carbone  encore 
moins,  celui-ci  pénètre  le  métal  et  le  transforme  en  acier  à  sa  surface. 
L'opération  réussit  mieux  quand  le  charbon  contient  des  substances 
azolées;  car,  selon  M.  E.  Fremy,  la  présence  de  l'azote  est  indispen- 
sable pour  la  formation  de  l'acier.  Enfin,  si  l'on  veut  que  la  masse 
soit  homogène,  il  suffit  de  reprendre  cet  acier  et  de  le  fondre  à  une 
température  supérieure  à  celle  de  la  cémentation. 

Nous  n'avons  pas  eu  la  prétention  de  décrire  les  procédés  mo- 
dernes, qui  ont  l'avantage  d'utiliser  des  minerais  assez  pauvres; 
nous  avons  voulu  montrer  qu'ils  donnent  le  fer  et  surtout  l'acier 
d'une  manière  très-détournée  :  aussi,  l'ébauche  du  système  actuel  ne 
paraît  dans  l'histoire  de  la  science  qu'à  l'époque  de  la  renaissance  et 
surtout  dans  le  grand  ouvrage  de  G.  Agricola,  Dere  metallica. 

Quelle  était  donc  la  métallurgie  du  fer  chez  ces  rudes  Cyclopes  que 
la  légende  nous  représente  avec  un  œil  unique,  emblème  de  la 
lampe  qu'ils  attachaient  sur  leur  front  pour  éclairer  leur  travail  sou- 
terrain? C'était  la  méthode  des  forges  catalanes,  encore  usitée  main- 
tenant quand  les  circonstances  le  permettent,  et  qui  consiste  à  réduire 


LE   BRONZE    ET   LE    FER.  105 

l'oxyde  de  fer  par  le  charbon  dans  des  fourneaux  ordinaires.  La 
température, n'a  pas  besoin  d'être  aussi  élevée  que  dans  les  hauts- 
fourneaux,  mais  le  minerai  doit  être  bien  plus  pur  ;  c'est  la  condition 
essentielle,  et  nous  ne  devons  pas  nous  étonner  que  certains  pays 
aient  été  appauvris  par  une  exploitation  prolongée. 

Outre  ces  riches  minerais  d'oxyde,  les  anciens  exploitaient  aussi 
des  masses  de  fer  ou  plutôt  d'acier  natif,  dont  l'origine  a  paru  long- 
temps inexplicable,  mais  que  l'on  s'accorde  aujourd'hui  à  considérer 
comme  météoriques. 

En  effet,  tout  le  monde  sait  aujourd'hui  qu'il  tombe  de  temps  en 
temps  des  pierres  du  ciel,  comme  on  dit  vulgairement,  et  nous 
ne  sommes  plus  à  l'époque  où  l'Académie  des  sciences,  faute  de 
pouvoir  expliquer  ce  phénomène,  traitait  de  chimère  le  procès-verbal 
de  toute,  une  commune.  Si  quelqu'un  de  ces  petits  corps  si  nombreux 
qui  circulent  dans  l'espace  éprouve  dans  sa  vitesse  une  diminution 
suffisante  par  suite  de  sa  rencontre  avec  l'atmosphère  terrestre,  il 
finit  par  tomber  sur  notre  globe.  Le  frottement  rapide  et  prolongé 
contre  l'air  échauffe  l'aérolithe,  le  rend  lumineux,  et  l'on  a  constaté 
qu'à  l'instant  où  il  tombe  à  terre  il  est  généralement  à  une  tempéra- 
ture très-ôlevée  :  de  plus,  on  remarque  souvent  à  sa  surface  des  traces 
évidentes  de  fusion. 

Les  substances  contenues  dans  ces  aérolithes  sont  assez  variées, 
mais  on  en  rencontre  quelquefois  d'acier  presque  pur,  et  si  nous 
insistons  sur  cette  source  métallique,  c'est  que  nous  croyons  pouvoir 
y  rattacher  le  disque  d'Achille  dont  nous  avons  déjà  parlé,  car  Ho- 
mère donne  à  ce  disque,  ou  plutôt  à  cette  boule,  l'épi thète  aCiTo^ow- 
vov,  ce  qui  semble  vouloir  dire  fondu  naturellement.  Ce  mot,  dont 
les  commentateurs  ont  cherché  inutilement  le  sens,  s'applique 
aux  traces  que  la  fusion  devait  avoir  laissées  sur  cette  masse  : 
on  les  remarque  sur  celle  que  nous  possédons  au  musée  minéralo- 
gique  de  Paris  et  qu'un  guerrier  d'Homère  aurait  peine  à  remuer. 
Dans  plusieurs  pays  on  en  trouve  d'autres  tellement  considérables, 
qu'on  ne  songe  pas  à  les  changer  de  place.  On  peut  voir,  dans  diffé- 
rents ouvrages,  par  exemple  dans  la  Chimie  de  Thenard,  la  liste 
très-considérable,  et  qui  sans  doute  n'est  pas  complète,  de  ces  masses 
d'acier  natif  que  la  tradition  représente  quelquefois  comme  tombées 
du  ciel  et  que  l'on  exploite  encore  dans  certaines  contrées;  en  effet 
il  suffit  de  marteler,  même  avec  la  pierre,  une  portion  de  cette  masse 
pour  avoir  un  instrument  d'excellente  qualité.  On  comprend  ainsi  la 
tradition  biblique  d'après  laquelle,  dès  le  berceau  de  l'espèce  hu- 


106  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

maine,  Tubalcaïn  martelait  et  façonnait  des  instruments  de  cuivre 
et  de  fer.  (Tubalcaïn,  qui  fuit  malleator  et  faber  in  cuncla  opéra  œris 
etferri.)  Quant  au  cuivre,  on  en  trouve  aussi  de  natif,  notamment  au 
Mexique,  où  il  a  été  de  même  travaillé  au  marteau,  mais  il  n'est  pas 
d'origine  météorique. 

Après  Homère,  le  mot  aiSripoç  semble  réservé  au  fer  non  suscep- 
tible d'être  trempé,  et  l'acier  panît  indiqué  par  le  mot  x<&<4'  Qu'  est 
passé  dans  le  latin;  mais  les  idées  des  anciens  à  ce  sujet  devaient  être 
fort  confuses,  la  méthode  des  forges  catalanes  leur  donnant  tanlôt 
de  l'acier,  tantôt  du  fer,  et  pas  toujours  à  volonlé.  Du  reste,  ce  mot 
indique  qu'une  partie  de  l'acier  venait  primitivement  du  pays  des 
Chalybcs,  peuple  du  royaume  de  Pont. 

Pline  signale  comme  les  meilleurs  minerais  de  fer  ceux  du  pays 
des  Sères  et  ceux  de  l'île  d'Elbe.  Maintenant  encore,  le  fer  oligiste  de 
l'île  d'Elbe  est  très-connu,  et  l'on  en  trouve  des  échantillons  dans 
toutes  les  collections  de  minéralogie.  Quant  au  pays  des  Sères,  il 
faut  entendre  par  là,  non-seulement  l'Inde,  mais  diverses  contrées 
de  l'Orient  qui  communiquaient  avec  les  Romains  d'une  manière 
très-indirecte.  Cette  antique  réputation  s'est  toujours  conservée;  aussi 
l'on  estime  avec  raison  les  poignards  malais;  mais  de  toutes  les  va- 
riétés de  l'acier  oriental,  la  plus  célèbre  est  l'acier  de  Damas,  ainsi 
nommé  à  cause  de  la  ville  où  s'en  faisait  le  commerce.  On  le  recon- 
naît aux  lignes  ondulées,  noires  et  grises  qui  en  sillonnent  la  sur- 
face; ces  lignes,  produites  par  du  charbon  en  excès,  sont  rendues  plus 
visibles  par  l'action  d'un  acide;  mais  la  vraie  supériorité  de  cet 
acier  consiste  dans  sa  souplesse  et  sa  dureté  :  pour  essayer  la  per- 
fection d'un  sabre  de  cette  nature,  on  posait  sur  le  tranchant  un 
tissu  très-léger,  que  d'un  coup  rapide  on  séparait  en  deux  parties. 

A  propos  de  cet  acier,  d'une  origine  assurément  fort  ancienne, 
voici  ce  que  dit  Tavernier  (Voyage  en  Perse,  liv.  V)  : 

«  Les  Persans  savent  parfaitement  damasquiner  avec  le  vitriol, 
des  sabres,  des  couteaux  et  choses  semblables;  mais  la  nature  de 
l'acier  dont  ils  se  servent  y  contribue  beaucoup,  vu  qu'ils  n'e.i 
pourraient  faire  autant  ni  avec  le  leur,  ni  avec  le  nôtre.  Cet  acier 
s'apporte  de  Golconde,.  et  c'est  le  seul  qui  se  puisse  bien  damas- 
quiner. Aussi  est-il  différent  du  nôtre;  car,  quand  on  le  met  au  feu 
pour  lui  donner  sa  trempe,  il  ne  faut  lui  donner  qu'une  petite  rou- 
geur, comme  couleur  de  cerise,  et  au  lieu  de  le  tremper  dans  l'eau 
comme  nous  le  faisons,  on  ne  fait  que  l'envelopper  dans  un  linge 
mouillé,  parce  que,  si  on  lui  donnait  la  même  chaleur  qu'au  nôtre, 
il  deviendrait  si  dur  que,  dès  qu'on  le  voudrait  manier,  il  se  casse- 


LE   BRONZE   ET   LE   FER.  107 

rait  comme  du  verre.  On  prend  cet  acier  en  pain  gros  comme  nos 
pains  d'un  sou,  et  pour  savoir  s'il  est  bon  et  s'il  n'y  a  point  de  fraude, 
on  le  coupe  en  deux,  chaque  morceau  suffisant  pour  faire  un  sabre, 
car  il  s'en  trouve  qui  n'a  pas  été  bien  préparé  et  qu'on  ne  saurait 
damasquiner.  Un  de  ces  pains  d'acier,  qui  n'aura  coûté  à  Golconde 
que  la  valeur  de  neuf  ou  dix  sous,  vaut  en  Turquie  jusqu'à  trois 
piastres,  et  il  en  vient  à  Conslantinople,  à  Smyrne,  à  Alep  et  à 
Damas,  où  anciennement  on  le  transportait  le  plus,  quand  le  négoce 
des  Indes  se  rendait  au  Caire  par  la  mer  Rouge.  » 

On  voit,  par  ces  derniers  mots  de  Tavernier,  que  déjà  de  son  temps 
ce  commerce  décroissait  dans  la  ville  où  il  avait  été  le  plus  florissant. 
M.  de  Lamartine,  dans  son  Voyage  en  Orient,  dit  qu'il  est  presque 
impossible  de  trouver  chez  les  armuriers  de  Damas  des  armes  de 
l'ancienne  trempe,  et  que  les  musulmans  qui  ont  le  bonheur  d'en 
voir  par  hasard  y  posent  leurs  lèvres  avec  respect,  comme  s'ils  ado- 
raient un  aussi  parfait  instrument  de  mort. 

En  face  de  ces  beaux  produits,  les  armes  des  Occidentaux  même 
au  moyen  âge  devaient  être  bien  inférieures  pour  la  finesse  et  la 
trempe  de  l'acier  :  cependant,  il  arriva  quelquefois,  soit  par  un  com- 
mencement de  commerce  avec  l'Orient,  soit  par  un  heureux  hasard 
dans  la  fabrication  par  le  procédé  des  forges  catalanes,  que  les 
guerriers  chrétiens  eurent  d'excellentes  armes,  comme  le  prouvent 
tous  les  romans  de  chevalerie.  Sans  doule  il  faut  faire  la  part  d'une 
exagération  poussée  jusqu'au  burlesque,  et  l'on  n'est  pas  obligé  de 
croire  à  ces  grands  coups  d'épée  que  madame  de  Sévigné  aimait  tant 
et  qui  séparaient  en  deux  parties  égales  un  homme  et  son  cheval, 
l'un  et  l'autre  armés  de  toutes  pièces;  mais  du  moins  on  peut  en 
conclure  que  certains  princes  et  chevaliers  avaient  des  armes  d'une 
qualité  très-supérieure. 

Aussi,  comme  les  ouvriers  mêmes  qui  les  avaient  forgées  ne  pou-, 
vaient  rendre  compte  d'une  perfection  accidentelle,  on  l'attribuait  à 
des  influences  célestes  ou  infernales,  ainsi  qu'on  peut  le  voir  dans 
l'Arioste,  dont  le  Roland  furieux  résume  tant  de  romans  de  cheva- 
lerie. Balisarde,  l'épée  de  Roger,  cette  lame  cruelle  qui  tranchait 
comme  une  pâte  molle  l'acier  le  plus  dur,  est  trempée  par  une  fée 
dans  les  eaux  du  Styx;  Durandal,  l'épée  de  Roland,  est  celle  d'Hec- 
tor, le  rival  d'Achille!  Elle  s'était  bien  conservée,  comme  on  le  voit, 
et  sans  doute  existerait  encore  si  Roland,  près  de  succomber  dans 
les  gorges  de  Roncevaux,  ne  l'avait  brisée  lui-même,  quoique  avec 
peine.  Cela  n'est  plus  dans  l'Arioste;  mais  l'on  montre  encore  dans 


108  KEVUE   AKCHÉOLOUIQUE. 

les  Pyrénées  une  immense  entaille  ouverte  entre  deux  rochers  par 
un  coup  de  Durandal. 

On  sait  aussi  qu'au  moyen  âge  et  à  la  renaissance  les  armuriers 
d'Espagne  et  d'Italie  ont  joui  d'une  réputation  méritée;  on  parvenait 
même  à  donner  aux  armes  une  trempe  aussi  dure  que  celle  dont 
l'acier  indien  était  susceptible.  Cela  se  voit  par  le  passage  suivant, 
tiré  des  Duels  de  Brantôme,  où  l'auteur  parle  des  supercheries  trop 
souvent  employées  alors  dans  les  combats  singuliers  : 

«  Voici  un  autre  abus  d'un  qui  fit  forger  à  Milan,  par  un  maître 
très-exquis,  deux  paires  d'armes,  tant  épée  que  dague,  toutes  vitri- 
nes, c'est-à-dire  rompantes  comme  verre,  mais  pourtant  de  fer  ou  d'a- 
cier, c'est-à-dire  tranchantes,  piquantes,  fourbies  et  luisantes  comme 
les  communes,  mais  trempées  de  telle  façon  que,  qui  n'en  saurait 
user,  toucber  ou  piquer-  comme  il  fallait,  elles  se  rompraient  comme 
verre;  mais  qui  en  saurait  l'usage  et  la  façon  d'en  frapper,  elles  ne 
se  rompraient  aisément.  Celui  donc  qui  donnait  les  armes,  de  longue 
main  en  avait  appris  si  bien  la  façon  et  le  biais  pour  en  savoir  user, 
que,  venant  à  les  mettre  en  effet,  son  ennemi  qui  allait  à  la  bonne 
foi, et  pensant  jouer  son  jeu  à  la  vieille  mode,  comme  d'autres  épées 
(car  du  reste  ils  étaient  tout  découverts),  du  beau  premier  coup  qu'il 
rua  à  son  ennemi,  épée  et  dague  s'en  allèrent  en  pièces  comme 
verre  :  l'autre  sachant  la  milice,  l'art  et  le  biais  de  ses  armes,  les 
mena  si  dextrement  qu'il  en  donna  aussitôt  dans  le  corps  de  son  en- 
nemi, qu'il  porta  mort  par  terre.  » 

On  est  scandalisé  de  voir  raconter  une  pareille  anecdote  sous  pré- 
texte de  duel  ;  mais  l'auteur,  qui  pourtant  n'est  pas  d'ordinaire  très- 
scrupuleux  sur  ce  sujet,  a  le  bon  sens  d'appeler  cela  un  assassinat. 

Pour  terminer,  nous  devons  revenir  en  arrière  et  bien  avant  ces 
perfectionnements  qui  déjà  se  rapprochent  de  notre  siècle,  afin  de 
jeter  un  coup  d'œil  sur  l'origine  de  l'âge  de  fer  dans  le  nord  de 
l'Europe.  Tout  ce  que  les  historiens  romains  nous  en  rapportent  se 
réduit  à  quelques  indications  sur  les  framées  des  Germains  et  sur 
les  longues  épées  sans  pointe  des  Gaulois;  celles-ci  n'étaient  pas 
trempées,  car  on  les  redressait  avec  le  pied,  sur  le  champ  de 
bataille  même,  quand  elles  se  faussaient  après  avoir  frappé. 

Les  fouilles  récentes  ont  fait  voir  que  l'âge  de  fer  avait  peu  à  peu 
remplacé  l'âge  du  bronze,  grâce  à  l'invasion  d'une  race  septentrio- 
nale venue  probablement  de  Suède,  où  les  minerais  de  fer  sont  en- 
core si  riches  et  si  abondants  :  les  poignées  d'épée  deviennent  plus 
grandes  et  les  ornements  changent  de  caractère.  C'est  aussi  le  fer 


LE   BRONZE    ET   LE   FER.  100 

qui  servait  aux  Francs  pour  faire  leurs  angons,  qui  ressemblaient  à 
de  petits  harpons. 

Enfin,  nous  dirons  un  mot  d'une  arme  que  nous  avons  vue  dans 
le  cabinet  de  M.  Houbigant,  à  Nogent-Ies-Vierges,  et  qui  est  d'autant 
plus  remarquable  qu'elle  semble  se  rapporter  à  la  fois  à  l'âge  de 
pierre  et  à  l'âge  de  fer.  C'est  une  hache  en  pierre,  assez  bien  ficelée, 
suivant  l'usage,  à  un  manche  en  bois;  mais  le  porteur  de  cette  arme, 
ne  la  jugeant  sans  doute  pas  assez  tranchante,  lui  avait  adapté  un 
morceau  de  fer  qui  rappelle  la  garniture  de  la'hache  de  nos  sapeurs. 
Seulement,  comme  dit  le  caporal  instructeur  qui  démontre  le  demi- 
tour  à  gauche  après  avoir  expliqué  le  demi-tour  à  droite,  c'est  la 
même  chose  excepté  que  c'est  tout  le  contraire  :  tandis  que  la  hache 
des  sapeurs  est  garnie  de  cuivre  pour  qu'elle  ne  coupe  pas  mal  à 
propos,  le  guerrier  sauvage  avait  terminé  la  sienne  par  une  lame 
de  fer  repliée  sur  la  pierre  de  côté  et  d'autre.  Il  reste  à  savoir  si  cette 
garniture  métallique  est  du  même  temps  que  la  hache  même;  c'est 
ce  que  nous  ne  pouvons  décider. 

Ch.  Housel. 


LES  DESCENDANTS  IMMÉDIATS 


D'ÉPORÉDORIX 


D'APRES  UNE  INSCRIPTION  D'AUTUN 


ET    AUTRES    DOCUMENTS 


La  ville  éduenne  qu'Augusle  entoura  de  splendides  murailles  et 
que  Constance  Chlore  releva  de  sa  ruine  prématurée,  est  pleine  de 
précieux  souvenirs  incessamment  battus  en  brèche  par  la  main  du 
temps.  Au  milieu  de  ses  montagnes,  cette  antique  cité  d'Autun,  où 
longtemps  avait  retenti  le  cri  de  guerre,  devint  sous  la  domination 
romaine  le  paisible  asile  des  lettres.  Elle  se  souvient  aujourd'hui 
de  sa  double  gloire  et  a  conçu  le  pieux  dessein  d'en  conserver  les 
témoignages  dans  un  musée  qui  leur  sera  spécialement  consacré. 
Déjà  i'administration  municipale  a  ouveit,  dans  la  limite  de  ses 
ressources,  un  crédit  pour  l'exécution  de  cette  trés-louable  entre- 
prise; mais  la  somme  votée  n'atteint  pas  l'estimation  de  la  dépense 
à  faire,  et  il  faut  suppléer  par  d'autres  moyens  à  son  insuffisance. 
C'est  la  Société  Éduenne,  dont  le  dévouement  à  la  science  est  bien 
connu,  c'est  son  digne  président.  M.  Bulliot,  qui  ont  pris  la  tâche, 
quelquefois  ingrate  et  toujours  pénible,  de  faire  appel  à  la  généro- 
sité des  citoyens.  Leur  voix  sera  écoutée,  nous  en  avons  la  confiance, 
et  bientôt  le  musée  d'Autun  mettra  sous  les  yeux  du  public  un  en- 
semble de  monuments  sans  pareil  pour  l'étude  de  la  religion,  des 
mœurs  et  des  arts  dans  la  société  gauloise,  surtout  si  on  les  rap- 
proche de  ceux,  d'un  caractère  si  singulier,  qui  existent  à  Cussy 
la  Colonne,  à  Dijon,  à  Beaune  et  dans  d'autres  localités  du  pays 
éduen. 

Le  monument  épigraphique  dont  nous  allons  nous  occuper  se 
présente  aux  yeux  avec  une  physionomie  plutôt  romaine  que  gau- 


LES   DESCENDANTS   D  EP0RED0R1X. 


111 


loise;  mais  ce  n'en  sera  pas  moins  l'une  des  pièces  les  plus  pré- 
cieuses du  futur  musée  d'Autun,  si,  comme  il  y  a  lieu  de  le  croire, 
les  personnages  qu'il  mentionne  sont  les  descendants  immédiats 
d'un  noble  Éduen  dont  César  a  immortalisé  le  nom  en  l'inscrivant 
dans  ses  Commentaires,  Voici  la  reproduction  du  dessin,  à  l'échelle 
du  20e,  que  j'en  ai  pris  en  1859  : 


La  pierre  était  alors  encastrée  dans  un  mur  de  jardin  de  la  mai- 
son Châtillon,  près  de  laquelle  on  l'avait  trouvée  en  1847.  Je  n'ai 
pu  en  mesurer  l'épaisseur,  qui  doit  être  celle  d'une  simple  dalle;  les 
autres  dimensions  sont  de  lm,67  en  longueur  et  de  0m,51  en  largeur. 
Les  lettres,  qui  sont  de  la  plus  belle  épttque,  ont  0m,12  à  la  première 
ligne  et  0m,10  cà  la  seconde,  sauf  celles  de  dimensions  réduites  qu'a 
nécessitées  le  défaut  d'espace.  Le  cadre  entourant  l'inscription  se 
compose  d'un  listel  et  d'une  doucinc,  de  0m,04  chacun,  correcte- 
ment profilés.  Tout  annonce  que  cette  pierre  appartenait  à  un  édifice 
d'une  certaine  importance. 

Si  l'on  restitue  aux  parties  dégradées  :  1°  dans  le  premier  mot  de 
la  seconde  ligne,  un  P,  deuxième  lettre  de  ce  mot;  un  E,  cinquième 
lettre  ;  un  d,  sixième  lettre  et  un  i,  onzième  lettre,  ces  deux  der- 
nières en  petites  majuscules,  enfin  une  S,  lettre  finale;  2°  une  NT, 
formant  sigle  séparé  dans  cette  ligne;  3°  quelques  points  de  sépara- 
tion des  mots,  peut-être  omis  par  le  lapicide,  on  est  conduit  à  celte 
transcription  en  caractères  courants  : 

C  •  IVL  •  C  •  MAGNI  •  F  ■  C  • 
EPORED1RIGIS  ■  N  •  PROGVLYS  D  •  S  •  F  • 

Tel  est  le  texte  incontestable  qu'il  s'agit  d'interpréter.  Je  dis  «  in- 
contestable, »  quoiqu'il  diffère,  sur  un  ou  deux  points,  de  celui  qui 
a  été  publié  par  la  Société  Éduenne  (1).  En  effet,  le  trait  de  burin 


(1)  Autun  archéologique,  1848. 


112  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

oblique  qui  borde  la  cassure  et  aboutit  au  pied  d'une  haste,  vers  le 
milieu  de  la  seconde  ligne,  a  été  aperçu  par  les  antiquaires  d'Autun 
comme  il  l'a  été  par  moi,  et  ce  fait,  indépendamment  de  toute  consi- 
dération théorique,  suffit  pour  trancher  la  question  de  savoir  s'il 
faut  rétablir  là  une  lettre  N  ou  un  nombre  II,  question  qu'ils  ont 
néanmoins  laissée  indécise.  Quant  à  l'S  par  laquelle  je  termine  le 
premier  nom  de  cette  môme  ligne,  ces  antiquaires  en  ont  vu  l'extré- 
mité supérieure,  mais  ils  l'ont  prise  pour  un  point  triangulaire, 
quoique  les  points  ne  se  placent  pas  aussi  haut  relativement  aux 
lettres. 

Avant  tout,  je  crois  devoir  rapporter  la  lecture  admise  à  Autun, 
afin  de  montrer  en  quoi  elle  pèche,  car  il  est  souvent  aussi  profi- 
table de  combattre  une  mauvaise  interprétation  que  d'en  présenter 
une  qui  soit  conforme  aux  règles  de  la  science: 

CAIO     IVLIO  ,    CAII  MAGNI    FILIO,    CLARO 
EPOREDIRIGI  (  PROGVLVS  DE  SVO  FECIT. 

Pour  remplir  l'espace  laissé  en  blanc  et  qui  est  occupé  sur  le  mo- 
nument par  un  sigle  soi-disant  douteux,  plusieurs  variantes  sont 
proposées.  Dans  l'hypothèse  du  sigle  II,  on  devra  lire  Secundus, 
attendu,  dit-on,  que  l'usage  des  chiffres  romains  pour  indiquer  les 
noms  propres  est  admis  par  les  épigraphistes,  et  alors  Secundus  sera 
l'un  des  noms  de  l'auteur  du  monument  ;  ou  bien,  en  considérant 
que  le  nombre  II,  quand  il  est  surmonté  d'un  Irait  horizontal,  comme 
cela  a  lieu  dans  notre  inscription,  se  lit  duumvir  dans  Gruter,  c'est 
ce  titre  que  l'on  restituera,  en  le  mettant  au  datif,  parce  qu'il  doit 
être  rapporté  h  Eporedirigi.  Que  si,  au  contraire,  on  donne  la  pré- 
férence au  sigle  N,  il  faudra  peut-être  lire  [Eporedirigi]  nostro,  ou 
Nonius  [Proculus].  Enfin  l'auteur  est  d'avis  de  donner  au  mot  Epo- 
redirigi le  sens  d'un  nom  de  magistrature  plutôt  que  celui  d'un 
nom  propre. 

Cet  échafaudage,  qui  fera  sourire  un  épigraphiste,  est  facile  à  ren- 
verser. 

D'abord,  c'est  une  erreur  de  croire  que  le  nom  propre  Secundus 
se  soit  jamais  écrit  en  cbiffres.  Je  sais  bien  que  la  table  de  Gruter, 
édition  de  1603,  admet  cette  figuration  comme  résultant  des  inscrip- 
tions CCCCLXXVIIII— 2  et  DCCCLXV— 10  [lisez  (>]  ;  mais  la  table  se 
trompe,  les  inscriptions  ne  disent  point  du  tout  cela.  Voici  ces  docu- 


LES    DESCENDANTS    d'ÉPORÉDORIX.  113 

ments  tels  qu'on  les  trouve  dans  Gruter,  avec  les  corrections  que 
je  crois  nécessaire  d'y  apporter  : 

CCCCLXXVIIII-2. 

L  •  VALERIO     LEGA  Corr.  :  L  •  VALERIO  •  L  •  F  •  G  •  A 

PRO  •  II  •  NOVO  PRO  •  H  •  NOVO 

OMNIBVS    HONO  CA-d.,Lucio  Valerio Lucii filio,  Galeria 

RIBVS  IN  R  •  P  •  (tribu),  Apro,  homininovo 

SVA  •  FVNCTO 

ADLECTO  •  IN  •  V 

DECVRIAS  •  FLA 

MINI  •  P  •  H  •  C  • 

GAMVS  •  ET  Corr.:  GAMVS  .  ET 

TROPHIME-II  •  F  TROPHIME -L-L-F 

PATRONO  OPTI  C.-à-d.,  Gamus  et  Trophime 

ET-  INDVLGENTISSIM  Lucii  liberti  fecerunt 

DCCCLXV— 6 
P  •  II  •  CINIO  ■  MONIANI         Corr.:  P  ■  LIGINIO 
L  •  RVFIONI  •  HAVIENSONI 
HAISGOIARRIS  ■  FILIAE 

Le  premier  de  ces  monuments  contient  le  cursus  honorum  som- 
maire de  Lucius  Valerius  Aper,  fils  de  Lticius,  de  la  tribu  Galeria, 
homme  nouveau,  lequel,  après  avoir  rempli  toutes  les  fonctions 
municipales  dans  sa  république,  sans  doute  Dianium,  aujourd'hui 
Dénia,  puisque  c'est  là  que  la  pierre  a  été  trouvée,  fut  appelé  à 
faire  partie  de  l'une  des  cinq  décuries  (de  juges),  et  devint  ensuite 
flamine  (perpétuel?)  de  l'Espagne  citérieure  ou  Tarraconaise.On  sait 
que  le  citoyen  romain  qui,  le  premier  de  sa  famille,  parvenait  à  une 
magistrature  curule,  et  la  fonction  de  juge  aux  cinq  décuries  en 
était  une,  recevait  la  dénomination  d'homme  nouveau.  Le  monu- 
ment élevé  à  Valerius  a  pour  auteurs  deux  de  ses  affranchis,  un 
homme  et  une  femme,  qui  portent  des  noms  bien  appropriés  à  leur 
ancien  état  d'esclaves.  Tout  cela  est  très-naturel,  très-régulier  épi- 
graphiquement,  et  le  nom  de  Secundus  ne  pourrait  aucunement  s'y 
faire  place. 

II  en  est  de  même  de  la  seconde  inscription  où  la  correction 
iv.  8 


114  REVUK    ARCHEOLOGIQUE. 

L1CINIO  est  parfaitement  indiquée,  et  qui,  en  ce  qui  nous  intéresse, 
s'interprète  sans  difficulté  : 

A  Publius  Licinius  Ruffio,  affranchi  de  (Publius  Licinius)  Monia- 
nus,  etc. 

Quant  au  sigle  II  surmonté  d'un  trait  horizontal  et  lu  duumviro, 
l'explication  proposée  ne  serait  admissible  qu'autant  que  ce  sigle 
serait  suivi  du  mot  YIRO,  ou  au  moins  de  son  initiale  V,  ce  qui  n'est 
point  le  cas. 

En  ce  qui  concerne  le  sigle  N,  avec  ou  sans  barre  au-dessus,  car 
c'est  un  peu  au  goût  du  lapicide,  il  y  a  plus  de  cent  noms  de  famille 
romains  qui  s'y  adapteraient  tout  aussi  bien  que  celui  de  Nonins. 
Pourquoi  celui-là?  Est-il  plus  susceptible  de  s'abréger  que  les  autres? 
Nullement;  les  noms  de  famille  qui  s'abrègent  sont  .ceux  qui  jouis- 
sent d'une  très-grande  notoriété,  comme  Iulias,  Flavius,  encore  ne 
les  représente-t-on  point  par  un  sigle  d'une  seule  lettre.  Les  inscrip- 
tions étaient  faites  pour  être  lues  et  comprises.  L'autre  solution, 
nostro,  ne  vaut  rien  après  un  nom  propre,  mais  on  dit  que  le  nom 
d'Éporédirix  est  celui  d'une  magistrature,  à  cause  de  la  signification 
qu'on  lui  suppose  dans  la  langue  gauloise.  Pour  répondre  à  cela  je 
me  borne  à  renvoyer  aux  Commentaires  de  César,  dans  lesquels 
Eporedorix  est  évidemment  un  nom  propre  comme  ceux  de  tous 
les  autres  Gaulois  cités  par  l'illustre  auteur.  Je  ne  m'arrêterai  pas 
d'ailleurs  à  la  différence  très-légère  des  deux  orthographes,  diffé- 
rence dont  YOrgetorix  des  Commentaires,  écrit  Orgetirix  sur  les 
monnaies  gauloises,  est  un  autre  exemple. 

Je  termine  ces  observations  préliminaires  par  quelques  mots  sur 
les  diverses  espèces  de  noms  propres  chez  les  Romains  et  sur  leur 
arrangement  dans  les  inscriptions. 

Tout,  le  monde  sait  que  les  Romains  de  la  classe  libre  avaient  gé- 
néralement trois  noms  :  le  prénom  [praenomeri],  le  nom  de  famille 
nomen  gentilicium]  et  le  surnom  [cognomen].  Le  premier  et  le  troi- 
sième étaient  individuels  et  servaient  à  distinguer  les  uns  des  autres 
les  membre»  de  la  famille.  Certains  surnoms,  il  est  vrai,  furent  liés 
indissolublement  aux  noms  primitifs  des  familles  et  se  transmirent 
avec  eux  ;  tels,  par  exemple,  que  celui  de  Scipio  qui,  une  fois  donné 
à  Publius  Cornélius,  passa  de  mâle  en  mâle  à  tous  les  descendants 
de  ce  vieux  Romain  ;  mais  ce  sont  là  des  faits  exceptionnels  qui  n'ap- 
partiennent guère  qu'aux  grandes  familles  des  anciens  temps.  L'Aca- 
démie française,  en  disant  que  «  chez  les  Romains,  le  surnom 
désignait  à  quelle  branche  de  telle  famille  on  appartenait,  »  n'a 
défini  qu'un  cas  particulier  du  cognomen,  et  comme,  pour  traduire 


LES   DESCENDANTS    d'ÉPORÉDORIX.  115 

ce  mol  en  français,  nous  n'avons  que  celui  de  surnom,  elle  a  beau- 
coup contribué,  sans  le  savoir,  aux  idées  fausses  qui  régnent  encore 
aujourd'hui,  dans  le  monde  étranger  aux  études  épigraphiques,  sur 
la  véritable  valeur  du  surnom  romain. 

A  l'égard  des  prénoms,  je  fais  remarquer  qu'en  vertu  d'un  sénatus- 
consulte  de  l'an  de  Rome  514,  ils  devaient  se  transmettre  du  père  à 
l'aîné  des  fils.  Cette  règle  fut-elle  rigoureusement  observée  dans  la 
pratique,  et  dans  tous  les  temps,  c'est  ce  qu'il  serait  bien  impossible 
de  reconnaître  aujourd'hui;  mais  certainement  elle  ne  le  fut  pas  à 
l'exclusion  absolue  des  autres  enfants,  car  il  ne  manque  pas  d'in- 
scriptions où  le  père  et  tous  ses  fils  portent  le  même  prénom.  Dans  les 
gentes  Inliae,  qui  nous  intéressent  ici  particulièrement,  le  prénom 
de  Caius  est  aussi  fréquent  que  tous  les  autres  ensemble,  cela  résulte 
du  dépouillement  que  j'ai  fait  d'un  grand  nombre  d'inscriptions: 
et  de  plus  les  Caius  fils  de  Caius  s'y  rencontrent  cinq  ou  six  fois 
plus  souvent  que  les  Caius  dont  le  père  avait  un  prénom  différent. 
Il  ne  faudra  donc  pas  s'étonner  de  voir  le  prénom  de  Caius  aux  trois 
personnages  de  l'inscription  d'Autun. 

Enfin  l'état  civil  des  citoyens  romains,  si  je  puis  m'exprimer  ainsi, 
est  établi  dans  les  inscriptions  généralement  de  celte  manière  et  dans 
cet  ordre  : 

(prénom). 

(nom  de  famille). 

Fils  de  (prénom  du  père). 

Petit-fils  de    (prénom  de  l'aïeul). 


(tribu). 

(surnom). 

Quelquefois  le  surnom  de  l'ascendant  remplace  ou  accompagne  son 
prénom.  Rarement  la  filiation  dépasse  le  premier  degré  et  seulement 
dans  les  grandes  familles;  elle  ne  dépasse  guère  le  deuxième  que 
dans  la  famille  impériale.  Exemples  : 

L.   CORNELIVS  CN.  F.    CN.   N.  SCIPIO (1). 

Lutins  Cornélius,  Cnaei  filins,  Cnaei  nepos,  Scipio 

CAECILIAE   Q.  CRETICI  F.  METELLAE  CRASSI  (2). 
Caeciliae,  Quinti  Cretici  filiae,  Metellae,  Crassi  (uxoris). 


(1)  Orelli.  Inscr.  lat.  sélect.,  n°  555. 

(2)  7d.,n°  577. 


116  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

L.  MVNAT.  L.  F.  L.  N.  L.  PRON.  PLANCVS  COS....   (1). 
Ludus  Munatius,  Lucii  filius,  Lucii  nepos,  Lucii  pronepos,  Plancus,  consul. 

C.YALERIO  C.  F.  STEL.  CLEMENTE  PRLMIPILARI. . . , .  (2). 
Caio  Valerio,  Caii  filio.  Stellatina  (tribu),  démenti,  primipiîari — 

Maintenant,  si  je  ne  me  trompe,  le  lecteur  le  plus  étranger  à  l'épi- 
graphie,  pour  peu  qu'il  ait  suivi  avec  attention  ces  éclaircissements, 
sera  en  état  de  lire  sans  aucune  hésitation  l'inscription  autunoise, 
qui  est  conforme  au  type  général  ci-dessus,  sauf  le  nom  de  tribu. 
Dans  les  documents  d'une  haute  antiquité,  comme  les  premiers  de 
ceux  que  je  viens  d'écrire,  la  tribu  n'est  que  rarement  indiquée  ; 
c'est  seulement  à  l'époque  impériale  que  cette  mention  devient  tout 
à  fait  usuelle,  probablement  parce  que  l'inscription  sur  les  rôles  des 
tribus  était  une  espèce  de  titre  nobiliaire  relativement  à  l'immense 
population  depuis  peu  annexée  et  sans  droits  politiques.  D'ailleurs 
n'oublions  pas  que  nous  avons  affaire  ici  à  des  Gaulois.  Notre  in- 
scription se  lira  donc  sans  difficulté  : 

Caius  Julius,  Caii  Magni  fiîius,  Caii  Eporedirigis  nepos, 
Proculus,  de  sao  fecit. 

Ce  qui  veut  dire  : 

Caius  Iulius  Proculus,  fils  de  Cains  Iulius]  Magnus,  petit-fils  de 
Caius  [Iulius]  Eporédirix,  a  élevé  de  ses  deniers  [ce  monu- 
ment]. 

Notre  Iulius  Magnus  est  certainement  la  môme  personne  que 
l'auteur  du  monument  votif  trouvé  à  Bourbon-Lancy,  dont  la  dédi- 
cace est  ainsi  conçue,  d"après  YAutun  archéologique  : 

C.   IYLIYS  EPOREDIRIGIS   F.  MAGNUS 

PRO  .  IVLIO  .  CALENO  .  FILIO 

BORYONI  ET   DAMONAE 

Y  .S. 

Caius  Iulius  Eporedirigis  filius,  Magnus,  pro  hilio 
Caleno  filio,  Borvoni  et  Bamonae  votum  solvit. 

Caius  Iulius  Magnus,  fils  de  [Caius  Iulius]  Eporédirix  s'est  acquitté 


(1J  Orelli.  I/iscr.  lat.  sélect.,  n°  590. 
(2)  hl.,  n*  748. 


LES   DESCENDANTS   d'ÉPORÉDORIX.  117 

de  son  vœu  pour  [la  santé  de]  son  fils  Iulius  Calénus,  à  Borvo 
et  à  Damona. 

La  généalogie  des  antiques  C.  Iulius  d'Autun,  déduile  de  ces  in- 
scriptions concordantes,  se  résume  ainsi  : 

Eporédirix 

Magnus 

Calénus    |    Proculus 

Les  auteurs  du  livre  que  j'ai  déjà  cité  plusieurs  fois  ont  cru  trou- 
ver dans  la  présence  du  surnom  de  Magnus,  au  milieu  d'une  famille 
gauloise,  cliente  de  César,  l'indice  d'idées  de  fusion  entre  le  parti 
du  conquérant  des  Gaules  et  celui  du  grand  Pompée,  idées  qui, 
selon  eux,  auraient  eu  pour  ardent  propagateur  Munatius  Plancus, 
le  fondateur  de  Lyon.  Ces  sortes  de  rapprochements,  quand  ils  ne 
s'appuient  pas  sur  des  faits  positifs,  ne  peuvent  qu'égarer.  Peut-être 
n'en  serait-il  pas  de  même  du  surnom  de  Calénus,  tiré  d'une  ville 
de  Campanie,  et  qu'on  serait  surpris  de  voir  déjà  porté  par  un 
Gaulois,  s'il  n'y  avait  pas  eu  pour  le  faire  adopter  quelque  cause 
déterminante.  Parmi  les  lieutenants  de  César,  à  la  fin  de  la  guerre 
des  Gaules,  se  trouvait  un  Quintus  Calénus.  Ce  personnage,  qui 
avait  obtenu  la  prélure  dès  l'an  60,  et  qui  reparait  avec  un  grand 
commandement,  dans  la  guerre  civile,  sous  le  nom  de  Quintus  Fusius 
Calemis,  n'est  autre  que  le  collègue  de  César  lui-même  au  consulat 
de  l'an  47,  celui  dont  les  noms  authentiques  sont  écrits  de  cette  ma- 
nière sur  le  marbre  des  Fastes  capitolins  : 

Q  •  FVFIVS  •  Q  •  F  •  Q  •  N  •  CALENVS 
Quintus  Fufius  Calénus,  fils  de  Quintus,  petit-fils  de  Caius. 

Or  il  n'est  nullement  contraire  à  la  vraisemblance  de  supposer  que 
ce  Calénus  a  connu  Eporédorix  pendant  la  guerre  des  Gaules,  qu'il  l'a 
protégé  après  la  mort  de  César,  et  qu'en  souvenir  de  ses  anciennes 
relations  le  fils  d'Eporédorix  a  donné  le  nom  de  Calénus  à  l'un  de 
ses  enfants. 

Tacite,  Ilist.  lib.  III,  fait  connaître  qu'il  y  avait  dans  l'armée  de 
Vilellius  contre  Vespasien  un  tribun  militaire  Éduen  de  nation  et 
nommé  Iulius  Calénus;  ce  pourrait  être  le  fils  de  notre  Magnus;  mais 
il  faut  examiner  si  cette  identité  est  conciliable  avec  celle  du  jeune 
Eporédorix  de  César  et  de  V Eporédirix  des  inscriptions. 


118  KEVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

Les  Commentaires  mentionnent  un  Eporédorix  qui  avait  commandé 
les  Éduens  dans  la  guerre  faite  aux  Séquanes,  avant  l'arrivée  de 
César  dans  les  Gaules,  et  qui  fut  fait  prisonnier  dans  le  dernier  acte 
du  drame  sous  Alésia.  Ce  n'est  pas  de  celui-là  que  je  m'occupe,  il 
serait  trop  âgé,  c'est  du  jeune  noble,  dévoré  d'ambition,  qui  joua  un 
rôle  si  équivoque  entre  César  et  Vercingétorix.  César  le  qualifie 
d'adolescens,  ce  qui  autorise  à  lui  donner  de  quinze  à  trente  ans 
d'âge  à  l'époque  de  ces  événements,  dont  la  date  est  de  l'an  42  avant 
I.  C;  il  serait  donc  né  vers  l'an  64  avant  I.  C,  en  prenant  une 
moyenne  de  vingt-deux  ans  d'âge.  Cet  Eporédorix  qui,  comme  la 
masse  des  Éduens,  montra  plus  de  désir  de  commander  au  reste  de 
la  nation  que  de  véritable  patriotisme,  n'eut  pas  de  peine  à  faire  sa 
paix  avec  César,  et  naturellement  il  entra  dans  sa  clientèle  en  prenant 
son  nom  de  famille. 

D'un  autre  côté,  l'année  69  de  I.  C,  qui  est  celle  de  la  chute  de 
Vitellius,  nous  conduit  approximativement  à  l'époque  delà  naissance 
du  tribun  Iulius  Calénus.  Si  l'on  considère,  en  effet,  la  marche  lente 
de  l'avancement  parmi  les  officiers  de  l'armée  romaine,  qui  avaient  à 
passer  par  plus  de  cinquante  classes  de  centurions  avant  d'atteindre 
le  grade  de  primipilaire,  et  ne  parvenaient  que  bien  rarement  au 
grade  de  tribun,  réservé  en  grande  partie  aux  familles  sénatoriales. 
on  comprendra  que  le  tribun  Iulius  Calénus  ne  pouvait  guère  avoir 
moins  de  quarante-neuf  ans,  ce  qui  ferait  remonter  sa  naissance  à 
l'an  20  après  I.  C. 

De  l'an  20  après  I.  C.  à  l'an  64  avant  I.  C,  époque  présumée  de  la 
naissance  d'Eporédorix,  il  y  a  quatre-vingt-quatre  années,  compre- 
nant l'âge  de  Magnus  à  la  naissance  de  Calénus,  plus  l'âge  d'Eporé- 
dorix à  la  naissance  de  Magnus.  Ces  quatre-vingt-quatre  années, 
réparties  également  sur  nos  deux  personnages,  font  à  chacun  qua- 
rante-deux ans  :  évidemment,  il  n'y  a  rien  dans  ce  résultat  qui  sorte 
des  limites  de  la  vraisemblance. 

En  résumé,  la  belle  inscription  d'Autun  et  l'inscription  latine  de 
Bourbon-Lancy,  que  nous  avons  analysées,  sont  des  témoignages 
authentiques  qui  rappellent  et  unissent  l'un  à  l'autre  deux  person- 
nages des  premiers  temps  de  notre  histoire,  et,  comme  tels,  ils  mé- 
ritent au  plus  haut  degré  d'être  soigneusement  conservés  dans  des 
dépôts  publics. 

Le  général  Creuly. 


SUR  LES 


PAPYRUS  HIÉRATIQUES 


Deuxième  article  (I 


NOTE  PRÉLIMINAIRE  DU   TRADUCTEUR 

La  lettre  dont  M.  Goodwin  communique  aujourd'hui  aux  lecteurs  de  la 
Revue  l'analyse  raisonnée  est  intéressante  à  plusieurs  titres.  De  l'ancienne 
Egypte,  les  monuments  nous  rappellent  surtout  les  splendeurs  des  rois, 
les  succès  de  leurs  armes  et  les  pompes  sacerdotales.  Ici,  le  tableau  des 
misères  du  travailleur  nous  montre  que  le  moderne  fellah  n'a  pas  trop  à 
regretter  le  régime  des  temps  pharaoniques.  En  lisant  ce  tableau,  on 
comprend  qu'une  invcsligation  superficielle  ait  pu  induire  en  erreur  les 
partisans  des  rapprochemenls  bibliques.  Ils  ont  cru 'y  découvrir  un  souve- 
nir presque  contemporain  des  plaies  dont  l'Egypte  fut  frappée  lors  de 
l'Exode  des  Juifs.  Celte  illusion  a  été  de  courte  durée,  mais  elle  a  eu  du 
retentissement  et  nous  a  donné  la  mesure  du  danger  des  solutions  préma- 
turées; la  méthode  sévère  de  M.  Goodwin  indique  la  voie  qu'il  faut  suivre 
pour  arriver  à  des  résultats  vraiment  sérieux. 

F.  Chabas. 
Chalon-sur-Saône,  25  février  186-1. 


La  première  lettre  dont  je  me  propose  d'essayer  l'analyse  est  la 
cinquième  dans  la  collection  du  scribe  Pentaour;  elle  débute  à  la 
ligne  11  de  la  cinquième  page  du  papyrus  Sajlier  I.  Comparative- 
ment, elle  n'offre  pas  de  grandes  difficultés  au  traducteur,  et  nous 
avons  d'ailleurs  l'avantage  d'en  trouver,  au  papyrus  Anastasi  V, 

(1)  Voir  le  premier  article,  Rev.  archéol.,  nouvelle  série,  lre  année,  p.  223. 


120  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

p.  15,  un  duplicata  bien  plus  nettement  écrit,  offrant  environ  une 
cinquantaine  de  variantes  orthographiques  plus  ou  moins  impor- 
tantes. 

Nous  y  lisons  d'abord  la  mention  des  noms  des  scribes  entre  les- 
quels s'échange  la  correspondance  : 

V,  11.    HAR  SAU   -    SKHAI  (1)  AMENEMAN     EN    HAT-PATI 

Le  chef  des  gardiens  des  écritures  Ameneman,  du     trésor 

EN    AA-PATI-ANKH-UTA-SNEB,    TAT    EN    SKHAI   PENTAUR. 

du  Roi  (2)  dit  au  scribe  Pentaour. 

Je  laisserai  de  côté  tout  ce  qui  peut  être  considéré  comme  évident 
ou  suffisamment  connu  des  égyptologues,  et  limiterai  mes  commen- 
taires aux  seuls  points  de  difficulté.  Dans  la  phrase  qui  précède,  un 
seul   mot  semble  exiger  quelques  explications;  c'est  le  composé 

sau-skhai,  en  hiéroglyphes  ^J^J^_,  ]pf|  J*  ^.  Le  signe 
initial  marqué  C.  14  au  catalogue  des  types  de  l'imprimerie  impé- 
riale a  pour  variante  sur  les  monuments  la  figure  Sy  [B.  81].  Il 

faut  se  garder  de  confondre  ces  deux  signes  avec  Yf  [C.  15]  et v  J 
[B.  82].  Ces  derniers  ont  en  effet  un  son  et  un  emploi  différents. 
Pour^j   et    Jl|,  j'adopte  le  sons  ou  sa,  d'après  le  groupe 

V*  2}  (3)  où  se  rencontre  cet  élément  phonétique.  Cette  va- 
riante, d'après  les  observations  de  M.  Edwin  Smith,  est  fréquente 
dans  les  Rituels.  Dans  une  variante  des  basses  époques,  l's  initial  du 
nom  de  la  ville  de  Sni  (Esnè)  est  exprimé  par  le  même  hiéro- 
glyphe (4). 

Y|  est  presque  toujours  précédé  des  lettres  I  ,  ari,  qui  en 
représentent  sans  doute  la  valeur  phonétique.  Il  y  a  lieu  de  remar- 

(1)  M.  Goodwin  transcrit  par  kh  l'aspiration  forte  que  les  égyptologues  français 
représentent  par  h'  ou  ch.  (Note  du  traducteur.) 

(2)  Le  roi  est  ici  indiqué  par  le  long  titre  :  la  double  grande  maison,  la  vie  saine 
et  forte.  M.  Goodwin  supprime  cette  bizarre  phraséologie,  comme  je  l'ai  fait  dans 
mon  Mém.  sur  l'inscr.  d'Ibsamboul.  Reu.  arch.,  1859,  p.  578.  [Note  du  traducteur.) 

(3)  Sharpe,  Eg.  inscr.  Séries  I,  pi.  79,  8  et  pi.  80,  6. 
(ù)  Lepsius,  Koenigsb.  Taf.  IV,  26. 


LES  PAPYRUS  HIÉRATIQUES.  121 

quer  toutefois  que  dans  l'hiératique  ces  différents  signes  sont  abso- 
lument de  la  même  forme  et  ne  peuvent  être  distingués  que  par 
leurs  compléments  phonétiques. 

Confondu  avec  ari,  le  mot  sau  a  été  traduit  garder,  conserver, 
et  rapproché  du  copte  &-pE.S> ,  custos.  Ce  sens  convient  réellement 
dans  certaines  phrases,  et  en  particulier  dans  celle  qui  m'occupe  ;  mais 
il  est  inapplicable  dans  beaucoup  d'autres.  Ainsi,  par  exemple,  dans 
le  portrait  du  militaire  courbé  sous  sa  charge  :  ne  tesu  en  ati-f  sau, 
les  jointures  de  son  échine  sont  sau  (1),  le  sens  probable  est  brisé, 
rompu,  et  ce  même  sens  convient  encore  bien  à  la  phrase  :  sau-k  ati 
en  pen  kheta  (2),  tu  romps  le  dos  de  ce  Kheta.  Au  Rituel  revient  à 
plusieurs  reprises  l'expression  :  sau  sbau  (3),  que  je  traduirais 
briser,  écraser  les  rebelles. 

L'acceplion  éviter  ou  défendre  semble  admissible  dans  des  phrases 
telles  que  celles-ci  :  sau-tu  er  par  en  banra  em  karh  em  hru  pen, 
il  est  défendu  (ou  il  faut  éviter)  de  sortir  la  nuit,  ce  jour-là  (4)  et 
sau-tu  ur-ur,  cela  doit  être  évité  rigoureusement,  ou  bien  cela  est 
très- défendu  (5). 

L'un  des  meilleurs  exemples  de  l'acception  garder,  observer,  se 
trouve  dans  le  traité  de  Ramsès  II  avec  les  Khétas,  où  on  lit  la  dispo- 
sition suivante  :   «  Ce  sont  les  paroles  de  la  tablette  d'or  du  pays  de 

Kheta  et  de  l'Egypte;  celui  qui  ne  les  observera  pas 

et  celui  qui  les  observera (6).  C'est  le  mot  sau  qui  exprime  ici 

l'idée  observer.  On  rencontre  dans  un  autre  texte  la  mention  d'une 
jolie  jeune  fille  gardant  [sau]  les  vignes  (7). 

D'autres  textes  semblent  faire  penser  que  le  mot  étudié  possède 
encore  des  significations  différentes  (8);  mais  dans  celui  qui  nous 


(1)  Pap.  Anast.  IV,  |>L  9,  1.  10.  —  Le  duplicata  qui  se  trouve  pap.  Anast.  III,  pi.  V, 
lig.  11,  substitue  au  mot  sau  le  groupe  T  %k      I    m  ,  khabu,  qui  signifie 

courber. 

(2)  Pap.  Sallier  III,  pi.  8,  4  et  pi.  9,  9. 

(3)  Todtb.,  eu.  xvii,  45;  ch.  xvm,  8,  etc. 

(4)  Pap.  Sallier  IV,  pi.  il,  6. 

(5)  Todtb.,  ch.  cxliv,  32. 

(6)  Denkm.,  III,  146,  30. 

(7)  Pap.  Anast.  I,  pi.  25,  4. 

(8)  Cette  multiplicité  d'acceptions  pour  un  môme  mot  n'est  nullement  particulière 
à  la  langue  égyptienne;  il  en  est  de  même  pour  beaucoup  de  mots  dans  toutes  les 
langues  anciennes  et  modernes.  Le  mot  sau,  discuté  par  M.  Goodwin,  se  rencontre 


122  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

occupe  nous  devons  nous  en  lenir  au  sens  gardien.  Ameneman  étail 
probablement  le  conservateur  des  écritures  relatives  aux  richesses 
introduites  dans  le  trésor  royal,  te  custos  rotulorum,  comme  nous 
disons  aujourd'hui.  Je  passe  à  la  phrase  suivante  : 

Pl.VI,  lig.  1.  AR-ENTI  AR  ENTU   NEK   SKHAUI  PEN    EN  TAT. 

//    est    apporté     à  toi    cette    lettre  de  discours, 

HiNA  TAT 

Communication. 

Tel  est  le  préambule  de  toutes  les  lettres  d'Ameneman  dans  la  col- 
lection de  Pentaour;  il  en  est  de  même  pour  celles  d'Amenemapdans 
le  recueil  de  Panbesa.  Le  dernier  mot  hna-tat,  composé  de  hna,  cum, 

et  de  tat,  loqui,  litt.  colloquium,  n'est  pas  lié  à  ce  qui  précède, 
puisque  dans  plusieurs  cas  on  trouve  cette  expression  hna  tôt  em- 
ployée seule  au  commencement  des  lettres.  Je  citerai  notamment 
pour  exemple  le  duplicata  de  la  lettre  même  que  j'analyse. 

A  l'exemple  de  mes  devanciers,  j'avais  d'abord  pensé  que  ar  enti 
était  une  formule  d'entrée  en  matière  comme  vu  que,  considérant  que, 
mais  la  comparaison  d'un  grand  nombre  de  textes  m'a  fait  recon- 
naître que  presque  partout  ces  deux  mots  sont  pris  en  sens  affirmatif 
et  signifient  littéralement  est  quod.  Dans  notre  papyrus,  l'expression 
entière  est  ar  enti  ar  entu,  est  quod  est  allatum;  mais  au  papyrus 
Anastasi  III,  le  second  ar  est  constamment  omis  :  ar  enti  entu,  est 
quod  allatum. 

La  substance  de  la  missive  ne  commence  qu'après  le  mot  commu- 
nication. Tout  ce  qui  précède  constitue  le  préambule  commun  à 
toutes  les  lettres  du  même  genre. 

Pl.VI,  lig.  1.    AR    ENTI   TAT -TU      NA       EN  KHAA-K  SKHAUI 

//    est       dit     à  moi  que  tu  abandonnes  les  lettres, 

SHAMA-TU-K         EM  ARU  TA-K  HAR-K  RAKU  EM 

tu  t'éloignes  de  l'éloquence,  tu   donnes  la  face  (aux)  travaux  de 


sous  un  assez  grand  nombre  de  formes  orthographiques  et  avec  différents  détermi- 
natifs,  notamment  le  signe  du  pasteur  ou  berger  (qui  lui  sert  souvent  d'initiale),  le 
papyrus  roulé,  le  bras  armé,  le  couteau,  l'homme  invoquant.  Le  caprice  des  scribes 
a  confondu  ces  formes  diverses,  qui  correspondaient  dans  l'origine  à  des  acceptions 
spéciales.  Il  faut  remarquer  toutefois  que  le  sens  éviter,  se  garder  de,  défendre,  em- 
pêcher, est  connexe  de  l'idée  garder,  conserver,  réserver.  (Note  du  traducteur.) 


LES  PAPYRUS  HIÉRATIQUES.  123 

SAN  KHAA-K  HA  -  K  NETERTAT. 

la  campagne,  tu  laisses  derrière  toi  les  divines  paroles. 

La  signification  de  T  jk  ,  khaa,  abandonner,  est  bien  éta- 

blie; il  nie  semble  toutefois  que  le  sens  radical  de  ce  mot  est  quelque 
chose  de  plus  général  et  de  plus  vague,  comme  par  exemple  mouvoir 
ou  détourner  :  de  là  se  détourner  d'une  chose,  l'abandonner. 

Au  papyrus  d'Orbiney,  l'acception  jeter  semble  résulter  de  phrases 
telles  que  jeter  aux  chiens,  jeter  à  la  rivière,  jeter  sur  le  sol,  et  enfin 
dans  le  plan  des  mines  d'or  nous  trouvons  la  phrase  :  Chemin  qui 

mène  (khaa)  ou  tourne  vers  la  mer  (1).  Au  surplus,  le  copte  J^2>  ou 

,2£CLÎ,  ponere,  mittere,  relinquere,  paraît  être  le  dérivé  de  khaa,  et 

peut  rendre  compte  de  la  plupart  des  acceptions  du  mot  antique  (2). 

A  la  phrase  suivante,  le  mot  khaa  revient  avec  le  complément 

uT    i^  >®  "^^  ha-k,  ton  occiput,  et  l'on  pourrait  lire,  tu  tournes 

ton  occiput  (tu  tournes  le  dos)  aux  divines  paroles. 

Le  mot  TtïîT^W  •=%K'n)-  shama,  se  rencontre  seulement  dans 
des  formules  semblables  à  celle  du  papyrus  Sallier  I  (3).  Je  l'ai  com- 
paré au  copte  OjE*J*JO,  alienus,  faute  d'autre  moyen  d'investiga- 
tion; ce  mot  a  pour  complément  indirect  Vs?   I  %k    4^yV  ABU> 

groupe  déterminé  par  l'hiéroglyphe  de  l'homme  s'étirant  les  mem- 
bres (4)  et  par  celui  de  la  parole.  Il  s'agit  évidemment  de  quelque 
acte  habituel  des  scribes;  d'après  l'énergie  des  déterminalifs,  je  suis 
tenté  d'y  voir  la  prédication,  la  récitation,  la  pratique  de  l'élo- 
quence. Dans  notre  passage,  le  scribe  est  accusé  d'en  détacher  son 
esprit;  ailleurs  un  autre  scribe  est  engagé  à  y  donner  son  atten- 


(1)  Lepsius,  Ausw.  Taf.  XXII. 

(2)  Il  n'y  a  que  des  nuances  entre  les  diverses  acceptions  du  mot  khaa,  dont  le  véri- 
table sens  fondamental  est  laisser,  abandonner,  rejeter;  on  dit  très-bien .  laisser  aux 
chiens,  abandonner  à  l'eau,  laisser  par  terre,  et  d'un  chemin  qu'il  quitte,  qu'il  cesse 
au  point  où  il  mène.  {Note  du  traducteur.) 

(3)  Anast.  V,  6,  1  ;  15,  6  ;  Anast.  IV,  11,  8. 

(4)  A  sprawling  human  figure. 


124  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

tion  (1).  Le  copte  nous  fournit  &OttL\,narratio,  etavec  le  "T  causatif 
^-&0**ttT,  recitare  (2). 

Pour  la  valeur  phonétique  de  1 1 1  qui  représente  une  prairie 

ou  un  jardin,  leségyplologues  ne  sont  pas  d'accord.  Je  l'ai  rencontré 

comme  variante  de  ,  sen,  dans  un  titre  du  dieu  Num,  seigneur 

de  Seni  (3).  La  syllabe  san  ou  sen  est  probablement  le  son  de  cet 
hiéroglyphe. 

I  *JSi  ,  neter-tat,  dans  l'inscription  de  Rosette,  dési- 
gne l'écriture  hiéroglyphique;  le  groupe  signifie  à  la  lettre  paroles 
divines,  et  l'on  peut  le  comparer  à  notre  expression  saintes  Écritures 
et  même  au  terme  général  théologie;  l'étude  de  la  science  sacrée 
constituait  en  effet  l'attribution  la  plus  élevée  du  scribe. 

Dans  un  autre  papyrus  (4)  les  phrases  que  nous  venons  de  tra- 
duire forment  aussi  le  commencement  d'une  lettre  dont  la  fin  est 
détruite.  Il  en  reste  assez  toutefois  pour  montrer  qu'il  s'agissait  d'une 
autre  exhortation  sur  le  même  texte. 

PI.  VI,    lig.  2.    AST  BU  SKHA  NEK  PA  KANAU 

Vois  !     n'as  -  tu     pas     considéré     la     condition 

HANUTI  KHEFT        S-MERU  SHEMU  AU    TITI   TA   HEF-OU 

du  cultivateur  :  avant  de  ramasser  la  moisson,  emporte     le  ver 

MA   EX  NA  UTI  AU  AMD  PA  TEBU   NA  KETKHU. 

partie  dit,         blé  mangent  les    bêtes     le  reste. 

f  %k    GjS,  skha,  peindre,  dessiner,  décrire,  figurer.  La  phrase 

est  interrogative  :   N'as-tu  pas  dépeint  à  toi-même?  ne  t'es-tu  pas 
figuré  ? 


(1)  Litt.  son  cœur;  Anast.  V,  6,  2. 

(2)  Dans  son  premier  travail  M.  Goodwin  avait  rendu  ce  passage  :  tu  t'adonnes 
aux  plaisirs.  Ce  sens  pourrait  convenir  au  groupe  abc,  dont  les  déterminatifs  sont 
celui  de  la  danse  ou  des  exercices  du  corps  et  celui  des  passions  et  de  la  parole. 


+  J3) 


,  ab,  vouloir,  désirer,  aimer,  est  du  reste  très-connu,  shaua  est  tout  à  fait 


incertain.  (Note  du  traducteur.) 
(3J  Lepsius,  Koenigsb.  IV,  26. 
{h)  Anast.  V,  6, 1. 


LES  PAPYRUS  HIÉRATIQUES.  125 

De  1  V     '   ,  kenau,  je  ne  connais  aucun  autre  exemple, 


mais  le  duplicata  du  papyrus  Anastasi  V  nous  offre  ici  le  groupe 
très-connu  a  %k  1 1 ,  kaa,  qui  signifie  portrait,  image,  ressem- 
blance. 

Pour  *î[  %  <W*. — ■  :J},hanuti,  le  sens  culture, cultivateur,  ré- 
sulte évidemment  du  contexte,  et  la  branche  de  fleurs  employée  comme 
signe  initial  avec  la  valeur  han  (1)  est  peut-être  une  allusion  aux 

produits  de  la  culture.  On  trouve  «ÎT      ,    han  ,    avec   la   valeur 

3X 

champ  ou  domaine  (2).  L'oiseau  noir  à  crête  dressée  n'est  pas  phoné- 
tique; il  entre  dans  la  composition  d'un  grand  nombre  de  groupes 
et  notamment  dans  plusieurs  termes  d'agriculture,  mais  il  est  im- 
possible d'en  déterminer  le  rôle. 

kheft,  avant,  devant,  est  suivi  de  deux  délerminatifs  :  la  corne 
d'Oryx  et  la  face  humaine,  le  premier  abusivement  employé  à 
cause  du  rapprochement  phonétique  du  mot  kheft,  ennemi;  le  se- 
cond est  le  déterminatif  de  l'idée  en  face,  devant,  avant.  Dans  le 
texte  Anastasi,  les  deux  déterminatifs  sont  supprimés. 

Je  regarde  comme  douteuse  la  lecture  smeru  pour  le  groupe 

;  cependant  j'incline  à  penser  que  la  corde  enroulée  ^=> 

est  m  et  que  nous  avons  ici  la  racine  A*p,  lier,  précédée  de  s  cau- 
satif,  et  le  sens  littéral  faire  lier  (les  gerbes),  c'est-à-dire  faire  la 
moisson  (3). 

J« M.  %Vw,  hf-ou,  correspond  à  £0^,  <J0&->  serpent, 

et  à  J>£-q,  2-q,  mouche;  ^fciiCm,  vipère,  et  £2JBlO'*Eï,  fre- 
lon, dérivent  aussi  du  même  radical  et  ressemblent  à  des  formes  plu- 


(1)  Bunsen's,  Egypt.  phonetics,  H,  12. 

(2)  Anast.  VI,  12,  4. 

(3)  Des  variantes  nombreuses  montrent  que  l'enroulement  a  la  valeur  syllabique 

rer,  dans  le  mot  *=*  ,  entourer,  circuler;  mais  le  signe  hiératique  que  M.  Goodwin 
transcrit  sous  cette  forme  peut  correspondre  à  un  autre  signe  hiéroglyphique,  par 
exemple  à  *        j  qui  a  souvent  n  pour  complément.  {Note  du  traducteur.) 


126  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

reilles  (1).  Il  s'agit  dans  le  passage  étudié  de  quelque  espèce  de  ver 
ou  d*insecte  nuisible  à  l'agriculture. 

/ i.  ma,  a  toujours  été  traduit  par  ctfté,  à  cdfé,  et  ce  sens  est  rendu 

évident  par  des  formules  telles  que  nu  côté  droit,  au  côté  gauche  (2). 
Les  exigences  du  contexte  m'ont  porléà  y  reconnaître  la  valeur  part, 
portion,  que  cependant  je  n'ai  pas  encore  constatée  dans  d'autres  pas- 
sages (3). 

Le  copte  TEÊKH  paraît  nous  avoir  conservé  l'égyptien   -=»-  J 

%        ,  tebu,  bétail.  Un  trouve  cependant  ce  groupe  avec  le  dé- 

JT  1 1 1 

terminatif  de  l'hippopotame,  et  il  est  possible  que  cet  a;iimal  fut 
ainsi  nommé  par  éminence,  comme  en  hébreu  behemoth,  l'hippopo- 
tame, de  BEHEMAH,/WCMS. 

11  n'est  pas  impossible  toutefois  qu'il  ne  s'agisse  ici  de  l'hippopo- 
tame lui-même.  On  sait  que  cet  amphibie  causait  de  grands  ravages 
dans  les  cultures  sur  les  bords  du  Nil.  Bien  qu'on  n'en  rencontre  plus 
que  bien  avant  dans  le  Sud,  il  est  certain  qu'on  en  a  vu  pénétrer 
jusqu'à  la  Basse-Egypte  (i). 

Dans  ©    ***  ,  ketkhu,  la  première  syllabe  est  le  copte  KE 

alias,  et  le  mot  correspond  à  KE^tULVjnn,  alii.  Le  sens  autres,  le 
reste,  est  certain.  Au  papyrus  Lee  (5),  ce  mot  est  antithétique  à  ta  da, 

l'un,  et  à     | — I   %^     3^-|,  nehau,  quelques,  un  peu.  Dans  le 

conte  des  deux  frères,  il  est  dit  que  l'épouse  coupable  a  raconté  à 
son  mari  les  faits  em  ketkhu,  autrement,  d'une  manière  différente. 

PI.  VI,  lig.  3.  AU  NA  PENNU    ASHU     EM   TA    SAN    AU  PA 

Les  rats     nombreux    dans    le     champ       la 


(1)  Zoëga,  Cat.  Note  52. 

(2)  Todtb.,  145,  3;  153,  9. 

(3)  L'idée  part  est  à  la  fois  connexe  aux  idées  partie  et  côté.  Cette  nuance  devait 
exister  également  en  égyptien,  ma  sert  aussi  de  particule  séparative,  de,  ex,  from,  et 
l'on  pourrait  lire  :  le  ver  prend  sur  le  blé.  (Note  du  traducteur.) 

{h)  Abdallatif,  Hist.  Egypt.,  cap.  2. 
(5)  Sharpe,  2d  séries,  p.  87,  5. 


LES   PAPYRUS   HIÉRATIQUES.  127 

SANHEMU  HAÏ       AU    N'A  AAUI  AMU  NA  TUTU 

sauterelle   descend     les    bêtes  à  cornes    mangent   les     moineaux 

ATAI. 

volent. 

Le  mot   w^  ^Bw      W^i  sanhemu,  sauterelles,  n'avait  pas 

encore  élésignalé.  Ou  le  trouve  dansle  grand  ouvrage  (JeChampollion, 
avec  le  délerrainatif  de  l'insecte  lui-même  (I);  littéralement,  ce  nom 
signifie  le  fih  du  pillage  (2;.  On  le  retrouve  un  peu  mutilé  en  copte. 
Dans  l'un  des  sermons  de  Shenoute,  l'écrivain  parle  d'un  petit  ani- 
mal nommé  C&«ttE£  qu'il  décrit  comme  une  chose  ailée  qui  saute, 
et  Zoëga  nous  apprend  que  le  scribe  a  dessiné  en  marge  quelque  chose 
de  semblable  à  une  sauterelle.  C'est  évidemment  l'égyptien  saneham, 
privé  de  son  m  final.  Il  est  singulier  que  les  lexicographes  aient 
omis  d'en  donner  la  signification  (3). 

Au  Rituel  et  dans  le  livre  nommé  shaï  en  sin-sin,  est  mentionnée 
la  ville  de  Sanhemu,  dont  le  nom  est  dans  certaines  variantes  déter- 
miné par  trois  sauterelles  (4).  Peut-être  l'hébreu  C'À^,  sâlham, 
qui  nomme  une  espèce  de  sauterelle,  a-t-il  été  emprunté  à  l'égyptien; 
*7  et  >  s'échangent  quelquefois  (5). 

I  %k      T    /   ,  aaui,  bêtes  à  cornes,  gros  bétail.  Il  en  est  question 

dans  l'une  des  lettres  de  notre  papyrus  :  «  Les  bêtes  à  cornes  (aaui) 
de  mon  seigneur  qui  sont  aux  champs  sont  en  bon  état,  ses  taureaux 
qui  sont  aux  étables  sont  en  bon  état  (6).  »  Ici  aaui  forme  parallélisme 
avec  ka,  taureau.  Le  sens  bétail  est  également  démontré  par  le  pa- 
pyrus d'Orbiney. 


V 


I ,  tutu,  est  le  copte    TAT  ,  passer.   Le  texte 


(1)  Champollion,  Man.,  pi.  XIII. 

(2)  Bunsen  nedonnequc  hidernièie  syllabe  hm.  Ideog.,  N°  353. 

(3)  Peyron,  qui  se  réfère  au  passage  cité  par  Zoëga,  donne  olearius  comme  valeur 

{II)  Ce  renseignement  est  dû  à  M.  Edwin  Smith,  qui  a  recueilli  un  grand  nombre 
de  variantes  du  Rituel. 

(5)  Gesenius,  Lex.,k  ^. 

(6)  Sallier  I,  pi.  U.  7. 


128  REVUE   ARCHEOLOGIQUE. 

Anastasi  a  la  forme  &  \  J^,,  tut,  variante  qui  fournit  une 
nouvelle  preuve  de  la  valeur  t  pour  le  petit  oiseau  voletant. 

PI.  VI,  lig.  4.    UKANU      ER     PA    HANUTI      TA     SEPI     ENTI  PA 

Néglige    le  cultivateur     le  reste     qui  (est  dans)  le 

NEKHT-TA      TAN      SU    NA      ATAUI     PA   AAKASU    EN    MEN    AKU   PA    HETAR 

champ,    foulent  lui  les  voleurs;  la  pioche  de  fer  s'use,  le  cheval 

MER    HA      HA  SKAU. 

meurt  à   tirer  la  charrue. 
Aux  différents  passages  (1)  où  je  rencontre  le  mot   ^L  s^k 

s  ss  ~\^  ,  ukanu,  le  sens  paresse,  négligence,  paraît  convenir.  Les 
scribes  sont  invités  à  s'en  abstenir;  ce  serait  la  racine  du  copte 
DEHttE,  piger,  remissus.  Ce  sens,  dans  tous  les  cas,  convient  par- 
faitement à  notre  texte. 

^—^^^  ,  nakht-ta  a  pour  variante  ^^  V  D'a- 

©    m  J\:  VI  ©    m.  J\   I 

près  l'analyse  des  passages  où  il  se  trouve  (2),  et  qu'il  serait  trop  long 
de  discuter  ici,  je  conclus  que  ce  mot  désigne  une  terre  sur  laquelle 

le  blé  a  été  moissonné.  Comparez  OJE^T,  secare,  et  ojmc,  ager. 

Vient  ensuite  qu'on  trouve  soit  la  forme  pleine  s  V 

II. i^)  (3).  La  lecture  tan  est  tout  à  fait  hypothétique,  le 

signe  hH-H  étant  de  rare  occurrence  (4).  Si  cette  lecture  était  bonne, 


le  copte  TEîtNO,  conterere,  fournirait   un  sens  satisfaisant  pour 
notre  phrase.  Je  l'adopterai  provisoirement. 

Hl  ik    ]  %  *]*,  aakasu,  qui  est  ici  déterminé  parle  signe 


(1)  Sallier  I,  pi.  5,  6;  Anast.  V,  pi.  23,  5. 

(2)  Sallier  1,  pi.  4,  12;  ibid.,  pi.  17  et  19,  revers. 

(3)  Sallier  II,  pi.  7,  2;  ibid.,  pi.  5,  1  ;  Anast.  VI,  pi.  2, 11.  Ces  différents  passages 
jettent  peu  de  jour  sur  le  sens  du  mot. 

(4)  Bunsen,  Ideog.,  N°  61Zj,  donne  la  valeur  tata-nn. 


LES  PAPYRUS  HIÉRATIQUES.  129 

des  animaux  ou  des  substances  animales,  se  rencontre  ailleurs  (I)  avec 
le  paquet  noué,  déterminatif  des  noms  d'étoffes.  Cependant  la  suite  du 
texte  indique  que  cet  objet  est  d'une  espèce  de  métal,  le  bronze  ou 
le  fer.  Le  texte  Anastasi  y  substitue  le  mot  paakau,  déterminé  par 

l'hiéroglyphe  de  ce  même  métal,  une  lame  dressée.  Le  copte  &KEC 
ascia,  cuspis  ferrea,  signifiant  aussi  ciuctura  feminalia,  nous  offre 
une  excellente  explication  du  mot  égyptien  qui  possédait  sans  doute 
les  mêmes  emplois.  C'est  du  moins  ce  qui  semble  résulter  de  l'usage 
des  divers  déterminatifs  que  nous  venons  de  citer  et  que  les  scribes 
de  nos  papyrus  ont  confondus.  Laissant  de  côté  l'acception  qui  fait 
de  ce  mot  une  annexe  de  l'habillement,  nous  ne  pouvons  nous  em- 
pêcher de  reconnaître,  dans  I'akasu  de  métal,  cet  instrument  utile 
qui  porte  le  même  nom  dans  presque  toutes  les  langues  :  gr.  à£ivr), 
lat.  ascia,  allem.  axt,  fr.  hache,  angl.  axe. 

Quant  au  nom  du  métal  lui-même,  je  l'ai  trouvé  en  remplacement 
du  mol  men  ou  menkh  (2).  Il  se  prononçait  probablement  ainsi,  et 

nous  en  retrouvons  peut-être  la  trace  dans  le  copte  ftEtf-XUE 
ferrum. 

^k  a  Tk  ^-*-,  aku,  se  rencontre  assez  souvent  dans  les  textes 
avec  la  valeur  s'user,  s' affaiblir,  péricliter,  périr;  il  est  conservé  dans  le 
copte  "T-&-KO,  corrumpere,  interficere,  périr  e.  Dans  notre  phrase  le 
sens  s'user,  se  détruire,  convient  bien. 

0  ^k  "jk  v — i ,  hu,  possède  des  acceptions  variées.  Radicalement, 

il  exprime  une  action  d'impulsion  comme  les  mots  coptes  ^S    ^XO'* 

et  saO'ïX,  dans  lesquels  on  trouve  les  sens  jacere,  imponere,  stre- 
pere,  percutere,  expandere,  cœdere,  acuere  et  beaucoup  d'autres. 
Dans  l'égyptien  hu  je  découvre,  entre  autres  valeurs,  celles  de  con- 
duire le  bétail,  moissonner,  battre  le  blé,  croître  (comme  le  Nil),  etc. 
Ici  ce  mot  précède  le  groupe  bien  connu  qui  désigne  la  charrue,  et  il 
est  presque  impossible  de  le  rendre  autrement  que  par  tirer,  traîner. 

PL  VI,  lig.  1.     PA      SKHAI  MENAU  (ha)  MERI  AU-F 

Le  scribe       du  port     (est)  au    débarcadère,     il 

(1)  Sallier  II,  pi.  G,  2;  pi.  5,8. 

(2)  Sallier  I,  pi.  4,  0. 

IV.  9 


130  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

SMERU  SHEMU  AU  N'A  ARI-SRA    KER       SHARUT   NA  NAHSI 

recueille  le  tribut;  les    officiers  (sont)  avec  des  bâtons,  les  nègres 

KER  RAM                                   AU-SEN            AMMA-TU             UTI 

avec  des  branches  de  palmier,     ils  (crient)     soit  donné  du  grain, 

M  EN    OUN  HU    -SEN           EM    PURSHU. 

non  est  repousser  eux   au  dehors. 


I  l^il?  ,  menau.  est  le   copte   «-OîVH,  portus.  Les 

détermina  tifs  conviennent  bien  au  sens  de  havre  pour  recevoir  des 
vaisseaux;  du  reste,  ce  mot  n'est  pas  rare  dans  les  textes. 

^~-J|     ,  m eri,  désigne  aussi  un  endroit  rapproché  de  l'eau. 

Dans  le  conte  des  deux  frères,  il  esl  dit  que  le  chef  des  laveurs  va 
au  meri  et  que  c'est  là  qu'il  trouve  la  boucle  parfumée  apportée  par 

les  eaux  du  fleuve.  Je  rapproche  ce  mot  du  copte  -UpUJ,  navale 
portus. Là  préposition  ha,  qui  manque  avant  meri,  esl  exprimée  dans 
le  texte  Anastasi. 

I   M  i 

C'est  à  M.  Brugsch  qu'est   due  l'identification    de    ££$    avec 


UJWJU-  (1).  Ce  mot  signifie  à  la  fois  moisson  et  tribut.  Je  n'hésite 
pas  à  traduire  ici  smeru  shmu,  recueillir  le  tribut,  bien  que  dans  les 
phrases  précédentes  j'aie  rendu  la  même  expression  par: recueillir  la 
moisson.  On  sait  qu'un  impôt  en  nature  était  établi  sur  l'agricul- 
ture; la  fonciion  du  scribe  du  port  consistait  sans  doute  à  percevoir 
cet  impôt,  au  temps  de  la  moisson,  sur  les  cultivateurs  riverains  du 
Nil.  A  la  rigueur,  pour  satisfaire  aux  objections  des  philologues  diffi- 
ciles (2),  on  pourrait  lire  sans  forcer  le  sens  de  l'égyptien  :  Le 
scribe  du  port  est  au  lieu  de  débarquement,  et  lui  (le  fermier)  il  est 
à  recueillir  la  moisson.  L'intention  serait  la  même;  il  s'agirait  tou- 
jours de  rappeler  le  lourd  impôt  qui  va  être  exigé  du  malheureux 
cultivateur. 


(1)  Brugsch,  Nouvelles  recherches,  etc.  Berlin,  1856. 

(2)  Sur  une  scène  de  moisson  dans  laquelle  deux  sortes  d'ouvriers  travaillent  sépa- 
rément, on  lit  la  double  légende  :  Moisson  par  /es  ouvriers  du  domaine,  moisson  par 
les  esclaves  royaux.  Le  pharaon  faisait  ainsi  percevoir  l'impôt  en  nature  au  moment 
de  la  coupe  du  blé.  Couper  le  blé,  selon  l'expression  du  texte  que  je  cite  (Denkm.,  II, 
107),  ou  recueillir  la  moisson,  selon  celle  du  papyrus,  c'était  pour  le  fisc  percevoir 
l'impôt.  La  traduction  de  M.  Goodwin  est  excellente.  (Note  du  traducteur.) 


LES  PAPYRUS  HIÉRATIQUES.  131 

Armés  de  sharut,  copte  OjkatT    fustis,  bâton,  les  I  ^ 

m),  ari-sra,  sont  sans  doute  des  agents  chargés  d'assister 

le  collecteur  des  impôts  dans  son  office  et  d'administrer  la  baston- 
nade aux  récalcitrants.  Je  ne  veux  pas  discuter  à  fond  le  groupe  ari, 
dont  la  signification  radicale  estvoisin,  compagnon,  copte  &.pHO'* 

vicinus,  Eplf*  socius  (dans  MEft-EpHT)-  Dans  certains  cas  c'est 
une  simple  préposition  avec,  sur,  gr.  im,  Trpo'ç. 

Ari-sra  est  composé  d'ARi  et  du  signe  -^m-  qui  représente  une 

porle  et  se  lit  probablement  sra  (1).  Nous  pourrions  traduire 
portier,  gardien  de  porte,  mais  le  passage  qui  nous  occupe  montre  que 
la  fonction  de  I'ahi-sba  ne  consistait  pas  uniquement  à  veiller  à  la 
porte  de  quelque  édifice. 

Que  peuvent  être  les  nègres  portant  des  branches  de  palmier  ou 
des  dattes?  (Copte  &&.S  rami  palmarum;  &EHHE  dactylus).  Pro- 
bablement des  nègres  errants  cherchant  du  travail  au  temps  de  la 
moisson  et  commettant. <ur  leur  passage  des  déprédations  au  préjudice 
des  cultivateurs.  Les  papyrus  mentionnent  le  travail  du  nègre;  il 
n'est  pas  douteux  que  des  tribus  nègres  descendissent  la  vallée  du  Nil 
pour  y  gagner  quelques  salaires. 

Le  dernier  membre  de  phrase  est  obscur.  Rien  n'est  plus  fréquent 
que  l'expression  amma,  amma-tu,  dans  le  sens  impératif  :  donnez, 
faites  que,  utinam,  mais  dans  notre  texte  la  tournure  impérative  ne 
serait  possible  que  si  l'on  admettait  l'oubli  du  verbe  tat,  dire;  dans 

cette  hypothèse  le  sens  serait  manifeste:  ils  disent  :  donnez  du  Me.  Il  y  a 
lieu  de  remarquer  toutefois  que  le  duplicata  Anastasi  n'exprime  pas 
non  plus  le  verbe  tat  (2). 

(1)  Pap.   biérat.  Leide  l,  348,  revers,  pi.  2,  dernière  ligne,  on  trouve  la  forme 

,  qui  montre  que  la  lettre  initiale  est  s. 

(2)  Il  me  paraît  certain  qne  la  phrase  est  elliptique;  la  suppression  du  verbe  tat, 
dire,  est  d'occurrence  assez  fréquente  (Voir  Inscr.  d'Ibsamboul,  Revue  arch.,  1859, 
p.  722).  L'exemple  le  plus  caractéristique  se  trouve  dans  l'Inscription  de  Kouban 
(Prisse,  Mon.,  pi.  XXI,  lig.  3  et  4),  où  cette  suppression  est  réitérée  trois  fois  :  Les 
dieux  sont  à  (dire)  notre  germe  est  en  lui  ;  les  déesses  à  (dire)  :  il  est  sorti  de  nous 
pour  exercer  la  royauté  du  soleil  ;  Ammon  à  (dire)  :  moi,  je  l'ai  fait  pour  installer  la 
justice  à  sa  place.  (Nofp  du  traducteur.) 


132  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

■  H      Œ3      x 

De  ^k  i:m    purshu,  je   ne   connais    une  cel 

exemple.  En  copie  TRL'pOj  signifie  extendere,  expandere.  On  peut 
dès  lors  comparer  em  purshu  à  *j-6iO/\     extra,  foras,  littéralement 

insolvendo.  L'ancien  égyptien  est  bien  plus  riche  que  le  copte  en 
formes  adverbiales  de  ce  genre. 

PI.  VI,  lig.  6.  AU -F  SANHU  KHAA  ER  TA  SHAT    HU-SEN 

II  est  lié    envoyé    au     canal  ils  poussent  (lui) 

EM  TABUKATAKAI    AU  TAI-F  HEM-T    SANHU-TU    EM-TA-EF    NAI-F   KHARTU 

avec  violence         sa  femme         est  liée   devant  lui    ses  enfants 

MAKHAU. 

dépouillés. 


S 


sanhu,  est  le  copte  CU-\K£    ligare,  coercere. 
Ceite  identification  n'a  pas  besoin  de  nouvelles  preuves. 
Je  conjecture  que  le  cultivateur  est  forcé  de  travailler  à  la  répara- 

(ion  d'un  canal  ou  d'un  puits        x  %£$  "» — ^  shet  (copt.  ty^TC. 


canalis,  cyçjUTE    puteus).  Dans  un  autre  papyrus  on  menace  un 


scribe  de  l'envoyer  au  travail  du     ^  0  »<*~*\  -> — r  sheth  (1).  11  s'agit 


probablement  dans  l'un  et  l'autre  cas  d'un  travail  dé  corvée.  Toutefois 
je  doisavouerquelesens  n'est  pas  certain  et  que  d'après  mes  premières 
explications  du  mol  khaa,  on  pourrait  à  la  rigueur  lire  que  le  culti- 
vateur est  jeté  au  shet,  c'est-à-dire  au  canal.  La  variante  du  papyrus 

Anastasi  :       ^l    0   \a«^  tahu-tu-f,  semble  indi- 

quer  qu'il  est  immergé,  plongé  dans  l'eau. 

L'un  et  l'autre  texte  ajoutent  que  cette  action  est  faite  em  tabuka- 
takai,  mot  auquel  le  papyrus  Anastasi  donne  pour  déterminatifs 
l'homme  renversé  la  tête  en  bas,  les  truis  lignes  de  l'eau  et  le  bras 
armé;  il  s'agit  certainement  d'une  action  violente.  Le  copte  nous 
fournit  ^^ua.\KZ->fustigatio,  et  ^OK^EK,  rixa. 

\l)  Anast.  V,  p.  22,  lig.  5. 


LES  PAPYRUS  HIÉRATIQUES.  133 

L'épouse  est   liée,    senhu-tu,  et  les   enfants  ^^  î  1k     À 

makhau;  ce  groupe  est  encore  un  mot  nouveau;  le  déterminatif  des 
étoffes  ou  des  vêtements  nous  laisse  le  choix  entre  l'idée  lier  et  l'idée 
dépouiller,  qui  conviendraient  l'une  et  l'autre  à  notre  contexte. 

On  voit  que  les  violences  auxquelles  le  cultivateur  est  exposé  soit 
à  raison  de  son  impuissance  à  acquilter  l'impôt,  soit  à  la  suite  des 
incursions  des  nègres,  s'étendent  à  sa  femme  et  à  ses  enfants;  l'ex- 
pression exacte  de  ces  violences  nous  échappe  peut-être,  mais  l'in- 
certitude cessera  dès  qu'on  aura  rencontré  des  exemples  suffisamment 
nombreux  des  mots  que  nous  lisons  ici  pour  la  première  fois. 

PI.  VI,  lig.  8.    NAÏ-F    SAHU-TA  EH  VA-SEN  UAR  NENNUI 

Ses     voisins    sont  partis     au  loin     s'occupant 

NAI-SEN  UTI. 

de  leur  blé. 


Dans 


[l^^k    0  %j==kv         ,  sahu-ta,  je  trouve    CE'*^ 

conjungere,  et  TO  terra;  de  là  conterranei,  contermini.  11  est  dit 
du  teinturier  ou  du  blanchisseur  qu'il  est  voisin  (sahu-ta)  du  cro- 
codile  (1). 

Le  sens  est  que  les  voisins  du  cultivateur  sont  occupés  au  dehors 
à  leur  propre  moisson  et  ne  peuvent  lui  venir  en  aide. 

PI.  VI,  lig.  8.    APU  EM     SKAI    MENTEF       KHERPU  BAKU  EN 

Le  travail    du  scribe     il  excelle   les  travaux  de 

BA  NEB         [MEN]  HESBU-NEF        BEKU         EM     SKHAIU      MEN    UN    TA-F 

toute  espèce    il  n'estime  pas      travail     les    lettres    non  est  à  lui 

SHAI    AKH  REKH-K      SU. 

taxe.       Sache       cela. 

S'      *\)  apu,  est  un  mot  important  el  d'emploi  très-fréquent. 
B    ex  *4 

Au  papyrus  d'Orbiney,  il  correspond  exactement  au  copte  s>^tt 

^S-^&TC.  in  judicio  contendere.  On  le  trouve  au  papyrus  Abbott 
avec  la  valeur  excepté,    dont    l'orthographe   ordinaire  est  plutôt 

(1)  Sallier  II,  p.  8,  lig.  3. 


134  HEVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

>»/       >*/  (1)     \/<=»i  (2).   Avec  le  déterminatif  de  la 

s    x    a    x<=>      ?  s    x 

marche,  il  signifie  messager,  envoyé,  ambassadeur,  copte  oejul-n- 

^>Ua&,  nuncius.  Enfin,  dans  la  phrase  qui  nous  occupe   on  peut 

l'assimiler  au  copte   s><iUèL,res,negotium, ou  E5ETT    XE&    ESOTTE 

ars,  opus,  expressions  qui  sont  radicalement  identiques.  Ce  sens 
travail,  occupation,  convient  du  reste  à  une  multitude  de  passages 
des  papyrus  Sallier  et  Anastasi.  Par  exemple  :  J'ai  exécuté  tous  les 
travaux  (apu)  qui  m'avaient  été  imposés  (S);  j'ai  accompli  mon  tra- 
vail (taia  em  apu)  (4) ;  taia  apu  hu  ma  hapi,  nion  travail  s'accroît 
comme  le  Nil  (o).  D'après  ces  deux  derniers  passages  on  voit  que  apu, 
sous  cette  acception,  est  du  genre  féminin  (6). 


M 


J  kherpu,  s'est  conservé  dans  ie  copte  <^,°Pn, 

primus.prœrenire.  Ce  sens  convient  bien  au  passage  analysé  et  s'ap- 
plique aussi  très-naturellement  h  une  phrase  de  la  stèle  de  la  princesse 
de  Bakhten  :  Les  chefs  apportèrent  toutes  sortes  de  dois  de  la  terre 

■«  Mr"  •  «-S^  i  i  * 
divine  sur  leur  dos,    .= — x        g}  ua-neb   her    kherp... 

ew,  chacun  primant,  surpassant  l'autre  (7).  Une  expression  analogue 
est  encore  en  usage  aujourd'hui. 

Au  lieu   du  mot  hesbu,  le    papyrus   Anastasi  a   men    hetera. 
M.Chabas,  qui  m'a  suggéré  plusieurs  observations  utiles  à  propos  de 


(1)  Lepsius,  Ausw.,  IX,  stèle,  1.  13. 

(2)  Ibid.,  XVI,  1. 8. 

(3)  Anastasi  VI,  p.  1,  1.  8. 

(4)  Anast.  IV,  p.  4,1.  8. 
|5)  Anast.  IV,  p.  h,  I.  10. 

(6)  V.  de  Rougé,  Etude  sur  une  stèle  e'gypt.,  p.  lil.  L'éniinent  égyptologue  a  laissé 
la  question  indécise. 

(7)  L'emploi  de  la  préposition  m  au  génitif,  quoique  ordinaire  en  copte,  se  voit 

assez  rarement  dans  l'ancien  égyptien,  ^^k      signifie  presque  constamment  en.  date, 


à,  vers,  et,  de,  ex,  from.  La  phrase  est  embarrassante.  Au  pap.  Sallier  II,  pi.  9,  1, 
ou  lit  très-clairement  :  //  n'y  a  [jus  de  p>vfessions  qui  ne  soient  primées,  ap  sh'ac, 
excepté  le  scribe,  car  lui  il  prime.  Après  le  tableau  des  misères  du  laboureur,  l'ex- 
pression ap  sh'au,  etc.,  signifierait  selon  moi  :  Autre  chose  est  le  scribe,  car  lui,  il 
prime  toute  autre  profession.     (Note  du  traducteur.) 


LES   PAPYRUS    HIÉRATIQUES.  lo*» 

ce  passage,  pense  que  les  deux  mots  hesbu  et  hetera  sont  fonda- 
mentalement identiques.  Suivant  lui,  la  négation  sien  a  été  omise 
par  le  scribe  du  texte  Sallier,  à  moins  que  la  phrase  ne  soit  interro- 
gative.  M.  Chabas  traduk-ait  en  conséquence  :  //  n'y  a  pas  de  taxe 

sur  le  travail  des  lettres.   0  0        5    I  hesbu,  admet  en  effet  le  sens 

compte,    rôle    de    taxes   et    0  I  {  heterau    celui   de 

tribut,  prélèvement,  impôt.  Toutefois  j'ai  remarqué  que  le  travail  du 
scnoe  est  distingué  soigneusement  des  travaux  manuels,  et  il  m'a 
semblé  que  la  phrase  analysée  fait  allusion  à  cette  distinction  dont 
les  scribes  devaient  se  montrer  jaloux.  En  définitive,  je  demeure  un 
peu  incertain  du  véritable  sens  du  passage. 


\M 


shaiu,  est  un  mot  rare.  Je  le  rencontre  seule- 


ment dans  un  passage  où  il  est  question  de  recevoir  cinquante  ou  cent 
mesures  de  métal  er  shaï  en  smat  (1).  Supposant  un  parallélisme 
dans  les  deux  dernières  phrases  de  notre  papyrus,  M.  Chabas  admet 
le  sens  redevance,  impôt.  Cette  acception  nous  fournit  une  répétition 
de  l'idée  déjà  exprimée  :  il  n'y  a  pas  à  lui  imposer  de  redevances  (au 
travail  du  scribe),  et  dans  la  phrase  relative  à  la  livraison  du  métal, 
elle  permettrait  de  traduire  :  pour  la  redevance  des  smat,  c'est-à-dire 
des  serfs  attachés  aux  travaux  du  temple. 

I  ,  akh,  copte  z>oj    oen    mutins,  quantus.  Lorsque  ce  mot 

commence  la  phrase  et  qu'il  est  suivi  d'un  verbe,  la  phrase  a  souvent 
un  sens  impératif.  Seul  il  estinterrogatif^wî'^wor?  Des  passages  très- 

I    O 

clairs  du  papyrus  d'Orbiney  le   démontrent  suffisamment.  I 

If       (2),  akh  tera,  signifie  quid  nunc?  <=>  i  ,  er 

akh,  quantus!  ad  quantum.     Il   W    J  (3),  ia  akh,  soit  ou 

pourquoi. 
Rassemblant  les  fragments  que  je  viens  de  discuter  et  modifiant 


(1)  Anast.  III,  p.  6,  1.  ult, 

(2)  Sallier  III,  p.  2;  1.  5. 

(3)  Anast.  IV,  p.  9, 1.  4;  Sallier  l,  pi.  4.  1.  1. 


136  REVUE    ARCHEOLOGIQUE. 

légèrement  les  tournures  égyptiennes  pour  les  approprier  aux  exi- 
gences du  goût  moderne,  je  reproduis  maintenant  la  lettre  d'Ame- 
neman  en  son  entier  : 

«  Le  chef  gardien  des  archives  Ameneman,  du  trésor  du  roi,  dit 
«  au  scribe  Pentaour  :  On  t'apporte  cette  lettre  de  discours  (pour  te 
«  faire)  une  communication. 

«  On  m'a  dit  que  tu  as  abandonné  les  lettres,  que  tu  es  devenu 
«  étranger  à  la  pratique  de  l'élocution.  que  tu  donnes  ton  attention 
«  aux.  travaux  des  champs,  que  lu  tournes  le  dos  aux  divines  êcri- 
«  tures.  Considère!  ne  t'es-tu  pas  représenté  la  condition  du  culli- 
«  vateur.  Avant  qu'il  ne  moissonne,  les  insectes  emportent  une 
«  portion  du  blé,  les  animaux  mangent  ce  qui  reste;  des  multitudes 
«  de  rats  sont  dans  les  champs,  les  sauterelles  tombent,  les  bestiaux 
«  consomment,  les  moineaux  volent.  Si  le  cultivateur  néglige  ce  qui 
«  reste  dans  les  champs,  les  voleurs  le  ravagent;  son  outil  qui  est  de 
«  fer  s'use;  son  cheval  meurt  en  tirant  la  charrue.  Le  scribe  du  port 
«  arrive  à  la  station,  il  perçoit  l'impôt;  il  y  a  des  agents  ayant  des 
«  bâtons,  des  nègres  portant  des  branches  de  palmier;  ils  disent  : 
«  Donne-nous  du  blé  !  et  l'on  ne  peut  les  repousser.  Il  est  lié,  et  en- 
«  voyé  au  canal  ;  ils  le  poussent  avec  violence  ;  sa  femme  est  liée  en 
«  sa  présence,  ses  enfants  sont  dépouillés.  Quant  à  ses  voisins,  ils 
«  sont  loin  et  s'occupent  de  leur  propre  moisson.  L'occupation  du 
«  scribe  prime  toute  autre  espèce  de  travail  ;  il  ne  regarde  pas  les 
«  lettres  comme  un  travail;  il  n'y  a  pas  de  taxe  sur  lui.  Sache  celai  » 

Cette  lettre  nous  apprend  qu'au  temps  de  la  dix-neuvième  dynastie 
les  scribes  ne  formaient  pas  une  classe  distincte  dont  les  offices  se 
transmissent  de  père  en  fils.  Des  individus  appartenant  aux  classes 
inférieures  avaient  la  faculté  de  choisir  la  carrière  des  lettres  et 
alors,  comme  aujourd'hui,  une  instruction  étendue  servait  d'achemi- 
nement aux  emplois  de  confiance  et  même  aux  dignités  de  l'État.  Le 
titre  de  skhai,  scribe,  correspond  exactement  à  l'anglais  clerk  et  au 
français  commis.  Il  suppose  la  connaissance  indispensable  de  l'écri- 
ture, mais  il  pouvait  arriver  que  la  fonction  spéciale  de  certains 
scribes  n'exigeât  pas  un  travail  d'écriture.  Les  scribes  égyptiens 
étaient  en  effet  attachés  à  des  offices  très-variés,  et  bien  que  l'étude 
de  la  langue  sacrée  soit  constamment  mentionnée  comme  l'une  de 
leurs  attributions,  nous  les  voyons  employés  dans  des  postes  civils 
et  militaires  qui  n'ont  rien  de  commun  avec  la  science  théologique. 

Le  copte  a  conservé  le  nom  du  C&Jb    K   HEE&,  scribe  maritime. 
probablement  un  pilote  ou  un  capitaine  de  vaisseau. 


LES  PAPYRUS  HIÉRATIQUES.  137 

Je  considère  comme  une  circonstance  digne  de  remarque  la  men- 
tion de  l'emploi  du  cheval  aux  travaux  de  l'agriculture  (1).  Aucune 
autre  nation  de  l'antiquité  n'a,  je  crois,  utilisé  cet  animal  à  la 
charrue.  En  Egypte,  les  chevaux  étaient  à  cette  époque  très-abon- 
dants, et  c'est  de  ce  pays  que  Salomonles  importait  en  Judée.  La  Ge- 
nèse mentionne  les  chevaux  au  nombre  des  animaux  que  les  Égyp- 
tiens amenèrent  à  Joseph  pour  les  échanger  contre  du  grain  (2). 

Un  grand  nombre  d'ouvriers  étrangers  venaient  se  mettre  au  ser- 
vice des  Égyptiens,  notamment  des  Nahsi  ou  nègres.  Peut-être  trou- 
vons-nous un  indice  de  leur  emploi  au  service  domestique  dans  le 
copte  î\F.S>C-W-H\  de  la  version  sahidique  (Gen.,  ch.xiv,v.  14), 
correspondant  au  grec  oïxoYevetç,  littéralement  les  nègres  de  la  mai- 
son (3). 

C.  W.  Goodwin. 
Traduit  par  F.  Chabas. 


(1)  Le  papyrus  d'Orbiney  parle  aussi  du  cheval  employé  à  la  charrue. 

(2)  Genèse,  ch.  xlvii,  v.  17. 

(3)  Il  est  permis  de  douter  de  l'authenticité  de  ce  mot.  (V.  Taltam,  Lex,  s.  v.).  La 

version  memphitique  a  *5-EC~|l5EN-.HS,  né  clans  la  maison 


OBJETS    EN    BRONZE 


DECOUVERTS  A  NEUVY,  PRES  ORLEANS 


Nous  donnons,  d'après  une  communication  faite  à  l'Académie  des 
inscriptions  et  belles-lettres  par  M.  Egger,  au  nom  de  M.  Mantellier, 
directeur  du  musée  d'Orléans,  la  liste  complète  des  objets  trouvés 
le  27  mai  dernier  dans  une  carrière  de  sable  de  la  commune  de 
Neuvy,  près  Orléans.  Nous  attendrons,  pour  entrer  dans  de  plus 
grands  détails  sur  cette  importante  découverte,  que  le  rapport  de 
M.  Mantellier  ait  paru  :  nous  avons  pensé  que  cette  liste  était,  par 
elle-même,  assez  intéressante  pour  être  dès  maintenant  publiée. 

Objets  en  bronze  fondu. 

1.  Un  cheval  posé  sur  un  socle  ou  soubassement,  dont  la  face  an- 
térieure porte  une  inscription  gravée  en  creux  et  conçue  en  ces 
termes  : 

AVG  •  RVDIOBO  ■  SACRVM 
CVRCASSICIATE  DSPD 
SER  •  ESVMAGIVS  ■  SACROVIB  ■  SER10MAGLIVS  ■  SEVERVS 
F  C 

Le  cheval  marche  au  pas.  Sa  hauteur  est  de  0m,65  au  garrot;  il  n'a 
d'autre  harnachement  qu'une  bride  formée  de  chaînettes  ou  de  la- 
nières en  bronze  ou  cuivre  battu  qui  se  détache  (plusieurs  parties  de 
celte  bride  manquent);  la  crinière  est  mobile  et  peut  l'enlever;  le 
soubassement  portait  huit  anneaux,  quatre  aux  angles  et  quatre  dans 


OBJETS   DÉCOUVERTS   k   NEl'YY.  139 

les  parties  intermédiaires;  ces  huit  anneaux  mobiles  sont  aujourd'hui 
détachés,  mais  onreconnaîttrès-bien  la  place  qu'ils  occupaient  sur  le 
socle. 

2.  Cerf.  Hauteur  0m, 17;  la  queue  manque,  les  oreilles  sont  cassées; 
le  bois  est  mobile. 

3.  Taureau.  Longueur  0m,07. 

4.  Femme  debout,  nue,  cheveux  retenus  derrière  la  tète.  Figu- 
rine. Hauteur  0m,08. 

5.  Homme  debout,  nu,  imberbe;  tient  une  boule  ou  un  fruit  dans 
la  main  droite.  Hauteur  0m,088. 

6.  Guerrier  debout,  imberbe,  costume  barbare  ;  dans  la  main  droite 
il  tenait  un  objet  qui  manque;  pied  droit  cassé,  manque.  Figurine. 
Hauteur  0m,103. 

7.  Femme  debout,  nue;  cheveux  pendants  sur  les  épaules,  les  bras 
dans  l'attitude  de  la  supplication.  Figurine.  Hauteur  0m,103. 

8.  Homme  debout,  nu,  imberbe;  la  main  gauche  appuyée  sur  la 
cuisse  gauche.  Figurine.  Hauteur  0ra,116. 

9.  Femme  debout,  nue,  cheveux  pendants  sur  les  épaules,  le  bras 
gauche  ramassé  derrière  la  tête.  Figurine.  Hauteur  0m, 139. 

10.  Homme  debout,  nu,  barbe  en  collier;  dans  chaque  main  il 
tenait  un  objet  qui  manque;  sur  la  cuisse  droite,  un  mot  marqué  en 
relief  à  l'aide  d'une  estampille,  mais  visible  seulement  à  la  loupe, 
SOLVTO.  Figurine.  Hauteur  0m,2. 

11.  Jupiter  debout,  barbu,  drapé,  les  pieds  chaussés  de  sandales. 
Figurine.  Hauteur  0ra,  135. 

12.  Homme  debout,  imberbe,  vêtu  d'une  tunique  fendue  sur  la 
poitrine,  tête  et  jambes  nues;  dans  chaque  main  il  tenait  un  objet 
qui  manque.  Hauteur? 

13.  Hercule  enfant,  debout,  nu,  la  main  gauche  posée  sur  sa 
massue;  dans  la  main  droite  trois  fruits;  il  est  adossé  à  un  poteau 
carré  du  sommet  duquel  partent  deux  branches  ou  guirlandes  de 
lierre  qui  viennent  se  rattacher  au  socle  formant  terrasse  sur  lequel 
pose  la  statue  qu'elles  encadrent.  Hauteur  de  la  figurine  0m,145;  du 
monument  0m, 218.  Ce  petit  monument  parait  détaché  d'un  ensemble 
plus  considérable  dont  il  faisait  partie. 


140  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

Objets  en  bronze  ou  cuivre  frappé  et  repoussé. 

14.  29  fragments  d'un  sanglier  dont  la  grosseur  pouvait  être 
1/3  nature;  trop  mutilés  pour  qu'il  soit  possible  de  recomposer 
J'animai. 

15.  Sanglier;  débris  dessoudés;  les  jambes  de  devant  manquent. 
Hauteur  présumée  0m,220. 

16.  Autre  sanglier;  débris  dessoudés.   Hauteur  présumée  0m,22o. 

17.  Animal  à  pied  fourchu;  la  tête  manque.  Hauteur  0m.22o. 

18.  Poisson  plat  et  large;  débris.  Longueur  présumée  0m,2. 

19.  Trompette  (tuba)  en  plusieurs  pièces  qui  s'ajustent  et  s'em- 
boîtent; l'embouchure  en  bronze  coulé;  le  pavillon  en  grande  partie 
brisé.  Longueur  lm,44,  grosseur  d'une  flûte. 

20.  Trois  vases  en  forme  d'écuelle,  dont  deux  pourvus  d'un  manche 
plat.  Profondeur  de  0m,0o2  à  0m,0o8. 

21.  Palmette.  Longueur  0m,2o. 

22.  Fragments  divers.  Débris  de  couronnes,  de  feuillages  et  d'ob- 
jets indéterminés. 

23.  Fragment  paraissant  provenir  de  la  bride  d'un  cheval;  incru- 
station d  une  plaque  circulaire  en  argent  poli  de  la  dimension  d'une 
pièce  de  cinquante  centimes. 

Nous  faisons  des  vœux  pour  que  tous  ces  objets  ne  soient  pas 
dispersés  et  deviennent  la  propriété  du  musée  d'Orléans. 


EPEE  ROMAINE 

(fouilles  d'alise-sainte-reine.) 


Nous  donnons  aujourd'hui  à  nos  lecteurs  le  dessin  (quart  de  gran- 
deur) de  l'épée  romaine  trouvée,  dans  le  courant  du  mois  dernier, 
au  fond  d'une  des  tranchées  ouvertes  dans  la  plaine  des  Laumes  par 
les  soins  de  la  Commission  de  la  carte  des  Gaules. 

Le  plan  des  fouilles,  que  nous  faisons  préparer  pour  la  Revue, 
contiendra  l'indication  précise  du  point  où  cette  épée  a  été  décou- 
verte. Qu'il  nous  suffise  de  dire  aujourd'hui  que  la  tranchée  au  fond 
de  laquelle  les  ouvriers  ont  trouvé  enfoui  ce  précieux  spécimen  des 
armes  romaines,  fait  évidemment  partie  de  la  ligne  de  contrevallation 
qui  entourait  la  place,  et  dont  des  traces  ont  été  déjà  reconnues 
dans  toute  l'étendue  de  la  plaine  qui  s'élend  enlre  les  deux  rivières 
(l'Oze  et  l'Ozerain). 

L'épée  (Voir  la  planche,  lig.  2)  est  en  fer,  et  encore  dans  son  four- 
reau en  fer  également  ;  la  soie  de  la  poignée,  brisée  par  un  coup  de 
pioche,  est  en  trois  morceaux.  La  lame  est  intacte,  mais  trop  adhé- 
rente au  fourreau  pour  qu'on  ait  osé  l'en  détacher. 

Nous  n'avons  pas  besoin  de  faire  remarquer  à  quel  point  elle  dif- 
fère des  épées  gauloises  dont  nous  avons  donné  le  dessin  dans  notre 
dernière  planche.  Non-seulement  elle  est  en  fer  au  lieu  d'être  en 
bronze,  mais  elle  a  une  dimension  et  une  forme  qui,  indépendam- 
ment du  métal,  la  caractérisent  parfaitement.  La  lame  est  droite  et  a 
0m,59  de  longueur,  c'est-à-dire  exactement  deux  pieds  romains.  Celle 
de  nos  deux  épées  gauloises  dont  la  lame  n'était  pas  brisée  avait 
seulement  0m,45,  et  comme  on  l'a  vu  n'était  pas  droite.  La  confusion 
entre  ces  armes  est  impossible.  Ajoutons  que  la  poignée  de  l'une  est 
très-courte,  tandis  que  la  poignée  de  l'autre  devait  être  beaucoup 
plus  large. 

Pour  rendre  les  différences  plus  sensibles,  nous  avons  fait  graver 


142  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

sur  notre  planche,  d'un  côté  deux  épées  en  bronze  (type  gaulois, 
fig.  3,  4),  faisant  partie  du  musée  de  Mayence  et  trouvées  dans  des 
tombeaux  gaulois  sur  les  bords  du  Rhin;  de  l'autre,  une  épée  ro- 
maine en  fer  (fig.  I)  du  même  musée,  portant  encore  trace  de  son 
fourreau  à  la  partie  supérieure  et  provenant  des  fouilles  d'une 
construction  romaine  (V.  le  Musée  de  Mayence,  par  M.  Lindenschmit, 
lre  livraison,  planche  V.  N°2).  On  verra  qu'il  y  a  identité  de  type 
entre  les  deux  épées  gauloises  d'Alise  et  les  deux  épées  des  tombes 
transrhénanes.  Quant  à  l'épée  romaine  de  Mayence,  elle  est  égale- 
ment la  reproduction  de  l'épée  en  fer  d'Alise,  si  ce  n'est  que  la  lame 
en  estun  peu  plus  longue,  puisqu'elle  a  0m,67  au  lieu  de  0m,59.  Il  faut 
dire  que  la  dimension  des  épées  gauloises  n'est  pas  non  plus  tout  à 
fait  la  même.  Celles  de  Mayence  ont  0m,47,  celle  d'Alise  n'a  que  0, 45: 
mais  comme  la  pointe  de  l'épée  en  bronze  élait  sujette  à  se  briser  ou  à 
s'émousser  et  devait  souvent  être  refaite,  ce  qui  raccourcissait  d'au- 
tant la  lame,  il  est  possible  que  les  trois  épées  de  bronze  aient  été 
primitivement  de  même  grandeur. 

Ce  que  nous  tenons  surtout  à  constater,  c'est  que  l'on  trouve  à 
Alise  des  épées  de  type  très-distinct,  dont  l'un  (qui  se  rapproche 
beaucoup  du  type  grec)  se  retrouve,  comme  nous  l'avons  dit,  à  la  fois 
en  Suisse,  en  France,  en  Belgique,  en  Danemark,  en  Suède  et  en 
Irlande,  et  toujours  reproduit  en  bronze;  faute  de  meilleure  appel- 
lation nous  le  désignons  sous  le  nom  de  type  gaulois;  l'autre,  beau- 
coup plus  rare  jusqu'ici  et  appartenant  à  des  épées  de  fer,  ne  s'est 
guère  rencontré  que  là  où  les  Romains  ont  laissé  des  traces  évidentes 
de  leur  passage  :  nous  ne  craignons  pas  de  dire  avec  M.  Linden- 
schmit  que  c'est  l'épée  romaine  (1).  La  Revue,  dans  la  série  d'articles 
qu'elle  commence  aujourd'hui  sur  les  musées  et  collections  archéo- 
logiques, reviendra  au  reste  sur  cette  intéressante  question. 


(1)  Il  ne  faut  pas  confondre  ces  épées  avec  les  épées  gauloises  de  l'âge  de  fer,  épées 
très-longues  et  arrondies  a  l'extrémité,  dont  les  fouilles  de  Tiefenau,  publiées  par 
M.  de  Bonstalen,  nous  offrent  un  très-bel  échantillon,  et  qui  d'ailleurs  sont  extrême- 
ment rares  jusqu'ici. 


BULLETIN    MENSUEL 
DE    L'ACADÉMIE    DES    INSCRIPTIONS 


MOIS    DE    JUILLET. 


M.  de  Lasteyrie,  à  propos  de  la  nouvelle  découverte  de  couronnes  des 
rois  visigoths,  découverte  dont  nous  avons  rendu  compte  le  mois  dernier, 
communique  à  l'Académie  un  dessin  récemment  fait  par  lui  d'une  cou- 
ronne votive  en  bronze  qui  se  trouve  dans  la  belle  collection  de  M.  Mayer, 
à  Liverpool,  et  qui  n'est  ;  as  sans  rapport  avec  les  couronnes  espagnoles, 
puisqu'elle  avait  évidemment  une  destination  analogue. 

La  couronne  du  musée  Mayer,  en  simple  bronze,  sans  trace  de  dorure 
et  suspendue  à  quatre  chaînes  de  même  métal,  porte  une  inscription  dé- 
coupée à  jour  ainsi  conçue  : 

HERCVLANYS  BOTVM  SOLDIT  A-f-w  ET. 

Point  de  doute,  par  conséquent,  relativement  à  son  usage  et  guère  plus 
touchant  son  origine.  Le  nom,  la  forme  de  l'inscription  sont  parfaitement 
romains.  Cependant,  le  caractère  des  lettres,  et  particulièrement  la  forme 
losangée  de  l'A,  semble  indiquer  qu'elle  ne  remonte  pas  plus  haut  que  le 
cinquième  siècle.  Les  dernières  lettres  présentent  seules  quelque  difficulté. 
L'w  pourrait  au  premier  aspect  être  unW  à  panse  arrondie,  si  ce  dernier 
caractère  n'appartenait  à  une  toute  autre  époque.  De  même  une  fracture 
accidentelle  survenue  à  la  bordure  en  cet  endroit  peut  jeter  quelque  doute 
sur  l'existence  de  la  croix.  Cependant  M.  de  Lasteyrie  ne  doute  pas  qu'il 
ne  faille  lire  A  +  w.  Quant  aux  deux  lettres  restantes,  il  les  place  plutôt 
en  têle  de  l'inscription,  mais  n'a  pu  jusqu'ici  en  trouver  une  interpréta- 
tion suffisante.  Enfin,  comme  détail  assez  singulier  et  sans  analogue 
connu,  il  signale  quelques  petits  appendices  plais  en  forme  de  crête  qui 
semblent  avoir  dû  être  fixés  primitivement  au  pourtour  de  la  couronne, 
sans  que  rien,  pourtant,  indique  qu'ils  fussent  destinés  à  recevoir  aucun 
luminaire.  En  résumé,  M.  de  Lasteyrie  signale  la  couronne  de  Liverpool 
comme  un  point  de  comparaison  à  ne  point  négliger  dans  un  travail  d'en- 
semble sur  les  monuments  de  ce  genre. 

M.  Egger  succède  à  M.  de  Lastevrie  et  donne  communication  d'une  note 
envoyée  par  M.  Mantellier,  conservateur  du  musée  d'Orléans,  concernant 


144  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

la  découverte  d'objets  antiques  trouvés  à  Neuvy  (Loiret).  Voir  dans  le  pré- 
sent numéro,  pag.  138,  la  liste  des  objets  trouvés. 

Divers  rapports  sur  les  ouvrages  envoyés  au  concours  de  cette  année  sont 
lus  par  les  présidents  des  commissions.  L'Académie  vote  sur  les  prix  pro- 
posés. Les  résultats  de  ces  votes  seront  donnés  au  public  dans  la  séance 
annuelle  fixée  au  9  août  prochain,  et  dont  nous  parlerons  dans  notre  pro- 
chain compte  rendu.  Quant  à  présent,  il  ne  nous  reste  plus  de  place  que 
pour  l'intéressant  rapport  de  M.  Renan,  rapport  que  M.  Maury,  conformé- 
ment au  désir  de  S.  M.  l'empereur,  est  venu  lire  devant  l'Académie. 

A.  B. 

RAPPORT  A  L'EMPEREUR 

Sire, 

L'entreprise  scientifique  dont  Votre  Majesté  m'a  confié  la  direction  a  été  conti- 
nuée, pendant  les  trois  mois  qui  viennent  de  s'écouler,  avec  beaucoup  d'activité. 
J'ai  rendu  compte  à  Votre  Majesté  de  nos  travaux  de  Gébeil,  qui  ont  rempli  les  mois 
de  décembre  et  de  janvier.  Déjà,  à  cette  époque,  j'avais  fait  commencer  les  travaux 
de  Saïda,  que  j'ai  trouvés  en  pleine  production,  quand  j'ai  pu  les  joindre  (premiers 
jours  de  février).  Laissant  bientôt  la  direction  de  ces  travaux  à  mon  excellent  et  pré- 
cieux collaborateur,  le  docteur  Gaillardot,  j'ai  presque  immédiatement  commencé  les 
fouilles  de  Sour.  Enfin,  grâce  aux  facilités  sans  égales  que  m'a  fournies  le  concours 
de  l'armée  et  de  la  marine,  j'ai  pu,  dans  les  premiers  jours  d'avril,  ouvrir  les  fouilles 
de  Tortose. 

Ainsi  nos  recherches  se  sont  toujours  continuées  sur  deux  ou  trois  points  à  la  fois, 
et  chacune  de  nos  quatre  campagnes  a  eu  au  moins  deux  mois  de  travail  (1).  II  a 
fallu  la  complaisance  inépuisable  de  M.  le  général  de  Beaufort,  le  concours  zélé  de 
M.  de  Boisguéhenneuc,  commandant  du  Colbert,  le  dévouement  de  tous  mes  colla- 
borateurs et  l'intelligence  rare  de  MM.  les  officiers  et  les  soldats  associés  à  nos  tra- 
vaux, pour  qu'un  plan  aussi  compliqué  ait  pu  s'exécuter.  Certes,  il  y  aurait  eu  des 
avantages  à  ne  faire  qu'une  campagne  à  la  fois  et  à  donner  successivement  à  cha- 
cune d'elles  la  somme  de  nos  efforts  communs;  mais  dès  qu'il  m'a  été  démontré  que, 
à  partir  du  mois  de  juin,  les  fouilles  dans  le  sol  deviendraient  impossibles;  dès  que 
j'ai  pu  croire  que,  passé  cette  époque,  le  concours  de  l'armée,  qui  a  été  la  condition 
essentielle  de  nos  travaux,  pourrait  me  manquer,  je  n'ai  plus  eu  de  choix.  Il  fallait 
ou  renoncer  à  quelque  partie  de  mon  plan,  ce  qui  eût  été  une  faute  capitale  dans 
une  entreprise  qui,  si  elle  peut  avoir  quelque  mérite,  doit  avoir  avant  tout  celui  de 
fournir  des  données  comparatives,  ou  m'arrêter  au  système  des  travaux  simultanés. 
Je  puis  dire  que  l'adoption  de  ce  système  ne  m'a  laissé  d'autre  regret  que  celui 
d'être  obligé  de  partager  mon  activité  entre  des  séries  de  travaux  également  pleines 
d'attrait,  dont  une  seule  eût  suffi  pour  m'attacher  et  m'occuper  tout  entier. 

Les  fouilles  de  Saida  et  de  Sour  peuvent,  à  l'heure  présente,  être  considérées 
comme  terminées.  Bien  que  je  me  réserve,  en  effet,  de  reprendre  plus  tard  le  dé- 


fi) J'ajouterai  que,  par  une  initiative  pleine  de  courtoisie,  M.,  le  capitaine  de  Lubriat,  d'ac- 
cord avec  ses  officiers  et  ses  soldats,  a  voulu  continuer  à  Gébeil,  après  mon  départ,  les  fouilles 
que  nous  avions  faites  ensemble.  Cette  continuation  de  la  campagne  de  Gébeil  a  produit  de  bons 
résultats,  entre  autres  la  découverte  d'un  curieux  bas-relief  égyptien. 


ACADÉMIE   DES   INSCRIPTIONS,    ETC.  145 

blaiement  de  la  grande  nécropole  de  Saïda  (le  seul  travail  pour  lequel  le  concours 
de  l'armée  ne  soit  pas  absolument  indispensable);  bien  qu'aux  environs  de  Sour  j'aie 
été  forcé,  par  des  circonstances  indépendantes  de  ma  volonté,  d'abréger  quelques 
recherches,  ces  deux  points  ont  tenu  dans  nos  travaux  la  place  proportionnelle  qui 
leur  appartenait,  et  le  genre  de  résultats  qu'il  est  permis  d'en  attendre  paraît  bieu 
déterminé.  Je  puis  donc  rendre  compte  à  Votre  Majesté  de  ce  que  ces  deux  métro- 
poles nous  ont  révélé  de  nouveau  sur  la  religion,  les  mœurs  et  les  arts  de  l'antique 
Phénicie. 


I. 

Saïda  se  présente  à  l'explorateur  dans  des  conditions  toutes  particulières.  Un  seul 
point  attire  d'abord  l'attention  et  la  captive  si  exclusivement  qu'on  se  fait  scrupule 
de  dérober  pour  d'autres  recherches  quelques-uns  des  instants  qu'on  peut  y  consa- 
crer. Comme  Sour,  Saïda  n'a  conservé  au-dessus  du  sol  presque  aucune  trace  de 
son  passé  phénicien.  La  ville  actuelle  rappelle  à  chaque  pas  les  croisés.  Il  suffit  de 
parcourir  les  jardins  et  surtout  les  collines  voisines  de  Hélolié  et  de  Bramié,  pour 
s'apercevoir  que  l'on  foule  le  sol  d'une  ville  brillante  à  l'époque  romaine  et  byzan- 
tine. Quant  à  la  vieille  Sidon,  mère  de  Chanaan,  si  l'on  excepte  quelques  blocs  gi- 
gantesques formant  l'extrémité  de  l'ancien  port,  on  en  cherche  en  vain  les  vestiges. 
Mais,  par  une  compensation  que  Tyr  n'a  pas  encore  offerte,  une  vraie  Sidon  souter- 
raine a  été  découverte  il  y  a  quelques  années.  Une  plaine  située  à  l'est  de  la  ville 
s'est  trouvée  receler  une  des  plus  précieuses  nécropoles  que  nous  ait  laissées  l'anti- 
quité. Plusieurs  fois  remuée  par  les  chercheurs  de  trésors,  la  caverne  connue  sous 
le  nom  de  Mughâret  Abloun  (caverne  d'Apollon),  située  au  centre  de  cette  plaine,  et 
qui  en  forme  en  quelque  sorte  le  point  culminant,  donna  en  1855  à  la  science  le  sar- 
cophage d'Eschmunazar.  Une  immense  attente  fut  excitée  par  cette  découverte. 

On  crut  tenir  le  centre  d'une  nécropole  royale  ;  il  paraissait  souverainement  in- 
vraisemblable que  le  premier  grand  sarcophage  phénicien  que  l'on  découvrit  pût 
être  l'unique  de  son  espèce,  le  seul  qui  portât  une  inscription.  Des  fouilles  multi- 
pliées furent  entreprises  autour  de  la  caverne;  elles  ont  produit  des  résultats  très- 
importants.  Mais  le  sarcophage  d'Eschmunazar  n'en  demeura  pas  moins  un  morceau 
unique.  Aucune  inscription  ne  vint  réaliser  les  espérances  que  les  esprits  les  plus 
timides  s'étaient  crus  autorisés  à  former. 

Naturellement,  c'est  vers  la  nécropole,  objet  constant  de  la  préoccupation  de  l'Eu- 
rope savante,  que  se  dirigèrent  tous  nos  efforts.  Les  fouilles  précédemment  entre- 
prises dans  les  environs  immédiats  de  Mughâret  Abloun  étaient  suffisantes  pour 
inviter  des  chercheurs  qui  eussent  été  guidés  par  une  vaine  ostentation,  ou  qui 
comptaient  trouver  dans  la  vente  des  objets  découverts  une  rémunération  de  leur 
travail,  à  porter  plus  loin  leurs  excavations.  Mais  j'ai  pensé  que  les  travaux  dont  la 
spéculation  privée  ne  peut  se  charger,  parce  qu'ils  n'ont  d'autre  but  que  de  mettre 
en  repos  la  conscience  des  philologues,  étaient  ceux  qui  nous  regardaient  le  plus 
spécialement. 

Il  importait  de  pouvoir  dire  d'une  manière  positive  si  les  espérances  que  quelques 
personnes  conservent  encore  sur  cet  endroit  fameux  doivent  être  définitivement 
abandonnées.  Un  déblaiement  complet,  poussé  jusqu'au  roc,  pouvait  seul  fournir 
la  réponse  à  une  telle  question.  Ce  travail  ingrat,  puisqu'il  portait  sur  des  terres 
déflorées,  nous  l'avons  accompli  avec  un  scrupule  qui,  en  toute  autre  circonstance, 
eût  pu  paraître  exagéré.  11  nous  permet  d'affirmer  que  jusqu'à  une  distance  de 

iv  10 


146  REVUE    ARCHÉOLOGIQUF. 

60  mètres  à  peu  près  de  l'endroit  où  fut  trouvé  le  sarcophage  d'Eschmunazar,  il  n'y 
a  aucune  inscription  à  chercher  :  ce  précieux  sarcophage  n'a  échappé  que  par  hasard 
à  la  destruction  qui  s'est  promenée  à  l'entour. 

Ce  résultat  négatif,  toutefois,  ne  fut  pas  le  seul  qui  sortit  pour  nous  de  la  minu- 
tieuse enquête  à  laquelle  nous  nous  étions  livrés.  Indépendamment  des  distributions 
intérieures  de  la  nécropole,  qui  constituent  un  vrai  monument  mis  à  jour  par  nos 
soins  et  dont  nous  avons  rigoureusement  respecté  toutes  les  parties,  nous  décou- 
vrîmes un  curieux  reste  de  l'antiquité  phénicienne,  à  l'endroit  où  il  semblait  qu'il  y 
eût  le  moins  de  chance  d'en  trouver,  je  veux  dire  dans  les  terres  souvent  remuées 
qui  remplissent  l'intérieur  de  ia  caverne  d'Apollon  (1J.  En  rapprochant  des  frag- 
ments épars  trouvés  en  cet  endroit,  nous  parvînmes  à  recomposer  des  parties  essen- 
tielles d'un  de  ces  sarcophages  à  tôte  sculptée  dont  le  musée  du  Louvre  po  sède  déjï 
quelques  exemplaires. 

Mais  celui-ci  présente  des  particularités  absolument  uniques.  Au  lieu  que  les  sar- 
cophages du  môme  genre  n'offrent  qu'une  gaine  surmontée  d'une  tôte,  laquelle  se 
rattache  à  la  gaîne  d'une  façon  toute  conventionnelle,  la  nôtre  aspire  à  une  imita- 
tion beaucoup  plus  complète  des  formes  du  corps.  Des  bras  se  détachent  des  deux 
côtés  de  la  gaîne;  l'une  des  mains  tient  un  petit  vase;  une  draperie  pleine  d'élé- 
gance, une  sorte  de  chlamyde  se  dessine  sur  l'épaule.  Faut-il  voir  dans  ces  particu- 
larités les  signes  d'un  âge  moderne?  J'hésite  fort  à  tirer  une  telle  conséquence.  Le 
travail  des  bras  et  des  mains,  celui  qu'on  peut  le  mieux  apprécier,  est  trop  bizarre, 
bien  que  très-achevé  à  sa  manière,  pour  être  l'ouvrage  d'un  artiste  initié  à  l'art  grec. 
Or  comment  supposer  qu'à  l'époque  grecque  ou  romaine  un  sculpteur  se  fût  attaché 
pour  une  pièce  aussi  considérable  aux  traditions  d'un  art  abandonné? 

Il  est  très-vrai  que  l'art  phénicien  conserva  presque  jusqu'à  l'époque  chrétienne 
ses  motifs  favoris.  Mais  en  traitant  ces  motifs,  il  adopta  pleinement  les  détails  et 
la  facture  du  style  grec.  D'un  autre  côté,  expliquer  par  de  simples  maladresses  les 
singularités  dont  nous  parlons  n'e.st  guère  admissible  dans  un  morceau  auquel  on  a 
évidemment  voulu  donner  beaucoup  de  soin. 

Des  fouilles  conduites  sur  un  seul  périmètre,  avec  le  degré  d'opiniâtreté  que  mé- 
ritaient les  environs  de  la  caverne  d'Abloun,  n'eussent  point  offert  des  chances  suf- 
fisantes de  découverte.  Nous  avons  donc  attaqué  avec  des  procédés  plus  rapides  les 
surfaces  environnantes,  et  en  particulier  un  point  situé  à  l'est  de  la  grande  caverne. 
Sans  présenter  aucune  giotte  apparente,  comme  en  offre  le  champ  voisin  du  gîte 
d'Eschmunazar,  ce  point  paiait  en  réalité  celui  où  les  caveaux  phéniciens  ont  con- 
servé le  plus  d'intérêt.  Le  roc  y  est  percé  d'une  série  si  continue  de  caveaux,  h  s 
cloisons  qui  séparent  ces  caveaux  sont  si  minces,  qu'on,  est  surpris  que  les  niasses 
supérieures  ne  se  soient  pas  effondrées  depuis  des  siècles,  dissimulant  à  jamais  lis 
richesses  qui  y  sont  contenues.  Ces  caveaux  sont  de  style  fort  divers.  On  peut  les 
ranger  en  trois  classes  :  1°  caveaux  rectangulaires,  s'ouvrant  à  la  surface  du  sol  par 
un  puits  de  trois  ou  quatre  mètres  de  long  sur  un  ou  deux  mètres  de  large;  au  bas 
des  deux  petites  faces  de  ce  puits  s'ouvrent  deux  portes,  rectangulaires  aussi,  de  la 
même  largeur  que  la  petite  face,  donnant  entrée  à  deux  chambres,  encore  rectangu- 
laires dans  toutes  leurs  dimensions,  où  étaient  placés  les  sarcophages. 

Ces  grottes  se  distinguent  par  l'absence  de  tout  ornement.  Des  entailles  prati- 
quées des  deux  côtés  du  puits  permettent  d'y  descendre,  en  s'aidant  des  pieds  et  des 


(1)  Lady   Esther  Stanhope,  qui  dans  les  derniers  temps  s'était  laissé  séduire  aux  rêveries  des 
chercheurs  d'or,  avait  fut  faire  des  fouilles  dans  le  sol  de  la  caverne. 


ACADEMIE    DES   INSCRIPTIONS,   ETC.  147 

mains  (1).  Dans  un  seul  cas,  nous  avons  trouvé  plusieurs  de  ces  chambres  réunies 
et  formant  par  leur  suite  une  vraie  catacombe;  2°  caveaux  en  voûte,  offrant  des 
niches  latérales  pour  les  sarcophages,  et,  dans  le  haut,  ces  soupiraux  ronds,  creusés 
à  la  tarière,  qui  nous  ont  tant  préoccupés  à  Gébeil;  3°  caveaux  peints,  décorés  selon 
le  goût  de  l'époque  romaine,  avec  des  inscriptions  grecques. 

Souvent,  du  reste,  ces  caveaux  se  sont  enchevêtrés  les  uns  dans  les  autres  et  ont 
empiété  l'un  sur  l'autre.  Il  est  évident  que  longtemps  après  que  le  grand  rocher  plat 
choisi  par  les  Sidoniens  pour  y  tailler  leur  nécropole  eût  été  criblé  de  caveaux,  on 
continua  d'y  déposer  de  nouveaux  cadavres.  C'est  ainsi  que  des  fragments  d'inscrip- 
tions grecques,  d'une  fort  basse  époque,  ont  été  trouvés  dans  les  caveaux  les  plus 
anciens.  On  sait  que  de  tels  méfaits  étaient  très-communs  dans  l'antiquité.  Une  des 
recommandations  les  plus  fréquentes  dans  les  inscriptions  funéraires,  celles  de  l'Asie 
Mineure,  par  exemple,  est  de  ne  pas  déposer  un  autre  mort  dans  le  caveau.  Eschmu- 
nazar,  dans  son  inscription,  se  montre  préoccupé  de  craintes  du  même  genre. 

Ce  qui  frappe  en  entrant  dans  tous  ces  caveaux,  c'est  le  spectacle  de  la  dévastation 
dont  ils  ont  été  l'objet.  Pas  un  sarcophage  qui  n'ait  été  violé  ;  quand  l'enlèvement  du 
couvercle  a  été  trop  difficile,  on  a  pratiqué  un  trou  à  l'extrémité,  et  les  objets  de  l'in- 
térieur ont  été  ramenés  sous  la  main  du  voleur  eu  moyen  d'un  crochet.  Souvent  les 
objets  dédaignés  par  le  voleur  se  retrouvent  près  du  sarcophage-,  souvent  aussi  d'heu- 
reuses négligences  nous  permettent  de  glaner  après  lui.  Les  sarcophages  eux-mêmes 
n'ont  pas  été  épargnés;  car,  indépendamment  des  effractions  barbares  dont  je  par- 
lais tout  à  l'heure,  la  nécropole  de  Sidon  a  été  durant  des  siècles  une  carrière  de 
marbres  précieux.  L'empressement  avec  lequel  les  marbres  qui  en  sortent  de  nos 
jours  sont  recherchés  par  les  indigènes,  montre  sur  quelle  échelle  ce  genre  de  des- 
truction a  dû  s'exercer  autrefois. 

Nul  doute  que  les  caveaux  rectangulaires  ne  soient  les  plus  anciens.  C'est  là  que 
l'idée  de  la  sépulture  antique  apparaît  dans  toute  sa  grandeur.  Nulle  ostentation, 
nul  souci  du  passant,  unique  préoccupation  d'honorer  le  mort  comme  s'il  vivait 
encore.  Les  lignes  constamment  horizontales  et  l'absence  de  toute  influence  grecque 
ou  romaine,  la  simplicité  extrême  du  plan,  la  grande  profondeur  de  ces  excavations, 
qui  feraient  supposer  que  la  couche  de  terre  végétale  dont  le  rocher  est  maintenant 
couvert  n'existait  pas  quand  elles  furent  taillées,  le  peu  de  souci  des  petits  détails 
et  de  tout  ce  qui  tient  à  la  commodité,  enfin,  par-dessus  tout,  la  façon  rigoureuse 
dont  ces  sépultures  répondent  aux  images  bibliques,  sont  autant  de  traits  qui  éta- 
blissent d'une  manière  décisive  la  priorité  desdits  caveaux. 

Le  puits  où  l'on  descendait  le  cadavre,  et  dont  la  bouche  béante  semblait  toujours 
appeler  de  nouvelles  proies,  est  cette  gueule  du  scheol  (os  put  et)  qui  avait  donné 
lieu  à  l'image  si  fréquente  chez  les  Hébreux  pour  signifier  la  mort  :  «  La  bouche  du 
puits  l'a  dévoré.  »  Les  caveaux  rectangulaires  sont  pour  nous  bien  décidément  les 
caveaux  phéniciens,  antérieurs  à  Alexandre,  ou  certainement  du  moins  à  la  conquête 
romaine  et  au  changement  total  de  mœurs  que  cette  conquête  amena  dans  le  pays. 

Les  sarcophages  que  l'on  trouve  dans  les  trois  espèces  de  caveaux  dont  je  parlais 
tout  à  l'heure  ne  diffèrent  pas  moins  que  les  caveaux  eux-mêmes.  Les  caveaux  cin- 


(1)  D'autres  puits  beaucoup  plus  étroits  et  dont  le  fond  est  rempli  d'eau  se  remarquent  encore 
dans  la  nécropole.  Ou  n'a  pu  réussir  à  les  dessécher  II  est  remarquable  que  ces  puits  n'ofTri'nt 
pas  les  entailles  dont  nous  venons  de  parler.  Nous  essayerons,  cependant,  dans  une  saison  plus 
favorable,  de  vérifier  s'ils  ne  conduisent  pas,  ainsi  qu'on  l'a  souvent  supposé,  à  des  caveaux 
encore  plus  profonds. 


148  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

très  offrent  des  sarcophages  en  terre  cuite,  ou  des  cuves  ornées  de  guirlandes  à  cou- 
vercle arrondi,  ou  simplement  de  grands  trous  carrés,  creusés  dans  le  sol  même  de 
la  grotte,  ou  des  niches  latérales.  Le  caveau  peint  renferme  uniquement  des  sarco- 
phages  en  forme  de  cuve,  avec  couvercle  arrondi,  ornés  de  riches  sculptures  toutes 
du  même  genre.  Des  têtes  de  lion  ou  de  panthère,  d'un  beau  style,  soutiennent  des 
guirlandes  massives  et  un  peu  chargées.  Des  masques  et  des  guirlandes  décorent  les 
extrémités.  Bien  que  de  tels  monuments  n'aient  pas  de  droits  stricts  à  s'appeler 
phéniciens,  comme  ils  sont  empreints  d'un  goût  fortement  provincial,  j'en  apporterai 
des  spécimens.  Les  caveaux  rectangulaires,  enfin,  offrent,  et  offrent  seuls,  un  genre 
de  sarcophages  absolument  à  part  (je  veux  parler  de  ces  grands  sarcophages  en 
marbre,  à  gaine  et  à  têtes  sculptées,  qui  sont  en  quelque  sorte  le  produit  spécial 
de  la  nécropole  de  Saïda).  Nul  doute  que  tous  ces  caveaux  n'en  fussent  peuplés  au- 
trefois; les  débris  s'en  retrouvent  de  tous  les  côtés;  mais  telle  est  l'avidité  avec  la- 
quelle, à  une  époque  inconnue,  ces  beaux  blocs  de  marbre  ont  été  exploités,  que  les 
seuls  exemplaires  qui  soient  venus  jusqu'à  nous  sont  ceux  qui,  cachés  dans  des  angles 
ou  dans  des  caveaux  détournés,  ont  échappé  à  l'attention  des  spoliateurs. 

Ces  distractions  ont  été  heureusement  assez  nombreuses  dans  le  champ  que  nous 
avons  fouillé.  Six  nouveaux  sarcophages,  en  effet,  et  les  fragments  d'un  septième 
(sans  parler  de  celui  de  la  caverne  d'Apollon),  ont  été  le  fruit  de  nos  recherches. 
Joints  à  ceux  que  possède  déjà  le  musée  du  Louvre,  ils  formeront  une  série  lumi- 
neuse qui  permettra,  sans  aucun  doute,  d'établir  entre  eux  une  rigoureuse  chrono- 
logie, et  jettera  sur  l'histoire  de  l'art  phénicien  un  jour  décisif.  Des  siècles,  en  effet, 
ont  dû  séparer  le  plus  archaïque  de.  ces  monuments  du  plus  moderne.  Le  plus 
archaïque  est,  selon  moi,  une  gaine  aux  formes  courtes  et  aplaties,  une  vraie  momie 
de  marbre  qu'on  dirait  venue  d'Egypte  toute  taillée. 

Le  plus  moderne  est  une  tète  d'homme  presque  en  ronde  bosse,  où  l'influence 
grecque  est  incontestable.  Entre  ce»  deux  extrêmes,  nos  huit  tètes  offrent  une  série 
non  interrompue  de  transitions.  La  perfection  est  pour  nous  réunie  dans  une  forte 
tète  d'homme,  que  nous  appelons  Hercule  de  Tyr,  tète  pleine  de  grandeur  et  de 
calme,  où  est  évité  jusqu'au  défaut  essentiel  d'une  telle  sculpture,  le  manque  de  vie 
et  d'expression.  L'état  de  conservation  des  six  grands  sarcophages  qui  n'ont  pas  été 
remarqués  des  spoliateurs  est  quelque  chose  de  surprenant.  Des  nombreux  débris  de 
marbre  recueillis  à  l'entour,  nous  avons  réussi  à  reconstituer  le  contour  d'une  tête 
qui  a  dû  être  martelée  à  dessein.  C'eût  été,  je  crois,  la  plus  frappante,  si  le  hasard 
lui  avait  permis  de  venir  jusqu'à  nous.  Je  rapporterai  également  une  cuve  sans  cou- 
vercle, dont  le  travail,  où  l'on  a  visé  à  reproduire  les  nervures  extérieures  d'une 
momie,  offre  quelque  chose  de  tout  à  fait  particulier. 

A  quelle  époque  rapporter  au  moins  les  termes  extrêmes  de  cette  série  de  monu- 
ments? Écartons  d'aboid  jusqu'à  la  pen-ée  de  l'époque  romaine  ou  des  derniers 
temps  des  Séleucides.  Des  monuments  aussi  frappants  d'originalité  ne  sauraient 
être  le  fruit  d'une  époque  d'imitation  servile  des  formes  grecques.  D'ailleurs,  les 
caveaux  où  on  les  trouve  sont  notoirement  plus  anciens.  Écartons,  d'un  autre  côté, 
la  supposition  d'une  trop  haute  antiquité,  même  pour  les  plus  archaïques.  La  Syrie 
n'a  pas  de  marbres,  du  moins  de  l'espèce  de  ceux  qui  nous  occupent;  or  l'emploi  des 
matériaux  importés  est  ici  le  signe  d'un  âge  relativement  moderne. 

Le  style  de  ces  monuments  amène  la  même  conclusion.  L'influence  de  l'Egypte 
est  évidente.  Leur  forme  n'a  pas  sa  raison  d'être  en  elle-même;  elle  ne  s'explique 
que  par  l'idée  bizarre  de  donner  au  couvercle  du  tombeau  l'apparence  d'une  momie. 
C'est  l'imitation  peu  logique  de  quelque  chose  d'étranger;  c'est  un  art  qui  ne  s'ex- 
plique que  par  le  dehois.  Nos  saicophages  sont  à  vrai  dire  les  échelons  divers  d'un 


ACADÉMIE    DES   INSCRIPTIONS,    ETC.  1 19 

type  sépulcral  dont  le  point  de  départ  est  la  momie  égyptienne,  et  le  point  d'arrivée 
la  statue  grecque  en  ronde  bosse,  couchée  sur  le  tombeau.  Ils  sont  tous  postérieurs 
au  sarcophage  d'Eschmunazar,  où  l'imitation  de  la  momie  est  bien  plus  exacte,  mais 
antérieurs  au  triomphe  définitif  de  l'art  grec  en  Orient,  triomphe  qui  fut  probable- 
ment le  signal  de  leur  désuétude.  Celui  de  tous  que  je  regarde  comme  le  plus  mo- 
derne porte  des  restes  de  peintures.  La  tête  y  a  tant  de  saillie  et  est  tellement  d  ta- 
chée de  la  gaîne,  qu'on  n'est  plus  qu'à  un  pas  de  la  statue  couchée.  Dans  un  autre, 
à  peu  près  contemporain,  le  profil  offre  quelque  chose  de  l'idéal  grec;  dans  les  deux 
dont  je  viens  de  parler,  la  jonction  de  la  tète  à  la  gaîne  se  fait  de  la  manière  la  plus 
maladroite,  et  les  courbes  du  chevet  sont  tout  à  fait  de  mauvais  goût.  C'est  la  déca- 
dence du  genre.  Au  lieu  de  la  simple  donnée  primitive,  toute  hiératique,  on  aspire  à 
une  sorte  de  vraisemblance,  on  veut  faire  des  tètes  vivantes  ;  on  se  met  en  contradic- 
tion avec  la  loi  du  genre,  et  l'on  tombe  dans  la  gaucherie. 

Nos  sarcophages  sont  donc,  selon  moi,  des  produits  de  l'art  phénicien  à  une  épo- 
que moyenne,  c'est-à-dire  dans  cette  longue  période  qui  s'étend  de  la  fin  de  la  domi- 
nation assyrienne  aux  Séleucides.  Ce  fut  pour  la  Phénicie  une  époque  plus  brillante 
en  un  sens  que  sa  période  autonome.  Maîtres  de  toute  la  marine  de  la  Perse,  les 
Phéniciens  arrivèrent  alors  à  un  degré  de  richesse  surprenant.  Ce  fut  aussi  l'époque 
où  l'imitation  de  l'Egypte  était  le  plus  en  vogue.  Un  heureux  hasard  nous  ayant  fait 
découvrir  à  côté  de  l'un  des  sarcophages  les  restes  des  toiles  qui  avaient  servi  à  l'em- 
baumement du  cadavre,  nous  avons  pu  constater  que  le  corps  était  traité  à  l'inté- 
rieur du  sarcophage  selon  les  pratiques  égyptiennes.  On  décidera  plus  tard  s'il  ne 
faut  pas  chercher  dans  les  procédés  de  nos  sculptures  quelque  analogie  avec  les  der- 
nières sculptures  de  Ninive  et  celles  de  Persépolis. 

Aucun  des  sarcophages  que  nous  avons  découverts  ne  porte  d'inscriptions,  et  ce- 
pendant jamais  surfaces  ne  furent  aussi  bien  préparées  pour  en  recevoir  que  ces 
espaces  lisses  de  la  gaîne,  où  il  semble  qu'on  se  soit  interdit  tout  ornement  pour 
laisser  au  graveur  un  champ  libre.  Il  est  nécessaire,  pour  comprendre  ce  fait  sin- 
gulier, de  se  bien  rendre  compte  de  la  notion  du  tombeau  chez  les  Phéniciens,  de 
l'usage  auquel  ces  sarcophages  étaient  destinés.  C'étaient  des  cercueils  de  marbre, 
non  des  tombeaux.  Personne  ne  les  voyait.  Enterrés  dans  des  caves  profondes,  ils 
servaient  à  honorer  1p  mort;  mais  les  inscriptions  y  eussent  été  presque  inutiles.  Si 
le  sarcophage  d'Eschmunazar  fait  exception,  c'est  que  ce  sarcophage,  il  ne  faut  pas 
l'oublier,  n'a  pas  été  trouvé  dans  un  caveau;  il  était  en  plein  air  et  pouvait  être  vu 
des  passants. 

Les  sarcophages  à  têtes  sculptées  ne  sont  pas  les  seuls  que  l'on  trouve  dans  les 
caveaux  rectangulaires.  On  y  rencontre  d'autres  sarcophages,  tous  semblables  ente 
eux  :  ce  sont  de  vastes  cuves  en  beau  marbre  blanc,  avec  couvercle  triangulaire  très- 
surbaissé.  Ces  sarcophages  ne  portent  absolument  aucun  ornement.  J'en  prendrai 
cependant  un  exemplaire.  Leur  taille  colossale,  le  travail  excellent  du  marbre,  la 
justesse  de  leurs  proportions,  leur  donnent  un  véritable  caractère  de  beauté. 

Un  grand  nombre  de  petits  objets  usuels  ou  de  parure  ont  été  trouvés  dans  les 
divrrs  tombeaux  que  je  viens  de  décrire.  Nous  rapportons  aussi  quelques  bonnes 
monnaies  à  légendes  phéniciennes,  et  nous  avons  acquis  au  prix  du  métal  un  sarco- 
phage en  plomb  d'un  joli  travail. 

Un  résultat,  enfin,  auquel  j'attache  beaucoup  de  prix,  bien  qu'il  ne  puisse  être  ap- 
précié que  de  ceux  qui  voyagent  en  Orient,  c'est  le  dégagement  de.  la  nécropole  elle- 
même.  Nos  déblaiements  ont,  été  opérés  de  manière  à  laisser  à  découvert  toutes  les 
parties  de  ce  curieux  travail  souterrain.  Peu  de  monuments  de  l'antiquité  ont  un 
aspect  plus  frappant  et  mettront  plus  directement  en  contact  avec  le  passé.  Votre 


150  •  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

Majesté  ayant  voulu  que  les  terrains  où  se  trouvent  ces  curieux  hypogées  deviennent 
la  propriété  de  la  France,  il  suffira  d'un  ordre  de  S.  Exe.  M.  le  ministre  des  affaires 
étrangères  à  la  personne  chargée  de  la  gérance  des  autres  propriétés  françaises  à 
Saida,  pour  les  empêcher  d'être  comblés  de  nouveau,  ainsi  que  cela  a  lieu  toutes  les 
fois  que  les  déblaiements  de  ce  genre  sont  faits  dans  des  vues  d'exploitation  privée. 
L'obligation  de  maintenir  une  certaine  proportion  entre  les  parties  diverses  de 
notre  mission,  nous  fit  seule  mettre  fin  aux  fouilles  de  Saïda.  Je  ne  m'y  résignai 
qu'en  songeant  combien  il  me  sera  facile  de  les  reprendre  quand  on  le  jugera  con- 
venable. Si  Votre  Majesté  l'agrée,  on  pourra,  l'automne  prochain,  continuer  le  dé- 
blaiement, au  moins  dans  les  tertains  achetés  par  la  France,  où  plusieurs  points  de 
grande  espérance  n'ont  pu  encore  être  dégagés.  Il  sera  bon  aussi  de  reprendre  un 
vaste  espace,  connu  sous  le  nom  de  Beyador,  où  déjà  des  recherches,  mais  des  re- 
cherches insuffisantes,  ont  été  faites  autrefois,  et  pour  lequel  nous  avons  pasté  des 
conventions  qui  nous  donnent  pendant  un  an.  le  droit  de  fouille.  Enfin  des  rochers 
taillés,  situés  au  sud  des  terrains  qui  ont  jusqu'ici  attiré  l'attention,  renferment  cer- 
tainement des  grottes  sépulcrales  qu'il  faudra  visiter. 


II. 

Les  fouilles  de  Sour  offrent  beaucoup  plus  de  de  difficultés  que  celles  de  Saïda.  Je 
ne  pense  pas  qu'aucune  grande  ville  ayant  joué  pendant  des  siècles  un  rôle  de  pre- 
mier ordre  ait  laissé  moins  de  traces  que  Tyr.  Un  voyageur  qui  ne  serait  pas  averti 
traverserait,  sans  contredit,  tout  l'espace  qui  s'étend  de  la  Ka^mie  à  Ras-el-Aïn  sans 
se  douter  qu'il  foule  le  sol  d'une  ville  ancienne.  Dans  l'île  même,  où  le  noyau  de 
l'agglomération  tyrienne  n'a  jamais  complètement  disparu,  tout  est  l'ouvrage  des 
croisés  ou  des  Sarrasins. 

Des  aqueducs,  une  basilique  chrétienne,  quelques  colonnes  hors  de  leur  place, 
voilà  tout  ce  qui  reste  de  l'une  des  métropoles  les  plus  peuplées  de  l'antiquité.  Le 
rôle  constamment  brillant  de  Tyr,  depuis  une  époque  reculée  jusqu'à  sa  destruction 
finale  en  1291,  est  sans  doute  la  cause  de  cette  totale  disparition.  Les  descriptions 
des  historiens  des  croisa  les  prouvent  qu'au  douzième  siècle  Tyr  était  purement  et 
simplement  une  grande  ville  à  la  façon  du  moyen  âge.  La  terrible  destruction  qui 
suivit  le  dernier  assaut  des  Sarrasins  en  fit  un  monceau  de  pierres,  d'où  les  localités 
plus  favorisées,  Saïda,  Saint-Jean  d'Acre,  tirèrent  des  matériaux  p)ur  leurs  bâti- 
ments. Le  chétif  mouvement  de  renaissance  qui  s'y  fait  sentir  depuis  une  centaine 
d'années  n'a  fait  qu'effacer  encore  sous  de  mesquines  constructions  le  souvenir  de  la 
vieille  cité.  Pour  trouver  la  ville  de  Guillaume  de  Tyr,  il  faut  maintenant  tra- 
verser un  ou  deux  mètres  de  décombres,  provenant  de  frêles  édifices  élevés,  il  y  a 
moins  d'un  siècle,  parles  beys  métualis  et  par  Ibrahim. 

Je  ne  disssimulerai  pas  le  peu  d'attraits  que  Tyr  m'offrit  d'abord.  On  vaste  espace 
situé  au  sud  de  l'île,  et  qui  correspond  à  l'Eurychore  (sorte  de  place  Saint-Marc  de 
l'ancienne  Tyr),  présentait,  il  y  a  un  siècle,  une  masse  compacta  de  ruines.  Mais  les 
fouilles  que  les  gens  du  pays  y  ont  faites  pour  chercher  des  marbres  précieux  l'ont 
totalement  appauvri.  On  hésite  à  faire  des  tranchées  suivies  dans  des  buttes  compo- 
sées de  matériaux  concassés,  rebut  des  tailleurs  de  pierres  de  l'émir  Beschir,  de 
Djezzar  et  d'Abdallah-Pacha. 

La  vaste  plaine  située  vis-à-vis  de  Sour  renferme  sans  doute  des  débris  d'un  haut 
intérêt;  mais  à  part  le  rocher  isolé  de  Maschouk,  il  n'existe  pas  dans  cette  uniforme 
prairie  un  seul  point  qui  invite  plus  qu'un  autre  à  entamer  le  sol.  Les  dunes  de  sable 


ACADÉMIE    DES   INSCRIPTIONS,    ETC.  loi 

qui  se  sont  entassées  sur  la  digue  et  les  parties  adjacentes  de  la  côte  couvrent  sans 
doute  dps  quartiers  de  l'ancienne  ville;  mais  j'ai  bientôt  pu  me  convaincre  que  les 
fouilles  extrêmement  pénibles  que  l'on  ferait  sur  ces  points  ne  rendraient  que  de8 
parties  de  la  ville  romaine.  Ressaisir  la  Tyr  phénicienne  à  travers  ce  réseau  d'oblité- 
rations successives  m'apparut  comme  la  tâche  de  celui  qui  voudrait  retrouver  à  Mar- 
seille la  cité  primitive  des  Phocéens. 

Autant  les  fouilles  de  Tyr  paraissaient  devoir  être  ingrates,  autant  les  environs  de 
cette  ville  célèbre  offraient  des  endroits  pleins  de  tentations.  Depuis  des  siècles,  les 
enviions  de  Tyr  sont  un  véritable  désert.  Dans  un  rayon  de  quatre  ou  cinq  lieues 
j'eus  bientôt  reconnu  des  endroits  excellents,  où  l'antiquité  était  encore  à  nu.  Dès 
lors,  mon  plan  fut  arrêté. 

Pour  ne  pas  encourir  le  reproche  d'avoir  négligé  un  point  aussi  célèbre  que  Tyr, 
je  m'imposai  un  certain  nombre  d'expériences,  en  vue  surtout  d'éclairer  les  questions 
intéressantes  de  topographie  que  soulève  l'emplacement  de  l'ancienne  ville;  mais  je 
résolus  de  faire  porter  mon  effort  principal  sur  des  points  écartés,  tels  que  Raj-el- 
Aîn,  Burdj-el  Hawé,  Kabr-Hiram,  Oum-cl-Awamid.  L'exécution  d'un  tel  plan  offrait 
de  grandes  difficultés.  Ces  points,  à  l'exception  du  premier,  sont  complètement  dé- 
serts et  beaucoup  trop  éloignés  de  Sour  pour  qu'il  fût  possible  d'y  mener  tous  les  jours 
les  travailleurs.  Grâce  aux  dispositions  prises  par  M.  le  général  de  Beaufort,  grâce  à 
l'abnégation  courageuse  de  MM.  les  officiers  et  en  particulier  de  M.  le  sous-lieutenant 
Brouillet,  tous  les  obstacles  ont  pu  être  levés.  Des  points  où  les  plus  hardis  voyageurs 
n'avaient  passé  que  quelques  heures  ont  été  fouillés  pendant  des  semaines,  et  notre 
campagne  de  Tyr,  que  je  craignais  de  voir  stérile,  nous  a  donné  des  résultats  moins 
brillants  peut-être,  mais  en  un  sens  plus  importants  et  certainement  plus  variés  que 
ceux  de  Saïda. 

Le  premier  point  que  j'essayai  d'éclaircir  à  Sour  même  fut  la  question  des  nécro- 
poles de  Tyr.  Une  opinion  assez  généralement  adoptée  veut  que  l'on  ne  trouve  pas  de 
tombeaux  aux  environs  immédiats  de  Sour,  et  c'est  pour  ce  motif  que  M.  de  Bertou, 
suivi  par  beaucoup  d'autres,  a  voulu  placer  la  nécropole  de  Tyr  à  Adloun.  Un  exa- 
men approfondi  de  la  nécropole  d' Adloun  eût  suffi  pour  écarter  cette  hypothèse. 
Cette  nécropole,  en  effet  (outre  qu'elle  est  située  à  quatre  ou  cinq  lieues  de  Tyr), 
est  presque  toute  chrétienne.  En  tout  cas,  l'argument  principal  sur  lequel  on  se  fonde 
pour  chercher  si  loin  les  tombeaux  des  Tyriens  est  bien  faible.  De  tous  les  côtés, 
les  sépultures  abondent  à  Tyr  et  dans  ses  environs.  Il  y  en  avait  dans  l'île  même.  Une 
tranchée  profonde,  exécutée  dans  la  partie  culminante  de  l'île,  nous  a  menés  à  un 
véritable  entassement  de  débris  et  d'objets  funéraires.  Il  y  en  avait  dans  la  plaine, 
près  de  l'aqueduc.  Ayant  fait  tenter  le  sol  sur  la  route  de  Sour  à  Maschouk,  à  un 
endroit  où  beaucoup  de  grosses  pierres  se  laissent  entrevoir,  j'ai  été  conduit  à  une 
série  de  grands  et  beaux  sarcophages,  tous  de  même  forme  :  cuve  rectangulaire,  à 
parois  très-épaisses,  couvercle  prismatique  très-massif,  à  angle  supérieur  très-aigu  ; 
aux  quatre  coins,  oreillons  très-gros  et  arrondis  ;  nul  ornement.  Cette  traînée  de 
tombes,  s'il  m'est  permis  de  parler  ainsi,  s'étend  jusqu'aux  pentes  de  Maschouk,  qui, 
du  côté  du  nord  et  de  l'est,  sent  couvertes  de  monuments  funéraires. 

Il  y  en  a  enfin  sur  toute  la  chaîne  de  collines  qui  limite  la  plaine  de  Tyr  du  côté  de 
l'est,  surtout  à  l'endroit  nommé  El-Av)watin.  Cet  endroit,  situé  au   point- où  une 

igné  tirée  par  Sour  et  Maschouk  percerait  ladite  chaîne  de  collines,  offre  sur  une 
surface  de  près  d'un  quart  de  lieue  une  masse  de  rochers  crayeux,  qui  est  à  la  lettre 
évidée  dans  tous  les  sens  par  des  chambres  sépulcrales  contenant  deux  et  trois  ran- 
gées de  tombeaux.  Nous  bommes  entrés  dans  plus  de  vingt  chambres  de  ce  genre; 
mais  le  nombre  en  est  infiniment  plus  considérable.  Partout,  eu  effet,  le  sol  de  cette 


152  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

région  est  effondré  d'une  manière  qui  accuse  avec  évidence  sous  la  terre  des  caveaux 
dont  la  voûte  (vu  le  peu  de  cohésion  de  la  roche  crayeuse]  s'est  écroulée.  Quelques 
expériences  ont  fixé  nos  idées  à  cet  égard.  En  somme,  El-Awu-atin  constitue  le  plus 
bel  hypogée  peut-être  de  la  Phénicie  (1);  mais  il  n'y  faut  chercher  ni  inscriptions  ni 
objets  d'art.  Le  vide  absolu  de  ces  tombes,  creusées  aux  parois  du  rocher,  a  quelque 
chose  de  surprenant  ;  d'autres  grottes,  situées  plus  au  sud,  nous  ont  offert  des  entrées 
semblables  à  celles  des  caveaux  rectangulaires  de  Saïda  ;  mais,  à  l'intérieur,  des 
voûtes  et  la  disposition  des  caveaux  modernes.  Une  belle  caverne  à  trois  nefs,  connue 
sous  le  nom  de  Mughàret  errouk,  que  nous  avons  déblayée,  ne  me  paraît  pas  non 
plus  fort  ancienne. 

La  topographie  de  Tyr  nous  a  fort  préoccupés.  J'ai  admiré  la  pénétration  avec 
laquelle  M.  Movers  a  débrouillé  ce  sujet  difficile  et  rectifié,  de  son  cabinet  de  Breslau, 
les  vues  des  témoins  oculaires.  Sur  deux  points,  cependant,  j'ai  été  amené  à  m'é- 
loigner  des  opinions  de  cet  éminent  critique.  Ne  pouvant  trouver  dans  l'île  actuelle 
une  place  pour  toutes  les  parties  de  l'ancienne  Tyr,  et  en  particulier  pour  la  petite 
île,  réunie  ensuite  à  la  grande,  où  était  situé  le  temple  de  Melkarth,  les  géographes 
et  les  historiens  ont  généralement  admis,  depuis  le  travail  de  M.  de  Bertou,  que  toute 
une  portion  considérable  de  l'île,  dont  aurait  fait  partie  le  temple  de  Melkarth,  a 
disparu  dans  la  mer,  par  suite  de  tremblements  de  terre.  C'est  là  une  hypothèse  que 
nos  vérifications,  faites  avec  le  concours  de  M.  le  commandant  du  Co/6crr,  rendent 
mpossiblc  à  maintenir.  L'ile  de  Tyr  n'a  jamais  été  plus  grande  qu'elle  n'est  aujour- 
d'hui, la  côte  occidentale  offre  actuellement  le  même  niveau  qu'elle  avait  dans  les 
temps  anciens;  les  colonnes. éparses  à  l'endroit  où  battent  les  vagues  ne  proviennent 
pas  d'édifices  antiques  situés  à  cet  endroit,  mais  bien  des  tours  ruinées  de  l'enceinte 
des  croisés.  On  sait,  en  effet,  que  dans  toute  la  Syrie  les  croisés  ont  eu  l'habitude 
d'insérer  dans  les  murs  de  leurs  forteresses  les  colonnes  d'édifices  anciens  qu'ils  trou- 
vaient sur  le  sol.  Où  donc  chercher  l'ile  de  Melkarth'?  Il  faut  la  voir,  selon  moi,  dans 
le  promontoire  sud-ouest  de  l'île  actuelle.  Ce  promontoire  ne  se  relie  à  l'île  princi- 
pale que  par  des  terres  basses.  Le  roc  est,  à  cet  endroit,  au-dessous  du  niveau  de 
la  mer.  Les  fouilles  que  j'ai  fait  faire  sur  le  promontoire  ne  m'ont  rien  révélé  d'im- 
portant. Mais  on  conçoit  très-bien  que,  devant  les  ouvrages  que  les  croisés  élevèrent 
en  cet  endroit,  tout  vestige  du  temple  de  Melkarth  ait  disparu. 

Ces  recherches  diverses  nous  ont  donné  quelques  sculptures,  entre  autres  une  jolie 
petite  tête  égyptienne  en  terre  cuite,  trouvée  sous  une  masse  de  plus  de  huit  mètres 
de  décombres,  un  bas-relief  semblable  à  ceux  que  l'on  trouve  fréquemment  en  Afri- 
que (génisse  broutant  une  gerbe),  et  plusieurs  inscriptions  grecques.  Jusqu'ici  on  ne 
possédait  aucune  inscription  de  Tyr.  Les  remblais  de  la  colline  de  Maschouk  nous 
ont  offert  une  masse  de  débris  antiques.  Il  est  probable  que  tout  le  couronnement 
ancien  de  la  colline  est  là  entassé,  et  que  si  une  baguette  magique  pouvait  rappro- 
cher ces  lambeaux,  le  rocher,  encore  si  pittoresque,  qui  domine  la  plaine  de  Tyr, 
reprendrait  son  antique  beauté;  mais  le  tout  est  trop  broyé  pour  qu'on  en  puisse  tirer 
quelque  induction,  et  nos  recherches,  de  ce  côté,  ont  été  à  peu  près  sans  résultat 
matériel. 

J'ai  hâte  d'entretenir  Votre  Majesté  des  fouilles  que  nous  avons  entreprises  daus 
un  rayon  plus  étendu  autour  de  Tyr.  Le  célèbre  monument  connu  sous  le  nom  de 
tombeau  d'Hiram,  situé  à  deux  heures  de  Tyr,  et  autour  duquel  on  avait  cru  re- 


(1)  C'est  là  sans  doute  qu'il  faut  chercher  ces  {moyîioy;  XiOivouç  eropov;,  mentionnés  comme 
des  monuments  hors  ville  par  un  des  auteurs  qu'avait  lus  Photius.  {Bibl.,  p.  lit.) 


ACADÉMIE    DES   INSCRIPTIONS,   ETC.  Io3 

marquer  les  traces  d'une  nécropole,  nous  attira  d'abord.  Nous  reconnûmes  bientôt 
que  les  décris  qui  entourent  le  grand  tombeau,  et  parmi  lesquels  ou  trouve  en  effet 
les  restes  de  deux  ou  trois  autres  beaux  sarcophages,  n'étaient  pas  ceux  d'une  né- 
cropole, mais  bien  d'une  ville  ou  d'un  village.  Nos  fouilles  mirent  à  jour  des  mai- 
sons, ou  plutôt  des  fermes,  avec  un  outillage  complet  d'exploitation  agricole  (auges, 
pressoirs,  meules,  etc.).  Les  nombreuses  ruines  de  villages  qu'on  trouve  dans  la 
régi  ;n  de  Sour,  et  en  général  dans  toute  la  Phénicie,  nous  avaient  offert  le  même 
mélange. 

Partout  les  tombeaux  s'étaient  montrés  à  nous  dans  le  voisinage  immédiat  de 
puits,  de  citernes,  de  pressoirs.  Il  faut  se  rappeler  qu'heureusement  pour  la  bonne 
entente  de  l'art,  le  cimetière,  avec  sa  banalité  obligée,  n'existait  pas  dans  la  bonue 
antiquité,  que  les  tombeaux  y  étaient  adossés  aux  maisons,  mêlés  à  toute  la  vie.  L'u- 
sage de  se  faire  enterrer  à  la  campagne  parait  avoir  été  très-fréquent  dans  la  région 
de  Tyr.  Les  ruines  de  villages  anciens,  dont  j'aurai  bientôt  occasion  de  parler  à 
Votre  Majesté,  et  dont  l'aspect  est  le  même  que  celui  de  Kabr-Hiram,  renferment  de 
magnifiques  sépultures  qui,  probablement,  n'étaient  pas  celles  de  paysans.  Le  pré- 
tendu tombeau  d'Hiram  lui-même,  dont  l'aspect  est  pourtant  si  monumental,  paraît 
avoir  été  adossé,  jusqu'à  une  partie  de  sa  hauteur,  à  une  ferme,  du  côté  du  nord. 
Les  pieires  du  tombeau  de  ce  côté  sont  absolument  brutes.  Nos  fouilles  ont  mis  à 
jour,  de  ce  même  côté,  des  travaux  singuliers,  un  escalier  oblique  se  rattachant  aux 
fondations  mêmes  du  mausolée  et  au  moins  aussi  ancien  que  lui,  lequel  conduit  à  un 
grand  caveau  voûté,  très-élevé,  revêtu  de  cailloutage,  n'offrant  ni  uti  caractère  sé- 
pulcral, ni  un  caractère  religieux.  J'avoue  que  ce  singulier  appendice,  et  aussi  tout 
l'aspect  des  champs  voisins,  où  rien  ne  rappelle  la  haute  antiquité,  m'ont  inspiré 
bien  des  doutes  sur  l'âge  du  prétendu  tombeau  d'Hiram,  et  ces  doutes  ont  été  forti- 
fiés quand  j'ai  trouvé  dans  la  région  d'Yarôn  et  d'Aïn-Ibl  des  tombeaux  de  l'époque 
romaine  construits  dans  un  style  aussi  massif  et  aussi  colossal. 

Une  découverte  inattendue  vint  bientôt  confirmer  mes  conjectures  sur  le  genre 
d'importance  que  la  localité  qui  nous  occupait  avait  eu  dans  l'antiquité.  En  déga- 
geant quelques  débris  de  peu  d'apparence  situés  à  200  mètres  environ  du  tombeau, 
du  côté  de  Sour,  nous  fûmes  conduits  à  une  mosaïque  placée  à  30  ou  40  centimètres 
seulement  au-dessous  du  sol.  Complètement  dégagée,  la  mosaïque  se  trouva  mesurer 
14  mètres  32  centimètres  de  long  sur  10  mètres  42  centimètres  de  largeur.  C'était  le 
pavé  miraculeusement  conservé  d'une  petite  église  byzantine,  dont  le  plan  se  lisait 
clairement  sur  le  sol.  Une  inscription  nous  apprit  bientôt  que  l'église  fut  consacrée  à 
saint  Christophe,  l'an  701,  sous  le  chorévèque  Georges  et  le  diacre  Cyrus,  au  nom  des 
fermiers,  des  laboureurs  et  des  fruitiers  de  l'endroit.  L'ère  employée  dans  l'inscription 
est  sans  doute  l'ère  d'Antioche,  très-usitée  en  Syrie  ;  la  date  serait  donc  652  ou  653 
de  notre  ère.  L'inscription  établit,  dans  tous  les  cas,  que  jusqu'à  l'islamisme  la  loca- 
lité nommée  maintenant  Kabr-lliram  était  une  banlieue  de  Tyr  riche  en  exploita- 
tions agricoles,  et  devenue  probablement  une  propriété  de  l'église.  Comment,  dix  ou 
douze  ans  après  la  victoire  des  premiers  conquérants  arabes,  les  chrétiens  avaient-ils 
assez  de  richesses  et  de  tranquillité  d'esprit  pour  exécuter  un  tel  ouvrage?  C'est  ce 
dont  on  a  lieu  d'être  surpris.  Sans  doute  la  mosaïque  était  achevée  ou  à  peu  près 
avant  la  conquête,  et  l'année  652  marque  seulement  la  date  de  la  consécration.  Il 
semble  du  reste  que  ce  précieux  pavé  n'a  guère  été  foulé.  Sa  belle  conservation  fe- 
rait supposer  que  l'église  fut  détruite  très-peu  de  temps  après  son  achèvement.  Nous 
fûmes  confondus  en  le  trouvant  par  moments  à  peine  recouvert  de  20  centimètres  de 
terre  végétale;  des  figuiers,  dont  les  racines  avaient  pris  dans  cette  mince  couche 
un  développement  tout  horizontal,  l'avaient  préservé  de  la  charrue. 


154  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE 

Votre  Majesté  a  voulu  que  ce  beau  monument  de  l'art  byzantin  fût  transporté  à 
Paris,  et  un  mosaïste  de  Rome  travaille  en  ce  moment  à  son  enlèvement.  La  mosaïque 
de  Kabr-Hiram  mérite  tous  ces  soins  par  la  beauté  de  son  dessin,  la  merveilleuse 
richesse  de  ses  couleurs,  la  délicatesse  infinie  de  son  plan  et  les  charmants  détails 
qu'elle  renferme.  Si  l'exécution  est  restée  parfois  un  peu  au-dessous  des  intentions 
du  dessinateur,  on  le  regrette  à  peine,  tant  l'ensemb'e  séduit  et  tant  les  sujets  inté- 
ressent. Elle  offre,  comme  l'église  elle-même,  trois  travées.  Celle  du  milieu,  un  peu 
plus  courte  que  les  deux  autres,  comprend  l'inscription,  qui  était  placée  au  pied  de 
l'autel,  une  rosace,  et  faisant  face  à  la  porte,  un  riche  enroulement  de  31  médaillons, 
divisés  et  reliés  entre  eux  par  des  rinceaux  ornés  de  feuillages  et  de  fleurs,  qui  s'é- 
chappent de  vases  situés  aux  quatre  coins.  Ces  médaillons  représentent  des  sujets  de 
fantaisie  (combats  d'animaux,  scènes  rustiques,  jeux  d'enfants,  représentations  em- 
pruntées à  la  symbolique  du  Physiologus).  L^s  deux  travées  latérales  se  composent 
de  74  médaillons  représentant  les  douze  mois,  les  quatre  saisons,  les  quatre  vents,  et 
une  série  d'animaux  et  de  fruits.  Les  espaces  entre  les  piliers  sont  occupés  par  huit 
cadres  représentant  des  animaux  qui  se  poursuivent  l'un  l'autre;  ce  sont  les  parties 
lus  plus  achevées.  Les  autres  parties  vides  sont  remplies  par  des  fleurons  ou  par  des 
coupes.  Toutes  les  parties  de  l'ouvrage  sont  reliées  par  des  torsades  d'un  goût 
exquis. 

Kabr-Hiram,  tout  en  nous  donnait  des  résultats  d'un  grand  intérêt,  avait  été  sté- 
rile pour  nos  reelier  hes  d'antiquité  phénicienne.  Oum-el-Awamid  devait  nous  offrir, 
sous  ce  rapport,  d'amples  compensations.  Le  mérite  d'avoir  signalé  l'importance 
archéologique  d'Oum-el-Awamid  appartient  à  M.  de  Saulcy.  Ce  fut  sur  l'indication 
de  cet  ingénieux  voyageur  que  M.  le  comte  Melchior  de  Vogué  s'y  arrêta  quelques 
heures  et  recueillit  ces  notes  rapides,  mais  pleines  de  justesse,  où  les  seules  erreurs 
sont  celles  qu'on  ne  pouvait  éviter  qu'en  fouillant  le  sol.  Trois  points  attirent  d'a- 
bord l'attention  à  Oum-el-Awamid  :  1°  une  acropole  dominant  la  plaine,  et  où  se  dé- 
tachent des  colonnes  d'ordre  ionique;  2°  une  construction  égyptienne,  située  à  quel- 
ques minutes  de,  là;  3°  un  grand  nombre  de  maisons,  dont  le  mode  de  construction 
parut  à  M.  de  Vogué  rappeler  celui  des  monuments  dits  cyclopéens.  Ces  trois  points 
ont  successivement  appelé  notre  attention;  c'était  par  l'acropole  qu'il  était  naturel  de 
débuter. 

Les  premiers  coups  de  pioche  nous  causèrent  une  véritable  déception.  Ces  ruines, 
en  apparence  les  plus  intactes  de  toute  la  Syrie,  étaient  loin  d'être  vierges.  Les  co- 
lonnes, d'un  effet  si  pittoresque,  ne  posaient  pas  sur  leurs  bases;  c'étaient  des  fûts 
brisés,  enfoncés  en  terre  comme  des  pieux,  ainsi  que  cela  a  lieu  dans  les  plus  misé- 
rables khans  de  la  Syrie.  La  grande  colonne,  qui  a  l'air  d'être  complète,  porte  un 
chapiteau  qui  n'est  pas  le  sien,  et  si  elle  est  sur  sa  base,  ce  qui  est  douteux,  elle  y  a 
été  sûrement  remise.  Toutes  les  constructions  de  l'acropole  portaient  la  trace  des 
désordres  les  plus  profonds;  à  peine  un  plan  s'y  laissait-il  entrevoir. 

Il  devint  bientôt  évident  pour  nous  qu'après  la  destruction  de  la  ville  ancienne 
située  en  ce  lieu,  des  barbares  ou  des  pauvres  g^ns,  à  une  époque  inconnue,  s'étaient 
blottis  dans  ces  ruines  et  s'étaient  construit,  avec  les  débris  épars  autour  d'eux,  de 
misérables  abris.  Heureusement  ces  remaniements  n'étaient  pas  allés  jusqu'à  altérer 
le  caractères  des  matériaux  primitifs.  Les  membres  des  vieilles  construc: ions  se  re- 
trouvaient dans  les  combinaisons  artificielles  où  on  les  avait  fait  entrer,  et  bientôt 
nous  eûmes  entre  les  mains  les  éléments  de  plusieurs  édifices  doriques  et  ioniques  qui 
avaient  recouvert  l'acropole,  et  qui  appartenaient  certainement  non  à  l'époque  ro- 
maine, comme  l'avait  supposé  M.  de  Vogué,  mais  bien  à  l'époque  grecque  la  plus 
pure.  Les  chapiteaux  ioniens  le  disputaient  par  leur  finesse  à  ceux  des  petits  tem- 


ACADÉMIE    DES   INSCRIPTIONS,   ETC.  155 

pies  de  l'acropole  d'Athènes  (1).  En  tout  cas  il  nous  parut  difficile  que  postérieure- 
ment à  Alexandre  ou  aux  premiers  Séleucides,  on  eût  pu  élever  des  édifices  d'un  style 
aussi  pur.  Plusieurs  fragments  de  sculpture  grecque  vinrent  nous  confirmer  dans  la 
même  idée.  Tous  ces  ouvrages  sont  en  pierre  du  pays.  C'est  à  l'époque  romaine  que 
l'usage  des  colonnes  de  marbre  et  de  granit,  que  Ton  faisait  venir  d'Egypte  et  de 
Grèce,  répandit  sur  tous  le?  monuments  de  la  Syrie  un  vernis  fatigant  de  monotonie 
et  de  banalité. 

La  construction  égyptienne  dessinée  par  M.  de  Vogué  fut  ensuite  par  nous  soigneu- 
sement étudiée.  Quelques  erreurs,  que  ce  consciencieux  explorateur  eût  évitées  s'il 
eût  eu  une  pince  à  sa  disposition  pour  retourner  les  pierres,  nous  furent  révélées: 
le  couronnement  de  sa  porte  égyptienne  doit  être  supprimé;  la  clef  du  linteau  n'est 
pas  celle  qu'il  a  cru;  le  globe  central  est  ailé.  Maiss^s  vues  fondamentales  restèrent 
après  notre  enquête  pleines  de  vérité.  Nul  doute  qu'il  y  ait  eu  à  l'endroit  qu'il  a  le 
premier  signalé  à  l'attention  des  savants  une  série  de  constructions  dans  le  siyle 
égyptien.  Tous  les  détails  de  sculpture  trouvés  à  l'entour  sont  dans  ce  style.  Seule, 
une  belle  pierre  carrée,  à  palmettes,  porte  des  ornements  analogues  à  ceux  des  mo- 
numents de  l'acropole  :  elle  faisait  probablement  partie  de  quelque  ameublement 
intérieur.  Bien  que  le  génie  iconoclaste  de  la  Syrie  se  soit  exercé  ici  avec  une  fureur 
particulière,  et  que  toutes  les  têtes  par  exemple  aient  été  scrupuleusement  martelées, 
j'ai  rapporté  ces  divers  fragments  figurés.  Une  ou  deux  têtes,  malgré  les  ravages 
qu'elles  ont  soufferts,  ont  encore  toute  leur  physionomie;  quelques-unes  de  ces  clefs 
qui  couronnent  invariablement  toutes  les  portes  monumentales  de  l'ancienne  Phé- 
nicie,  et  qui  représentent  le  globe  ailé  de  l'Egypte  flanqué  de  deux  aspics,  offrent 
un  caractère  singulièrement  archaïque.  Plusieurs  sphinx,  enfin,  assez  bien  conservés, 
nous  donnent  sans  doute  la  forme  particulière  que  ces  animaux  fantastiques  avaient 
prise  en  Phénicie,  et  qu'on  désignait  sous  le  nom  de  chérub.  Un  de  ces  sphinx  pré- 
sente sur  la  poitrine  un  système  d'ornements  tout  à  fait  original. 

Quant  aux  maisons  que  M.  de  Vogué  regarde  tomme  des  constructions  cyclo- 
péennes  et  d'une  haute  antiquité,  il  nous  a  été  impossible  d'y  voir  autre  chose  que 
des  constructions  grossières  d'une  époque  peut-être  assez  moderne,  ouvrage  des  mi- 
sérables populations  qui  se  sont  installées  dans  les  débris  de  la  ville  antique.  Des 
constructions  du  même  genre,  en  effet,  se  sont  rencontrées  dans  l'acropole,  bâties  sur 
un  sol  exhaussé  et  composé  de  décombres,  au  seuil  même  ou  entre  les  colonnes  des 
vieux  édifices.  Circonstance  plus  décisive  encore,  ces  masures  sont  composées  le  plus 
souvent  des  débris  d'édifices  anciens  employés  à  contre-sens.  C'est  en  démolissant,  les 
murs  prétendus  cyclopéens  que  nous  avons  trouvé  quelques-uns  de  nos  morceaux  les 
plus  délicats;  c'est  enfin  dans  les  fondements  de  ces  chétives  constructions  que  nous 
avons  trouvé  les  trois  pierres  auxquelles,  dans  notre  butin  d'Oum-el-Avvamid,  j'at- 
tache le  plus  de  prix,  je  veux  dire  trois  inscriptions  phéniciennes,  qui  apporteront, 
je  n'en  doute  pas,  aux  dscussions  des  philologues  européens  un  élément  plein  d'in- 
térêt. 

Une  de  ces  inscriptions  est  parfaitement  conservée.  C'est  un  vœu  d'un  certain  Ab- 
délim,  fils  de  Mathan,  fils  d'Abdélim,  fils  de  Baalschamor  ou  dieu  Baal-Schemesch 
(Baal-Soleil).  Une,  autre  est  un  vœu  d'un  certain  Abdeschmoun  à  Astarté.  Cette  der- 
nière était  inscrite  sur  un  cube  de  pierre,  entaillé  d'un  coté,  objet  que  l'on  rencontre 


(1)  L'idée  inverse,  à  savoir  que  les  Grecs  auraient  emprunté  à  la  Phénicie  ces  ornements  déli- 
cats, ne  nous  a  pas  arrêtés.  C'est  avec  les  marbres  de  la  Grèce,  en  effet,  que  de  telles  furmes 
sont  en  harmonie;  elles  sont  ici  en  contradiction  avec  la  nature  grossière  des  matériaux  et  portent 
e  caractère  de  pures  imitations 


150  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

très-fréquemment  ici  aux  environs  des  temples,  et  qui  servait  probablement  à  con- 
tenir les  objets  offerts  à  la  divinité.  La  troisième  se  lit  sur  le  bord  d'un  objet  ellip- 
tique, évidé  et  divisé  dans  la  partie  concave  par  des  rayons  partant  d'un  même  foyer. 
J'y  vois  un  cadran  solaire.  Mutilée  des  deux  bouts,  cette  inscription,  quoique  très- 
lisible,  ne  donnera  jamais  lieu,  je  le  crains,  qu'à  des  conjectures.  Nos  trois  inscrip- 
tions sont  écrites  d'une  façon  fort  régulière  ;  on  les  croirait  d'une  même  main  ;  mais 
le  caractère  en  est  trop  maigre  pour  une  écriture  lapidaire.  Cette  ténuité  extrême, 
qui  rend  les  textes  de  ce  genre  fort  difficiles  à  reconnaître,  est  sans  doute  une 
des  causes  de  la  rareté  des  inscriptions  phéniciennes.  Beaucoup  doivent  passer  ina- 
perçues. 

En  somme,  Oum-el-A\vamid  est,  de  toute  la  région  de  Byblos,  de  Sidon  et  de  Tyr, 
le  point  où  l'antiquité  phénicienne  est  le  mieux  conservée.  Son  nom  antique  est  resté 
jusqu'à  la  fin  un  mystère  pour  nous.  Je  suis  parfois  tenté  de  croire  qu'elle  n'en  avait 
d'autre  que  celui  même  de  Tyr,  dont  elle  pouvait  être  considérée  comme  une  ban- 
lieue. Un  individu  dont  nous  avons  trouvé  l'épitaphe  s'appelle  A€orf/.'.[j.o;  Tuptoç.  Le 
nom  insignifiant  d'Oum-el-Awainid  (la  Mère  des  colonnes)  n'a  pas  fait  disparaître 
tout  à  fait  un  nom  plus  ancien  Medinet-el-Touran,  où  je  suis  porté  à  voir  une  tra- 
duction de  ttoXiç  Tupuov.  En  tout  cas,  l'histoire  de  la  ville  est  écrite  dans  ses  ruines 
d'une  manière  assez  claire. 

Si  l'on  excepte  deux  socles  énormes,  placés  l'un  à  l'entrée,  l'autre  à  la  partie  cul- 
minante de  la  ville  (des  autels  en  plein  air,  je  pense),  et  offrant  sur  leur  face  deux 
figures  de  lion  grossièrement  sculptées,  qu'on  peut  regarder  comme  d'une  haute  anti- 
quité, la  construction  égyptienne  du  centre  de  la  ville  est  pour  nous  le  plus  vieux 
monument  d'Oum-el-Awamid.  Elle  y  est  le  témoin  d'une  époque  où  les  Tyriensi 
comme  tous  les  peuples  de  la  Phénicie,  adoptèrent  le  style  et  les  symboles  égyptiens. 
L'Egypte,  en  effet,  exerça  dans  ces  pays,  vers  l'époque  de  la  domination  persane, 
une  influence  intellectuelle  et  religieuse  analogue  à  celle  que  la  Grèce  devait  exercer 
plus  tard.  Le  style  égyptien  fut  partout  à  la  mode,  et  préluda  à  la  fortune  plus 
universelle  encore  à  laquelle  le  style  grec  devait  parvenir.  Vers  le  temps  d'Alexandre, 
la  ville  renouvela  les  monuments  de  son  acropole  dans  le  goût  qui  commençait  à 
prévaloir;  mais  elle  conserva  les  motifs  de  l'époque  égyptienne;  la  clef  de  porte 
égyptienne,  traitée  selon  les  règles  du  style  grec,  resta  l'ornement  obligé  de  toutes 
les  entrées  monumentales.  Sous  les  Séleucides,  la  ville  fut  renversée,  victime  sans 
doute  d'une  des  guerres  civiles  si  fréquentes  à  cette  époque.  On  ne  peut  expliquer 
autrement  deux  circonstances  capitales  :  1°  l'absence  totale  à  Oum-el-Awamid  de 
monnmpnts  de  l'époque  romaine  et  de  colonnes  de  marbre  ou  de  granit;  2°  l'oubli 
total  du  nom  de  la  ville  chez  les  géographes  anciens.  A  partir  de  l'époque  d'Auguste, 
en  effet,  les  géographes  mentionnent  le  nom  des  moindres  bourg;\des  de  la  côte  de 
Phénicie.  Oum-el-Awamid  était  une  ville  trop  considérable  pour  que  Strabon,  par 
exemple,  l'eût  négligée  si  elle  avait  existé  de  son  temps. 

Avons-nous  épuisé  Oum-el-Awamid?  Je  l'ai  cru,  tant  qu'il  ne  s'est  agi  que  de  dé- 
blayer les  monuments.  Je  ne  pense  pas  qu'après  nous  on  en  découvre  d'autres  ou 
que  l'on  trouve  des  parties  essentielles  de  ceux  que  nous  avons  déblayés.  Ma;s  depuis 
qu'il  nous  a  été  prouvé  que  les  murs  de  ces  maisons  en  ruine  qui  couvrent  le  sol 
sur  un  espace  de  près  d'un  kilomètre  carré  peuvent  renfermer  des  inscriptions  phé- 
niciennes, une  carrière  nouvelle  de  travail  s'est  présentée  devant  nous.  11  faudra  dé- 
molir ces  masures  et  en  examiner  les  matériaux  pierre  par  pierre.  L'état  de.  fatigue 
extrême  où  les  hommes  se  trouvèrent  réduits,  après  vingt-cinq  jours  de  travail  dans 
un  désert  exposé  à  un  khamsin  presque  continu,  et  la  maladie  de  deux  de  nos  colla- 
borateurs nous  obligèrent  à  différer  ce  travail.  Les  circonstances  survenues  depuis 


ACADÉMIE   DES    INSCRIPTIONS,    ETC.  157 

nous  ont  ôté  l'espérance  de  le  reprendre  en  cette  saison.  Mais  si  Votre  Majesté  l'agrée, 
je  placerai  Oum-el-Awamid  à  côté  de.  Saïda  parmi  les  points  où  il  serait  fâcheux  de 
laissera  d'autres  la  continuation  de  nos  travaux. 

Je  n'ai  pas  eu  le  temps  de  faire  de  fouilles  à  Ras-el-Aïn.  Des  personnes  très-con- 
sciencieuses m'açsurent  que,  lors  des  grandes  plantations  exécutées  en  cet  endroit 
par  les  ordres  de  Reschid-Pacha,  on  ne  trouva  pas  d'antiquités.  Je  regrette  beaucoup 
plus  de  n'avoir  pu  fouiller  l'endroit  appelé  Burdj-el-Hawé  (Léontopolis?  Palœtyr?)  à 
l'embouchure  de  la  Kasmié.  Il  y  a  là  une  grosse  construction,  avec  une  porte  dans  le 
roc,  d'un  caractère  fort  antique,  qu'il  serait  bon  de  dégager,  et  dans  le  voisinage,  un 
sarcophage  colossal,  d'une  moindre  antiquité  peut-être,  mais  certainement  un  des 
plus  beaux  de  toute  la  Phénicie. 


III 


Selon  la  règle  que  je  me  suis  imposée,  j'ai  fait  marcher  l'exploration  épigraphique 
et  archéologique  du  pays  parallèlement  aux  fouilles.  Elle  n'a  pas  été,  dans  la  région 
de  Saïda  et  de  Sour,  aussi  facile  que  dans  le  Liban.  Le  fanatisme  sombre  des  Mé- 
tualis  leur  inspira  contre  notre  mission  toutes  sortes  d'idées  bizarres.  La  découverte 
d'une  antiquité  au  milieu  des  folles  rêveries  de  cerveaux  frappés  d'une  totale  débi- 
lité, devenait  pour  l'objet  découvert  un  véritable  danger  et  nous  obligeait  à  des  sur- 
veillances très-compliquées.  On  ne  comprend  nulle  part  aussi  bien  qu'au  milieu  de 
ces  populations  plongées  dans  une  morne  abstraction  et  enivrés  d'une  fierté  stupide  de 
ce  qui  fait  leur  infériorité,  combien  l'islamisme  est  ennemi  de  toute  science,  combien 
il  a  attristé  et  appauvri  la  vie  humaine,  combien  il  ferme  irrévocablement  l'esprit 
d'une  race  qui  s'y  livre  à  toute  idée  large  et  élevée.  Les  bons  offices  des  cluétiens  ne 
m'ont  pas  manqué  ici  plus  que  dans  le  Liban  ;  mais  tel  est  le  mur  de  séparation  qui 
divise  les  races  en  ce  malheureux  pays,  que  les  villages  des  Alétualis  situés  à  quelques 
pas  des  leurs  étaient  pour  eux  une  terre  inconnue.  Je  ne  suis  donc  pas,  cette  fois, 
aussi  assuré  d'être  complet  que  je  l'étais  dans  les  pays  où  les  populations  elles-mêmes 
venaient  m'apporter  de  riches  séries  de  renseignements  et  me  tracer  d'avance  le  plan 
d'itinéraires  fructueux. 

Il  s'en  faut,  du  reste,  que  les  régions  de  Saïda  et  de  Sour  soient  aussi  riches  en  in- 
scriptions que  celles  de  Gébeil.  Les  tombeaux  y  sont  en  général  muets,  et  les  innom- 
brables petits  temples  qui  couvrent  le  Liban  n'ont  pas  ici  d'analogues.  Dans  la  région 
de  Tyr  en  particulier,  les  temples  sont  très-rares.  11  semble  que  le  temple  insulaire 
de  Melkai  tli,  comme  celui  de  Jérusalem  en  Palestine,  avait  un  caractère  central  et 
exclusif.  Un  genre  d'antiquités  devient  ici  tout  à  fait  dominant  et  attire  à  chaque 
pas  l'attention,  je  veux  parler  des  ruines  d'établissements  d'exploitation  agricole, 
reconnaissables  surtout  aux  grands  pressoirs  monolithes,  d'un  aspect  monumental, 
dont  la  campagne  est  parsemée  (1).  La  Phénicie  est  le  seul  pays  du  monde  où  l'in- 
dustrie ait  laissé  des  restes  grandioses.  L'outillage  industriel,  chez  nous  si  fragile,  est 
ici  colossal.  Les  Phéniciens  construisaient  un  pressoir,  une  piscine  pour  l'éternité. 

Dans  la  région  de  Tyr,  ces  restes  d'une  primitive  économie  rustique  se  rencontrent 
presque  sur  chaque  hauteur,  et  toujours  avec  le  même  caractère  :  vastes  travaux  dans 
le  roc;  testes  de  maisous  carrées,  bâties  sans  style  en  belles  pierres  mal  jointes;  noni- 


(1)  J'ai  reconnu  que  les  monuments  de  Calmoum,  entre  Tripoli  et  Datroun,  dont  j'ai  parlé  dans 
mon  premier  rapport,  appartiennent  à  la  même  classe  de  monuments. 


loS  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

bre  énormes  de  citerne,  de  caves,  de  cuves  d'une  grandeur  extraordinaire;  sarco- 
phages de  formes  imposantes  et  massives;  nulle  trace  de  constructions  religieuses; 
pas  d'inscriptions.  La  dernière  destruction  de  cette  riche  industrie  remonte  sans 
doute  à  la  conquête  musulmane;  mais  un  tel  outillage  monolithe  et  grandiose  devait 
se  transmettre  durant  des  siècles,  et  l'on  peut  dire  que,  si  de  nos  jours  le  pays  sortait 
de  l'état  sauvage  où  l'a  plongé  la  réaction  musulmane  qui  suivit  les  croisades,  tous 
ces  vieux  ustensiles  retrouveraient  leur  usage,  tous  ces  villages  ruinés  reprendraient 
une  partie  de  la  vie  qu'ils  avaient  autrefois. 

Les  environs  immédiats  de  Saida  m'ont  donné  beaucoup  d'inscriptions  grecques  et 
latines,  dont  quelques-unes  d'un  véritable  intérêt  historique.  L'étude  des  belles 
grottes  peintes  de  Helalié  appartiennent  à  ceux  qui  s'occupent  de  l'histoire  et  de  l'art 
classique.  Ces  jolies  peintures  cpurent  cependant  de  si  grands  dangers,  au  milieu 
d'une  population  inintelligente,  qui,  depuis  quelque  temps  s'aperçoit  de  leur  prix, 
que  j'en  ferai  dessiner  quelques-unes,  au  moins  trois  charmants  médaillons  représen 
tant  le  sujet  favori  des  sépultures  grecques  de  Sidon,  le  mythe  de  Psyché.  Le  village 
de  Rouméli  et  le  vieux  château  de  Saggidelel-Mantara  ont  des  restes  fort  antiques. 
A  cela  près,  la  région  de  Saida  ne  saurait  être  comparée  sous  le  rapport  de  la  richesse 
archéologique  à  celle  de  Sour. 

Les  inscriptions  phéniciennes  sont  si  rares  en  Phénicie,  que  ce  n'est  pas  sans  une 
vive  surprise  que  j'en  ai  rencontré  dans  un  endroit  connu  depuis  longtemps  des  voya- 
geurs. M.  de  Bertou,  le  premier,  je  crois,  a  parlé  de  cette  grotte  singulière,  située  un 
peu  au  nord  de  la  Kasmié,  dont  les  murs  sont  couverts  d'emblèmes  mystérieux  qui 
paraissent  se  rapporter  au  culte  d'As'arté.  M.  de  Bertou  remarqua  une  inscription 
grecque  pjacée  au  fond  de  la  grotte;  mais  je  ne  pense  pas  qu'il  ait  fait  attention  à 
une  courte  inscription  phénicienne  placée  à  côté  de  l'inscription  grecque,  et  à  une 
série  de  petites  inscriptions  grecques  et  sémitiques  tracées  à  la  pointe  dans  les  écus- 
sons  qui  couvrent  lesmurs  du  côté  droit  en  entrant.  Cescuritux  grafiti&eroat  d'un  haut 
intérêt  pour  la  paléographie  sémitique,  et  jetteront  du  jour  sur  un  des  côtés  les  plus 
bizarres  des  mœurs  de  la  Phénicie.  J'essayerai  de  montrer,  par  les  inscriptions,  que 
la  grotte  était  un  temple  dédié  à  Moloch  et  à  Astarté.  Cette  cave  hideuse  est  le  reste 
le  plus  authentique  des  cultes  grossiers  qui  se  mêlaient  dans  la  religion  tyrienne  à 
des  éléments  beaucoup  plus  purs. 

La  nécropole  d'Adloun  a  été  visitée  par  tous  les  voyageurs.  Je  dois  à  la  complai- 
sance des  chefs  métualis  des  environs,  dont  la  c<  urtoisie  a  contrasté  avec  l'humeur 
farouche  habituelle  à  leurs  coreligionnaires,  quelques  indications  qui  contribueront  à 
fixer  la  date  de  ce  curieux  ensemble  de  monuments.  Ces  cht-fs  ayant  bien  voulu  faire 
déblayer  pour  moi  quelques  caveaux  connus  des  habitants  du  pays,  et  ornés  de  pein- 
tures, je  me  suis  trouvé,  non  sans  étonnement,  au  milieu  des  symboles  de  l'âge  chré- 
tien.  Or  les  caveaux  ainsi  décorés  ont  exactement  la  même  forme  que  les  autres 
{on  sait  que  la  nécropole  d'Adloun  est  remarquable  par  l'uniformité  des  caveaux  qui 
la  composent);  en  sorte  qu'il  n'y  a  pas  de  milieu  entre  ces  deux  partis,  ou  rapporter 
l'ensemble  de,  la  nécropole  à  l'époque  chrétienne,  ou  soutenir  que  ces  peintures  ont 
été  appliquées  apiès  coup  sur  des  caveaux  plus  anciennement  creusés.  Cette  seconde 
hypothèse  est  assez  peu  probable;  car  il  faudrait  soutenir  aussi  que  c'est  après  coup 
que  l'on  a  ajouté  les  croix  et  les  inscriptions  grecques  qui  se  voient  au-dessus  de 
l'entrée  de  plusieurs  caveaux.  Le  cinquième  et  le  sixième  siècle  furent  des  siècles 
très-florissants  pourla  Syrie,  et  de  ceux  où  l'on  construisait  le  plus  de  travaux  dura- 
bles. Quatre  ou  cinq  villes  (Sarepta,  Orniihopolis,  ad  Nonum,  Leoniopolis)  se  pres- 
saient à  cet  endroit  et  devaient  avoir  leur  nécropole  près  de  là.  De  beaux  tombeaux 
sculptés  qu'on  me  découvrit  au  pied  de  la  colline  de  Saksaki  me  parurent  également 


ACADÉMIE    DES   INSCRIPTIONS,  ETC.  lo9 

postérieurs  à  notre  ère,  et  ont  dû  appartenir  à  la  ville  de  Sarepta.  On  a  détaché  ces 
sculptures  sans  que  j'en  eusse  donné  l'ordre  ;  je  les  rapporterai  par  conséquent. 

Le  village  de  Kana,  qu'il  ne  faut  pas  confondre  avec  Cana  de  Galilée,  est  le  centre 
d'une  région  archéologique  d'un  grand  intérêt.  C'est  aux  environs  de  ce  village  qu'on 
trou7P  les  plus  belles  sépultures  tyriennes,  souvent  comparables  pnrleur  masse  gran- 
diose à  celle  qu'on  a  décorée  du  nom  d'Hiram.  Une  de  ces  sépultures,  au  village  de 
Roukley  (1),  ayant  encore  été  divisée,  contrairement  à  mes  intentions,  j'en  ai  pris 
des  fragments  où  se  trouvent  des  sculptures  d'une  exécution  singulière,  mais  qui, 
isolées,  ne  donneront  pas  une  idée  de  la  massive  beauté  de  l'ensemble.  Des  sculptures 
sur  un  rocher,  dans  une  vallée  sauvage,  aux  environs  de  Kana,  excitent  la  surprise, 
d'un  côté  par  leur  étrange  grossièreté  qui  exclut  l'idée  d'un  art  sérieux,  et  de  l'autre 
par  les  intentions  qu'on  y  reniai  que,  lesquelles  nn  permettent  pas  d'y  voir  desimpies 
passe-temps  de  bergi  rs  oisifs.  On  trouve  des  bizarreries  semblables  à  Deîr-Canoum, 
près  de  Ras-el-Aïn.  Mais  le  vrai  monument  des  environs  de  Kana,  c'est  le  bas- 
relief  égyptien  de  YVadi-Aschour.  Monro  est,  je  crois,  le  seul  voyageur  qui  en  ait 
parlé.  A  une  grande  hauteur  dans  la  vallée  une  petite  cella  carrée  est  taillée  dans  le 
roc;  le  fond  de  cette  cella  est  tout  entier  occupé  par  une  sculpture  fo;  t  analogue  à 
celles  de  la  porte  égyptienne  d'Oum-el-Awamid,  et  portant  le  couronnement  ordi- 
naire de  tous  les  monuments  égypto-phéniciens,  le  globe  ailé.  La  conservation  de  ce 
monument  est  quelque  chose  de  surprenant,  quand  on  songn  que  depuis  des  sièc'es  il 
sert  de  cible  aux  Métualis,  qui,  en  traversant  la  vallée,  se  coient  obligés  de  lui  tirer 
un  coup  de  fusil.  Je  tâcherai  d'en  avoir  un  plâtre;  car  c'est  peut-être  le,  monument 
où  les  égyptologues  liront  le  plus  clairement,  môme  en  l'absence  d'hiéroglyphes,  la 
cause  et  le  \  rogrès  de  l'art  égyptien  en  Phénicie. 

Un  autre  cycle  d'antiquités  s'ouvre  au  delà  des  montagnes  qui  limitent  à  l'est  l'ho- 
rizon de  Sour,  dans  la  région  qui  forme  la  terrasse  occidentale  du  lac  Huleh.  Les 
sarcophages,  tout  en  conservant  leurs  formes  grandioses  et  massives,  deviennent  plus 
ornés  à  leur  surface  extérieure.  Les  doubles  cuves,  creusées  dans  un  môme  bloc, 
avec  un  couvercle  unique,  sont  assez  fréquentes.  Un  genre  nouveau  de  monuments 
commence  à  se  montrer,  je  veux  parler  des  chambres  sépulcrales  bâties  eu  arceaux 
au-dessus  du  sol,  selon  les  règles  du  style  gréco-romain,  et  non  plus  taillées  dans  le 
roc.  De  beaux  temples  syriens  et  non  plus  phéniciens  appara  ssent  çà  et  là.  Au  sud, 
sur  une  ligne  très-rigoureusement  déterminée,  de  Kasyoun  à  Kefei-Berim  (2),  les 
temples  cessent  et  les  synagogues  commencent.  Je  crois  que  dans  cette  curieuse 
région  peu  de  points  vraiment  importants  m'ont  échappé. 

Aïn-Ibladebeau\  caveaux,  dont  un  avec  des  inscriptions  grecques  ;Yather,  de  grands 
travaux  dans  le  roc;  Yarôn,  des  ruines  où  les  i estes  d'une  église  se  mêlent  à  ceux 
d'un  édifice  dans  le  style  d'Oum-el-Awamid,  et  uu  tombeau  admiré  du  voyageur 
E.  Robinson,  que  les  indigènes  ont  malheureusement  fait  sauter  il  y  a  peu  de  temps; 
Hazour  ou  Haziré,  un  caveau  à  la  fois  taillé  dans  le  roc  et  recouvert  d'une  construc- 
tion en  voûte,  monumeut  intéressant,  quoiqu'il  n'ait  pas  la  haute  antiquité  que  lui 
attribue  l'éminent  voyageur  précité.  Près  d'Aïn-Ibl,  enfin,  se  trouvent  deux  localités 
des  plus  remarquables,  Douair  et  Schalaboun.  Douair,  qui  rappelle  Oum-el-Awamid 
par  sa  grande  porte  à  jambages  monolithes,  possède  une  des  plus  belles  sculptures 
de  la  Syrie.  C'est  un  bas-relief  représentant  Baal-Soleil  et  la  Lune-Asturté,  entouré 
d'inscriptions  grecques.  Giàce  à  l'aide  pleine  de  bienveillance  que  nous  ont  pi  été  les 


(1)  Elle  était  déjà  'lu  reste  très-mutilée. 

(2)  La  carte  ■  e  M.  Van  de  Yelde  est  d'une  grande  exactitude  pour  ce  pays. 


160  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

chrétiens  du  pays,  j'ai  pu  enlever  cette  énorme  pierre,  et  je  la  déposerai  au  musée  du 
Louvre,  où  elle  sera  le  monument  le  plus  curieux,  je  crois,  que  l'on  possède  des  cultes 
syriens.  Schalaboun  est  sans  contredit  la  ville  de  Schaalabbin  de  la  tribu  de  Dan  (/os. 
XIX,  42:  Jud.  I,  35  ;  I  Reg.  IV,  9),  comme  quelques  Maronites  instruits  du  pays  me  le 
firent  remarquer.  Elle  possède  de  grosses  constructions  en  pierres  colossales  et  d'ad- 
mirables sarcophages  sculptés.  L'inscription  de  Douair  semble  nous  révéler  l'état 
social  auquel  se  rattachent  ces  curieux  monuments.  C'est  un  nommé  Selmàn,  cheikh 
arabe  devenu  fermier  (SaXafJiav^ç  o!xov6[M>î  •/.).£itô?  riYEu-wv},  qui  éleva  le  monument  de 
Douair.  Les  armes,  demi-romaines,  demi-arabes,  qu'on  voit  sur  les  monuments  de 
Schalaboun,  feraient  croire  que  les  aristocrates  pour  lesquels  furent  construits  ces 
superbes  tombeaux  appartenaient  à  la  même  race  qui  prit,  comme  on  sait,  la  prépon- 
dérance, à  l'époque  romaine,  sur  toute  la  ligne  du  Jourdain  et  de  l'Anti-Liban. 
L'absence  d'épitaphes  est,  il  est  vrai,  un  trait  spécialement  juif  ou  phénicien;  mais 
les  inscriptions  sont  aussi,  je  crois,  assez  rares  sur  les  tombes  des  Arabes  grécisés  de 
Palmyre  et  du  Hauran. 

A  Kadès,  la  môme  civilisation  mixte  apparaît  en  des  monuments  d'une  grandeur 
extraordinaire.  Robinson  a  cru  voir  une  synagogue  dans  la  grande  construction  dont 
je  portail,  avec  ses  jambages  monolithes  d'une  hauteur  démesurée,  excite  encore 
l'étonnement.  J'en  cloute  :  que  signifierait  dans  une  synagogue  l'aigle  qui  figure  au- 
dessus  d'une  des  petites  portes?  Les  admirables  sarcophages  qui  se  voient  près  de  là 
et  qui,  par  leur  grandeur,  leur  richesse,  l'emportent  encore  sur  ceux  de  Schalaboun, 
me  paraissent  également  sortir  du  type  des  sépultures  juives.  Ces  dernières  sépul- 
tures, dont  on  voit  le  type  parfaitement  conservé  à  Meirôn,  près  de  Safed,  ont  un 
tout  autre  caractère  d'austérité,  et  en  particulier  n'ont  pas  de  sculptures  représentant 
la  figure  humaine.  Enfin,  la  grosse  construction  carrée  la  plus  rapprochée  de  la  ville, 
et  qui  est  certainement  un  grand  caveau  funèbre  tiré  de  dessous  terre,  en  quelque 
sorte,  et  exhaussé  au-dessus  du  sol,  rentre  dans  l'analogie  des  monuments  de  la 
région  nullement  juive  d'Aïn-lbl.  Kadès  est,  du  teste,  présenté  par  Josèphe  comme 
une  ville  purement  tyrienue  (Bell.  jud.  II,  xvm,  1;  IV,  u,  3). 

La  région  juive  ou  galiléenne  commence  pour  moi  de  la  manière  la  plus  tranchée  à 
Kefer-Berim  et  Kayroun.  Ici  les  synagogues  apparaissent  avec  un  style  tout  à  fait  ca- 
ractérisé, et  avec  des  inscriptions  grecques  et  hébraïques  qui  ne  laissent  place  à 
aucun  doute.  Karyoun,  Nabartein,  Jish  (Giscala),  Kefer-Berim,  Mirôn  (Mero),  Tell- 
Aum  (Capharnaùm),  Irbid  (Arbela)  m'ont  présenté  des  monuments  de  ce  genre  très- 
bien  conservés,  et  dont  quelques-uns  inconnus  jusqu'ici.  On  attache  une  valeur  de 
premier  ordre  à  ces  édifices,  construits  probablement  vers  le  temps  des  Hérodes  ou 
des  derniers  Machabées,  quand  on  songe  aux  discussions  dont  ils  ont  été  les  témoins 
et  aux  pieds  qui  ont  pu  les  fouler.  Mais  un  double  horizon  me  sépare  déjà  de  Tyr; 
je  réserve  toute  l'exploration  de  la  haute  Galilée  pour  mou  prochain  rapport,  où  je 
rendrai  compte  à  Votre  Majesté  de  mon  voyage  en  Palestine.  Pour  compléter  la  région 
de  Tyr,  j'ai  d'ailleurs  à  signaler  encore  un  des  cantons  de  la  Phénicie  les  plus  riches 
en  autiquités. 

Je  veux  parler  du  massif  de  montagnes  qui  forme  sur  la  côte  le  cap  Blanc  et  le  cap 
Nahoura,  dont  l'épine  la  plus  élevée  s'appelle,  chez  les  Arabes,  Djebel  Muschakkah. 
Ce  pays  a  été  tres-peu  exploré  ;  E.  Robinson  et  les  missionnnaires  américains  n'ont 
fait  que  l'effleurer  et  ne  semblent  pas  en  avoir  saisi  le  caractère  original. 

11  est  maintenant  presque  désert  et  n'a  jamais  renfermé  de  ville  importante;  mais 
c'est  là  surtout  que  l'on  trouve  conserves,  d'une  façon  qui  étonne,  les  restes  de  ces 
villages  ou  métairies  dont  le  pays  de  Tyr  était  autrefois  couvert.  Je  ne  connais  pas 
d'a>pects  plus  pittoresques  que  ceux  auxquels  donnent  lieu  ces  mamelons  de  ruines 


ACADÉMIE   DES   INSCRIPTIONS,    ETC.  161 

d'une  absolue  virginité,  perdus  dans  des  bois  dont  la  fraîcheur  produit  en  Syrie 
l'effet  le  plus  inattendu.  Frappés  par  une  môme  catastrophe  dont  le  coup  a  dû  être 
instantané,  sortis  totalement  du  mouvement  du  monde  depuis  le  jour  où  la  vie  fut 
brusquement  interrompue  dans  leur  sein,  ces  villages,  dont  les  noms  ont  conservé 
pour  les  habitants  du  pays  toute  leur  individualité,  Mariamin,  Medinet  en  Nahas, 
Kneifedh,  Yarîn,  Enned,  Belat,  comptent  parmi  les  ruines  qui,  tout  en  restant  mysté- 
rieuses, réveillent  le  plus  d'intuitions  historiques.  Aucune  inscription  n'y  a  été  dé- 
couverte; au  premier  moment  on  voudrait  rapporter  à  l'antiquité  chananéenne  ces 
murs  d'une  étrange  vétusté,  ces  pressoirs  gigantesques,  ces  tombeaux  grandioses, 
ces  citernes  d'une  construction  si  recherchée.  Puis  on  se  rappelle  qu'en  Phénicie  le 
style  colossal  s'est  continué  presque  jusqu'à  l'époque  chrétienne.  Deux  ou  trois  de 
ces  villages,  d'ailleurs,  possèdent  des  monuments  figurés  dont  la  date  se  laisse  en- 
trevoir. A  Kneifedh,  ce  sont  les  restes  d'un  monument  en  style  ionique,  de  l'époque 
romaine,  et  un  très-beau  sarcophage  couvert  de  sculptures  égypto-phéniciennes.  J'ai 
cru  ce  monument,  bien  qu'il  ait  été  mutilé  de  la  façon  la  plus  barbare  par  les  cher- 
cheurs de  trésors,  digne  d'être  transporté  en  France.  Les  sculptures  égyptiennes 
feraient  songer  à  une  assez  haute  antiquité  ;  mais  les  armes  qui  sont  sculptées  à 
l'extrémité  du  sarcophage  rappellent  celles  que  l'on  voit  sur  les  tombeaux  de  Schala- 
boun.  A  Belat,  une  colonnade  dorique,  fort  analogue  aux  restes  du  môme  ordre  qui 
se  voient  à  Oum-el-Awamid,  reporterait  plutôt  à  l'époque  des  Séleucides.  Mais  à 
Ermed  et  à  Yarîn,  les  restes  de  sculptures  et  de  mosaïque  rappellent  l'époque 
romaine.  A  Hamrin,  une  colonne  isolée,  probablement funéraire,|accuse  la  totale  déca- 
cadence  du  goût  phénicien. 

Au  milieu  de  cette  énigmatique  antiquité,  le  moyen  âge  sarrasin  et  le  moyen  âge 
chrétien  se  révèlent  tout  à  coup  par  deux  de  leurs  plus  belles  ruines,  Kalaat-Schamma 
et  Kalaat-Kurein  (le  Montfort  des  croisés).  Une  partie  de  Kalaat-Kurein  est  en  gros 
blocs  taillés  en  bossage.  Je  réserve  ce  point  important,  comme  aussi  tout  ce  qui 
concerne  Athlith  (Castellum  peregrinorum)  et  d'autres  monuments  du  même  genre, 
pour  un  troisième  rapport,  où  je  reprendrai  la  question  de  l'architecture  en  bossage 
que  j'ai  déjà  touchée  à  propos  de  Gébeil,  mais  dont  j'ai  compris  que  la  clef  devait 
être  cherchée  à  Tortose  et  à  Jérusalem. 

Permettez-moi,  Sire,  d'offrir  à  Votre  Majesté  l'hommage  du  profond  respect  avec 
lequel  j'ai  l'honneur  d'être, 

De  Votre  Majesté, 

Le  très-humble  et  très-dévoué  serviteur  et  sujet, 

Ernest  Renan. 


IV.  11 


NOUVELLES  ARCHÉOLOGIQUES 


Éclepens,  le  17  juin  1861. 

Nous  extrayons  d'une  lettre  de  M.  Troyon  les  passages  suivants  : 

Monsieur  le  directeur, 

Il  y  a  longtemps  que  je  veux  vous  faire  part  de  divers  détails  qui  vous 
intéresseront  sans  doute,  et  bien  que  je  ne  puisse  aujourd'hui  que  vous 
les  indiquer  rapidement,  je  ne  veux  pas  tarder  davantage  à  me  rappeler  à 
votre  bon  souvenir. 

J'ai  envoyé  dans  le  courant  de  l'hiver  dernier  à  M.  Rutimeyer,  à  Bâle, 
plus  de  deux  cents  livres  d'ossements  antiques  trouvés  soit  dans  les  lacs, 
soit  dans  les  nombreux  tombeaux  que  j'ai  fouillés  en  Suisse.  Ayant  indi- 
qué pour  chacun  de  ces  ossements  la  période  de  l'industrie  humaine  à 
laquelle  ils  appartiennent,  voici  les  principaux  résultats  constatés  par 
l'habile  explorateur  : 

C'est  durant  l'âge  de  la  pierre  que  disparaissent  la  plupart  des  espèces 
animales  qui  manquent  à  notre  faune  actuelle. 

A  chaque  nouvelle  période  industrielle  que  je  crois  devoir  indiquer 
comme  montrant  l'invasion  de  nouveaux  peuples,  apparaissent  de  nou- 
velles races  d'animaux  domestiques  dont  l'introduction  ne  saurait  répondre 
qu'à  des  mouvements  de  peuples,  en  sorte  que  ces  conclusions  zoologiques 
correspondent  tuul  à  fait  avec  les  miennes. 

Il  est  aussi  d'autres  travaux  qui  infirment  mes  vues  personnelles. 

J'ai  fouillé,  sur  la  fin  d'août  dernier,  un  tuinulus  assez  remarquable,  non 
pas  tant  par  la  richesse  des  objets  qu'il  renferme  que  par  sa  construction. 
Le  tumuius,  haut  de  six  pieds  et  de  figure  elliptique,  était  formé  à  sa 
base  de  terres  rapportées  que  recouvrait  une  épaisse  couche  de  cailloux. 
Au  centre  se  trouvaient  les  débris  de  l'urne  cinéraire  et  dans  le  reste  de  la 
colline  trois  squelettes  humains  impitoyablement  mutilés  sous  des  mon- 
ceaux de  pierres.  Ces  pierres  avaient  été  lancées  avec  tant  de  violence  sur  ces 
corps,  que  brassards  et  bracelets  avaient  volé  en  éclats.  Des  fragments  d'un 
disque  en  bronze  de  huit  pouces  de  diamètre  avaient  même  été  projetés  à 
onze  pieds  de  distance  sous  le  choc  des  cailloux.  Je  ne  doute  point  que  ces 
corps  ne  soient  ceux  de  victimes  immolées  lors  de  la  construction  du  tom- 
beau. Les  animaux  sacrifiés  avaient  en  revanche  passé  par  les  flammes, 
à  en  juger  par  de  petits  fragments  répandus  avec  les  cendres  du  bûcher  sur 
le  tombeau  en  construction.  Divers  ornements,  éloignés  de  tout  squelette, 


NOUVELLES  ARCHÉOLOGIQUES.  163 

paraissaient  aussi  jetés  au  milieu  des  cailloux,  sans  avoir  été  livrés  au  feu; 
ainsi  une  paire  de  bracelets  qui  étaient  à  plus  de  trois  mètres  de  dislance 
l'un  de  l'autre.  Ailleurs  était  une  fibule,  ailleurs  un  petit  tranchet  en  fer. 
Le  disque  dont  j'ai  parlé  est  une  reproduction  parfaite  de  celui  que  j'ai 
dessiné  sur  la  planche  XVII,  fig.  21,  de  mes  Habitations  lacustres.  Toutes 
ces  pièces  caractérisent  l'industrie  du  premier  âge  du  fer,  de  même  que 
ces  usages  funéraires  répondent  aux  mœurs  des  derniers  temps  de  l'indé- 
pendance gauloise.  Une  observation  attentive  permet  de  relever  ainsi  bien 
des  détails  dont  le  souvenir  n'était  pas  arrivé  jusqu'à  nous.  Je  me  propose 
de  fouiller  encore,  cet  été,  deux  ou  trois  de  ces  tumulus  helvétiens,  et,  si 
vous  me  le  permettez,  je  vous  donnerai  ensuite  pour  la  Revue  archéologique 
un  travail  sur  l'ensemble  des  sépultures  de  ce  genre  dans  le  canton  de 
Vaud.  Fréd.  Troyon. 

EXTRAIT    D'UNE    LETTRE     DE    M.     E.    RENAN,     MEMBRE    DE    L'iNSTITOT, 
A  M.  ALFRED  MACRY. 

Kisba,  près  Tripoli  de  Syrie,  28  juin  1861. 

«  Je  suis  content  de  mes  courses  d'Aphaea,  Kalaat-Fakl-ra,  Akoura,  du 
lac  Leimon,  de  Balbek,  d'Eden.  J'ai  trouvé  pendant  ces  excursions  beau- 
coup d'inscriptions  grecques  et  latines.  Une  classe  particulière  de  ruines  a 
surtout  attiré  mon  attention;  elle  exigerait  au  reste  Une  étude  approfondie  et 
vaudrait  à  elle  seule  une  mission  spéciale  dans  le  pays:  ce  sont  les  temples 
romano- syriens  dans  le  goût  de  celui  de  Kalaat-Fakl-ra.  On  retrouve  des 
monuments  du  même  type  àAphaca,  Janouh,  au  lac  Leimon;  ces  tem- 
ples sont  parfaitement  conservés,  sauf  qu'ils  sont  renversé^  ;  mais  aucune 
pierre  n'y  manque,  vu  qu'on  n'a  guère  bâti  aux  environs.  Il  n'y  a  rien  là 
de  phénicien.  J'ai  remarqué  sur  un  rocher  du  passage  d'Akoura  de  vieilles 
inscriptions  qui  paraissent  être  dans  le  système  hiéroglyphique  assyiien 
dont  est  sorti  le  cunéiforme. 

Une  curieuse  classe  d'inscriptions  latines  qu'on  trouve  fréquemment 
dans  la  région  du  haut  Wahr-Ibrahim  (l'Adonis  des  anciens),  du  côté 
d'Aphaea  et  d'Akoura,  est  la  suivante  : 

IMPHAD  NG 

On  l'observe  toujours  sur  de  grands  rochers,  en  lettres  d'environ  0m,30 
de  hauteur,  très-profondément  incisées.  J'en  ai  déjà  plus  de  20  exemples. 
Je  la  lis  :  Imperator  Hadrianus  Augustus.  » 

—  Le  27  mai  dernier  une  découverte  importante,  dont  plusieurs  jour- 
naux ont  déjà  parlé,  a  été  faite  sur  la  propriété  de  M.  Edouard  Hasard, 
commune  de  Neuvy,  près  Orléans.  Vingt-trois  objets  en  bronze  très-inté- 
ressants, parmi  lesquels  un  cheval  avec  inscription,  ont  été  retirés  d'une 
carrière  de  sable.  La  Revue  n'a  voulu  en  parler  qu'après  avoir  pris  des  in- 


164  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

formations  exactes.  Elle  donne  dans  le  numéro  d'aujourd'hui  (voir  p.  138) 
la  liste  des  objets  trouvés. 

—  Le  département  de  l'Aisne,  qui  compte  déjà  tant  de  lieux  où  les  con- 
quérants delà  Gaule  ont  laissé  de  nombreuses  traces  de  leur  séjour,  vient 
encore  d'ajouter  à  cette  liste  l'emplacement  d'une  villa  romaine,  découverte 
entre  Etreux  et  Wassigny  (arrondissement  de  Venins).  En  creusant  un 
déblai  pour  la  construction  d'une  route  vicinale,  au  lieu  dit  la  Tuilerie  ou 
la  Montagne  Saint-Hubert,  des  ouvriers  ont  mis  à  nu  des  substru étions 
parmi  lesquelles  se  trouvaient  un  très-beau  vase  en  bronze,  une  aiguière  et 
un  bassin,  la  carcasse  d'un  siège  pliant  en  forme  d'X,six  bouteilles  ou  frag- 
ments de  bouteilles  d'un  verre  assez  épais,  fortement  teinté  de  vert  ou  de 
bleu,  dans  l'une  desquelles,  dit  le  Journal  de  l'Aisne,  qui,  dans  les  numéros 
des  l'6  et  16  juillet,  a  consacré  deux  articles  à  cette  découverte,  «  étaient 
enfermées  une  quarantaine  de  pièces  de  monnaie,  toutes  du  Haut-Em- 
pire; un  très-bel  Adrien,  portant  au  revers  le  mot  restitut...,  et  une  Vic- 
toire debout  distribuant  des  couronnes  à  une  femme  agenouillée,  grand 
bronze  ;  des  Antonin  le  Pieux,  des  Faustine  la  Jeune,  des  Nerva,  des  Marc- 
Aurèle,  etc.,  etc.,  grands  et  moyens  bronze,  tous  frustes,  et  prouvant  un 
long  usage.  » 

Avec  ces  objets  se  trouvaient  diverses  poteries  ou  débris  de  poteries 
rouges  parmi  lesquels  on  a  recueilli  deux  vases  à  anses  collants,  décorés 
à  l'intérieur  de  cinq  feuilles  lancéolées  à  longues  tiges;  une  assiette  légè- 
rement ébrécbée  ;  enfin  un  troisième  vase  de  forme  élégante, un  peu  plus 
grand  que  les  deux  premiers. 

A  la  nouvelle  de  cette  intéressante  découverte,  M.  le  préfet  de  l'Aisne 
s'est  empressé  de  déléguer  sur  les  lieux  un  membre  de  la  Société  acadé- 
mique de  Laon,  auquel  le  possesseur  de  ces  objets  les  a  aussitôt  offerts 
pour  le  musée  de  la  ville.  Nous  ne  doutons  point  que  de  nouvelles  fouilles 
n'amènent  de  nouvelles  richesses  dont  nous  rendrons  un  compte  détaillé, 
s'il  y  a  lieu. 

—  Nos  lecteurs  apprendront  avec  plaisir  qu'un  musée  archéologique 
vient  d'être  fondé  à  Genève.  Notre  collaborateur  M.  H.  Fazy  est  chargé  de 
l'organiser,  et  il  nous  écrit  qu'il  pourra  bientôt  être  ouvert  au  public.  Ce 
sera  une  bonne  fortune  pour  les  archéologues  qui  passeront  à  Genève.  Ce 
musée  promet  d'être  un  des  plus  riches  de  l'Europe  en  armes  et  ustensiles 
des  époques  primitives. 


BIBLIOGRAPHIE 


Journal  de  la  Société  des  antiquaires  des  contrées  rhénanes.  Fascicules  19 
et  20,  15e  année.  Bonn,  1860.— Jahrbùcher  des  Vereins  von  Alterthumsfreunden 
im  Rheinlande. 

La  Société  des  antiquaires  du  Rhin  fait  paraître  un  excellent  recueil  qui 
n'est  pas  assez  connu  parmi  nous,  bien  qu'il  renferme  une  foule  de  mé- 
moires de  nature  à  intéresser  les  antiquaires  fiançais.  Je  signalerai  parti- 
culièrement le  dernier  fascicule  publié,  dans  lequel  sont  contenus  de 
nombreux  travaux  relatifs  aux  antiquités  celtiques  et  gallo-romaines  : 

1°  Une  histoire  de  la  lieue  (leuga),  par  M.  K.  L.  Rotb,  mémoire  où  sont 
examinées  avec  soin  toutes  les  questions  qui  se  rattachent  à  l'étymologie 
du  mot  lieue,  à  l'emploi  des  bornes  milliaires  dans  l'antiquité,  et  à  l'usage 
de  cette  mesure  itinéraire  en  différentes  parties   de  l'Europe  occidentale; 

2°  Un  mémoire  sur  l'histoire  des  clochers,  par  M.  P.  Unger; 

3°  Des  articles  de  M.  Braun  sur  la  déesse  Ardenne  (dea  Arduinna),  di- 
vinité gauloise  que  l'auteur  étudie  à  propos  d'un  monument  découvert 
aux  environs  de  Dùren;  sur  l'Hercule  Saxanus,  sur  le  Mâusthurm,  près  de 
Bingen,  et  le  Hochkreutz  de  Bonn;  sur  un  vase  en  bronze  de  la  collection 
du  comte  de  Caylus; 

4°  Un  mémoire  de  M.  Otto  Jahn  sur  la  statuette  en  marbre  de  Diane, 
découverte  près  de  Bertrich,  non  loin  de  Bonn; 

5°  Un  mémoire  de  M.  F.  Friedler  sur  une  inscription  grecque  et  latine 
de  Cologne  ; 

6°  Un  mémoire  en  français  de  M  Arsène  de  Noue,  intitulé  :  De  Vexamcn 
de  l'inscription  inaugurale  de  l'église  de  Schwarzreindorf  ; 

7°  Une  notice  pour  servir  à  l'épigraphie  des  contrées  rhénanes  par 
M.  F.  Becker,  où  se  trouvent  examinées  plusieurs  curieuses  inscriptions  la- 
tines, notamment  celle  qui  servait  d'épitaphe  à  la  sépulture  d'un  soldat 
de  la  deuxième  légion  du  nom  de  C.  Julius  Caii  filius; 

8°  Un  mémoire  de  M.  C.  Bellermann  sur  des  bornes  milliaires  romai' 
nés  découvertes  en  1858  dans  le  lit  du  Rhin,  à  Salzig,  à  deux  lieues  de 
Boppart; 

9°  Des  mémoires  de  MM.  F.  G.  Welcker  et  P.  J.  Kàntzler  sur  des  points 
de  mythologie;  l'histoire  du  héros  Capanée  et  l'enlèvement  de  Proser- 
pine;  quelques  bonnes  observations  épigraphiques,  intitulées  Analectes, 
de  M.  F.  Freudenberg  ;  enfin  des  détails  sur  diverses  antiquités  découver' 
tes  dans  les  provinces  rhénanes. 


166  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

La  bibliographie  du  volumo,  publiée  par  la  Société  du  Rhin,  nous  donne 
en  outre  l'analyse  de  plusieurs  travaux  intéressants,  notamment  de  deux 
mémoires  de  M.  Joseph  Aschbach,  publiés  à  Vienne,  l'un  en  1838,  et 
l'autre  en  1861  :  le  premier  sur  le  fameux  pont  de  Trajan  construit  sur  le 
Danube;  le  second  sur  l'histoire  des  troupes  auxiliaires  de  la  Grande-Bre- 
tagne qui  servaient  dans  les  armées  romaines  sur  les  bords  du  même 
fleuve. 

Le  volume  que  nous  annonçons  ici  donne  l'idée  la  plus  favorable  des 
travaux  de  la  Société  des  antiquaires  du  Rhin,  à  laquelle  on  s'étonne  de 
voir  que  n'appartiennent  qu'un  bien  petit  nombre  de  Français,  quoique 
les  études  de  cette  association  soient  dans  une  étroite  relation  avec  celles 
de  nos  sociétés  archéologiques.  A.  M. 

Description  du  château  de  Pierrefonds,  par  M.  Viollet  Le  Duc.  2e  édition, 
complètement  refondue  et  augmentée.  Bance,  éditeur,  1861.  In-8°.  Prix  :  2  fr.  — 
Description  du  château  de  Coucy,  id.,  id.,  ib. 

Dans  le  Bulletin  bibliographique  de  cette  Revue  qui  accompagnait  le  nu- 
méro de  juin,  nous  avons  consacré  une  notice  à  la  première  édition  de 
ces  deux  opuscules.  Notre  appréciation  de  la  brochure  relative  à  Pierre- 
fonds  se  terminait  par  les  mots  qui  suivent  :  «  Nous  avons  pu  juger, 
disions-nous,  tout  ce  que  contiennent  de  vues  ingénieuses  ces  deux  des- 
criptions. Nous  avons  la  certitude  que  ces  vues  s'éclaireront  encore  sur 
bien  des  points...  » 

La  nouvelle  édition,  que  nous  nous  bornons  à  signaler,  nous  apporte 
une  confirmation  hâtive  et  presque  inattendue  de  ces  prévisions.  La  notice 
de  I'ierrefonds  surtout  a  reçu  des  développements  assez  considérables.  La 
description  de  Coucy  (1857)  se  composait  de  23  pages  de  texte,  accompa- 
gnées de  o  planches.  L'édition  de  1861  offre  24  pages  et  6  planches.  La 
description  de  Pierrefonds  (18o7),  23  pages  et  7  planches:  1861  :  32  pages 
et  8  planches.  V. 


Les  Émigrations  des  Celtes,  essai  historique  et  critique,  par  M.  Léopold  Contzen. 
Leipzig,  1861.  In-8\  —  Die  Wandemingen  der  Kellen,  historisch-kritisch  dar- 
gelegl. 

Cet  ouvrage,  couronné  par  la  Faculté  de  philosophie  de  l'Académie  de 
Munster,  a  repris  sur  une  une  base  nouvelle  toute  l'histoire  des  Celles,  de- 
puis leurs  plus  anciennes  migrations  jusqu'à  leurs  incursions  dans  la  Grèce 
et  leur  établissement  en  Asie.  L'ouvrage  comprend  trois  parties  :  La  pre- 
mière traite  des  origines  des  peuples  que  M.  Contzen  embrasse  sous  le  nom 
générique  de  Celtes  :  les  Belges,  les  Cellibères,  les  Celtes  de  la  Grande- 
Bretagne,  les  Ligyens  ou  Ligures,  les  Celtes  des  Alpes  et  du  Danube,  tels 
que  les  Helvètes,  les  Boii,  les  Grecs  et  les  Gothins,  les  Carniens  et  les 
lapodes,  les  Raetiens  et  les  Vindeliciens,  les  Noriques,  les  Celtes  d'illyrie. 


BIBLIOGRAPHIE.  167 

Cette  première  partie  se  termine  par  un  aperçu  général  de  l'état  social 
des  Celtes. 

La  seconde  partie  est  consacrée  à  l'histoire  des  invasions  des  Celtes  en 
Italie  et  en  Grèce. 

Dans  la  troisième  on  trouve  une  histoire  très-complète  et  très-intéres- 
sante des  Galates. 

L'ouvrage  de  M.  Contzen,  bien  qu'un  peu  concis,  jette  quelques  nouvelles 
lumières  sur  une  matière  déjà  bien  traitée  parmi  nous.  Très-versé  dans 
l'étude  des  textes,  ce  professeur  connaît  aussi  les  monuments  qu'il  appelle 
fréquemment  à  son  secours.  Les  personnes  qui  s'occupent  d'antiquités 
celtiques  ne  sauraient  négliger  son  travail.  A.  M. 

Leçon  d'ouverture  d'un  cours  sur  la  haute  antiquité,  par  A.    Morlot,  de 
Lausanne.  —  Lausanne,  imprimerie  Pache.  Simmen,  1861. 

Par  haute  antiquité  M.  Morlot  entend  les  temps  antétraditionnels  et  anté- 
historiques,  que  l'on  ne  saurait  connaître  sans  l'aide  de  V archéologie.  Com- 
ment reconstituer  l'histoire  de  ces  temps  primitifs  ?  Tel  est  le  problème 
intéressant  que  se  pose  M.  Morlot.  Son  discours  d'ouverture  est  plein  de 
faits  d'une  grande  précision  et  d'une  grande  clarté;  c'est  l'œuvre  d'un  ob- 
servateur et  d'un  homme  très-instruit  et  très-versé  dans  l'archéologie  pri- 
mitive, ainsi  qu'il  l'appelle  lui-môme.  Il  montre  très-bien  à  quelle  condi- 
tion l'archéologie  primitive  peut  devenir  une  science.  Il  fait  mieux:  il  pose 
les  bases  de  cette  science  d'observation  appelée  à  prendre  rang  à  côté  de  la 
géologie,  à  laquelle  elle  emprunte  et  la  méthode  et  les  procédés  d'investi- 
gation. Le  programme  du  cours  de  M.  Morlot  nous  parait  excellent.  Nous 
ne  pouvons  mieux  faire  que  d'en  donner  ici  l'abrégé,  déjà  fort  intéressant 
par  lui-même:  1°  Leçon  d'introduction.  —  2°  Age  de  la  pierre.  Danemark. 
Marais  tourbeux  Trois  périodes  de  végétation  arborescente  :  le  pin,  le  chêne,  le 
hêtre  Kjœkkenmœding  (débris  de  repas)  végétaux,  animaux.  Produits  de  l'in- 
dustrie dans  les  Kjœkkenmceding.  — 3°  Age  de  la  pierre.  Suisse.  Habitations 
lacustres  :  leur  découverte,  leur  situation,  leur  construction;  instruments,  armes, 
poteries,  végétaux,  tissus,  pain,  animaux  sauvages  et  domestiques.  —  4°  Age  de 
la  pierre.  Généralités  :  Débuts  de  l'homme  dans  le  Nord  et  en  Suisse.  Monu- 
ments sur  divers  points  de  l'Europe.  Fabrication  des  objets  en  silex;  poteries, 
objets  de  pierre.  —  5°  Age  du  bronze.  Industrie  du  mineur  :  le  cuivre  et  l'êtain  ; 
âge  du  cuivre  dans  V Amérique  septentrionale  ;  le  bronze  produit  et  travaillé 
dans  le  nord  de  l'Europe;  analyses  chimiques;  l'or  exploité  et  employé;  l'art  du 
fondeur;  ornementation  des  objets  coulés  en  bronze;  style  géométrique  ;  instru- 
ments, armes,  objets  de  parure.  En  Suisse,  habitations  lacustres  de  l'âge  de 
bronze.  —  6°  Premier  âge  du  fer  :  Aréolithes,  métallurgie  primitive  du 
fer,  passage  du  bronze  au  fer.  Argent,  verre,  émaux,  poterie  vernie, 
monnaies,  alphabet.  Le  Nord,  la  Suisse.  La  Tiefenau.  Les  llelvêtiens  :  armes, 
chariots,  routes,  habitations  lacustres  de  l'âge  du  fer,  monnaies,  inscriptions, 


ifiS  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

objets  de  parure,  ornementation,  style  géométrique  combiné  avec  des  représen- 
tations d'êtres  animés.  Monuments  en  Suisse.  —  7°  Revue  générale.  Histoire 
du  développement  de  la  civilisation,  différentes  branches  de  cette  étude,  origine 
de  l'humanité.  Silex  taillés  trouvés  dans  des  graviers  anciens  et  associés  à  des 
espèces  éteintes.  Invention  de  la  manière  de  faire  du  feu.  Conséquences.  Age 
de  la  pierre  :  Comparaison  avec  les  sauvages,  analogies  et  différences;  tombeaux, 
religion,  races.  —  Age  du  bronze.  Nouvelle  civilisation,  sépultures,  religion, 
races,  les  populatio?is  anciennes  refoulées;  commerce,  arts.  —  Age  du  fer. 
Tombeaux,  sacrifices  humains,  religion,  races,  animaux  domestiques;  mon- 
naies, alphabet,  origine  de  l'histoire,  début  des  sciences.  Morale  du  cours. 

A.  B. 


Errata. —  Le  correcteur  ayant  laissé  passer  deux  fautes  graves  dans  la  deuxième 
parlie  de  l'inscription  du  Militaire  de  Tongres,  page  410  du  numéro  de  la. Revue  du 
mois  de  mai  dernier,  le  texte  est  rétabli  par  l'auteur  ainsi  qu'il  suit  : 


L-XV 

[NOV]IOMAG  L-XV 

DVROCORTER  LXIÏ 

AD  FINES  LXII 

AVG   .   SVESSIONVM 
L  XII 

ISARA  L-XVI 

ROVDIVM  L-VIIII 

SEEVIAE  LVIII 

SAMARABRIVA 


OBSERVATIONS  HISTORIQUES 

SUR   L'INSTITUTION  QUI  CORRESPONDAIT  CHEZ   LES  ATHÉNIENS 

A    NOTRE    ÉTAT    CIVIL 

ET    EXPLICATION  DE  L'i  NS  C  R  I  P  T  I  ON  INÉDITE 

d'une   PLAQUE    DE    RRONZE    PROVENANT    d'athènes 


Il  y  a  dans  les  langues  qui  ont  vieilli  des  mots  dont  l'histoire 
touche  souvent  aux  vicissitudes  des  institutions  et  des  mœurs  pen- 
dant plusieurs  siècles. 

Tel  est,  en  grec,  le  mot  cup.êoXov,  dont  j'ai  eu  naguère  l'occasion 
de  rechercher  et  d'expliquer  devant  l'Institut  une  signification 
curieuse,  à  propos  du  texte  conservé  sur  un  papyrus  de  la  deuxième 
collection  d'Anastasy  (1). 

Ce  mot  (iu|/.ëoXov  n'a  que  bien  rarement,  dans  l'antiquité.,  le  sens 
philosophique  et  théologique  qui  s'est  attaché  à  sa  transcription 
française  symbole  (2).  Dérivé  du  verbe  cu[jt.êaXXsiv,  il  désigne,  au 
sens  propre,  le  rapprochement  ou  la  jonction  de  deux  pièces  d'un 
ensemble  ou  de  deux  parties  d'un  tout.  C'est  ainsi  qu'on  nommait 
cu|xëoXa  ou  ajxëoXa,  dans  la  marine  athénienne,  la  rencontre  du  mât 
et  de  la  grande  vergue  (3);  et  c'est  ainsi  encore  qu'on  nommait  cujjl- 
ëoXa  des  poids  et  mesures  étalons,  parce  qu'on  en  rapprochait  les 
autres  poidj  et  mesures  pour  en  vérifier  l'exaclitude  (4). 


(1)  De  Quelques  textes  inédits  récemment  trouvés  sur  des  papyrus  grecs  qui  pro- 
viennent de  l'Egypte.  1858,  in-8°  (lu  à  la  réunion  trimestrielle  des  cinq  Académies, 
le  7  octobre  1857). 

(2)  Par  exemple  les  a0|i6o).a  de  Pythagore;  autres  exemples  dans  Proclus,  éd.  V. 
Cousin,  t.  IV,  p.  89,  91, 92,  93, 116, 126  ;  t.  V,  p.  59  ;  t.  VI,  p.  57,  etc. 

(3)  Pollux,  Onomasticon,  I,  91. 

(U)  Corpus  inscr.  grœc,  t.  I,  p.  165  De  là  l'expression  àuû[i6).r|To;  pour  une  mesure 
qui  n'a  pas  été  vérifiée  sur  l'étalon. 

IV.    — Septembre  1861.  \"1 


170  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

La  même  idée  de  rapprochement  domine  :  1°  Quand  <ju[/.êoXov  est 
employé  pour  le  signe  de  reconnaissance  dont  on  déposait  une  moitié 
dans  le  berceau  d'un  enfant  exposé.  C'est  une  pièce  de  ce  genre  qui 
amène  le  dénoùment  de  la  célèbre  tragédie  d'Euripide  intitulée 
Ion  (i). 

2°  Quand  il  désigne  la  pièce  de  monnaie  coupée  en  deux,  suivant 
un  usage  tout  athénien,  pour  consacrer  la  conclusion  dun  marcbé  (2). 

3°  Quand  il  désigne  ce  que  les  antiquaires  appellent  ordinairement 
une  tessère  d'hospitalité;  mais,  à  vrai  dire,  tous  les  petits  monu- 
ments de  ce  genre  qui  nous  sont  parvenus,  soit  avec  texte  grec,  soit 
avec  texte  latin,  forment  chacun  un  tout  complet;  ils  sont  d'une  date 
où  l'on  avait  renoncé  à  l'usage  primitif  de  couper  en  deux  morceaux 
la  pièce  destinée  à  servir  de  gage  entre  les  personnes  ou  les  familles 
unies  par  l'hospitalité  (3). 

4°  Quand  il  désigne  une  carte  donnant  droit  de  transport  gratuit 
dans  les  voilures  et  sur  les  chemins  publics  dans  l'empire  romain, 
comme  cela  ressort  d'un  texte  de  Caton  l'Ancien  conservé  par 
Fronton  (4). 

5°  Il  en  est  de  même  pour  le  cujjiéoXov  atteslé  par  quelques  textes 
sur  papyrus  égyptien:  il  peut  n'avoir  été  qu'a  l'origine  une  carta- 
partita,  comme  celles  dont  l'usage  se  conserva  si  longtemps  dans  la 
diplomatie  et  la  comptabilité  chez  les  peuples  de  l'Occident  chré- 
tien (5).  De  bonne  heure,  en  effet,  le  sens  de  titre  authentique  a  pu 
s'étendre  à  des  GujxëoXa  ou  pièces  auxquelles  d'autres  signes  attachaient 
ce  caractère  d'authenticité. 

6°  Ainsi  encore  ce  que  nous  appelons  aujourd'hui  le  mot  d'ordre 
dans  le  service  militaire  a  pu  être  représenté  jadis  par  une  tessère 
brisée  en  deux  morceaux;  mais  ce  cupêoXov  ou  oûv^u-a  primitif  est 


(1)  Ion,  v.  1386.  Cf.  l'Hélène  du  même  poëte,  v.  291,  et  Xénophon,  Cyropédie,  VI, 
1,  §  46. 

(2)  Pollux,  IX,  71,  texte  encore  assez  obscur  pour  le  détail,  malgré  les  corrections 
et  les  explications  des  interprètes. 

(3)  Aristote,  Politique,  IV,  9;  De  la  génération  des  animaux,  I,  18.  Cf.  le  sco- 
liaste  sur  la  Médée  d'Euripide,  v.  612. —  Exemples  de  ces  tessères  d'hospitalité  dans 
le  Corpus  inscr.  grœc,  n.  5496,  et  dans  les  Inscr.  latines  d'Orelli,  n.  1079.  Cf.  dans 
le  Corpus  inscr.  grœc,  le  n.  545,  inscription  d'un  vase  qui  était  un  présent  d'hos- 
pitalité. 

(4)  De  Sumtu  suo,  cité  par  Fronton,  p.  150,  éd.  Rom. 

(5)  Avec  les  textes  que  nous  expliquons  dans  le  mémoire  cité  plus  haut,  p.  169, 
note  1,  comparez,  par  exemple,  la  planche  XXVII,  figures  2,  3,  4,5  du  liecueil  île 
sceaux  normunds et  anglo-normands,  par  .M.  d'Anisy.  Caen,  1834.  in-4*. 


OBSERVATIONS   HISTORIQUES,    ETC.  171 

devenu  d'assez  bonne  heure  le  simple  échange  de  paroles  conve- 
nues (1). 

L'idée  d'une  convention,  d'un  moyen  de  reconnaissance  domine 
désormais  seule,  quand  cruuëo),ov  désigne  : 

7°  Un  traité  destiné  à  régler  soit  des  relations  de  commerce,  soit 
l'organisation  de  tribunaux  neutres  entre  deux  peuples,  comme  il 
en  reste  quelques  exemples  sur  les  marbres  de  l'ancienne  Grèce  (2)  ; 

8°  Une  lettre  de  crédit,  comme  cela  se  voit  dans  un  passage  de 
l'orateur  Lysias  (3);  et  peut-être  une  lettre  ou  plutôt  une  marque 
de  créance,  comme  il  semble  ressortir  du  témoignage  d'un  traité  entre 
Athènes  et  Straton,  roi  des  Sidoniens,  vers  le  temps  de  Démoslhè- 
nes  (4)  ; 

9°  Un  billet  d'entrée  soit  au  théâtre,  usage  attesté  par  un  texte  de 
Théophraste  et  par  un  assez  grand  nombre  de  monuments  (5),  soil 
à  l'assemblée  du  peuple,  soit  enfin  dans  un  tribunal,  comme  cela  se 
voit  par  deux  témoignages  des  comédies  d'Aristophane  (6); 

10°  Une  espèce  de  cachet  de  famille,  sens  attesté  par  la  lettre,  sur 
papyrus,  de  Timoxène  à  Moschion,  que  publia  en  1826  31.  Lctronne 
dans  le  catalogue  de  la  collection  Passalacqua  (7); 

11°  Une  dernière  espèce  de  g\>[j.Ço1qv  paraît  avoir  eu  pour  objet, 
chez  les  Athéniens,  l'attestation  d'identité  personnelle,  avec  les  ga- 
ranties qui  s'attachent  à  cette  attestation.  Dans  les  Oiseaux  d'Aristo- 
phane, Iris,  la  messagère  des  dieux,  arrivant  au  milieu  de  la  ville  des 


(1)  Scoliaste  sur  le  Rhésus,  v.  573,  et  Servius.  ad  JEneidem,  VII,  637.  Ce  rappro- 
chement peut  éclairer  le  sens  de  Ëuv6r,;j.a  dans  YŒdipeà  Colone  de  Sophocle,  v.  46  : 
2u[j.ç/Ofiàç  ^ûvOrjfx'  èn%.  «  C'est  le  mot  d'ordre  de  ma  destinée,  »  le  signalement  du 
lieu  où  doivent  finir  mes  malheurs. 

(2)  Voir  notre  Mémoire  sur  les  Traités  publics  dans  l'antiquité.  Nouvelle  série, 
t.  XXIV,  p.  6,  du  Recueil  de  l'Académie  des  inscriptions. 

(3)  Sur  les  biens  d'Aristophane,  §  25,  passage  que  nous  avons  tâché  d'éclaircir 
dans  une  note  insérée  au  Bulletin  de  la  Société  des  antiquaires,  1860,  p.  92-95. 

(t\)  Corpus  inscr.  grœc,  n.  87,  texte  qui  sera  relevé  plus  bas  dans  ce  Mémoire. 

(5)  Caractères,  c.  6  (F'Airovoia),  où  l'on  voit  l'insolent  «  se  mettre  à  recueillir  le 
prix  des  places  dans  un  auditoire  de  saltimbanques  et  chercher  querelle  à  ceux  qui, 
munis  de  leur  billet,  prétendent  regarder  sans  payer.  »  Cf.  Franz,  Elementa  epigr. 
grœcœ,  p.  Zkh  ;  et,  pour  les  exemples  latins,  Orelli,  Inscr.  lai.,  n.  2539. 

(6)  Aristophane,  Eccles.,v.  297;  Plutus,  v.  278,  et  le  scoliaste  sur  ces  passages. 
CA.Corpus  imcr.  gr.,  n.  207-210;  Archœol.  Zeitnng,  Jena,  1837, p.  101  ;  L.  Ross,  die 
Demen  von  Attika,  p.  57-58. 

(7)  C'est,  à  ce  qu'il  semble,  dans  le  môme  sens  que  le  mot  latin  sigillwn  grécisé  se 
lit  dans  un  papyrus  de  Londres,  n.  XLIV  de  l'éd.  de  Vorshal. 


172  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

Nuages,  s'y  voit  arrêtée  par  Pisthétérus  qui  lui  crie,  en  parodiant 
sans  doute  les  formalités  de  la  police  athénienne  : 

«  T'es-tu  présentée  aux  Coléarques?  Tu  dis  que  non?  As-tu  [au 
moins]  le  cachet  (ou  le  timbre)  des  cigognes? 

«  —  Quelle  peste  veux-tu  dire?  »  répond  Iris,  maugréantsans  doute 
comme  plus  d'un  étranger  maugréait  aux  portes  d'Athènes,  surtout 
quand  la  guerre  forçait  d'y  exercer  un  surcroît  de  surveillance. 

Pisthétérus  insiste  :  «  Ainsi,  tu  n'as  rien  pris?  »  Nous  dirions  au- 
jourd'hui :  ce  Tu  n'as  pas  de  papiers?  »  —  Iris  :  «  Es-tu  fou?  » 
Pisthétérus  :  «  Quoi  !  pas  même  un  symbolon  timbré  pour  toi  par  les 
ornilharques  (1)  ?  » 

Ces  colœarques  et  ces  ornilharques,  noms  plaisamment  formés  avec 
des  noms  d'oiseaux  et  le  mot  qui  désigne  «  une  magistrature,  »  nous 
laissent  deviner  des  magistrats  qui  veillaient  à  la  sécurité  de  la  ville 
et  qui  avaient  le  droit  de  viser  ou  de  délivrer  certains  passe-ports  ou 
sauf-conduits,  selon  l'état  de  paix  ou  de  guerre,  et  dans  une  inten- 
tion d'ordre  public  bien  facile  à  comprendre.  Le  même  usage  de 
sauf-conduits  se  trouve  indiqué  sous  le  nom  de  syngraphus  dans  un 
passage  des  Captifs  de  Plaute,  et  l'on  sait  combien,  pour  le  détail  de 
la  vie,  Plaute  est  un  peintre  fidèle  des  mœurs  grecques  (2). 

Les  collections  d'antiquités  possèdent  des  «TujxêoXa  de  plusieurs 
espèces,  cachets,  billets  de  théâtre,  signes  d'hospitalité.  Mais  je  ne 


AnOAAQ^AMHC 

ec"riA|oVToY 


(1)  Vers  1209  et  suivants,  où  le  scoliaste  dit,  à  propos  de  trcppayiSa  •  otov  cnjjxéoXov 
£7ti  tw  ffUYX«pr)6^vai  7raps),f)£ïv,  wç  xwv  ne^apyùv  <pu).àxwv  ôvxwv. 

(2)  Acte  II,  scène  3,  v.  91  :  «  A  prœtore  sumam  syngraphum.  —  Quem  syngra- 
plium?  —  Quem  hic  secum  ferat  ad  legionem,  hinc  ire  huic  ut  liceat  domum.  » 


OBSERVATIONS   HISTORIQUES,    ETC.  173 

crois  pas  qu'on  y  ait  reconnu  jusqu'à  ce  jour  aucune  pièce  constatant 
l'état  civil  d'un  citoyen  grec,  soit  comme  simple  marque  d'identité 
personnelle,  soit  comme  passe-port  et  sauf-conduit.  Le  petit  mo- 
nument que  je  me  propose  d'expliquer  comblera  peut-être  cette 
lacune. 

Ce  monument  est  une  plaque  de  cuivre  de  7  centimètres  sur  5, 
pourvue,  à  droite,  d'un  appendice  ou  talon  circulaire  qui  sert  de  prise 
pour  la  main,  et  portant  quatre  lignes  decaractères  grecs.  Il  provient, 
m'a-t-on  dit,  des  environs  de  Beyrouth,  et  il  figure  sous  le  n°29i 
dans  le  catalogue  d'une  vente  de  médailles  et  autres  objets  antiques 
où  je  l'ai  acquis  le  19  avril  dernier  (1).  Les  caractères  de  l'écriture 
peuvent  appartenir  au  troisième  ou  à  la  fin  du  quatrième  siècle 
avant  J.C.,  comme  on  le  verra  par  le  fac-similé  ci-joint.  Les  trois  pre- 
mières ligues  n'offrent  aucune  difficulté.  'AxoXXocpavr,?  'E<mai'ou  tou 
BaaiXsiSou  forment,  le  nom  complet  d'un  Grec  de  naissance  libre,  mais 
à  qui  l'on  n'avait  donné  ni  le  nom  de  son  grand-père,  comme  c'était 
l'usage  pour  l'aîné  des  fils  d'un  citoyen  d'Athènes,  ni  le  nom  de  son 
père, d'après  un  autre  usage  attesté  par  maint  exemple  sur  les  monu- 
ments grecs  et  particulièrement  sur  ceux  de  l'Attique  (2). 

Si  le  grand-père  de  cet  Apollophanes  se  fût  nommé  aussi  Apollo- 
phanes,la  désignation  pouvait  s'arrêter  à  Hestiœus,  l'homonymie  du 
grand-père  étant  le  droit  et  pouvant  être  sous-entendue  sans  inconvé- 
nient; d'un  autre  côté,  dans  le  cas  où  le  même  nom  seperpétuedepère 
en  fils,  les  Grecs  se  contentent  volontiers,  surtout  à  partir  du  deuxième 
ascendant,  de  marquer  cette  continuité  par  les  mots  Biç,  zoiç,  Tsxpa- 
xiç,  etc.,  ou  par  les  lettres  numériques  qui  représentent  ces  mi- 
verbes  (3).  Rien  de  plus  clair  donc  que  la  généalogie  d'un  Apollo- 
phanes, fils  d'Hestiasus,  qui  lui-même  était  fils  de  Basilidès. 
d'ailleurs,  chacun  de  ces  trois  noms  est  bien  de  famille  athénienne, 
et  l'on  en  peut  trouver  des  exemples  dans  les  inscriptions  et  dans  les 
séries  monétaires  d'Athènes  qui  répondent  au  temps  d'Alexandre  et 


(1)  Catalogue  de  deux  collections  provenant  d'Orient,  contenant  des  médailles 
grecques,  etc.,  vente  faite  le  19  avril  1861;  experts,  MM.  P.ollin  et  Feuardcnt.  Je 
dois  faire  remarquer  que  l'inscription  était  relevée  d'une  manière  fautive  dans  ce 
catalogue,  p  28  :  AHOAAO*ANH2  ■  ECTIAIOÏ  ■  TOÏBACIAEIAOÏ  •  A0HNAG  • 
AKP-  {sic). 

(2)  On  trouve  pourtant  quelques  exemples  semblables.  V.  Ephémer.  arch.  d'.lt/ir- 
nes,  n.  225,  etN.  Scbow,  Charta  papyracea  musei  Borgiani,  p.  8,  16,  22. 

(3)  Sur  cet  usage,  voir  M.  Boeckli,  dans  le  Corpus  inscr.  gr.,  t.  I,  p.  313  et  613; 
Franz,  Elem.  epigr.  gr.,  p.  37.'i  ;  Le  Bas,  dans  la  Revue  archéologique,  t.  I,  p.  718,  et 
dans  son  Commentaire  sur  les  Inscriptions  de  More'e,  n.  156. 


17i  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

de  ses  successeurs  (1).  Bien  plus,  le  nom  'Eothwoç  rappelle  celui 
d'un  dème  de  l'Attique,  appelé  'Ecxiaïa. 

Les  difficultés  commencent  avec  la  quatrième  ligne,  mais  là  aussi 
semblent  être  les  indices  qui  nous  aideront  à  mieux  déterminer  la 
valeur  historique  de  notre  petit  monument. 

'AOïjvSç  ne  peut  être  que  le  génitif  singulier  d"A6r|v3  ou  Minerve, 
et  axp  avec' le  signe  d'abréviation  qui  le  surmonte,  abréviation  qui, 
par  une  coïncidence  singulière,  reparaît  fréquemment  dans  les  pa- 
pyrus grecs  où  l'on  a  retrouvé  des  textes  inédits  de  l'orateur  Hypéride, 
ces  quatre  signes,  dis-je,  s'expliquent  naturellement  par  àxpaîaç, 
génitif  de  l'épithète  àxpaîoç,  que  l'on  rencontre  jointe  au  nom  de 
Junon  (^Hpa)  dans  Euripide  (2),  à  celui  de  la  fortune  (Tu-/-/))  dans 
Pausanias  (3),  à  celui  de  Jupiter  (Zeù?)  sur  les  monnaies  de  Smyrne 
et  de  Temnos  (4),  à  celui  des  dieux  (0eoi)  sur  les  monnaies  de  Mi- 
tylène  (o).  Si  'AOïiva  àxpai'a  n'est  pas  la  Minerve  même  de  l'acropole 
d'Athènes,  ce  serait  au  moins  la  Minerve  adorée  sur  l'acropole  de 
quelque  autre  ville  grecque.  Mais  voici  une  observation  qui  va 
rendre  très-vraisemblable  l'attribution  de  tout  ce  texte  à  quelque 
citoyen  d'Athènes.  Le  monogramme  initial  de  cette  quatrième  ligne 
se  décompose  sans  effort  en  :  cp  p  p-ria,  d'où  il  est  facile  de  tirer,  en 
comptant  deux  fois  l'a,  le  mot  cppaxpia.  Les  monogrammes  sont  rares 
sur  les  marbres  antiques,  très-communs,  au  contraire,  sur  les  médail- 
les, et  parmi  les  quatorze  cents  monogrammes  ou  environ  que  je  vois 
recueillis  dans  Mionnet,  parmi  ceux  qu'a  interprétés  notre  savant 
confrère,  M.  Beulé,  dans  son  ouvrage  sur  la  Monnaie  d'Athènes,  je 
n'en  connais  pas  un  qui  se  résolve  d'une  façon  plus  complète  et  plus 
simple,  en  un  mot,  appartenant  h  la  grécité  attique. 

En  effet,  les  phratries,  ou  trittyes,  reste  de  l'ancienne  organisation 
aristocratique  détruite  par  Clislhène,  sont  une  division  civile  et  reli- 
gieuse de  la  tribu  attique,  division  dont  l'unité  reposait  sur  la  com- 
munauté d'un  culte  particulier  à  chacune  d'elles.  Comme  elles  étaient 
au  nombre  de  douze  (trois  pour  chacune  des  quatre  anciennes  tribus), 
on  peut  croire  que  chacune  d'elles  adorait  spécialement  un  des  douze 


(1)  Beulé,  la  Monnaie  d'Athènes,  p.  305,  364:  "A7to».o?àvY](;.  P.  253:  'Eaxicùo;. 
P.  219  :  BacrtXcÉOYi;.  Voir  aussi  les  articles  correspondants  à  ces  noms  propres  dans 
le  Dictionnaire  de  Pape.  On  y  peut  ajouter,  d'après  Ross,  die  Demen  von  Attika, 
inscr.  n.  58,  un  'Auo/Xocpàvriç,  n.  105,  un  Ba<7i),£Îôr,ç,  n.  176,  un  'Eaxiaïoç. 

(2)  Médée,  v.  1369. 

(3)  II,  7,  §  15,  à  Sicyone. 

(4)  Eckhel,  Doctrina,  N.  V.,  t.  II,  p.  497,  508,  543. 

(5)  IbicL,  t.  II,  p.  504. 


OBSERVATIONS    HISTORIQUES,    ETC.  17'i 

grands  dieux  de  l'Olympe.  L'épithète  de  «pporpioç  s'est  déjà  retrouvée 
jointe  aux  noms  de  Jupiter,  de  Minerve,  etc.,  hors  d'Athènes,  il  est 
vrai,  mais  sur  des  monuments  qui  semblent  nous  offrir,  à  cet  égard, 
un  reflet  des  institutions  religieuses  de  l'Attique  (1).  Un  Athénien, 
dans  la  comédie  intitulée  Chiron,  de  Cratinus  le  Jeune,  se  vante  de 
posséder  tous  les  droits  attachés  à  sa  naissance,  et  parmi  ces  avan- 
tages il  place  le  droit  d'honorer  un  Jupiter  (ppatpioç  (2).  Le  temple  où 
se  réunissaient  les  cppaTops?  à  Athènes  s'appelait  cppdrcpiov  (3);  ou  j 
célébrait  des  cérémonies  en  étroit  rapport  avec  les  formalités  prin- 
cipales de  la  vie  civile.  Là-dessus  les  témoignages  abondent,  surtout 
chez  les  orateurs  attiques,  et  parmi  ces  derniers  dans  les  discours 
d'Isée.  Pour  n'en  ci  1er  qu'un  exemple,  l'orateur  qui  prononce  le 
huitième  de  ces  discours  veut  prouver  que  sa  mère  était  tille  légitime 
de  Ciron  : 

«  Cela  se  voit,  dit-il,  et  par  les  actes  de  mon  père  et  par  les  réso- 
«  lutions  que  prirent  au  sujet  de  ma  mère  les  femmes  de  son  dème. 
<(  En  effet,  lorsque  mon  père  se  maria,  il  lit  un  repas  de  noce,  il 
«  appela  trois  de  ses  amis  avec  ses  propres  parents,  et  il  présenta, 
«  selon  l'usage  de  cette  phratrie,  une  victime  nuptiale.  Ensuite  de 
«  quoi  les  femmes  de  ce  dème  désignèrent  ma  mère  avec  la 
«  femme  de  Dioclès  de  Pitthos  pour  présider  aux  Thesmophories  et 
«  partager  avec  elle  le  soin  des  sacrifices.  Puis  notre  père,  dès  notre 
«  naissance,  nous  introduisit  parmi  les  phratores,  et  prêta  serment, 
«  selon  la  loi,  que  nous  étions  nés  d'une  citoyenne  et  en  légitime 
«  mariage.  Aucun  des  phratores  ne  répondit,  ne  contesta  la  vérité 
«  du  fait,  et  ils  étaient  là  beaucoup  qui  vérifiaient  ces  sortes  de  dé- 
«  clarations.  Or  ne  croyez-vous  pas,  si  ma  mère  eût  été  ce  que  veu- 
«  lent  nos  adversaires,  que  mon  père  n'eût  point  osé  ni  célébrer  le 
«  festin,  ni  présenter  la  victime  nuptiale,  et  que,  bien  au  contraire, 
«  il  eût  caché  le  tout  j  que  les  femmes  de  notre  dénie  n'auraient  pas 
«  non  plus  associé  cette  femme  à  celle  de  Dioclès  pour  lui  donner 


(1)  Corpus  inscr.  gr.,  n.  2347  g  (à  Scyros)  ;  n.  2555,  dans  une  ville  de  Crète; 
n.  5785,  5787,  5802,  à  Naples,  où  des  phratries  existaient  comme  à  Athènes.  Cf.  Cor- 
pus, n.  3065  et  suiv.,  phratries  à  Téos;  n.  30C5,  phratries  à  Cyzique.  L'existence  d'un 
mois  çpâxpio;  dans  le  calendrier  des  Cyméens  (Corpus,  n.  352/j)  paraît  avoir  la  même 
cigine.  Pour  les  textes  d'auteurs  grecs,  voir  le  Thésaurus  d'il.  Estienne,  au  mot 
«l'^â-ipio;. 

(2)  Fragment  cité  par  Athénée,  XI,  p.  /j60  F. 

(3)  Pollux,  Oitpm.,  III,  52.  Ce  mot  a  passé  dans  la  langue  latine  sous  la  l'orme 
un  peu  altérée  Aephetrium.  V.  Orelli,  inscript,  lot.,  n.  3787.  Cf.  3720. 


176  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

«  l'intendance  des  sacrifices,  mais  qu'elles  auraient  cherché  quelque 
«  autre  personne  digne  de  leur  confiance;  enfin  que  les  phratores  ne 
«  nous  auraient  pas  admis,  mais  qu'ils  nous  auraient  accusés  et 
«  convaincus  de  mensonge,  s'il  n'eût  été  reconnu  partout  que  notre 
«  mère  était  la  fille  légitime  deCiron  (1)?  » 

Ainsi  l'assemblée,  la  réunion  des  phratores  recevait  et  consacrait 
les  déclarations  de  mariage  et  les  déclarations  de  naissance,  ces  der- 
nières tout  à  fait  distinctes  de  la  reconnaissance  et  de  l'imposition  du 
nom,  qui  avait  lieu  en  présence  de  la  famille  et  de  ses  amis,  tantôt 
sept  jours,  tantôt  dix  jours  après  la   naissance  de  l'enfant  (2). 

Ailleurs,  Isée  nous  montre  que  les  filles  comme  les  garçons  étaient 
soumises  à  cette  formalité  (3);  ailleurs,  que  les  mêmes  formalités 
consacraient  l'adoption;  nous  voyons  qu'il  y  avait  délibération  et  vote 
sur  la  déclaration  du  père  naturel  ou  adoptif,  puis  inscription  sur 
un  registre  spécial,  ypa^aTeTov  (4).  Cela  s'accorde  parfaitement  avec 
le  témoignage  d'Eustathe,  qui  définit  hphratrie  «  un  corps  tenant  re- 
gistre des  naissances  pour  constater  que  les  enfants  sont  citoyens  (5);  » 
avec  les  témoignages  de  Suidas  et  de  quelques  autres  lexicogra- 
phes (6),  qui  nous  apprennent  que  l'inscription  avait  lieu,  à  la  fin 
de  chaque  année,  aux  fêtes  appelées,  peut-être  à  cause  de  cela  même, 
Apaturies,  aux  fêtes  Thargèlies  pour  les  enfants  adoptifs  (7),  et  que 

(1)  Succession  de  Ciron,  §  18  et  suiv.,  où  l'on  remarque  les  expressions  yâ.y.ovç 
ioriSv,  yajj/oXiav  (Ouonav)  el<7SMVpi£Î\  to!ç  çpàxopo-i,  eîç  toù;  çpâiopaç  r][ià;  Eio-ïiyayEv 
ôu.6aaç  xxrà  toù;  v6[aou;  toù;  xei(J.£VOUÇ,  ïj  ji^|v  i%  àdTïjç  xoù  ÈyyuYiTYJ;  yuvouxo;  ilàysiv, 
expressions  toutes  empruntées  au  droit  attique.  Cf.  Aristophane,  les  Oiseaux,  v.  765 
et  1669. 

(2)  Démosthène,  contre  Béotus,  I,  §  22,  24;  Isée,  Succession  de  Pyrrhus,  §  30,  33; 
Harpocration,  au  mot  'EëoojAEuôiAEvoi,  et  autres  textes  réunis  par  Petit,  de  Legibus 
Atticis,  p.  220-222,  éd.  Wesseling. 

(3)  IIIe  discours,  Succession  de  Pyrrhus,  §  73  et  75. 

(Il)  Isée,  discours  VII  [Succession  d'Apollodore),  §  1,  13,  15,  16,  17,  26,  27,  où 
l'on  remarque  les  expressions  légales  ètù  to  ïepà  âyeiv,  elç  toù;  avyyeiéiçàimSsmiûew, 
elç  Ta  xoivà  ypau-jJ-otTEta  Èyypà:pEiv,  EicràyEiv  elç  toùç  çpàxopa;  xoù  elç  toùç  ysvvriTaç  (pour 
ce  dernier  mot,  voyez  plus  bas,  page  180,  n.  1);  Démosthène,  contre  Macartatus, 
§  11  et  suivants. 

(5)  Sur  Ylliade,  p.  735,  49  :  cppdcTopE;-  -  GÛvTtyj.'x  toùç  tixto[aévouç  àTcoypaçôjievov 
wote  çavEpoùç  eTvou  8ti  ttoXÏtou  Eton. 

(6)  'EypaçE-co  8è  rarepoOev  (Cf.  Isée,  VII,  27  :  ottwç  èyypàçwirî  jj.e  0pà<ru),).ov  'AtoM.o- 

ôwpou  eîç  toùç  çpaTOpaç  tyj  twv   'Auaxoupîwv  êoprfl). to   ôè   ypàcpso-Oat  eîç  toùç 

çpâxopa;  arû[j.ëo),ov  ei^ov  tyjc  o-uyyEVEÎaç.  D'autres  textes  sont  réunis  dans  le  Thésau- 
rus d'H.  Estienne,  s.  v.  'AroxTovpia. 

(7)  Etymol.  M.  s.  v.  'ArcaToupta  (sic)...  'ESôxouv  Se  oî  uaïoEç,  irpè  toutou  àTOXTOpsç 
ovteç,  tôte  TtaTEpa;  e^eiv.  Cf.  Xénophon,  Hellenica,  I,  7,  8;  Platon,  Ximée,  p.  21  B. — 
Andocide,  des  Mystères,  §  126  et  suivants. 


OBSERVATIONS    HISTORIQUES,    ETC.  177 

cette  inscription,  faite  avec  mention  expresse  du  nom  paternel,  était 
le  signe  ou  certificat  de  la  parenté.  Le  signe,  <7uij.êoXov,  on  remarquera, 
dans  le  texte  de  Suidas,  ce  dernier  mot,  qui  semble  s'appliquer  de 
lui-même  au  monument  dont  nous  voulons  éclaircir  l'origine. 

Un  plaidoyer  civil  de  Démosthène,  le  premier  discours  contre 
Béotus,  nous  apprend,  en  outre,  que  l'enfant  né  d'une  courtisane 
pouvait  être  également  reconnu  par  son  père  et  inscrit  devant  les 
phratores  sur  le  registre  de  l'état  civil:  un  autre  plaidoyer  qui  porte 
le  nom  du  même  orateur  nous  apprend  une  particularité  plus  cu- 
rieuse encore,  c'est  que  dans  le  cas  du  refus  d'inscription  par  les 
phratores,  il  y  avait  appel  de  leur  décision  devant  les  tribunaux  (1). 
Enfin,  dans  les  cas  où  la  légitimité  n'était  ni  admise,  ni  même  soute- 
nue, la  loi  assurait  encore  à  l'enfant  illégitime  une  sorte  d'inscrip- 
tion régulière  avec  des  formalités  toutes  spéciales  (2). 

La  naturalisation  aussi,  faveur  si  souvent  accordée  par  les  Athé- 
niens à  leurs  bienfaiteurs,  entraînait  inscription  au  registre  de  la 
phratrie.  Vers  le  temps  même  où  je  rapporterais  volontiers  la  plaque 
d'Apollophanes,  les  Athéniens,  voulant  honorer  et  récompenser  Héro- 
dore,  un  étranger  dévoué  à  leur  cause,  décident  qu'il  se  fera  inscrire 
dans  la  tribu,  dans  le  dème  et  dans  la  phratrie  de  son  choix,  et  que 
le  trittyarque  ou  chef  de  la  trittys  fera  exécuter  la  statue  qui  lui  est 
décernée  (3). 

Ajoutons  à  tout  cela  le  Xv)l[iapxuov  Yp<waxetov,  ou  registre  de  majo- 
rité, où  les  jeunes  Athéniens  étaient  inscrits  à  dix-huit  ans,  comme 
capables  d'exercer  leurs  droits  politiques,  de  recueillir  une  succes- 
sion et  d'administrer  leur  fortune  (apx.etv  1%  X^ewç);  que  ce  registre 
était  tenu  par  six  magistrats  ayant  sous  leurs  ordres  trente  collabo- 
rateurs; et  nous  aurons  une  idée  à  peu  près  complète  des  formalités 


(1)  Plaidoyer  contre  iVe'e'ra,  §  59  et  60 

(2)  Diogéoianus,  Proverbiu,  V,  94,  et  Nonnus  dans  un  texte  cité  par  S.  Petit,  de 
Legibus  Atticis,  p.  224. 

(3)  Rangabé,  Antiq.  hellén.,  n.  443.  Même  formule  dans  un  autre  décret,  du 
même  genre  {Ibid.,  n.  447),  en  l'honneur  d'AudoUon,  roi  des  Péoniens,  et  dans  un 
fragment,  ibid.,  n.  2299,  Cf.  Ephém.  archéol.  d'Athènes,  n.  3434,  et  L.  Ross,  die 
Demen  von  Attika,  p.  41,  et  dans  le  Corpus  inscr.  g>\,  n.  101,  une  formule  analogue  : 
xaTavetpat  Sa  aùxàvxat  eiç  Tftaxâoa  r,v  àv  povXïyrai.  De  même  n.  20G0  (décret  des  By- 
zantins), 7nmYp*ptj{Aev  7to6'  &v  xa  OéXy)  twv  ÉxaioorTijwv.  Ces  trentaines  et  ces  centaines 
sont  les  divisions  civiles  du  municipe.  A  Athènes,  et  probablement  au  Pirée  comme 
à  Athènes,  on  voit  par  Pollux  (III,  52),  que  chaque  phratrie  était  divisée  en  trente 
YÉvïi,  d'où  l'expression  yewirriK  signalée  plus  haut,  page  176.  Le  trittyarque  figure 
encore  dans  un  décret  athénien,  n.  2298  des  Antiq.  helléniques  de  Rangabé. 


178  REVUE     ARCHÉOLOGIQUE. 

légales  qui  consacraient,  chez  les  Athéniens,  les  principaux  moments 
de  la  vie  civile  (1). 

Le  nom  même  de  Irittyarque,  que  nous  trouvons  dans  le  décret 
athénien  en  faveur  d'Hérodore,  et  qu'emploient  déjà  Platon  et  l'ora- 
teur Eschine,  nous  rappelle  son  synonyme  (avec  un  sens  plus  spé- 
cialement religieux,  à  ce  qu'il  semble)  le  phratriarque,  qui  figure 
dans  un  discours  de  Démosthène,  et  que  l'auteur  d'un  lexique  ancien 
définit  «  le  chef  d'une  phratrie  ou  partie  de  la  tribu  divisée  en 
trois  (2).  »  Ce  rapprochement  nous  ramène  à  la  plaisanterie  d'Aris- 
tophane, dont  il  semble  que  nous  allons  mieux  comprendre  le  sens. 
Car  les  colœarques  et  les  ornitharques  sont  d'évidents  travestisse- 
ments du  chef  religieux  et  civil  qui  présidait  aux  actes  collectifs 
d'une  division  municipale  dans  Athènes,  et  qui,  à  ce  titre,  connais- 
sant mieux  que  personne  les  citoyens  inscrits  sur  les  registres,  était 
appelé  à  leur  délivrer  leur  carte  civique  pour  les  actes  de  la  vie  où 
cette  pièce  pouvait  être  utile  ou  nécessaire. 

Si  chacune  des,  phratries  ou  triityes  avait  un  chef,  portait-elle  un 
nom  distinct?  On  doit  le  croire,  et  deux  de  ces  noms  paraissent  indi- 
qués sur  les  monuments  d'Athènes.  Un  fragment  qui  provient  des 
papiers  de  Fourmont  (3)  est  ainsi  conçu  : 

l]EPON 
AII0AAQN02 
EBAOMEI[OY 
OPATPIA2 
AXNIAAQN 

«    lepov    AttoXXwvo;  l6oo|j.£iou"  cpparpiaç  'A-/vtaôîov.  »  C'est  1  inscription 

d'un  lieu  consacré  à  Apollon,  où  les  membres  d'un  phratrie,  les 
Achnmles  (s'il  n'y  a  pas  erreur  sur  le  nom  propre),  célébraient  les 
fêtes  du  septième  jour  $  êêSo^),  c'est-à-dire  précisément  du  jour  où 
l'on  donnait  un  nom  au  nouveau-né,  jour  dont  le  souvenir  même  est 


(1)  Isée,  discours  Vil  {Succession  d'Apollodore),  §  27,  28;  Eschine,  contre  Ti- 
iimrque,  §  18,  et  la  note  du  scoliaste  sur  ce  passage;  Pollux,  VIII,  104;  Harpocra- 
tion,  au  mot  Ar^tap/ixov  ypajj.ij.aTcîov.  Sur  les  sacrifices  et  les  repas  qui  accompa- 
gnaient  cette  solennité,  voir  le  scoliaste  d'Aristophane  sur  les  Grenouilles,  v.  798. 

(2)  Bekker,  Anecdota  greeca,  313,  27,  où  le  texte  offre,  comparé  aux  textes  déjà 
cités,  la  variante  ypairopia  pour  ypxrpia,  d'où  sfaxoptap/o:.  Voir,  pour  plus  de  détail, 
le  Thésaurus  d'H.  E«tienne,  aux  mots  Tptrrjapxo;  et  tl>paTpîapy_o:. 

(3)  Corpus  inscr.  gr.}  n.  463.  Cf.  le  commentaire  de  M.  Boeckh  sur  le  n.  82. 


OBSERVATIONS    HISTORIQUES,    ETC.  179 

en  étroit  rapport  avec  les  cérémonies  religieuses  et  civiles  de  la 
phratrie  (1). 

Un  autre  fragment  qui  n'a  été,  je  crois,  publié  jusqu'ici  que  par 
M.  Rangabé  (2),  contient,  après  quelques  lignes  incomplètes  d'un 
acte  financier,  les  mots  : 

EIIAKPEÎÎN  •  TPITTY0[2 

'Eraupétov  xpiTxuo?,  et  comme  ce  fragment  provient  de  l'acropole,  il  esl 
difficile  d'y  méconnaître  le  nom  de  la  trittys  qui  répondait  à  la  ville 
haute  d'Athènes,  peut-être  de  celle  même  qui  adorait  spécialement 
une  Minerve  HoXiaç  (on  sait  queTO'Xiçest  un  ancien  synonyme  d'dbcpo- 
izokiç)  ou  axpaia  (3).  La  coïncidence  de  ces  renseignements  avec  la 
quatrième  ligne  de  notre  plaque  n'est-ellc  pas  bien  frappante?  Un 
témoignage  de  l'orateur  Eschine  la  rendra  plus  frappante  encore. 
Justifiant  sa  famille  des  imputations  malveillantes  et  peut-être  calom- 
nieuses dont  elle  était  l'objet,  l'orateur  avoue  que  son  père  a  exercé 
le  métier  d'athlète;  mais  il  ajoute  «  qu'il  a  servi  dans  les  armées 
«  d'Asie,  qu'il  s'y  est  distingué,  qu'il  était,  par  sa  naissance,  de  la 
«  phratrie  qui  partage  le  culte  des  Etéobutades,  et  qui  est  en  pos- 
«  session  de  fournir  la  prêtresse  de  Minerve  Poliade  (4).  » 

Ainsi  dans  ces  antiques  divisions  de  la  cité  athénienne,  comme 
dans  celles  de  la  cité  romaine,  se  montre  l'étroite  alliance  de  la  reli- 
gion et  de  la  vie  civile.  Outre  le  culte  public  et  national,  il  y  a  le 
culte  plus  particulier  qui  rappelle  ce  que  l'on  nommait,  à  Rome,  les 
sacra  gentilicia  (5).  C'est  à  cette  religion  des  antiques  familles  que 
se  rapportent  et  les  confréries  d'orgéons,  dont  l'objet  et  l'organisation 
commencent  à  nous  être  mieux  connus,  grâce  à  quelques  documents 


(1)  Voir  le  Thésaurus  d'H.  Estienne,  au  mot  cE63o[xaY£vr;c,  et  la  dissertation  de 
Petersen,  Ueber  die  Geburtstagsf'eier  bei  den  Griechen  (Leipzig,  1858,  in-8°). 

(2)  Antiquités  helléniques,  n.  448,  où  sont  réunis  et  discutés  par  l'habile  éditeur 
les  principaux  textes  anciens  relatifs  à  ces  divisions  municipales  d'Athènes.  Pour 
plus  de  détails  sur  l'histoire  de  cette  organisation  de  la  cité  athénienne,  V.  SchiJmann, 
Griechische  Alterthibner,  t.  I,  p.  39,  318  et  suiv.,  365,  et  t.  II,  p.  484;  et  l'impor- 
tante inscription  publiée  par  Ross,  die  Demen  von  Attika,  p.  26. 

(3)  Pollux,  IX,  40  (déjà  cité  par  Eckhel  à  propos  des  Os&î  àxpaîoi)  :  Ta  5;  ôr,tj.6cria... 
àx.pÔTïo),iç  r,v  xai  àxpav  av  eÏttoi;  xai  TtoXiv,  xai  toùç  èv  aù-r,  Osoù;  àxpaiouç  xai  tioXieï;- 
Sur  tcô>.iç,  dans  le  sens  de  citadelle,  voyez  Franz,  Elem.  epiyr.gr.,  p.  132,  134,  315. 

(4)  Eschine,  de  l'Ambassade,  §  147. 

(5)  Tite-Live,  V,  52  Cf.  Hugo,  Hist.  du  droit  romain,  $  197,  où  se  trouve  expliqué 
un  usage  singulier  de  la  coemtio,  relatif  aux  sacra  primda,  et  que  mentionnent, 
plus  ou  moins  directement,  Plaute,  Bacchides,  IV,  9,  53;  Cicéron,  ad  Dù\,  VII,  29, 
et  pro  Murena,  c.  12. 


180  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

épigraphiques  récemment  découverts  (1),  et  les  ôiacoi  ou  confréries 
de  ôiaswTai  qui,  comme  la  phratrie,  n'étaient  ouvertes  qu'aux  vrais 
citoyens  d'Athènes,  de  façon  que  la  participation  à  leurs  actes  reli- 
gieux devenait  un  signe  de  naissance  légitime  et  d'inscription  régu- 
lière dans  la  cité,  comme  on  le  voit  encore  par  le  témoignage  des 
orateurs  attiques  (2). 

Tous  ces  indices  réunis,  il  manque,  si  je  ne  me  trompe,  bien  peu 
de  chose  à  l'interprétation  du  petit  monument  qui  fait  le  sujet  prin- 
cipal de  nos  recherches,  et  pour  résumer  ces  recherches  en  quelques 
mots,  l'inscription  de  notre  plaque  peut  être  traduite  ainsi  sans  trop 
de  hardiesse  ; 

Apollophanes 
fils  d'Hestiœus 
petit-fils  de  Basilidès. 
Phratrie  de  la  Minerve  Acrsea(ou  de  l'Acropole). 

Il  reste  pourtant  à  expliquer  comment  cette  pièce,  que  nous  sup- 
posons d'origine  athénienne,  nous  revient  des  côtes  de  Phénicie?  A 
cette  question,  il  est  d'abord  facile  de  répondre  qu'un  monument 
aussi  portatif  peut,  sans  nul  soupçon  de  fraude,  se  rencontrer  bien 
loin  du  pays  où  il  a  été  fabriqué.  D'ailleurs,  les  Athéniens  étaient  en 
rapports  fréquents  de  commerce  et  même  de  religion  avec  les  côtes 
de  la  Syrie.  Les  monuments  funéraires  d'Athènes  offrent  plusieurs 
exemples  d'inscriptions  bilingues,  moitié  grecques,  moitié  phéni- 
ciennes (3).  Plusieurs  Grecs  de  Sidon  et  de  Tyr  figurent  sur  les  mar- 
bres de  l'ancienne  Grèce  et  particulièrement  sur  ceux  d'Athènes  (4). 
Une  belle  inscription  de  Délos  nous  montre  la  corporation  religieuse 


(1)  Lexicon  ap.  Bekker,  Anecd.  gr.,  p.  286  :  'Op-yswvsç  ■  cuv-rayu-â  xi  àvopwv 
ôdiovSï],  wç  10  twv  y£vvr,Tâ)v  xat  çpaTÔpwv.  Cf.  l'article  d'Harpocration  sur  le  même- 
mot,  article  où  est  cité  un  discours  d'Isée,  upoç  'Opyswva;,  dont  il  reste  quelques 
fragments.  Rangabé,  Antiq.  hellén.,  t.  II,  n.  809,  815,  1298.  Un  fragment  inédit 
de  décret  d'une  de  ces  confréries  est  publié  dans  le  Philopatris  d'Athènes  du  1er  mars 
1859. 

(2)  Isée,  Discours  IX  (Succession  d'Astyphilus),  §  30,  où  la  participation  aux 
ÛîaToi  d'Hercule  est  invoquée  comme  une  preuve  de  possession  d'état.  Sur  les 
6{a<KH,  cf.  Corpus  inscr.  grœc,  n.  109  et  suiv. 

(3)  Corpus  inscr.  grœc,  n.  859  et  894  (la  première  de  ces  inscriptions  est  au 
musée  du  Louvre);  Éphémérides  archéol.  d'Athènes,  n.  574.  Cf.  Ibid.,  n.  536,  frag- 
ment d'un  monument  semblable  dont  il  ne  reste  plus  que  le  texte  phénicien  et  une 
lettre  du  grec. 

(4)  Rangabé,  Antiquités  hellén.,  n.  750  b  1966,  2291;  et  963,  967,  1976. 


OBSERVATIONS    HISTORIQUES,    ETC.  181 

des  marchands  et  mariniers  de  Tyr,  adorateurs  de  l'Hercule  tyrien. 
demandant  et  obtenant,  à  Athènes,  le  droit  d'élever  un  sanctuaire  à 
la  divinité  qu'ils  honorent  d'un  culte  spécial  (1).  On  a  conservé  le 
titre  et  un  fragment  d'un  discours  de  Dinarque,  concernant  le  débat 
qui  s'était  élevé  entre  les  Phéniciens  (  t  les  habitants  de  Phalère  au 
sujet  de  la  prêtrise  d'un  temple  de  Neptune  (2).  Un  acte  déjà  cité 
plus  haut  nous  apporte  ici  un  témoignage  plus  précieux  encore  : 
c'est  le  traité  de  bonne  amitié  conclu  par  les  Athéniens,  sur  la  pro- 
position de  Céphisodote,  au  temps  de  Démosthène,  avec  Straton,  roi 
des  Sidoniens.  Après  les  conventions  d'usage,  cet  acte  prescrit  en 
propre  termes  que  le  sénat  fera  faire  des  symbola  pour  servir  à 
reconnaître  les  agents  respectifs  d'Athènes  chez  le  roi  des  Sidoniens, 
et  des  Sidoniens  auprès  des  autorités  athéniennes  (3).  Ne  serait-on 
pas  tenté  de  croire  que  notre  plaque  soit  un  de  ces  symbola?  Le 
caractère  un  peu  mystérieux,  à  première  vue,  du  monogramme  que 
nous  interprétons  par  cppa-rpta  s'accorderait  assez  bien  avec  l'idée  d'un 
signe  de  reconnaissance  servant  pour  accréditer  un  agent  du  sénat 
d'Athènes  auprès  d'un  roi  étranger.  Mais  je  n'ose  m'arrèter  à  cette 
conjecture,  trop  séduisante  peut-être  pour  qu'on  Fadmette  sur  de 
simples  vraisemblances. 

Les  vraisemblances,  d'ailleurs,  ne  sont  pas  toutes  en  faveur  de 
cette  conjecture.  En  effet,  d'abord  la  présence  du  c  dit  sigma  lunaire 
sur  notre  bronze  (4)  indique  une  date  plus  récente  que  celle  où 
M.  Boeckh  croit  pouvoir  rapporter  l'acte  conclu  avec  le  roi  de  Sidon 
(entre  l'olympiade  101  et  l'olympiade  103).  Ensuite,  le  seul  monu- 
ment connu  jusqu'ici  qui  réponde  exactement  au  symbolon  men- 
tionné par  le  décret  athénien,  est  une  main  de  bronze  trouvée,  à  ce 
que  l'on  croit,  dans  les  environs  de  Marseille  et  qui  porte,  en  carac- 


(1)  Corpus  inscr.  grœc,  n.  2271,  inscription  qu'il  peut  être  utile  de  comparer 
avec  un  monument  de  Puteoli  {Corpus,  n.  5853),  attestant  des  rapports  semblables 
entre  une  ville  grecque  de  l'Italie  et  la  métropole  de  la  Syrie  ;  et  avec  le  n.  809  des 
Antiq.  hellén.  de  M.  Rangabé,  où  nous  voyons  attesté  le  culte  de  l'Apbrodite  sy- 
rienne dans  un  temple  d'Athènes. 

(2)  Denys  d'Halicarnasse,  sur  Dinarque  ;  Harpocration,  au  mot  'AXôtty). 

(3)  Corpus  inscr.  grœc.,  n.  87  :  ïloirp&aQia  Se  xat  OTJjxêoXa  r,  pov).r,  itpàç  -rôv  (îa<7i)ia 
tov  Stowviwv,  Ô7KOÇ  àv  6  5f|jAo;  6  'AOïjvatwv  elSïp  ëâv  xi  izépii-Q  ô  SiSwvîwv  paaiXeù; 
Seojasvo;  tyjç  uô).£w;,  xat  6  paaiXeùi;  ô  Siowviwv  zlo%  ôtav  mf^71?)  *ivà  û>;  afrràv  6  89j[iOç  6 
'A6r)va£wv.  Cette  expression  nowjffat  ou  TOty^aTOat  av^êola.  upô;  est  précisément  celle 
qu'on  retrouve  deux  fois  dans  le  VI^  papyrus  grue  de  Londres,  lignes  36  et  62. 

(h)  Il  est  vrai  que  des  formes  arrondies  déjà  fort  analogues  au  sigma  lunaire  se 
rencontrent  sur  les  monnaies  d'Athènes  dès  le  tem;  s  des  premières  séries  à  mono- 
grammes. Voir  M.  Reulé,  Monnaie  d'Athènes,  p.  162. 


[82  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

tèrcs  du  troisième  siècle  avant  J.C.  ou  environnes  trois  mots  :  oufiêoXov 
■xpo?  OùeXauviou?.  Rapproché  des  textes  de  Xénophon,  qui  dit  Seîjtiç 
oepEiv  ou  icépiceiv,  de  Tacite  qui  dit  :  dextrœ,  hospitii  insigne,  et  ail- 
leurs: dextras,  concordiœ  insignia  syriaci  exercitus  nomine  ad  prœ- 
torianos  ferentem.  le  monument  de  Marseille  (i)  autorise  3  croire  que 
ces  témoignages  de  la  bonne  amitié  entre  deux  peuples  ne  portaient 
pas  le  nom  de  la  personne  appelée  à  s'en  servir  comme  d'une  marque 
de  créance.  C'était  donc  quelque  main  de  bronze  ou  autre  figure 
semblable  que  les  Athéniens  devaient  faire  fabriquer  pour  être  le 
signe  ou  le  symbole  (ici  le  mot  peut  être  employé  avec  son  acception 
moderne)  de  leur  bonne  amitié  avec  le  roi  de  Sidon.  Le  bronze 
d'Apollophanes  ne  répond  pas  précisément  à  cette  destination. 
Enfin,  dans  tous  les  actes  politiques,  décrets  du  sénat  et  du  peuple, 
décrets  des  tribus  (<puXa(),  décret  des  dénies,  dans  les  inscriptions 
funéraires  (et  les  monuments  authentiques  de  ce  genre  se  comptent 
aujourd'hui  par  centaines,  presque  par  milliers),  le  cilo\en  d'Athènes 
n'est  jamais  désigné  que  par  son  propre  nom,  celui  de  son  père  et 
celui  du  dème  auquel  il  appartenait.  C'est  même  à  cet  usage  que  nuus 
devons  d'avoir  retrouvé  les  noms  de  presque  tous  les  dénies  de  l'At- 
tique  (2).  L'absence  de  toute  indication  relative  à  la  phratrie,  sui- 
des monuments  si  nombreux  et  si  divers,  ne  peut  être  accidentelle. 
Elle  ne  l'est  pas  non  plus  sur  ce  petit  bronze  du  Musée  britannique, 


» 


qui  porte,  en  caractères  du  temps  des  Séleucides  :  'AvTiyovo,-  'Hçisîovtoç 
KuviT»]ç  (3).  Cela  s'accorde  très-nettement  avec  un  témoignage  précis 
de  Démosthène  (4),  et  cela  tient  sans  doute  à  ce  que,  dans  l'organi- 

(1)  Corpus  inscr.  grœc,  n.  6778.  Cf.  Xénophon,  Anabase,  II,  4,  §  1  ;  Agési/as, 
III,  4  ;  Tacite,  Histoires,  III,  4  et  II,  8;  textes  déjà  rapprochés  du  (j'jfAëoXov  gallo-grec 
par  l'éditeur  berlinois. 

(2)  Voir  les  Recherches  sur  la  topographie  des  dèmes  de  l'Attigue,  par  C.  Han- 
riot.  1853,  in-8°. 

(3)  L'empreinte  m'en  a  été  communiquée  par  mon  honorable  confrère,  M.  Cureton. 
M.  Birch  ne  connaît  pas  la  provenance  de  ce  petit  monument,  qui  paraît  être  inédit. 

(4)  Contre  Béotus,  I,  §  7  et  suiv. 


OBSERVATIONS    HISTORIQUES,    ETC.  18i> 

sation  républicaine  d'Athènes,  la  tribu  et  le  dème  étaient  les  vraies,  les 
seules  subdivisions  politiques  de  la  cité.  La  phratrie  et  sa  subdivision 
en  familles  ou  races  (yÉvri)  ne  s'étaient  maintenues  que  comme  institu- 
tions civiles  et  religieuses.  Ce  qui  est  certain,  c'est  que  l'inscription 
parmi  lesdémotes  était  distincte  de  l'inscription  parmi  les  phratores. 
Il  y  a  donc  lieu  de  croire  que  la  mention  d'un  nom  de  phratrie  sur 
la  pièce  qui  nous  occupe  répond  à  quelque  destination  spéciale  dans 
Tordre  civil  et  religieux.  Cette  pièce  n'est  pas  une  marque  de  créance 
pour  servir  à  l'envoyé  d'Athènes  auprès  d'une  ville  étrangère;  ce 
n'est  pas  la  simple  carte  civique  ou  ya)ocE~ov  dont  parle  l'auteur  du 
premier  discours  contre  Béotus  (à  celle-ci  répond,  trait  pour  trait,  le 
petit  bronze  du  Musée  britannique)  ;  c'est  plutôt  la  carte  d'un  phrator 
qui  voulait  se  faire  reconnaître  de  ses  compatriotes  et  confrères  à 
l'étranger,  pour  prendre  part  avec  eux  aux  actes  pieux  que  prescri- 
vaient les  règlements  de  leur  corporation.  La  langue  altique  avait 
aussi  un  verbe  (cpparpiÇsiv  ou  cpparptoféeiv)  pour  cet  exercice  des  droits 
et  cet  accomplissement  des  .devoirs  communs  aux  membres  d'une 
même  phratrie  (1);  et  le  fragment  de  Cralinus  le  Jeune,  que  j'ai 
déjà  cité  plus  haut,  représente  piécisément  un  Athénien  qui  vient  se 
faire  ainsi  reconnaître  des  membres  de  sa  phratrie. 

Que  si  l'on  tenait  à  grossir  le  personnage  de  notre  Apollopbanes, 
on  pourrait  remarquer  encore  que  du  monogramme  gravé  sur  son 
symbolon  on  dégage  assez  facilement  une  lettre  et  même  deux  lettres 
de  plus  que  nous  n'avons  fait  jusqu'ici,  je  veux  dire  un  X  et  un  0. 
Cela  permettrait  d'allonger  le  mot  représente  par  ce  monogramme  et 
de  considérer  Apollopbanes  comme  un  ^paxpiap/oç,  c'est-à-dire,  pour 
nous  autres  Parisiens,  à  peu  près  comme  un  maire  d'arrondisse- 
ment. 

Mais  qu'importe,  après  tout,  que  cette  petite  plaque  de  bronze  soit 
la  carte  .civique  d'un  simple  phrat  or  ou  d'un  chef  de  phratrie?  Un 
intérêt  plus  sérieux  s'attache  aux  souvenirs  mêmes  qu'elle  réveille. 
L'Apollophanes  que  nous  retrouvons  ici  n'est  probablement  aucun 
de  ceux  qui  nous  sont  déjà  connus  pour' avoir  fait  quelque  ligure. 
en  Grèce,  dans  les  sciences  ou  dans  les  lettres.  Ce  n'est  ni  le  poêle 
comique,  ni  le  philosophe  pythagoricien  ou  stoïcien,  ni  le  rhé- 
teur, ni  le  médecin  (2).  C'est  un  de  ces  nombreux  et  obscurs  per- 


(1)  Voir  l'important  fragment  d'une  loi  athénienne  cité  par  Ilarpocration,  au  mot 
NavtoôÉxou. 

(2)  Fabrioins,  Bibliotheea  grœca,  t.  I,  p.  831  ;  II,  p.  Û22;  III,  p.  5/iO;  VI,  p.  123, 
éd.  llailes. 


184  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

sonnages  qui  doivent  au  hasard  d'attirer  un  instant  sur  eux  la 
tardive  attention  de  la  postérité.  Mais  l'ensemble  des  sages  institu- 
tions dont  nous  avons  retrouvé  à  cette  occasion  le  témoignage,  soit 
dans  les  écrivains,  soit  sur  les  monuments  d'Athènes,  forme  un  ta- 
bleau curieux  pour  l'observateur  philosophe.  Il  manque  beaucoup 
encore  à  la  précision  de  Y  état  civil  chez  les  Athéniens;  mais  on  y 
remarque  la  vive  empreinte  de  leur  démocratie,  on  y  voit  déjà  l'es- 
prit môme  de  cette  civilisation  savante  dont  nous  sommes  les  héri- 
tiers. Ces  déclarations  de  naissance  qui  se  font  en  présence  d'un 
corps  de  citoyens  liés  entre  eux  par  une  lointaine  communauté  du 
sang  et  par  la  communauté  plus  durable  du  culte  ;  cet  examen  scru- 
puleux des  témoignages,  ce  vote  après  l'examen,  voilà  bien  des 
règlements  du  législateur  qui  voulait  que,  par  tous  les  actes  de  la 
vie  civile  comme  de  la  vie  politique,  l'Athénien  fût  sans  cesse  en 
haleine,  si  je  puis  ainsi  dire,  sans  cesse  attentif  à  ses  devoirs  comme 
à  ses  droits,  gardien  jaloux  de  la  pureté  de  sa  race  et  des  libertés  de 
sa  patrie.  Ces  cérémonies  religieuses  qui  accompagnent  l'inscrip- 
tion au  registre  de  l'état  civil  et  la  constatation  du  mariage,  voilà 
bien  l'esprit  d'une  société  que  troublaient  beaucoup  de  passions,  que 
déshonoraient  beaucoup  de  vices,  mais  où  nous  admirons  aussi  le 
continuel  effort  de  la  conscience  et  de  la  loi  pour  les  combattre. 
Tant  de  formalités,  tant  de  serments  et  d'écritures,  n'est-ce  pas  l'es- 
prit même  de  nos  codes  modernes,  qui  témoignent  de  leur  respect 
pour  la  personne  humaine  en  assurant,  par  mille  précautions  et 
mille  garanties,  les  constatations  d'identité  si  nécessaires  à  l'ordre 
public,  au  gouvernement  des  familles,  à  la  justice.  Je  ne  sais  même, 
en  cela,  si  les  Romains,  ces  scrupuleux  juristes,  ont  eu  tous  les 
scrupules,  imité  toutes  les  formalités  de  la  loi  athénienne.  Il  semble 
du  moins  qu'ils  aient  de  tout  temps  attribué  à  la  preuve  testimoniale 
une  importance  plus  grande  encore  que  celle  qu'elle  avait  dans  le 
droit  attique.  On  voit  chez  eux,  de  bonne  heure,  c'est-à-dire  dès  le 
règne  de  Servius  Tullius,  l'essai  d'une  constatation  annuelle  du 
nombre  des  naissances,  des  majorités  et  des  décès  (1).  L'état  mor- 
tuaire, un  peu  confondu  avec  le  service  des  pompes  funèbres,  nous 
apparaît,  sous  la  république,  comme  une  administration  régulière 
(rationes  Libitinœ)  qui  pouvait  venir  en  aide  et  servir  de  contrôle 


(1)  Denys  d'Halicarnasse,  Antiquités  romaines,  IV,  15,  qui  déclare  écrire  d'après 
le  vieil  annaliste  L.  Pison.  Cf.  Polybe,  II,  23,  §  9  et  24,  §  10:  àTtoypacpai  et  xaTtx- 
ypasal  twv  èv  r,/.-.y.iai;  «  registres  des  Italiens  en  état  de  porter  les  armes.  » 


OBSERVATIONS   HISTORIQUES,    ETC.  185 

aux  opérations  du  cens  (i).  Dès  le  premier  siècle  rie  l'empire,  le 
registre  des  naissances  était  tenu  par  le  préteur,  et  devait  êtresur- 
'  tout  invoqué  par  les  pères  qui  réclamaient  le  bénéfice  de  la  loi  pour 
avoir  donné  trois  enfants  à  l'État  (jus  trium  liberorum).  Ce  registre 
était  déposé  aux  archives  publiques  (2).  Une  loi  de  Marc-Aurèle 
régularisa  pour  Rome  et  élendit  aux  provinces  l'usage  de  la  décla- 
ration obligatoire  devant  un  magistrat  dont  le  registre  faisait  auto- 
rité (3),  et  nous  savons  par  un  texte  précis  d'Apulée  que  le  registre 
des  naissances  portait,  outre  le  nom  des  parents  et  celui  de  l'enfant, 
la  date  marquée  par  le  nom  des  consuls  et  la  signature  de  l'officier 
public  (4).  Néanmoins  il  est  curieux  de  voir  combien,  dans  les 
codes,  ces  témoignages  écrits  sont  rarement  invoqués;  dans  le  cas 
même  où  ils  le  sont,  leur  autorité  n'est  pas  péremploire  et  ne  sup- 
plée pas,  comme  chez  nous,  à  mainte  autre  preuve.  Pour  la  preuve 
du  mariage  surtout,  l'absence  d'écritures  authentiques  ressort  d'une 
foule  de  textes  précis  des  jurisconsultes  et  des  princes  (5).  A  cet 
égard  les  dissemblances  de  la  loi  athénienne  nous  frapperont  d'au- 
tant plus  si  nous  admettons,  avec  beaucoup  d'auteurs  anciens,  que 
la  loi  môme  des  Douze  Tables,  ce  vieux  monument  du  droit  répu- 
blicain, ait  été  rédigée  d'après  les  lois  de  Solon. 

En  deux  points  seulement  les  deux  législations  se  rencontrent. 
D'abord  toutes  deux  ont  pour  objet  de  protéger  la  cité,  de  préserver 
la  famille  de  tout  mélange  d'un  sang  étranger;  puis  elles  s'ac- 
cordent dans  un  égal  dédain  pour  la  condition  de  l'esclave.  L'état 
civil,  chez  les  nations  chrétiennes,  a  donc  sur  les  règlements  qui  y 
répondent  chez  les  Grecs  et  chez  les  Romains  l'incontestable  avan- 


(1)  Tite  Live,  XL,  19;  XLI,  21  ;  Suétone,  Néron,  c.  39.  Cf.  Horace,  Satires.  II,  6, 
v.  19. 

(2)  Juvénal,  Satires, IX,  83-84  et  la  note  du  scoliaste  sur  ce  passage;  Jules  Capi- 
tolin,  les  Trois  Gordiens,  c.  4;  Digeste,  XXII,  3,  1.  29  ;  Code  Just.,  IV,  21, 
1.  6;  V,  k,  1.  9.  Les  textes  de  Suétone,  Tibère,  c.  5,  et  Caligula,  c.  9,  se  réfèrent 
plutôt  à  l'autorité  du  Journal  de  Rome,  en  l'absence  de  la  professio  natalis  ;  de 
môme  le  texte  de  Dion  Cassius,  XLVII1,  hh.  Au  contraire,  Lampride,  Diadumène, 
c.  6,  mentionne  certainement  le  registre  des  naissances,  ce  qu'un  texte  grec  du 
Digeste  (XXVII,  1,  1.  1,  §  1)  appelle  TcaiSoYpaçîat. 

(3)  J.  Capitolin,  Antonin  le  Philosophe,  c.  9.  Cf.  Digeste,  XXII,  3,  I.  29. 

(Il)  Apologia,  c.  89.  Cf.  Servais,  ad  Georgica,  II,  502,  texte  que  M.  V.  Le  Clerc 
paraît  avoir,  le  premier,  signalé  à  l'attention  des  critiques  dans  son  savant  ouvrage 
sur  les  Journaux  chez  les  Romains,  p.  200. 

(5)  Code  Just.,  V,  h,  1.  9,  13  et  22;  Digeste,  XXIII,  1,  1.  7;  Cf.  XX,  1,  U  et  5  ; 
Gaius,  Instit.,  I,  112;  textes  qui  m'ont  été  obligeamment  indiqués  par  M.  G. 
Boissonade. 

iv.  13 


186  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE 

tage  d'une  protection  plus  égale  des  personnes,  comme  il  a  celui  de 
constater  avec  une  exactitude  plus  durable  les  droits  et  les  devoirs 
qui  dérivent  des  rapports  que  la  naissance  et  le  mariage  établissent 
entre  les  citoyens.  Mais,  nous  ne  pouvons  l'oublier,  et  ce  contraste 
porte  avec  lui  son  enseignement,  la  régularité  dont  aujourd'hui 
nous  sommes  justement  fiers  est  elle-même  de  date  assez  récente. 
On  en  peut  voir  les  preuves  dans  le  mémoire  qu'a  publié  naguère 
sur  ce  sujet  M.  Berriat  Saint-Prix.  Longtemps  l'Église  a  seule  tenu 
registre  de  l'état  des  personnes,  et  cela  presque  uniquement  à  l'occa- 
sion des  sacrements  qu'elle  administrait;  et  cette  prédominance  de 
l'Église  a  pu  suspendre  pendant  près  d'un  siècle  l'action  utile  de  la 
loi  pour  les  sectes  dissidentes.  L'ordonnance  de  Villers-Cotterets, 
en  1539,  et  celle  de  Blois  en  1579;  puis  les  éditsde  1667  et  de  1736; 
enfin  les  lois  qui  précèdent  ou  suivent  de  près  la  révolution  de  1789, 
marquent  les  vicissitudes  et  les  lents  progrès  d'une  institution  dont 
les  bienfaits  nous  frappent  moins  peut-être  qu'ils  ne  devraient  le 
faire,  parce  que  nous  ne  songeons  plus  aux  laborieux  efforts  qu'elle 
a  causés (1). 

E.  Egger. 


(i  )  Voir  les  Recherches  de  M.  Berriat  Saint-Prix  sur  la  législation  et  la  tenue 
des  actes  de  l'état  civil  depuis  les  Romains  jusqu'à  nos  jours,  t.  IX  des  Mémoires  de 
la  Société  des  antiquaires,  p.  245-293;  et  l'ouvrage  du  docteur  J.  N.  Loir  sur  l'état 
civil  des  nouveau-nés.  Paris,  1854,  iu-8°. 


NOTE 

SUR  LE  COMMERCE  EN  GAULE 

AU  TEMPS  DE  DAGOBERT 


d'après  des  diplômes  mérovingiens 


Parmi  les  diplômes  de  Dagobert  Ier  qui  nous  ont  été  conservés,  il 
en  est  un  relatif  à  l'abbaye  de  Saint-Denys  qui  nous  parait  offrir  de 
précieux  renseignements  sur  le  commerce  pendant  le  règne  de  ce 
prince  et  sur  les  impositions  dont  les  marchandises  étaient  frap- 
pées vers  le  milieu  des  temps  mérovingiens.  Ce  diplôme,  dontMabil- 
lon  a  bien  établi  contre  Lecointe  (1)  l'authenticité  et  que  vient  en 
outre  confirmer  un  passage  des  Gesta  Dagoberti  (2),  a  élé  publié  par 
Doublet  dans  son  Histoire  de  l'abbaye  de  Saint-Denys  (3),  reproduit  par 
dom  Bouquet  au  tome  IV  des  Historiens  de  France  (4),  puis  édité  de 
nouveau  par  M.  Pardessus,  continuateur  de  Bréquigny  et  de  Laporte- 
Dutheil  pour  la  collection  des  Chartes  et  diplômes  (5).  Il  est  daté 
de  Gompiègne,  à  la  deuxième  année  de  Dagobert  (en  Neustrie),  629. 
Son  style  a  toute  la  barbarie  du  langage  de  ce  temps  :  confusion, 


(1)  Mabill.,  Annal.  Benedict.,  1. 1,  p.  345.—  Lecointe,  Annal,  eccles.,  t.  II,  p.  824. 

(2)  Annuale  mercatumquod  fit  post  festivitatem  ipsorum  excellentissimoruro  mar- 
tyrum  prope  idem  monasterium  eideui  sancto  loco...  Dagobertus  concessit.  Gesta 
Dag.,  XXXIV;  dans  les  Hist.  de  France^  t.  II,  p.  588. 

(3)  P.  655. 

(4)  P.  627.  % 

(5)  Diplomata  et  Chartœ,  t.  II,  p.  4  et  5. 


188  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

altération  des  mots,  oubli  de  la  syntaxe;  cependant  il  est  moins 
inintelligible  et  un  peu  moins  en  décomposition  que  les  diplômes  du 
siècle  suivant.  En  voici  une  traduction  avec  le  texte  en  note  (1)  : 


DIPLÔME  DE    DAGORERT    Ier,   ROI    DES    FRANCS,    INSTITUANT    UN   MARCHÉ 
A  SAINT-DENYS,  629. 

«  Dagobert  roi  des  Francs,  homme  illustre,  aux  comtes  Reuthon, 

«  Vuliîon,  Raucon,  et  à  tous  nos  agents,  vicaires,  centeniers  et  autres 

«  administrateurs  de  notre  État  :  Que  votre  sollicitude  et  votre  pru- 

«  dence  sachent  que  nous  avons  voulu  instituer  en  l'honneur  de  notre 

«  seigneur  et  glorieux  patron,  Denys,  un  marché  annuel,  à  l'époque 

«  de  la  messe  du  7  des  ides  d'octobre,  pour  les  négociants  de  notre 

«  royaume   et  ceux   d'outre-mer.-  Ce  marché  sera  établi   sur   la 

«  voie  qui  aboutit  à  Paris,  au  lieu   appelé  Pasellus  S.  Martini. 

«  Que  tous  nos  envoyés  sachent  que  les  marchands  venant  à  ce 

«  marché,  de  toutes  les  cités  de  notre  royaume,  particulièrement  des 

«  ports  de  Rouen  et  de  Vie,  et  les  marchands  venant  d'outre-mer, 

«  pour  acheter  du  miel,  du  vin  et  de  la  garance,  seront  cette  année, 

«  la  prochaine,  et  dans  tout  le  temps  antérieur  à  la  troisième, 

«  exempts  des  droits  de  tonlieu.Mais  à  partir  de  ce  moment  et  par 

«  la  suite,  tout  charroi   de  miel  paiera  au  compte  de  Saint-Denys 

«  deux  sous;  et  de  même  tout  charroi  de  garance  deux  sous.  Les 

«  Saxons,  les  gens  de  Vie,  de  Rouen  et  de  toutes  les  autres  cités 

«  devront  payer  pour  leurs  navires  douze  deniers  par  charroi,  plus 


(1)  Dagobertus  rex  Francorum,  vir  inluster,  Reuthone,  Vulfione,  Raucone  comi- 
tibus  et  omnibus  agentibus  nostris,  vicariis,  centenariis  et  ceteris  ministres  reipu- 
blica  nostre.  Cognoscat  solicitudo  et  prudentia  vestra  qualités  voluimus  et  constitui- 
mus  in  honore  donini  et  gloriosi  patroni  nostri  Dyonisii  mercatum  construendo  ad 
missa  ipsa  qua?  avenit  septimo  idus  octobris,  semel  in  anno,  de  omnes  negotiantes  in 
regno  nostro  consistentes,  vel  de  ultra  mare  venientes  in  illa  strada  que  vadit  Pari- 
sius  civitate,  in  loco  qui  dicitur  Pasellus  Sancti  Martini.  Et  sciatis  nostri  missi  ex 
hoc  mercato  etomnescivitat.es  in  regno  nostro,  maxime  ad  Rothomo  porto  etWicus 
porto  qui  veniunt  de  ultra  mare,  pro  vina  et  melle  vel  garantia  emendum;  et  isto  et 
altero  anno,  seu  ante,  sit  ipse  theloneus  indultus  usque  ad  tertium  annum.  Et  inde 
in  postea,  de  unaquaque  quarrada  de  melle  persolvant  partibus  S.  Dionysii  solidos 
duos;  et  unaquaque  quarrada  de  garantia  illi  similiter  solidos  duos;  et  Saxones  et 
Vicarii  ei  Rothomenses,  et  ceteri  pagenses  de  alias  civitates,  persolvant  de  illos  na- 
vigios,  de  unaquaque  quarrada,  denarios  duodecim,  et  vultaticos  et  passion  aticos, 
per  ommes  successiones  et  generationes  illorum,  secundam  antiquam    consuetudi- 


SUR    LE   COMMERCE    EN    GAULE.  189 

«  les  vultatiques  et  passionatiques  (droits  de  roulement  et  de  pas- 
«  sage),  à  perpétuité,  suivant  l'antique  usage.  Nous  ordonnons  en 
«  outre  que  le  dit  marché  ait  la  durée  de  quatre  semaines,  pour  que 
«  les  négociants  de  Lombardie,  d'Espagne,  de  Provence  et  des 
«  autres  régions  puissent  s'y  rendre.  Nous  voulons  et  enjoignons  ex- 
«  pressentent  que  nul  négociant  n'ose  commercer,  aux  environs  de 
«  Paris,  sur  un  autre  marché  que  celui  que  nous  instituons  et  réglons 
«  en  l'honneur  de  saint  Denys.  Et  si  quelqu'un  enfreint  cette  pres- 
«  cription,  il  paiera  pour  le  compte  de  Saint-Denys  le  ban  qui  nous 
«  serait  dû  (on  appelait  bannum  l'amende  encourue  par  ceux  qui 
«  avaient  enfreint  un  édit  royal).  Enfin  nous  prescrivons  et  nous 
«  vous  mandons  expressément  à  vous,  à  vos  agents  subalternes,  et 
«  successeurs  présents  et  à  venir,  que  jamais  aucune  entrave,  ni  de 
«  votre  part,  ni  de  la  nôtre^  dans  la  ville  de  Paris,  ni  à  ses  portes 
«  dans  le  pays,  ne  soit  apportée  à  Saint-Denys,  au  sujet  de  ce  marché, 
«  en  ce  qui  concerne  les  tonlieux,  navigiens,  portatiques,  pontati- 
«  ques,  rivaliques,  vultatiques,  thémonatiques,  chespetatiques,  pul- 
«  veratiques,  foratiques,  mestatiques,  laudatiques,  saumatiques,  sa- 
«  lutatiques.  Tout  ce  qui,  detous,  sur  ce  marché  etses  marchandises, 
«  devait  nous  être  attribué  à  nous  et  au  fisc  public,  est  accordé  à 
«  perpétuité  à  Saint-Denys  et  à  ses  agents,  par  cet  instrument  de 
«  notre  bienveillance  et  de  notre  autorité.  Et  pour  que  cetle  ordon- 
«  nance  en  faveur  du  lieu  saint  ait  une  durée  plus  stable  aujourd'hui 
«  et  dans  1  avenir,  nous  avons  résolu  de  lui  donner  la  confirmation 
«  de  notre  souscription  et  du  seing  de  notre  anneau.  Dagobert  roi, 
«  j'ai  souscrit.  Dado  a  présenté  le  sceau.  »  (Dadoou  saint  Ouen  était 


nem.  Tubemus  etiam  ut  ipse  mercadus  per  quatuor  septimanas  extendatur,  ut  illi 
negociatores  de  Longobardia,  sive  Hyspanica,  et  de  Provencia,  ac  de  alias  regiones, 
illuc  advenire  posssent.  Et  volumus  atque  expresse  precipiuius  ut  mullus  negociator 
in  propago  Parisiaco  audeat  negotiare  nisi  inillo  mercado  quem  in  honore  S.  Diony- 
sii  constituimus  vel  ordinamus;  et  si  quislibet  hoc  fecerit,  bannum  nostrum  pro 
hoc  persolvat  ad  partem  S.  Dionysii.  Precipimus  denique  et  expresse  vobis  manda- 
mus,  et  omnes  agentes,  seu  juniores  vel  successores  vestros  présentes  et  venturos,  ut 
nullo  unquam  ïmpedimento  pars  S.  Dionysii  de  ipso  mercado  habeat  ex  parte  nostra' 
et  vestra,  neque  intra  ipsa  civitate  Parisius,  neque  ad  foras  in  ipso  pago  de  ipsos 
theloneos  vel  navigios,  portaticos,  pontaticos,  rivaticos,  rotaticos,  vultaticos,  tliemo- 
naiicos,  chespetaticos,  pulveraticos,  foraticos,  mestaticos,  laudaticos,  saumaticos, 
salutaticos,  omnia  et  ex  omnibus,  quicquid  ad  partem  nostram  vel  fisco  publico,  de 
ipso  mercado,  ex  ipsa  mercimonia  exactare  potuerit,  pars  S.  Dionysii  vel  sui  agentes 
in  perpetuo  habeant  per  hanc  nostram  indulgentiam  et  auctoritatem.  Et  ut  hec 
nostra  preceptio  ad  ipso  loco  sancto  nostris  et  futuris  temporibus  firmior  habeatur, 
manus  uostre  subscriptionibus  eam  subter  decrevimus  roborare  et  de  anulo  nostro 


190  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

référendaire;  on  appelait  ainsi  l'officier  dans  les  mains  duquel  le 
sceau  était  déposé.)  «  Donné  le  troisième  des  kalendes  d'août,  la 
«  seconde  année  du  règne  de  Dagobert,  à  Gompiègne.  Féliciter  in 
«  Dei  nomme,  amen.  » 

Ce  diplôme  nous  enseigne  une  suite  de  faits  intéressants  :  1°  Dago- 
bert établit  près  de  Paris,  dansla  direction  deSaint-Denys,  un  marché 
annuel;  2°parmi  les  principales  denrées  qui  y  étaient  débitées,  le  vin, 
le  miel  et  la  garance  figurent  en  grande  abondance  ;  3°  les  relations 
commerciales  de  la  Gaule  s'étendaient  assez  loin  dans  les  pays  étran- 
gers, car  on  y  venait  trafiquer,  non-seulement  de  nos  villes  commer- 
çantes, telles  que  Rouen  et  Vie,  mais  aussi  des  régions  avoisinantes  ; 
4°  la  durée  du  marché  était  fixée  à  un  mois,  pour  permettre  aux 
étrangers  de  s'y  rendre;  cet  espace  d'un  mois  nous  donne  en  partie 
la  mesure  du  temps  alors  jugé  nécessaire  pour  traverser  la  Gaule 
et  se  rendre  de  Lombardie  à  Pans;  o°  les  marchandises  subissaient 
de  nombreux  impôts  dont  nous  pouvons,  à  l'aide  des  noms  qui  leur 
sont  donnés,  rechercher  le  caractère.  Nous  allons  examiner  ces  divers 
faits  séparément. 

Il  faut  d'abord  bien  se  garder  de  confondre  le  marché  institué 
par  notre  diplôme  avec  la  célèbre  foire  connue  sous  le  nom  de  Lan- 
dit,  Indictum.  Celle-ci  ne  date,  comme  Lebeuf  l'a  amplement  dé- 
montré (1),  que  des  premières  années  du  douzième  siècle,  et  elle  eut 
son  siège  dans  la  plaine  qui  s'étend  entre  Saint-Denys  et  Montmartre, 
tandis  que  notre  marché  s'allongeait  sur  la  route  qui  conduit  de  Saint- 
Denys  à  Paris.  De  plus  il  n'eut  pas  la  longue  durée  que  semblait  lui 
promettre  la  concession  à  perpétuité  faite  par  le  diplôme  de  Dagobert. 
Dès  celte  époque  il  y  avait  lutte  entre  le  clergé,  auquel  d'immenses 
donations  étaient  accordées,  et  l'administration  civile,  qui  se  voyait 
de  la  sorte  privée  d'une  grande  partie  de  ses  revenus.  C'est  ainsi 
qu'un  comte  de  la  cité  de  Paris  nommé  Gairin  revendiqua,  fort  peu 
de  temps  après  Dagobert,  une  part  des  profits  considérables  dont  l'a- 
bandon avait  été  fait  à  l'abbaye,  et  en  obtint  par  force,  disaient  les 
agents  de  Saint-Denys,  le  partage.  De  plus  le  marché,  à  la  suite  d'un 
désastre  qui  n'est  pas  spécifié,  avait  été  transféré  du  bourg  de  Saint- 


sigillare  jussimus.  Dagobertus  rex  subscripsi.  Dado  obtulit.  Datum  sub  die  III  kal. 
Augusti,  anno  secundo  regni  Dagoberti,  Compendio.  Féliciter  in  Dei  nomine,  amen. 
(1)  Histoire  du  Landit  de  la  plaine  Saint-Denys,  dans  la  Descript.  dudioc,  de 
Paris,  t.  III,  p.  246  et  suiv. 


SUR  LE  COMMERCE  EN  GAULE.  191 

Denys  dans  l'intérieur  de  Paris,  entre  les  basiliques  de  Saint-iMartin 
et  de  Saint-Laurent.  Ces  faits  ressorlent  d'un  diplôme  du  roi  Childe- 
bert  III,  daté  de  l'an  710.  A  ce  moment  la  querelle  entre  le  mo- 
nastère et  l'autorité  séculière  se  réveille,  et  nous  voyons  d'un  côté 
les  agents  de  Saint-Denys,  de  l'autre  ceux  du  maire  Grimoald,  fils 
de  Peppin  d'Héristal,  se  présenter  devant  Childcbert  III,  dans  sa 
villa  de  Maumaques.  Les  premiers,  munis  de  leur  diplôme  de  Dago- 
bert  qu'ils  déploient  et  relisent,  réclament  les  droits  provenant  du 
marché  dans  leur  intégrité;  les  seconds  prétendent  que  depuis  long- 
temps déjà  le  comte  du  pays  de  Paris  est  dans  l'usage  d'en  prélever 
la  moitié  au  profit  du  fisc,  et  invoquent  cette  prescription.  Le  roi 
décida  contre  son  maire  du  palais  en  faveur  de  l'abbaye  (1). 

L'auteur  anonyme  des  Gesta  Dagoberti  nous  raconte  également  dans 
un  texte  très-intéressant  les  largesses  de  Dagobert  à  l'égard  de  Saint- 
Denys.  «  Dagobert,  dit-il,  grandissant  chaque  jour  davantage  dans 
l'amour  du  martyr  saint  Denys  et  de  ses  compagnons,  à  cause  des 
vertus  admirables  et  journalières  de  leur  tombeau,  abandonna  à 
leur  basilique  divers  espaces  de  terrain  dans  l'intérieur  et  à  l'exté- 
rieur de  Paris,  ainsi  que  la  porte  même  de  cette  ville  qui  est  située  à 
côté  de  la  prison  de  Glaucin.  Celte  porte,  dont  le  marchand  Salomon, 
son  fournisseur,  avait  alors  la  surveillance,  lui  fut  cédée  avec  toutes 
les  redevances  qu'il  était  d'usage  de  remettre  à  la  cassette  royale,  et 
le  roi  Dagobert  confirma  cette  donation  à  perpétuité  par  l'autorité 
d'un  diplôme  souscrit  de  son  nom  et  marqué  de  son  cceau  (2).  » 


(1)  ...  Agentes  venerabili  viro  Dalfine  abbate  de  baselica  peculiaris  patronis  nostri 
S.  Dionisii. ..  dicebant  quasi  agentes  ipsius  viro  Grimoaldo  majorem-domus  nostri, 
eciam  et  comis  de  ipso  pago  parisiaco,  medietate  de  ipso  teleneu  ejusilem  tollerent. 
Aserebant  econtra  agentes  ipsius  viro  Grimoaldo  majorem-domus  nostri  quasi  de 
longo  tempore  talis  consuetudo  fuissit  ut  medietate  exinde  casa  S.  Dionisii  receperit, 
illa  alia  medietate  illi  comis  ad  partem  fisci  nostri.  Intendibant  econtra  agentes 
S.  Dionisii  quasi  hoc  Gairinus,  quondam,  loce  ipsius  Parisiace  comis,  per  forciahunc 
consuetudinem  ibidem  min'sset  et  aliquando  ipsa  medietate  de  ipso  teleneu  ejusdem 
exinde  tullissit:  sed  ipsi  agentes  hoc  ad  palatium  sogessissent  et  eoruin  preceptionis 
integritate  semper  rénovassent...  Chart.  et  Dipl.,  t.  II,  p.  285-286. 

(2)  Dagobertus  rex  in  amore  sœpe  dictorum  martyrum  Dionysii  sociorumqueejus, 
propter  magnificas  quas  ad  eorum  veneranda  sepulcra  cotidie  Dominus  operabatur 
virtutes,  magis  ac  magis  gliscens,  areas  quasdam  infra  extraque  civitatem  Pari>ii,  et 
portam  ipsius  civitatis,  quac  posita  est  juxta  carcerem  Glaucini,  quam  negociator  suus 
Salomon  eo  tempore  praevidebat  cum  omnibus  teloneis,  quem  ad  modum  ad  suam 
cameram  deserviri  videbatur,  ad  eorum  basilicam  tradidit,  et  per  prœcepti  sui 
auctoritatem  perpetualiter  id  mansurum  esse,  proprii  nominis  subscriptioue  atque 
anuli  impressione  firmavit.  Gesta  DagoO.,  C.  XXXIII. 


192  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

Ce  texte  nous  montre  l'existence  d'une  prison  près  d'une  des 
portes  de  Paris.  Il  nous  fait  aussi  savoir  que  les  revenus  des  portes 
étaient  affermés  à  des  marchands.  Le  diplôme  portant  cette  conces- 
sion a  péri  ;  mais  est  il  vraisemblable  que  l'auteur  anonyme  des 
Gesta,  qui  écrivait  au  neuvième  siècle  et  qui  résida  dans  l'abbaye  de 
Saint-Denys,  le  vit  avec  d'autres  également  perdus  dont  il  fait  aussi 
mention. 

Je  crois  que  le  pasellus  Sancti  Martini  du  diplôme  de  Dagobert 
représente  une  passerelle  jetée  sur  le  ruisseau  de  Ménilmontant,  au- 
jourd'hui supprimé,  et  qui  coulait  de  l'est  à  l'ouest,  allant  se  jeter  à 
la  rive  droite  delà  Seine  au-dessus  du  pont  actuel  des  Invalides.  L'é- 
glise Saint-Martin  des  Champs  était  en  effet  située  à  peu  de  distance 
au-dessous  de  ce  ruisseau  et  avait  donné  son  nom  à  un  pont,  comme 
nous  le  voyons  par  un  diplôme  postérieur  du  roi  Louis  VI  reproduit 
par  Doublet  dans  son  Histoire  de  Saint-Denys  (1).  Le  diplôme  de 
Childebert  III  nous  a  aussi  appris  que  le  marché  ayant  dû  être 
transféré  dans  l'intérieur  de  Paris  à  la  suite  d'une  catastrophe,  fut 
établi  entre  l'église  Saint-Laurent,  qui  était,  comme  on  le  sait,  sur 
le  chemin  de  Saini-Denvs,  et  celle  de  Saint-Martin  des  Champs;  sans 
doute  près  de  la  passerelle  pasellus  Sancti  Martini,  où  il  commen- 
çait autrefois.  Il  est  évident  qu'il  ne  s'agit  pas  ici  d'un  pont  jeté  sur 
la  Seine,  puisque  les  églises  Saint-Laurent  et  Saint-Martin  desChamps 
étaient  assez  éloignées  du  fleuve,  et  cette  passerelle,  c'est-à-dire  le 
ruisseau  sur  lequel  elle  était  jetée,  devait  former  sur  ce  point  la 
limite  septentrionale  du  Paris  de  Dagobert  (2). 

Les  Saxons  dont  il  est  fait  mention  dans  notre  diplôme  paraissent 
être  ceux  de  la  côte  d'Angleterre.  Il  y  avait  bien  des  établissements  de 
Saxons  en  Gaule,  près  de  Bayeux,  Saxones  Bajocassini,  et  près  de 
Nantes  (3);  mais  la  mention  qui  est  faite  de  négociants  d'outre-mer 
rend  plus  vraisemblable  la  supposition  qu'ils  venaient  des  États  mé- 
ridionaux de  l'Heptarchie  anglo-saxonne.  Quant  à  YHispania,  men- 
tionnée à  côté  de  la  Provence,  ce  peut  n'être  que  la  Septimanie, 


(1)  Ne  qua  mansio  vel  inhabitatio  a  prœdicto  burgo  usque  ad  ecclesiam  S.  Lau- 
rentii  quae  sita  est  prope  pontein  S.  Martini  de  Campis,  et  ex  altéra  parte  stratae 
regiîB  ad  eadem  villa  S.  Dionysii,  usque  ad  alium  pontem  prope  Parisium  juxta 
domum  leprosam. 

(2)  J'ai  l'intention  de  revenir,  dans  un  prochain  article,  sur  les  positions  de  la 
passerelle  de  S.  Martin  et  de  la  prison  de  Glaucin,  et  d'y  joindre  quelques  autres 
éléments  propres  à  faciliter  la  restitution  archéologique  du  Paris  mérovingien. 

(3)  Grég.  de  Tours,  Hist.  ecclés.,  X,  9;  Fortunat,  1.  III,  c.  9. 


SUR  LE  COMMERCE  EN  GAULE.  193 

car  le  nom  d'Espagne  a  été  appliqué  à  cette  partie  de  la  Gaule,  plus 
tard  appelée  Languedoc,  que  les  Visigoths  possédèrent  jusqu'au 
temps  de  Charles  Martel. 

Vicus,  quel'on  appelait  aussi  Quentovicus.  était  un  port  très  fré- 
quenté sous  les  Mérovingiens;  plusieurs  triens  portent  son  nom.  11 
était  situé  sur  le  petit  fleuve  de  Canche,  comme  la  forme  Quento- 
vicus l'indique.  L'invasion  des  sables  l'a  ruiné,  et  c'est  Etaples, 
avec  une  fortune  modeste,  qui  l'a  remplacé  dans  les  temps  mo- 
dernes. 

Le  commerce  était  entravé  sous  les  Mérovingiens  par  des  impôts 
multipliés.  Le  diplôme  deDagobertque  nous  avons  traduit  en  men- 
tionne seize.  Vultaticum  ou  voltaticum  devait  être  une  imposition 
sur  les  voitures  à  roues.  Passionaticum,  dérivé  sans  doute  du  même 
radical  que  passagium,  mot  de  ce  latin  barbare,  est  un  droit  de  tran- 
sit peut-être,  à  travers  les  diverses  cités.  Theloneum,  d'où  le  mot 
tonlieu,  nous  paraît  désigner  les  impôts  d'une  manière  générale. 
Ducange  l'attribue  plus  particulièrement  au  prélèvement  sur  les 
marchandises  venues  par  mer.  Telle  cependant  devait  être  la  part 
spéciale  de  l'impôt  dit  navigium.  Le  porlaticum  se  payait  au  passage 
des  portes  des  villes;  peut-être  aussi  dans  les  ports?  Le  pontaticum 
se  payait  pour  les  ponts.  Lerivaticum  devait  être  le  droit  imposé  sur 
le  balage  le  long  des  berges  des  rivières.  Le  rotaticum,  qui  paraît 
faire  double  emploi  avec  le  vultaticum,  payait  l'entretien  des  routes 
carrossables.  Le  themonaticum  était  frappé  sur  les  limons  des  ctiars. 
Le  chespetaticum,  ou  cespitaticum,  avait  pour  but  l'entretien  des  ga- 
zons. On  sait  en  effet  que  les  routes  construites  par  les  Mérovingiens, 
et  dont  il  reste  des  échantillons  entre  d'anciennes  villas  de  leur  temps, 
n 'avaient  plus  lecaractère  de  solidité  des  voies  romaines;  elles  ne  con- 
sistaient plus  en  constructions  de  pierres  et  de  ciment;  ce  n'étaient  que 
de  larges  avenues  où  les  chariots  traçaient  successivement  deux  ou 
trois  rangs  d'ornières  parallèles  que  l'on  comblait  les  unes  après 
les  autres. 

Le  pulveraticum,  imposé  sur  les  voitures  et  le  bétail,  était  censé  at- 
tribué à  réparer  les  dégradations  faites  aux  voies;  il  est  souventmen- 
tionné  par  les  actes  des  deux  premières  races,  et  toujours  d'une  façon 
vague.  Le  foraticum,  synonyme  de  foragium,  est  un  droit  sur  le  vin  et 
sur  la  bière,  d'après  Uucange  et  M.  Guérard  (1).  N'est-ce  pas  peut-être 
aussi  un  synonyme  de  portaticus,  par  fores,  ou  vient-il  de  foras,  droit 

(1)  Appendice  au  Polyptique  d'Irminon,  p.  340. 


l!)'i  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

d'exhibition?  Le  mestaticum  était  un  droit  de  vente  et  d'échange,  du 
radical  mutare.  On  ne  trouve  rien  de  satisfaisant  pour  le  laudaticum: 
ce  mot  a  peut-être  une  parenté  avec  le  laus,  lauda,  laudia,  laudatio,  qui 
figure  à  coté  du  molvente  pour  désigner  une  transaction  analogue  dans 
les  textes  du  moyen  âge  :  Debemus  vendus  et  laudas percipere.—Lan- 
dationes  et  venditiones  sicnt  hactenus  habitœ  sunt  reddentur,  etc.  (1). 
Le  saumaticum  doit  être  un  impôt  frappé  sur  les  bêtes  de  somme,  car 
tel  est  le  sens  de  saiima.  Quant  au  salutaticum  c'était,  dans  le  moyen 
âge,  la  prestation  d'une  redevance  que  les  serfs  payaient  à  leurs  maî- 
tres, accompagnée  à  ce  qu'il  paraît  d'un  salut  d'où  lui  vient  sonnom(2). 
Ce  n'est  pas  là  ce  dont  il  peut  être  question  dans  notre  diplôme;  mais  il 
est  probable  qu'il  s'y  agit  de  quelque  présent  fait  aux  personnages 
importants,  comtes  et  juges,  des  lieux  par  lesquels  les  marchandises 
passaient. 

On  voit  qu'il  subsiste  encore  quelque  incertitude  sur  la  détermina- 
tion bien  nette  de  plusieurs  de  ces  impositions;  telles  qu'elles  sont 
cependant,  elles  suffisent  à  nous  faire  savoir  combien  le  commerce 
était  grevé  de  charges,  sous  des  prétextes  aussi  futiles  que  multipliés. 
On  croirait,  avoir  tant  de  droits  prélevés  au  nom  de  la  voirie,  que  les 
routes  au  moins  ont  dû  en  profiter  et  être  soigneusement  entretenues  : 
il  n'en  est  rien;  on  laissait  se  dégrader  les  anciennes  voies  romaines; 
ce  n'était  que  de  loin  en  loin  qu'on  les  réparait;  et  la  grande  réputa- 
tion qui  s'est  attachée  à  ce  sujet  au  nom  de  Brunehaut  montre  que 
les  travaux  de  restauration  entrepris  par  cette  reine  furent  une  ex- 
ception. Les  sommes  considérables  par  lesquelles  le  commerce  était 
obligé  de  payer  son  droit  de  transit  ne  profitaient  ni  aux  routes,  ni 
aux  municipalités  des  divers  lieux,  puisqu'elles  entraient  dans  le 
trésor  royal,  ou  étaient  attribuées  à  titre  de  donations  à  des  monastè- 
res qui,  grâce  aux  largesses  des  rois  et  des  particuliers,  ne  tardaient 
pas  à  se  trouver  en  possession  d'immenses  richesses.  Ces  abus  d'une 
générosité  suscitée  par  la  superstition  et  les  terreurs  religieuses 
furent  nécessairement  très-préjudiciables  à  la  fortune  publique  et 
contribuèrent  à  donner  au  clergé  une  influence  et  une  action  ruineu- 
ses pour  le  pouvoir  royal  même  qui  l'enrichissait. 

Mais  un  fait  en  ressortit  dont  nous  recueillons  aujourd'hui  d'utiles 
résultats:  c'est  la  rédaction  de  ces  actes  si  nombreux  dont  les  débris. 


(1)  Ducange,  Y°  Laudare. 

(2)  Voir  Ducange,  V°  Solutés 


SUR  LE  COMMERCE  EN  GAULE.  195 

trop  rares  apportent  encore  à  l'histoire  et  à  la  géographie  de  pré- 
cieux témoignages.  Ils  ont  été  jusqu'ici  trop  délaissés;  les  historiens 
ont  puisé  dans  les  chroniques  sans  presque  regarder  les  diplômes; 
le  moment  est  venu  de  les  mettre  en  œuvre  au  profit  de  la  philologie, 
de  l'archéologie,  de  l'histoire;  on  en  peut  encore  tirer  des  faits  nou- 
veaux sur  la  condition  et  les  hahitudes  des  générations  qui  vivaient 
il  y  a  dix  et  douze  siècles  sur  le  sol  de  la  Gaule.  Ils  promettent  sur- 
tout à  la  géographie  historique,  avec  leurs  vastes  énuméralions  de 
noms  de  lieux,  une  ample  moisson,  et  c'est  principalement  sous  ce 
rapport  que  pour  notre  part,  malgré  les  difficultés  de  cette  tâche, 
nous  entreprendrons  d'en  tirer  parti. 


Alfred  Jacobs. 


ÉTUDE 

SUR  DIVERS  MONUMENTS 

DU  RÈGNE  DE  TOUTMÈS  III 

DÉCOUVERTS     A    THÈBES     PAR    M.      MARIETTE 


Parmi  les  textes  historiques  mis  au  jour  dans  les  grandes  fouilles 
dirigées  à  Karnak  par  M.  Mariette,  l'attention  de  ce  savant  archéo- 
logue avait  été  attirée  spécialement  par  une  stèle  de  granit  de  deux 
mètres  de  hauteur,  sur  laquelle  figurait  le  roi  Toutmès  III  devant 
le  dieu  Ammon.  Cette  scène  était  accompagnée  d'une  inscription  de 
vingt-cinq  lignes  en  beaux  hiéroglyphes,  presque  entièrement 
conservée  et  qui  fut  appréciée  exactement  par  mon  savant  confrère 
dès  le  premier  coup  d'œil.  M.  Mariette  la  désignait,  dans  une  com- 
munication lue  à  l'Académie  des  inscriptions  au  mois  d'août  1859, 
comme  «  contenant  un  discours  du  dieu,  s'adressant  à  Toutmès 
«  dans  un  langage  plein  de  grandeur  et  de  poésie,  et  constatant  par 
«  une  glorification  louangeuse  les  victoire  du  roi  (1).  »  Un  premier 
essai  de  traduction,  dont  les  fragments  ont  été  insérés  par  M.  Des- 
jardins dans  une  étude  sur  les  découvertes  de  M.  Mariette  (2), 
montre  que  la  forme  littéraire  de  ce  morceau  avait  été  également 
très-bien  définie  par  M.  Mariette.  Il  avait  parfaitement  indiqué 
«  l'espèce  de  psaume  ou  de  chant  cadencé  »  qui  le  termine,  et  dent 
il  a  traduit  la  formule  dix  fois  répétée.  L'annonce  de  cette  partie 
des  découvertes  de  M.  Mariette  se  retrouve  encore  dans  les  numéros 


(1)  Voyez  la  Reçue  de  l'instruction  publique  du  15  septembre  1859,  et  le  Bullettino 
dell'  Instituto  di  Corrispondenza  archeologica,  Rome,  novembre  1859. 

(2)  Revue  générale  de  l'architecture,  octobre  1860,  t.  XVIII,  colonnes  59,  60,  etc. 


DIVERS   MONUMENTS   DE   TOUTMÈS     .  107 

du  Moniteur  des  2  et  3  juillet  1860,  en  sorte  qu'on  pouvait  croire 
qu'une  publicité  suffisante  protégeait  les  droits  de  l'inventeur.  Il  est 
cependant  arrivé  que  malgré  l'éclat  que  ces  découvertes  ont  eu  en 
Egypte,  et  probablement  même  à  la  suite  de  la  publicité  qu'elles 
avaient  reçues,  des  empreintes  de  cette  belle  inscription  ont  été  en- 
voyées à  M.  Birch,  sans  que  le  nom  de  M.  Mariette  ait  été  Te  moins 
du  monde  articulé  par  son  correspondant.  C'est  ainsi  que  notre 
savant  confrère  du  British  Muséum,  dont  la  parfaite  bonne  foi  et  la 
délicatesse  peuvent  défier  toutes  les  susceptibilités,  a  été  amené  à 
publier  le  texte  et  la  traduction  de  la  stèle  de  Toutmès  III,  dans  le 
vingt-huitième  volume  de  YArchœologia,  en  la  considérant  comme 
un  monument  entièrement  inconnu  et  sans  prononcer  le  nom  de 
M.  Mariette  (1).  L'habile  directeur  des  fouilles  de  Karnak  avait 
désiré  faire  profiter  les  lecteurs  de  la  Revue,  aussi  promptcment  que 
possible,  de  cette  belle  page  de  la  littérature  de  la  vingt-huitième 
dynastie;  il  m'en  avait  remis  une  copie  soigneusement  faite  à  Thèbes 
et  due  au  crayon  exercé'de  M.  Th.  Devéria,  sur  laquelle  je  préparai 
une  traduction.  Je  devais  néanmoins  attendre,  pour  la  publier,  l'ap- 
parition d'un  ouvrage  ardemment  désiré  par  tous  les  savants,  où  les 
principaux  monuments  sortis  des  fouilles  ordonnées  par  le  vice-roi 
seront  livrés  à  nos  études  par  les  soins  de  M.  Mariette  (2).  Les  pre- 
mières livraisons  nous  étaient  incessamment  promises,  et  ce  n'était 
que  justice  absolue  de  laisser  à  M.  Mariette  la  première  publication 
des  monuments  qui  lui  ont  coûté  tant  de  fatigues.  Laplancbe  donnée 
dans  YArchœologia  par  M.  Birch  rend  de  nouveaux  délais  inutiles. 
et  M.  Mariette  désire  que  nous  discutions  également  la  liste  des 
peuples  vaincus  par  Toutmès,  qu'il  avait  annoncée  dans  les  mêmes 
publications  et  dont  la  partie  la  plus  importante  est  encore  inédite. 


I 


STELE  DE  TOUTMES  III  TROUVEE  A  KARNAK 

Ce  monument  consiste  en  un  tableau  suivi  d'une  inscription  de 
vingt-cinq  lignes  horizontales.  (V.  planche  XV.)  Le  globe  ailé  sur- 


(1)  Ayant  été  averti  de  ces  circonstances,  M.  Birch,  dont  les  procédés  envers  ses 
confrères  sont  toujours  parfaits,  m'a  écrit  immédiatement  en  me  priant  de  témoigner 
à  M.  Mariette  le  regret  d'avoir  ignoré  jusqu'au  nom  de  l'inventeur  et  les  diverses 
publications  faites  en  son  nom. 

(2)  C'est  avec  instance  que  nous  supplierons  le  vice-roi,  au  nom  de  tuus  ceux  qui 


108  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

monte  la  scène,  suivant  l'usage;  il  est  accompagné  de  sa  légende 
habituelle  Hut  nuter  aa  nev  pe-t.  «  Hut,  dieu  grand,  seigneur  du 
ciel.  »  On  sait  que  Hut  est  une  désignation  du  soleil  comme  dieu 
éponyme  d'Edfou  (dont  le  nom  antique  était  Hut).  La  colonne  d'hié- 
roglyphes qui  partage  la  scène  en  deux  peut  être  rapportée  soit  à  ce 
dieu,  soit  au  dieu  Ammon-ra,  qui  n'est  qu'une  autre  expression  de 
la  même  idée,  c'est-à-dire  la  personnification  du  dieu  suprême  dans 
le  soleil,  son  image  vivante.  Cette  colonne  verticale  se  lit  comme  il 
suit  :  Ta-w  anx  (1)  nev  ves  anx  tat  tam  nev  senv  nev  wu-het  nev  ma 
ra  teta.  «  Il  accorde  toute  la  vie,  toute  la  force  vitale,  la  stabilité 
«  (la  paix?)  complète,  toute  la  santé  et  tout  le  bonheur  comme  le  so- 
ft leil,  à  toujours.  » 

Les  deux  scènes  qui  remplissent  le  tableau,  sous  le  disque  ailé, 
sont  exactement  semblables  entre  elles,  sauf  la  nature  de  l'offrande 
faite  par  le  roi  au  dieu  Ammon.  A  droite,  Toutmès  présente  la  liba- 
tion, et  à  gauche,  l'encens  enflammé.  Ammon  est  dans  son  rôle  de 
roi  des  dieux,  seigneur  du  ciel,  avec  ses  attributs  ordinaires.  Sa 
légende  se  lit  :  Amon-ra  suten  neteru  nev  pe-t.  «  Amon  ra,  roi  des 
«  dieux,  seigneur  du  ciel  ;  »  et  puis  :  Ta-w  anx  nev  ma  ra,  «  il 
«  donne  une  vie  complète,  comme  le  soleil.  »  Devant  lui,  Toutmès  III 
est  accompagné  de  sa  légende  royale  :  Nuter  nowre  nev  ta-ti  nev 
(sa-u?)  ra  men  xeper  Tutmès  ta  anx.  «  Le  dieu  bon,  seigneur  des 
«  deux  pays,  seigneur  des  diadèmes,  Ramenkheper-Tutmès,  vivant.  » 
A  droite,  son  offrande  est  ainsi  caractérisée  :  er-takevah,  «  il  offre  la 
«  libation.  »  A  gauche,  on  lit  devant  les  jambes  :  Ari-t  nuter-Senter 
en  Amon-ra  :  «  Il  donne  l'encens  à  Amon-ra.  »  La  déesse  qui  suit  le 
roi  représente  probablement  la  Thébaïde,  car  elle  porte  sur  sa  tête 
le  nom  hiéroglyphique  du  nôme  de  Thèbes.  Elle  tient  les  armes  du 
roi,  l'arc,  les  flèches  et  la  hache  de  combat. -La  légende,  renfermée 
dans  un  carré  crénelé  qui  est  devant  ces  personnages,  doit  désigner 
une  salle  ou  un  temple;  c'est  ainsi  que  les  noms  de  ces  constructions 
sont  entourés.  Le  nom  se  lit  ici  xewte  nev-s  (2)  :  «  En  l'ace  de  son 
«  seio-neur,  »  ce  qui  avait  sans  doute  trait  à  la  position  de  l'édifice 
qu'on  a  voulu  désigner.  On  peut  supposer  également  que  la  femme 

s'intéressent  à  la  science,  de  hâter  la  publication  des  résultats  de  ces  fouilles;  il  aura 
ainsi  complété  le  bienfait  de  la  savante  exploration  qui  jettera  sur  son  nom  un  lustre 
ineffaçable. 

(1)  La  lettre  x  représente  le  son  kh. 

(2)  La  planche  de  M.  Birch  est  fautive  dans  ce  nom  et  dans  la  légende  de  la  liba- 
tion ;  elle  doit  être  corrigée  d'après  les  figures  représentées  sur  notre  planche  en  ces 
deux  endroits. 


DIVERS   MONUMENTS   DE    TOUTMÈS    III.  199 

portant  sur  la  tête  le  nom  du  nome  de  Thèbes  personnitie  le  temple 
en  question. 

Le  texte  de  l'inscription  principale  se  présente  sous  une  forme 
très-curieuse  et  qui  frappe  l'œil  tout  d'abord  par  sa  disposition  par- 
ticulière. Après  douze  lignes  écrites  en  prose  d'un  style  pompeux  H 
relevé,  l'auteur  fait  faire  une  sorte  de  tour  du  monde  aux  conquêtes 
de  Toutmès,  dans  dix  versets  qui  sont  appareillés  entre  eux  Lui! 
par  la  longueur  des  lignes  où  ils  sont  écrits  que  par  la  disposition 
des  idées  et  par  la  répétition  d'une  double  formule  initiale;  puis  il 
termine  son  discours  par  trois  lignes  analogues  à  celui  du  début. 
Quelques  lacunes  du  monument  jettent  malheureusement  de  l'obscu- 
rité sur  la  fin  de  ce  texte  précieux.  Malgré  la  couleur  poétique  et  la 
hardiesse  des  images,  nous  pouvons  traduire  ce  morceau  presque 
en  entier.  Nous  n'aurons  besoin  de  recourir  aux  conjectures  que 
dans  un  petit  nombre  de  phrases,  et  nous  les  signalerons  scrupuleu- 
sement au  lecteur.  Nous  ferons  suivre  notre  traduction  des  remar- 
ques qu'exige  l'intelligence  de  ce  texte  précieux. 


«  Discours  d'Amon-ra,  seigneur  des  trônes  du  monde  1 1]  :  Viens 

«  à  moi!  tressaille  de  joie,  en  voyant  mes  faveurs,  ô  mon  tils  ven- 

«  geur!  Ra-men-Kbeper,  doué   d'une  vie  éternelle.  Je  resplendis 

«  par  ton  amour,  mon  cœur  se  dilate  à  ton  heureuse  arrivée  dans 

«  mon  temple.  Mes  mains  ont  comblé  [2]  tes  membres  des  forces  de 

«  la  vie,  tes  grâces  plaisent  à  ma [3].  Je  suis  établi  dans  ma 

«  demeure  [4]  ;  je  t'apporte  et  je  te  donne  la  victoire  et  la  puissance 

«  sur  toutes  les  nations.  J'ai  fait  pénétrer  [5]  tes  esprits  et  ta  crainte 

«  dans  tous  les  pays,  et  ta  terreur  jusqu'aux  limites  des  supports  du 

«  ciel  [6].  J'ai  agrandi   l'épouvante  [7]  (que  tu  jettes)  dans  leur 

«  sein;  j'ai  fait  (retentir)  tes  rugissements  parmi  les  barbares  [8]  ; 

«  les  princes  de  toutes  les  nations  sont  réunis  dans  ta  main.  J'étends 

«  mes  propres  bras,  je  [9]  lie  pour  toi  et  je  serre  en  un  faisceau  les 

«  peuples  de  Nubie  en  myriades  et  en  milliers,  les  nations  du  nord, 

«  millions  [10]   (de  captifs?).  J'ai  jeté  tes  ennemis  [11]  sous  tes 

«  sandales  et  tu  as  écrasé  [12]  les  chefs  obstinés.  Ainsi  que  je  l'ai 

«  ordonné,  le  monde  dans  sa  longueur  et  dans  sa  largeur,  l'occident 

«  cl  l'oriejit  te  servent  de  demeure.  Tu  as  pénétré  chez  tous  les 

«  peuples,  le  cœur  joyeux;  aucun  n'a  pu  résister  à  tes  ordres;  c'est 

«  moi  qui  l'ai  conduit  quand  tu  les  approchais.  Tu  as  traversé  [13 


200  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

«  les  eaux  de  la  grande  enceinte  et  le  Naharaïn  dans  ta  force  et  ta 
«  puissance.  Je  t'ai  ordonné  de  leur  faire  entendre  tes  rugissements 
a  jusque  dans  leurs  cavernes  [14]  et  j'ai  privé  [15]  leurs  narines  des 
«  souffles  de  la  vie.  J'ai  fait  [16]  pénétrer  tes  victoires  dans  leurs 
«  cœurs.  Mon  esprit  [17],  qui  réside  sur  ta  tète,  les  a  détruits  [18]; 
«  il  a  ramené  captifs  (les  peuples  [19]  de  Ad*?),  liés  par  leurs  che- 
«  yelures  ;  il  a  dévoré  dans  ses  flammes  ceux  qui  résident  [20]  (dans 
«  leurs  ports?);  il  a  tranché  la  tête  des  Aamus  sans  qu'ils  pussent  [21] 
«  résister,  détruisant  jusqu'à  la  race  de  ceux  qu'il  saisissait.  J'ai 
«  donné  à  tes  conquêtes  le  tour  du  monde  entier;  l'uraeus  de  ma 
«  tête  a  répandu  sa  lumière  sur  tes  sujets  [22];  aucun  rebelle  ne 
«  s'élèvera  contre  toi  sous  la  zone  du  ciel  :  Ils  viennent  tous,  le  dos 
«  chargé  de  leurs  tributs,  se  courber  devant  la  majesté,  en  se  con- 
«  formant  à  mes  ordres.  J'ai  énervé  les  (ennemis  [23]  confédérés?) 
«  sous  ton  règne;  leurs  coeurs  sont  desséchés [24]  et  leurs  membres 
«  tremblants.  » 


Verset  1.  «  Je  suis  venu,  je  t'ai  accordé  de  frapper  les  princes  de 
«  Tahi;  je  les  ai  jetés  sous  tes  pieds  à  travers  [25]  leurs  contrées.  Je 

«  leur  ai  fait  voir  ta  majesté  tel  qu'un  seigneur  de  lumière,  éclai- 
«  rant  leurs  faces,  comme  mon  image.  » 

jfr  2.  «  Je  suis  venu,  je  l'ai  accordé  de  frapper  les  habitants  de 
«  l'Asie  ;  tu  as  réduit  en  captivité  les  chefs  des  peuples  des  Ratennu. 
«  Je  leur  ai  fait  voir  ta  majesté,  revêtue  de  ses  ornements:  tu  sai- 
«  sissais  tes  armes  et  combattais  sur  ton  char.  » 

j"-  3.  «  Je  suis  venu,  je  t'ai  accordé  de  frapper  les  peuples  de 
«  l'orient,  tu  as  marché  dans  les  provinces  [26]  de  la  terre  sacrée 
«  (ta  miter).  Je  leur  ai  montré  la  majesté,  semblable  à  Seschet  [27] 
«  qui  projette  la  chaleur  de  ses  feux  et  répand  sa  rosée.  » 

f  k.  «  Je  suis  venu,  je  t'ai  accordé  de  frapper  les  peuples  d'oc- 
«  cidenl;  Kefa  et  Asi  sont  sous  ta  [28 j  terreur.  Je  leur  ai  fait  voir 
«  ta  majesté,  telle  qu'un  jeune  taureau  au  cœur  ferme,  aux  cornes 
«  aiguës,  auquel  on  ne  peut  résister  [29].  » 

jfr  5.  «  Je  suis  venu,  je  t'ai  accordé  de  frapper  ceux  qui  résident 
«  dans  (leurs  ports?);  les  contrées  de  Maten  tremblent  de  crainte 
«  devant  toi.  Je  leur  ai  fait  voir  ta  majesté,  semblable  ([30]  aucro- 
«  codile?),  maître  terrible  des  eaux,  qu'on  ne  peut  approcher.  » 

■p  6.  «  Je  suis  venu,  je  t'ai  accordé  de  frapper  les  habitants  des 


DIVERS   MONUMENTS   DE   TOUTMÈS   III.  201 

t  îles;  ceux  qui  résident  au  milieu  de  la  mer  sont  atteints  par  tes 
«  rugissements.  Je  leur  ai  montré  ta  majesté  semblable  à  un  [31] 
«  vengeur  qui  s'élève  sur  le  dos  delà  victime.  » 

fi  7.  «  Je  suis  venu,  je  t'ai  accordé  de  frapper  les  Libyens 
«  (Tahennu);  les  îles  des  Tana  sont  au  pouvoir  de  tes  esprits.  Je 
«  leur  ai  montré  ta  majesté,  telle  qu'un  lion  furieux  se  couchant 
«  sur  leurs  cadavres,  à  travers  leurs  vallées.  » 

fi  8.  «  Je  suis  venu,  je  t'ai  accordé  de  frapper  les  extrémités  de 
«  la  mer,  le  tour  de  la  grande  zone  des  eaux  est  serré  dans  ta  main. 
«  Je  leur  ai  montré  ta  majesté  semblable  à  l'épervier  (qui  [32]  plane), 
«  embrassant  dans  son  regard  tout  ce  qu'il  lui  plaît.  » 

fi  9.  «  Je  suis  venu,  je  t'ai  accordé  de  frapper  ceux  qui  résident 
«  dans  leurs  ([33]  lagunes?)  tu  as  réduit  en  captivité  les  habitants 
«  (des  sables?).  Je  leur  ai  fait  voir  ta  majesté,  semblable  au  chacal 
«  du  midi  (habile  [34]  explorateur?),  qui  traverse  les  deux  régions.  » 

fi  10.  «  Je  suis  venu,  je  t'ai  accordé  de  frapper  les  peuples  de 

«  Nubie  (Kens),  ta  puissance  s'étend  jusqu'à Je  leur  ai  fait  voir 

«  ta  majesté  semblable  à  tes  deux  [35]  frères,  j'ai  réuni  leurs  bras  sur 
«  toi  pour  te  donner  leur  puissance.  » 

«  Tes  deux  sœurs,  je  les  ai  placées  derrière  toi  pour  te  secourir; 

«  mes  bras  sont  levés  pour  repousser  de  toi  tous  les  maux.  C'est  moi 

«  qui  te  protèges,  ô  mon  fils  chéri!  Horus,  taureau  valeureux,  ré- 

«  gnnnt  dans  la  Thébaïde;  toi  que  j'ai  engendré  (en  vérité?) 

«  Tontines,  doué  d'une  vie  éternelle!  (Toi  qui  as?)  rempli  tous  mes 

«  désirs.  Tu  as  élevé  ma  demeure  en  constructions  éternelles;  plus 

«  longue  et  plus  large  qu'il  n'en  avait  jamais  existé,  la  porte  prin- 

«  cipale 

« 

t  D'Amon-ra,   plus  magnifique  qu'aucun  des  souverains  qui  ont 

«  existé.  Je  t'ai  ordonné  de  la  faire  et  j'en  suis  satisfait.  —  Je  suis 

«  établi  sur  le  trône  d'Horus  pour  des  milliers  d'années,  étant  ton 

«  ton  image  vivante pour  l'éternité.  » 

NOTES   POUR   L'EXPLICATION   DU   TEXTE. 

Ma  traduction  diffère  en  quelques  points  de  celle  de  M.  Birch  :  il 
m'a  paru  nécessaire  d'exposer  mes  raisons  dans  les  notes  suivantes, 
atin  que  les  égyptologues  puissent  retirer  de  cette  étude  un  profit 
iv.  14 


202  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

plus  sérieux  :  je  réunirai  plus  loin  tout  ce  qui  concerne  la  géo- 
graphie. 

1.  La  forme  grammaticale  pourrait  ici  donner  lieu  au  reproche 

d'amphibologie    :     Il       11     i   ai-ta-na  peut  se  traduire  par 

veniens  (sum)  ego,  ou  veniens  tu  ad  me.  Mais  nous  savons,  par  d'au- 
tres exemples,  que  le  participe,  au  commencement  d'une  allocution, 
était  usité  dans  le  sens  d'une  sorte  d*impératif  gracieux.  Dans  l'his- 
toire de  la  princesse  de  Bakhtan,  le  démon  exorcisé  dit  au  dieu 
Khons  (i)  :  i-t  em  hutep  nuter  aa  «  viens  en  paix,  dieu  grand!  »  en 
se  servant  de  la  môme  tournure. 

2.  M.  Birch  traduit  ici  le  verbe  J'ik     num,  par  diriger;  c'était 

en  effet  le  sens  indiqué  parChampollion,  mais  sa  conjecture  ne  s'est 
pas  trouvée  juste.  Num  se  traduit  joindre,  réunir,  d'où  un  second  sens, 

gratifier,  combler.  Ce  radical  se  retrouve  dans  le  copte  îtE-W-  cum. 
La  réunion  de  l'âme  au  corps  est  exprimée  par  ce  mot,  comme  va- 

riante  du  verbe  ordinaire    g     I .         tema  (2),  en  copte  TOI**- 

conjungere.  Dans  le  second  sens,  les  dieux  gratifient,  remplissent  les 
narines  des  souffles  de  la  vie,  comme  Amon  remplit  ici  les  membres 

du  principe  vital     <$tffc>  (3). 

3.  Ce  passage  se  transcrit  netem-ui  am-t-uk  er  sen-t-a  (Voyez  la 
fin  de  la  seconde  ligne).  Netem  signifie  être  agréable;  am-t,  ainsi 

écrit  A  lk  ,  est  pris  souvent  dans  le  sens  de  grâces  et  faveurs  (4). 

mais  j 'ignore  le  sens  de  sen-t,  déterminé  par  i'épervier  couché  *W  : 
M.  Birch  n'a  pas  traduit  cette  phrase. 

4.  ij^  représente  un  bloc  sur  un  traîneau;  il  se  lit   I  I  et   I  1 1 

(1)  V.  Mon  étude  sur  une  stèle  de  la  Bibliothèque,  etc.,  page  143. 

(2)  Invocation   à  Isis,  sarcophage  du  musée  de  Saint-Pétersbourg,  tas  num  vai-a 
er  xa-w,  det  illajungi  animam  rneam  corpori  suo. 

(3)  V.  Étude  sur  une  stèle,  etc.,  page  111. 


(li)     ^^J.  I  ^^    VL       S     ttr-t  aam-t,  la  grande  de  la  faveur,  titre    de 
princesse.  Louvre,  stèle  de  la  reine  Nvosa-s. 


DIVERS   MONUMENTS    DE    TOUTMÈS   III.  203 

va,  vi.  Gomme  substantif,  il  se  traduit  par  produits  et  richesses; 
comme  verbe,  c'est  apporter,  donner.  M.  Birch  le  traduit  d'une  ma- 
nière analogue  par  récompenser  :  cette  nuance  ne  me  paraît  pas 
prouvée.  Va  se  relie  au  radical  wa,  porter,  comme  le  sahidique  &j 
£xES  ferre,  au  radical  q&s     qj    de  môme  signification. 

5.  On  ne  sait  pas  au  juste  quel  est  le  sens  mythique  qu'il  faut  atta- 
cher à  celte  locution  les  esprits  du  roi  M*±  ;  c'est,  en  tout  cas,  une 
métaphore  usuelle  pour  désigner  sa  personne. 

6.  Les  quatre  supports  du  ciel,  ainsi  que  M.  Brugsch  l'a  bien 
expliqué  dans  sa  Géographie,  marquaient  l'extrémité  du  monde.  On 
serait  naturellement  disposé  à  y  voir  les  quatre  points  cardinaux; 
cependant  c'est  ordinairement  au  nord  que  ce  terme  est  particulière- 
ment appliqué,  et  je  suppose  qu'il  se  rapporte  au  pôle. 

■  g  ■ 

7.  Le  radical  -$£  sew,  déterminé  par  la  partie  anté- 
rieure du  bélier,  me  paraît  se  traduire  par  l'ardeur  en  général.  On 
peut  le  rapprocher  des  thèmes  coptes  oj&qE  intumescere  2£oq- 

2£Eq  ardor,  fervere.  Il  est  appliqué  clairement  à  l'amour,  dans  cer- 
tains textes,  où  il  est  en  parallélisme  avec  meti,  aimer.  On  trouve, 
par  exemple,  les  mots  suivants  dans  une  allocution  d'Isis  à  Pliilo- 
métor  :  Je  te  donne  l'amour  (meri)  dans  le  cœur  des  hommes  et  la 
passion  (sewi)  dans  le  cœur  des  femmes.  Mais,  dans  notre  phrase  et 
dans  beaucoup  d'endroits  analogues,  cette  ardeur  désigne  le  courage 
ou  la  colère  du  roi,  et  puis,  dans  un  sens  passif,  la  terreur  que  cette 
ardeur  produit  sur  les  ennemis;  les  exemples  abondent  dans  ce  sens, 
et  je  vois  que  M.  Birch  l'a  entendu  de  la  même  façon. 

8.  m  m.  Champollion  traduisait  ces  neufs  arcs  par  les  Libyens; 

on  sait  maintenant  que  cette  locution  comprend,  par  une  sorte  de 
pluriel  d'excellence,  l'ensemble  des  nations  ennemies  :  on  ne  la 
rencontre  pas  appliquée,  dans  le  récit  des  expéditions,  à  quelque 
contrée  spéciale;  aussi  se  trouve-t-elle  en  relation  parfaite  avec 
«  toutes  les  nations,  »  dans  le  second  membre  de  phrase. 

9.  Le  dieu  se  sert  ici  des  verbes  h-^  %  x  <,  nuh,  alli- 
gare  et    I     _    y  %k     ^    sa-tema  :  le  dernier  est  déterminé 


204  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

par  le  signe  '^  qu'on  trouve  aussi  sous  la  forme  J|,  où  il  mon- 
tre clairement  un  faisceau  de  tiges  d'une  plante  quelconque  liées 
ensemble.  Je  le  crois  formé  de  Vs  initiale  causative  et  d'un  thème 
tema  que  je  rapporte  au  radical  ïam  annectere,  adhœrere. 
M.  Birch  traduit  ici  tout  autrement  «  j'étends  mes  propres  bras  pour 
«  te  remorquer,  je  te  soumets  les  Libyens,  »  etc.,  )  qui  se 

lit  Kenes,  est  un  nom  bien  connu  de  la  Nubie  (1);  je  ne  puis  donc 
me  réunir  ici,  sous  aucun  rapport,  à  la  traduction  de  mon  savant 
confrère. 

10.  Il  y  a  ici  un  mot  à  demi  effacé  qui  terminait  la  cinquième 

ligne,  ce  pouvait  être      a    H- ,  pris  vivants . 

11.  M.  Birch  traduit  reki-u  par  «  insulters.  »  Ce  sens  avait  été 
indiqué  en  effet  par  Ghampolhon;  mais  le  radical  rek  signifie  essen- 
tiellement declinare,  rentière,  recusare;  en  conséquence,  reki-u  doit 
s'appliquer  proprement  aux  rebelles,  ceux  qui  refusent  d'obéir. 

12.  Tata-k  sentiu  xaJ;u.  M.  Birch  a  traduit  ces  mots  par  «  thou 
hast  scared  and  turned  back  the  cowards.  »  Je  me  sépare  de  lui  sur 
l'appréciation  de  tous  ces  mots.  Tata  me  paraît  entraîner  un  effet 
bien  plus  positif  qu'effrayer  dans  les  endroits  si  nombreux  où  notre 
stèle  l'emploie.  (Voyez  le  commencement  des  dix  versets.)  Je  ne  puis 

la  traduire  autrement  que  profligare,  percutere.  V7  il  I  V  Sent- 
iu ne  peut  pas  être  apprécié  ici  comme  un  second  verbe;  il  faudrait 
qu'il  fût  de  la  même  forme  que  tata-ek,  pour  se  prêter  à  la  supposi- 
tion de  M.  Birch.  On  ne  peut  hésiter  à  y  reconnaître  l'expression 

usuelle  sent-iu,  les  grands,  les  gens  distingués,  qui  reçoit  ordinaire- 
ment pour  déterminatif  Yu^  le  caractère  affecté  aux  chefs  ou 
princes  (2).  C'est  d'ailleurs  un  substantif  pluriel,  régime  nécessaire 
de  tata-k.     /^*\  V      Jfo  i     Xaku  :  cette  épithète  de  mépris  est 

adressée  aux  ennemis  des  dieux  et  des  rois ,  on  la  met  en  parallé- 
lisme avecseva,  impie.  Xaku  se  comparera  régulièrement  à  la  racine 

(1)  Voyez  Brugscli,  Géographie,  I,  page  100,  seq. 

(2)  Il  est  à  remarquer  que  le  graveur  de  la  stèle  s'est  montré  très-avare  de  déter- 
minatifs,  ce  qui  cause  souvent  des  embarras  à  l'interprète. 


DIVERS   MONUMENTS   DE   TOUTMÈS   III.  205 

sahidique  cytUfSE  qui  comporte  le  sens  d'obscurci,  aveuglé.  Je 
crois  qu'il  faut    entendre  l'expression  Xaku  (i)  des   obscurcis  de 

cœurs,  des  obstinés  ou  gens  sans  intelligence.  M.  Biich  propose, 
dans  une  note,  le  sens  de  fou,  qui  s'en  rapproche;  mais  il  faut  abso- 
lument écarter  le  mot  lâche,  qui  figure  dans  sa  traduclion.  Le  récit 
de  l'inscription  d'Ahmès,  chef  des  nautoniers  (ligne  22),  introduit 
ainsi  le  chef  des  Nubiens  convoquant  son  armée  :  sehiu-new  neic- 
xaku,  il  rassemble  près  de  lui  les  xaku,  les  gens  obstinés,  stupides 

peut-être,  mais  à  coup  sûr  il  n'a  pas  spécialement  convoqué  les  pol- 
trons. Xaku  doit  être  probablement  compris  dans  le  sens  mystique  de 

Y  aveuglement  du  cœur;  on  confond  toujours  le  rebelle,  ou  l'ennemi 
avec  l'impie. 


13.  a***~a^=>  ^*  mau  rer  ur.  Cette  expression  est  différente 


de  ^*"e  uat-ur,  le  grand  bassin,  nom  ordinaire  de  la  Méditer- 
ranée. On  peut  traduire  mau  rer  ur  par  Veau  du  grand  circuit  ou 
repli.  Étant  joint  immédiatement  au  nom  du  Naharaïn,  il  me  semble 
qu'on  peut  y  reconnaître  l'Euphrate;  nous  savons  d'ailleurs  que 
Toutmès  III  avait  atteint  Ninive  dans  ses  expéditions.  M.  Birch  l'en- 
tend ainsi  dans  sa  traduction;  il  propose  néanmoins,  dans  son  com- 
mentaire, YOcéan.  Je  ne  crois  pas  que  cela  soit  admissible,  puisqu'il 
est  question  ici  de  la  Mésopotamie,  où  les  Égyptiens  arrivaient  tou- 
jours par  la  voie  de  la  Syrie. 

14.  ^^.   I    ***.  ©      baba-u,    mot    assez    rare,  est   sans 
aucun  doute  le  copte  fiKfî  antrum. 

15.  7~\  ^^         ka,  priver,  ôter.  Le  nez  est  un  déterminatif  de 

l'idée  de  séparation;  on  le  trouve  ainsi  à  la  suite  des  mots  tels  que 
xena,  séparer,  toteh,  renfermer,  savetu,  révoltés,  etc.  Ka  correspond 

au  copte  6uu ,  cessare,  renuere;  mais  ici  il  a  un  sens  causatif, 
priver. 


(1)  Il  me  paraît  probable  que  le  signe        cœur  fait  ici  partie  du  déterminatif  et 
n'était  pas  prononcé. 


206  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

16.  ^  ^  xet,  que  M.  Birch  traduit  ici  tourner,  retourner,  se 

prête  aux  idées  d'accompagner,  être  près  ou  avec  quelqu'un.  Exem- 
ples :  (Rituel  f.,  en.  100, 1.  7  et  alias)  Nuter-u  am-u  xet  Ra,  «  les 
«  dieux  qui  accompagnent  le  soleil.  »  (Ibidem,  en.  112,  5,  etc.) 
Tat  en  Hor  en  nen  nuter-u  nti  em-xet-w,  «  Horus  dit  aux  dieux 

«  qui  sont  avec  lui.  »  Lorsque  le  thème  xet  signitie  reculer  ou  re- 
pousser, il  prend  habituellement  le  détermina tif  /v,  c'est-à-dire 
les  jambes  marchant  en  sens  inverse  (1). 

17.  Le  groupe     ~.    'fc^      îo      xut,  désigne  l'urœus  figuré  sur 

le  front  des  dieux  et  des  rois.  Le  pharaon  le  portait  comme  l'expres- 
sion vivante  de  la  divinité  que  le  soleil  avait  transmis  à  ses  descen- 
dants; les  écrivains  égyptiens  lui  prêtent  quelquefois  une  action 
personnelle,  ce  qui  donne  lieu  aux  figures  les  plus  hardies. 

18.  I  II  JSaJl  Sesun.  M.  Birch  le  traduit  par  éblouir.  Je  ne  doute 
pas  qu'il  ne  signifie  détruire  :  outre  la  flamme  >i,  on  lui  trouve  pour 

déterminatifs  l'oiseau  funeste    *^*-    et  la  hache  d'armes  ou  la 

masse  ■• —  (2).  On  peut  le  rapprocher  du  copte  CtUC  evertere. 
la  terminaison  nasale  modifiant  quelquefois  les  radicaux. 

^'    î   a    \Ë  \J  \J"  ^'  ^iren  tra(luit  ce  nom  par  les  pasteurs; 

ils  sont  caractérisés  par  un  chapeau  particulier  et  par  le  bou-mé- 

rang  V  ou  bâton  de  chasse,  qu'ils  tiennent  à  la  main.  La  lecture 

de  leur  nom  reste  douteuse,  mais  on  sait  qu'ils  sont  souvent  cités 
avec  les  divers  peuples  asiatiques. 

20.  M.  Birch  traduit  am-u  nev-u-sen^av  «  ail  those  who  belong 

to  them,  »  interprétant  ainsi  ^^^J^^   dans  le  sens  ordinaire  de 

tout.  En  comparant  cette  locution  à  celles  des  lignes  li,  17, 18  et  21 
am-u  nev-u  sen,  am-u  iu,  am-u  ha-sen,  je  suis  amené  à  penser 


(1)  V.  Fouilles  de  Thèbes,  par  M.  Greene,  pi.  I,  colonne  4. 

(2)  Denkmaeler,  III,  140,  et  l'inscription  d'Ahmès,  chef  des  nautoniers,  col.  28. 


DIVERS    MONUMENTS   DE   TOUTMÈS   III.  207 

que  ^^  est  ici  un  substantif,  désignant  un  genre  d'habitations 

que  je  ne  suis  pas  en  mesure  de  déterminer.  La  comparaison  qui 
leur  est  adressée  au  cinquième  verset  (lig.  17)  m'engage  à  les  re- 
garder comme  des  populations  maritimes.  Je  proposerai,  sous  toutes 
réserves,  le  sens  déporte,  pour  hasarder  une  conjecture. 

21.  m     nehu,  est  traduit  par  M.  Birch,  échapper;  je  le 

rapporte  au  thème  copte  UEf,  abjicere,  excutere;  son  déterminatif 

générique,  qui  manque  ici,  est  l'oiseau  du  mal  "it-*-  (1)  et  non  pas 

les  jambes  J\  qu'amènerait  naturellement  l'idée  d'échapper.  Je 
crois  donc  que  résister,  refuser,  est  la  véritable  nuance  à  employer  ici. 

22.  Se-hat  ape-a  em  neta-k.  M.  Birch  traduit  «  ma  tête  brille 

sur  ton  corps;  »  il  a  lu  sans  doute  "" ^  ta  corps,  en  négligeant  F». 
Je  crois  qu'il  faut  reconnaître  ici  le  mot     "^      neta  ou     v*  I 

I^O^  neti  (^)'  Q11*  signifie  des  gens  soumis  à  une  autre  personne. 

Je  retrouve  ce  mot  dans  le  titre  de  la  liste  des  peuples  du  Midi  con- 
quis par  Toutmès  III,  découverte  également  par  M.  Mariette  et  pu- 
bliée par  M.  Birch  (3).  Ce  titre,  que  nous  traduirons  en  entier  dans 
la  seconde  partie  de  cette  étude,  se  termine  ainsi  :  «  Voici  que  toutes 
«  les  nations  furent,  em  neta  en  hon-w,  mot  à  mot,  à  l'état  de  su- 
ie jettes  de  Sa  Majesté  (d'après  l'ordre  d'Ammon.)  »  Le  contraire  de 

Jl    V,\     I 
veset;  celte 

forme  est  plus  rare;  peut-être  le  n'est-il  déplacé  par  le  gra- 

veur que  pour  la  symétrie  du  groupe,  qu'on  trouve  souvent  écrit 

i  w  i   • 
|    •  sevet;  au  surplus,  la  langue  égyptienne  fournit  un  certain 


(1)  V.  Lepsius,  Denkrnaeler,  II,  122. 

(2)  V.  Denkmaeler,IV,  27;  Brugscb,  Géor/r.,  III,  pi.  VIII;  Champollion,  Notice  de 
Philœ,  p.  200. 

(3)  Sam.  Bircli,  Observations  on  the  newly,  etc.,  tr.  R.  S.  of  littérature,  vol.  VII, 
new  séries. 


208  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

nombre  d'exemples  de  métathèses  analogues  à  celle  de  veset  pour 
sevet.  Je  compare  le  mot  sevet,  qui  s'applique  toujours  aux  révoltés, 
au  copte  ojx&E,  mutare.  Le  nez  est  encore  ici  symbole  de  sépara- 
tion. M.  Birch  traduit  «  lliou  hast  no  weakness  at  the  orbit  of  the 
«  heaven;  »  il  paraît  ainsi  avoir  confondu  veset  avec  vutes , 
^A^  déterminé  par  l'homme  les  deux  bras  pendants,  qui 
signifie  faiblesse  et  qui  se  lit  à  la  ligne  suivante  : 

23.  Ta-a  vutes  tekek-u  iu  em  hau-k.  M.  Birch  a  rendu  ces  mots 
par  «  je  place  le  faible  lié  devant  toi.  »  Cette  traduction,  qui  serait  peu 
satisfaisante  quant  à  l'idée  exprimée,  ne  me  paraît  pas  exacte.  Je 
traduis  ta-a  vutes,  «  je  fais  faiblir,  j'énerve;  »  le  régime  est  les 

tekek     <^^>  V>.   Ce  déterminatif  se  met  aux  ennemis  en  général. 


et  il  n'entraîne  pas  nécessairement  l'idée  de  captivité.  Le  mot  m'ap- 
parait  pour  la  première  fois;  je  pense  qu'on  peut  le  ramener  au  ra- 
dical "Ta\5"  adjungere,  annectere,  et  l'entendre  des  alliances  ou 
confédérations  hostiles,  iu  em  hau-k,  «  qui  sont  arrivées  dans  ton 
temps;  »  le  dieuleur  aura  ôté  toute  force,  fa  vutes.  Il  faudra  nécessai- 
rement d'autres  exemples  pour  confirmer  celte  conjecture. 

24.  • — ^  fi  maxa,  suivi  de  la  flamme,  est  également  un  mot  très- 

rare.  M.  Birch  le  rapproche  avec  toute  probabilité  de  *3-0<L,  uri. 

Stau,  qui  revient  deux  fois  dans  le  texte  (1),  y  reçoit  pour  déter- 
minatif un  oiseau  tout  particulier  qui  paraît  appartenir  à  l'ordre  des 
échassiers.  Je  le  rapproche  du  copte  crTCTT  trembler.  Je  sais  qu'on 
connaît  déjà  celui-ci  dans  les  hiéroglyphes  sous  la  forme  toute  pa- 
reille 0  Ç  \^>  sfwt' mais  ils  ne  cliffèrenl  de  notre  tnème  stau  5ue 
par  le  redoublement  de  la  seconde  radicale;  c'est  une  variété  gramma- 
ticale qu'on  observe  dans  beaucoup  d'autres  mots. 

Nous  arrivons  à  cette  partie  de  l'inscription  qui  se  compose  de  dix 

(1)  V.  lignes  12  et  17,  sous  les  formes  %k      V   ^1K  et   |  ^^ 

dans  la  seconde,  les  voyelles  sout  omises. 


DIVERS   MONUMENTS   DE   TOUTMÈS   III.  209 

versets,  offrant  à  l'œil  et  à  l'oreille  la  répétition  constante  du  com- 
mencement et  du  milieu  de  chaque  ligne  d'hiéroglyphes.  Chacune  de 
ces  petites  phrases  contient  quatre  membres  parfaitement  coupés. 
Dans  la  première  partie  de  chaque  verset,  une  ou  deux  régions  sont 
nommées;  Ammon  leur  présente  Toutmès,  dans  la  seconde  partie, 
sous  une  image  qui  varie  avec  chaque  contrée.  C'est  donc  un  véritable 
petit  poëme  aux  formes  exactement  pondérées  que  l'écrivain  intro- 
duit ainsi  brusquement  au  milieu  de  son  discours. 

25.  Xet  (sat-u?)  sen,  étant  dans  leurs  régions  :  nous  avons  expli- 
qué plus  haut  le  sens  de  S  m.  xet.  M.  Birch  traduit  :  «  les  contrées 

«  étrangères  tournent  le  dos.  »  Il  n'a  pas  eu  égard  au  pronom  linal 
sen,  qui  prouve  qu'il  s'agit  des  contrées  appartenant  aux  princes  de 
Tahi  nommés  dans  le  verset.  Ceci  rend  plus  évident  encore  l'im- 
possibilité de  traduire  ici  xet  par  retourner;  les  mêmes  individus  ne 
pouvant  être  sous  les  pieds  du  roi  et  se  sauver  tout  à  la  fois. 


M, 


26.  Le  terme  m  m      mm,  écrit  aussi  quelquefois     V 

désigne  une  portion  de  territoire  comprenant  quelquefois  plusieurs 
villes  (1),  une  province.  Je  n'adopte  pas  le  sens  de  frontières  proposé 
par  M.  Birch:  il  ne  semble  pas  se  relier  au  sens  naturellement. 

27.  Seset  est  un  mot  rare  et  dont  le  sens  reste  douteux  pour  moi. 
Je  l'avais  trouvé  dans  les  textes  découverts  par  M.  Greene  (2)  à 

Médinet-Habou,  sous  la   forme  M        \  S  I  •  Ranisès  III,  dans  ce 

texte,  était  comparé  à   un  coursier  puissant  courant  comme  les 

astres...  *f]°  ~^  §  ,|-|-^=  "    T  her  seset-u  ami  hur-t  : 

i  I  -»  il!  i  I    \\  »  »— -. 

dans  leur  seset,  dans  le  ciel  supérieur.  J'avais  traduit  ce  mot  conjec- 
turalement  par  orbite,  en  le  rapprochant  de  \  *0s  seset, 

qui  signifie  un  diadème  (3),  mais  ici  l'orthographe  est  très-différente  ; 


(1)  V.  Denkm.,  III,  30,  a,  1.  12.  Toutmès  prend  des  villes  situées  dans  un  vu  dont 
le  nom  est  effacé.  Plus  loin  il  ravage  le  uu  de  la  ville  à' Annulais,  son  territoire. 

(2)  V.  Notice  de  quelques  textes,  etc.  Athenaeum  français,  1855,  et  Greene,  Fouilles 
de  Thèbes,  planche  I,  col.  3. 

(3)  V.  Prisse,  Choix  de  monuments,  XXI,  1.  8. 


210  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

seset  est  déterminé   par  un   astre  et  par  un  crocodile  \ 

*^'5^'.  Ce  reptile  à  longue  queue  m'avait  fait  songer  d'abord  à 

une  comète;  mais  il  est  probable  que  les  deux  passages  se  rapportent 
à  un  même  phénomène  céleste.  Le  premier  parait  indiquer  un  mo- 
ment où  la  marche  des  astres  semble  plus  rapide.  Le  second  montre 

le  phénomène  seset,  comme  source  de  chaleur  et  aussi  comme  pro- 
duisant la  pluie  ou  la  rosée,  car  le  mot  at    I  'J^p    répond 

exactement  au  copte  UTTE  sa\"TE;  \ai^.  rosée  (1).  Ces  condi- 
tions permettraient  de  supposer  qu'il  s'agit  dans  notre  phrase  d'une 

phase  solaire  telle  que  le  solstice;  en  tout  cas,  seset  reste  un  petit 
problème  qui  demande  de  nouveaux  éclaircissements. 

28.  Je  ne  puis  admettre  la  conjecture  de  M.  Birch,  qui  traduit  ici 

«  sous  tes  sandales.  ».  Le  déterminatif  desewsew,  pareil  à  celui  qu'on 
voit  à  la  ligne  quatre,  est  encore  visible  dans  l'empreinte  de  M.  Ma- 
riette. Le  pronom  final  k  est  seul  douteux. 

29.  La  tournure  grammaticale  est  à  remarquer,  elle  était  sans 
doute  poétique  :  en  ha  entuw,  qu'on  ne  peut  arrêter;  et,  au  verset 
suivant,  an  teken  entuw,  qu'on  ne  peut  approcher. 


30.  I  I  ^*^   Tepi  est  un  mot  nouveau.  M.  Birch  le  rend 

par  furieux.  L'analogie  avec  les  versets  précédents  me  prouve  qu'il 
faut  y  voir  un  nouveau  terme  de  comparaison.  C'est  peut-être  un 
des  noms  fort  nombreux  du  crocodile  ou  quelque  monstre  marin, 

tel  que  le  requin.  Ce  nom  rappelle  le  copte  T&TTT  vorare. 

31.  \\*  net-ti.  Le  sens  de  vengeur  est  bien  établi,  pour  ce 
groupe,  par  la  légende  d'Horus,  vengeur  de  son  père.  La  lecture 
net     "^      est  maintenant  bien  connue;  de  là  les  transcriptions 

grecques  ApevôVr/]?  et  Opov-roTriç  qui  représentent  exactement  \0  T I 

(1)  La  forme  ithyphallique  du  dieu  suprême  porte,  entre  autres  qualifications, 
celle  du  seigneur  de  la  rosée,  ou  de  l'émanation       7!?**:  I  'î$\\     ur  a*' 


DIVERS  MONUMENTS  DE  TOUTMÈS  III.  211 

1    Hor-anet-atew,  Horus  vengeur  de  son  père.  Je  ne  connais 
pas  d'autorité  pour  le  sens  de  sacrificateur  que  M.  Birch  lui  donne  ici. 

32.  Nev  tema  y^tlW^'\^-  L'ensemble  de  cette  locution 

reçoit  pour  déterminatif  un  épervier.  Le  terme  assez  rare  tema  se 
rapporte  au  vol,  comme  le  prouve  la  présence  de  4'aile.  M.  Birch 
l'entend  de  l'épervier  qui  s'abat  sur  sa  proie  «  as  a  swooping  hawk, 
«  taking  at  a  glance  what  it  chooses.  »  Je  crois  plutôt  que  cette  se- 
conde partie  du  verset  est  en  rapport  avec  la  grande  étendue  des 
mers,  attribuée  au  roi  dans  la  première.  Dans  cette  direction  d'idées, 
je  proposerai  de  traduire  nev  tema  par  le  «  Seigneur  qui  plane.  » 
Les  derniers  mots  :  ta  em  tekaka-iv  er  meri-w  peuvent  très-réguliè- 
rement être  traduits  :  «  Saisissantpar  son  regard  jusqu'où  il  lui  plaît.» 
Le  pharaon  serait  ainsi  représenté  planant  sur  l'immense  domaine 
qu'on  vient  de  décrire.  Je  reconnais  volontiers  que  la  question  peut 
sembler  indécise  entre  ces  deux  traductions. 

33.  Les  deux  mots  importants  de  cette  phrase  sont  encore  douteux. 
Dans  le  premier,  le  signe  £  ha  est  suivi  d'un  trait  informe 
et  que  je  ne  puis  déterminer;  le  second  mot  ^— i,  sa,  peut  être 

avec  quelque  vraisemblance  rapproché  de  OJCU  sable,  ainsi  que  le 
propose  M.  Birch.  D'autres  exemples  seraient  nécessaires  pour  en 
décider. 

3i.  La  fin  du  verset  est  difficile.  M.  Birch  traduit  ainsi  la  qualifi- 
cation appliquée  au  chacal  du  midi  :  «Which  as  doubled  andescaped  a 
«  great  hunter.  »  L'image  serait  bien  peu  relevée,  après  toutes 
celles  que  nous  venons  de  voir.  Le  sens  que  je  propose  se  tirerait  du 
mot  à  mot  suivant  :  nev  mas  hapu-ti  xens  ta-ti  (1),  seigneur  de 
conduire  une  exploration,  qui  traverse  les  deux  mondes;  mas  est  le 
mot  employé  pour  la  conduite  des  caravanes  et  convois  de  prisonniers 
venant  de  pays  lointains. 

Le  radical  flop  signifie  juger  et  aussi  observer;  hapi,  déterminé 

(1)  M.  Birch  a  lu  le  dernier  mot    _  no,  grand;  c'est  une  faute  de  copie  :  l'em- 

preinte porte  clairement  ,  les  deux  mondes, 


212  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

par  les  jambes  en  marche  J\  ,  est  le  nom  des  espions;  il  se  re- 
trouve exactement  dans  la  locution  copte  ^OïTX  E*^EK,  obsenare. 
Le  chacal  qui  pénètre  au  loin  dans  le  désert  est  un  terme  de  compa- 
raison convenable  pour  un  verset  où  il  semble  qu'on  attribue  au 
pharaon  les  habitants  des  oa?is  les  plus  reculées.  Peut-être  l'auteur 
a-t-il  songé  au  chacal  céleste,  guide  des  routes  méridionales,  suivant 
sa  légende,  qui  présidait  au  sixième  mois  de  l'année  sacrée. 

35.  Les  deux  divins  frères  qu'Ammon  donne  ici  au  roi  sont  Eorus 
et  Set,  qu'on  voit  en  effet,  dans  les  tableaux  religieux,  unissant  leur 
action  pour  verser  sur  la  tète  du  roi  la  force  et  la  vie. 

Les  dix  versets  réguliers  finissent  avec  ces  mots  ;  mais  l'auteur 
continue  son  discours  sans  interruption. 

36.  Les  deux  sœurs  divines  sont  Isis  et  Nephthys.  M.  Birch  tra- 
duit «  Thy  two  sisters,  l  letthem  place  their  hands  over  thy  majesty 
«  behind  for  protection,  terrifying  the  evil.  »  Je  coupe  cette  phrase 

tout  autrement  :  je  remarque  d'abord  que  le  texte  porte  "       ?    1 

«  les  bras  de  ma  majesté,  »  c'est-à-dire  d'Àmmon  qui  parle  et  non 
ceux  des  deux  sœurs  :  c'est  donc  lui  qui  tient  ses  bras  levés  pour 
chasser  ou  repousser  (1)  les  maux  qui  pourraient  menacer  le  roi. 

37.  Le  texte  porte  ari-na  merer-t-nev  ka-a.  «J'ai  fait  tout  ce  que 
«  désirais.  »  Mais  je  ne  puis  me  défendre  de  soupçonner  que   le 

graveur  aura  oublié  le  pronom  de  la  seconde  personne     '«■^  ,  après 

le  verbe  -«>-  art.  Je  pense  que,  dans  l'intention  du  rédacteur, 
il  devait  y  avoir  ari-k-na;  tu  m'as  fait  (tout  ce  que  je  désirais),  etc. 

38-    Sm^  UJi     et   (li^ne  3)     £*.  m AWVWA    uunen,  est 

un  mot  assez  rare;  on  trouve  plus  fréquemment  uu  et  uni, 
J^  \  I  I  .  L'addition  et  l'omission  de  la  nasale  sont  très- 
fréquentes  :  considérée  comme  un  simple  accident  de  la  voyelle, 
le  signe  de  la  nasale  pouvait  même  s'omettre  à  volonté  dans  l'écri- 


(i) 


t~JÇ      se-her  est  le  copte  Ç,Z>^j  Q  (ttyicere. 


DIVERS  MONUMENTS  DE  TOUTMÈS  III.  213 

lure,  ainsi  que  le  prouve  une  grande  quantité  d'exemples  de  toute 
espèce  (1).  Les  mots  uunen,  uun,  uni  signifiaient  demeure  dans  un 
sens  assez  général,  car  on  l'appliquait  aux  maisons  particulières  (2). 
Mais  on  le  trouve  aussi  pour  désigner  des  temples  et  autres  édifices 
considérables  (3).  Je  pense  que  c'est  avec  raison  que  M.  Birch  le 
rapproche  du  copte  o'ïEUET  cella,  œdicula. 

39.  Les  lacunes  qui  se  trouvent  dans  les  deux  dernières  lignes 
ne  nous  permettent  pas  de  dire  pourquoi  cette  porte  était  citée  ; 
peut-être  notre  monument  fut-il  gravé  à  l'occasion  de  son  achè- 
vement. 

40.  Le  texte  porte  ici  smen-a-tu,  je  suis  établi.  S'il  n'y  a  pas  eu 
de  faute  de  la  part  du  graveur,  on  devra  considérer  ces  derniers 
mots  comme  une  réponse  du  roi,  car  le  trône  d'Horus  est  une  des 
désignations  ordinaires  de  la  royauté  des  pharaons  II  arrive  assez 
souvent,  dans  le  style  égyptien,  que  l'interlocuteur  change,  sans  que 
le  lecteur  en  soit  prévenu  par  une  incise  spéciale. 

REMARQUES   GÉOGRAPHIQUES. 

Notre  monument  ne  paraît  pas  avoir  été  consacré  à  l'occasion 
d'une  conquête  ou  d'un  fait  d'armes  particulier,  aussi  les  notions 
géographiques  qu'il  nous  apporte  ne  sont  pas  groupées  vers  un 
point  spécial;  mais  elles  n'en  sont  pas  moins  précieuses;  car  il  est 
évident  que  l'auteur  de  ce  petit  discours  y  jette  un  coup  d'œil  d'en- 
semble sur  les  régions  étrangères  soumises  à  Toulmès  III.  Ces  dési- 
gnations méritent  donc  une  étude  approfondie,  car  il  n'est  guère 
d'aulre  monument  où  l'on  ait  fait  une  aussi  large  excursion  en  de- 
hors du  terrain  ordinaire  des  expéditions  militaires. 

Amon-ra  commence  par  donner  au  pharaon  la  victoire  sur  les 
nations  en  général,  et  il  recule  les  limites  de  son  action  jusqu'aux 


P 


(1)  C'est  ainsi  qu'on  doit  expliquer  la  variante  du    pronom  pour 

•  Il  faut  négliger  l'explétif  *■  et  lire  sen.  Suivant  M.  Birch,  au  contraire, 

II' 

il  faudrait  ne  tenir  aucuu  compte  de  Vn  et  lire  toujours  se,  ce  qui  me  semble  inad- 
missible 

(2)  V.  Papyr.  Anastasi  III,  5,  1.  33.  Notem  het-ten  ndi  iai-a  uuï.  Réjouissez  votre 
cœur,  gens  de  ma  demeure! 

(3)  V.  Champollion,  Notice  d'Amada,  pagr>  106. 


214  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

supports  du  ciel.  Une  autre  indication,  contenue  dans  la  ligne  5, 
est  également  très-sommaire;  elle  se  borne  à  opposer  les  peuples 
de  la  Nubie  (Kens)  en  milliers  et  myriades,  aux  peuples  du  Nord, 
bien  plus  nombreux  encore. 

La  première  mention  spéciale  est  pour  le  Naharaïn,  c'est-à-dire 
la  Mésopotamie.  J'ai  déjà  fait  observer  que  les  peuples  d'Assyrie 
avaient  toujours  la  place  d'honneur  dans  les  énumérations,  les 
nègres  de  la  vile  Ethiopie  (Kus)  arrivant  les  derniers.  Toutmès  a 


traversé      a****..       =aac:    mau  rer  ur  «  l'eau  du  grand   repli  de 


«  Naharaïn,  »  ou  bien  «  et  le  Naharaïn,  »  car  aucune  particule  ne 
marque  d'une  manière  certaine  le  rapport  grammatical  entre  ces 
deux  mots.  L'eau  du  grand  repli  ou  circuit  peut  s'entendre  assez 
naturellement  des  deux  grands  fleuves  qui  s'unissent  pour  entourer 
la  Mésopotamie.  Nous  savons  positivement  que  Toutmès  s'est  dirigé 
par  la  voie  de  terre  dans  sa  grande  expédition,  et  qu'il  a  pénétré 
jusqu'à  Ninive. 

Le  second  groupe  qui's'offre  à  nous  est  écrit  4   ^    \1  \î  \1 . 

J'ai  dit  que  la  première  articulation  de  ce  nom  était  douteuse,  Adi 
ou  Kadi.  M.  Brugsch  paraît  confondre  cette  désignation  avec  celle 

de    i  "  Ades  ou  Kades.  Mais  il  me  semble  que  cette  der- 

1  I     W     I  fc    1   4 

nière  appellation  est  restreinte  à  une  ville  et  à  son  district,  tandis 
que  la  première  est  beaucoup  plus  compréhensive.  Ce  doit  être  le 
nom  d'une  race  répandue  clans  la  Syrie  auprès  des  Rotennou  et  des 
Cheta;  mais  il  faut  attendre  que  nous  possédions  la  lecture  défini- 
tive du  premier  caractère  i  pour  entreprendre  l'identification  des 

noms  de  Kadi  (?)  et  Kades  (?).  Nous  ne  trouvons  dans  cette  partie 
que  des  mentions  très-générales  ;  nous  avons  cherché  plus  haut  à 
conjecturer  à  qui  pouvait  s'appliquer  la  locution  am-u  nev-u-sen, 

ceux  qui    résident   dans   leurs   (**mr     nev?).   Quant    au    mot 

!  V  %  Vj  i  amu,  il  est  reconnu  depuis  longtemps  comme  le 

nom  générique  appliqué  aux  races  que  nous  comprenons  sous  la 
dénomination  de  sémitiques  :  ce  n'est  autre  chose  que  le  mot  hé- 
breu dj?,  peuple,  et  notre  texte  l'emploie  même  dans  ce  sens,  à  la 
ligne  14. 


DIVERS  MONUMENTS  DE  TOUTMÈS  III.  215 

En  examinant  l'ensemble  des  données  contenues  dans  les  dix 
versets,  on  reconnaît  facilement  que  le  rédacteur  a  voulu  faire  le 
tour  du  monde  alors  connu  au  profit  de  l'orgueil  de  son  maître;  il 
commence,  suivant  l'usage,  par  la  Syrie,  et  finit  par  l'Ethiopie. 

Le  premier  nom  est  celui  du  Tahi     1     ra   ;  ce  pays  comprenait 

divers  districts;  on  voit  que  le  texte  parle  de  ses  princes  au  pluriel. 
M.  Birch  avait  proposé  d'assimiler  Tahi  à  la  ville  de  Gaza  m2?;mais, 

comme  nous  le  montrerons  plus  loin,  jamais  le     A     T  ne  répond 

au  y  p,  ni  le  ra  au  7.  Gaza  a  son  nom  très-régulièrement  transcrit 

dans  celui   de  la   ville   de    Q  fk    i      V  Katatu,  que 

Toutmès  III  rencontre  à  son  entrée  dans  la  Palestine.  M.  Birch  re- 
connaît d'ailleurs  aujourd'hui  qu'il  faut  placer  le  Tahi  au  nord  de 

la  Palestine.  Parmi  les  divers  produits  de  ce  pays,  on  remarque  des 
vases  précieux  et  des  vaches  à  lait  d'une  espèce  estimée,  mais  rare  à 
ce  qu'il  semble,  car  les  tributs  ne  les  mentionnent  qu'en  très-petite 
quantité.  Je  ne  doute  pas  que  le  Tahi  n'ait  compris  les  vallées 
fertiles  qui  s'étendent  depuis  les  pentes  du  Liban  jusqu'à  la  mer, 
quoique  le  nom  n'ait  encore  pu  être  identifié  d'une  manière  satis- 
faisante. 

Le  second  verset  nous  laisse  dans  la  même  direction,  c'est-à-dire 
vers  le  nord  de  l'Egypte;  il  nomme  d'abord  le  pays  de    m  m    et  les 

peuples  des  Rotennou.  M.  Brugsch  a  proposé  pour  le  signe    >— < 

les  lectures  menti  et  sati,  qui  restent  sans  preuves  (1).  Le  nom  ne 
nous  est  donc  pas  connu  jusqu'ici;  mais  nous  savons  qu'il  est  appli- 
qué d'une  manière  générale,  et  à  toutes  les  époques,  aux  peuples 
d'Asie  soumis  par  les  Égyptiens  (2).  Les  Rotennou,  qui  dominaient  à 

(1)  M.  Birch  pense  avoir  trouvé  une  variante  qui  se  lirait  A*~"*«\  senk  :  il   paraît 

que  ce  savant  n'a  pas  remarqué  la  discussion  à  laquelle  M.  Chabas  s'est  livré  préci- 
sément sur  ce  môme  mot,  dans  son  Élude  sur  le  papyrus  magiyue,  etc.  Il  a  démon- 
tré clairement  que  cette  variante  n'est  qu'une  erreur  de  copiste. 

(2)  Cette  notion  est  très-importante  au  point  de  vue  des  pasteurs  d'Avaris,  qui 
sont  expressément  nommés  les  payeurs  d'Asie  dans  l'inscription  d'Ahmès,  chef  des 
nautoniers. 


216  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

l'époque  de  Toutmès  III,  ont  été  choisis  comme  le  nom  le  plus  ca- 
ractéristique de  toutes  ces  contrées. 

Le  troisième  verset  passe  à  l'orient  et  ne  nomme  qu'une  seule 

région, le  Ta-nuter      y     V,  ce  qui  signifie  la  terre  sacrée  (1).  Je 

crois  pouvoir  démontrer  que  ce  pays,oùM.Brugsch  croit  reconnaître 
la  terre  sainte  des  Hébreux,  doit  être  cherché  dans  l'Arabie  septen- 
trionale, vers  le  fond  du  golfe  Persique.  Voici  les  renseignements 
qui  recommandent  cette  attribution  :  Premièrement,  notre  texte  place 
le  Ta-nuter  à  l'orient  de  l'Egypte;  mais  l'inscription  de  Médinet-Abou, 
discutée  par  M.  Brugsch  (2),  le  nomme  dans  la  direction  du  nord; 
il  faut  donc  lui  reconnaître  la  position  intermédiaire  ou  nord-est. 

Secondement,  ce  pays  était  en  relations  continuelles  avec  la  Méso- 
potamie, de  telle  sorte  que  les  produits  très-précieux  du  Ta-nuter 
faisaient  partie  destributsdu  Naharaïn  (3).  Et  cependant  Ramsès(lX?) 
meri  amen  ma-ti,  se  vante,  dans  une  inscription  gravée  sur  les  ro- 
chers de  Hammamât,  «  d'avoir  trouvé  une  route  vers  le  Ta-nuter 
«  qu'on  ne  connaissait  pas  auparavant  (4).  »  Ce  nom  figure  trop 
constamment  sur  les  monuments,  pendant  les  dix-huitième,  dix- 
neuvième  et  vingtième  dynasties,  pour  qu'il  puisse  être  ici  question  de 
la  connaissance  de  la  contrée  en  elle-même.  Mais  si  l'on  considère 
qu'il  s'agit  dans  les  inscriptions  de  Hammamât  d'un  établissement 
important  et  probablement  destiné  à  protéger  un  mouvement  com- 
mercial dirigé  vers  la  mer  Rouge,  on  comprendra  facilement  que 
cette  mention  ne  constate  qu'une  nouvelle  voie  par  laquelle  on  pou- 
vait rejoindre  soit  le  golfe  élanitique,  soit  peut-être  le  golfe  Persi- 
que, en  franchissant  le  détroit  de  Babel-Mandeb. 

Les  produits  du  Ta-nuter  accompagnent  constamment  ceux  de  la 
région  du  Pount  et  sont  de  même  nature.  L'inscription  de  Médinet- 
Abou,  citée  ci-dessus,  place  le  Pount  à  l'orient;  en  conséquence,  je 
regarde  comme  incontestable  l'identification  de  ce  pays  avec  l'Arabie, 
que  M.  Brugsch  a  fort  bien  expliqué  dans  sa  Géographie  (5).  Les 
produits  du  Ta-nuter  sont  des  bois  précieux,  des  aromates,  de  l'or 
et  de  l'argent,  du  lapis,  des  pierres  précieuses,  et  enfin  la  substance 


(1)  Si  toutefois  le  nom  doit  être  traduit,  ce  qui  n'est  pas  certain  du  tout. 

(2)  V.  Brugsch,  Géographie,  II,  page  17. 

(3)  V.  mon  Étude  sur  une  stèle  de  la  Bibliothèque,  etc.,  page  40. 

(4)  V.  ibidem,  page  216. 

(5)  V.  Brugsch,  Géographie,  t.  II,  page  lit. 


DIVERS   MONUMENTS   DE   TOUTMÈS   III.  217 

caractéristique  nommée        1/1  kama,  qui  n'est  autre  chose 

que  la  gomme,  en  copte  ko«H.  Le  kama,  outre  son  emploi  en 
médecine  (1),  servait  à  préparer  les  couleurs  à  l'eau  (2).  La  présence 

(1)  V.  Brugsch,  Géographie,  p.  15. 

(2)  V.  Todtb. ,  165, 12,  la  description  d'une  figure  :  sxa  em  xesvet  her  mau  na  Kami, 

«  peint  en  bleu,  à  l'eau  de  gomme.  »  Le  mot  est  écrit  en  cet  endroit      W  I  I  1  ^^£ 

Kami,  avec  un  oiseau  pour  déterminatif  spécial,  et  le  poteau    j  qui  exprime  l'idée 

d'étranger.  J'ai  été  amené  par  les  devoirs  que  m'imposait  l'enseignement  du  système 
hiéroglyphique  au  collège  de  France,  à  contrôler  la  valeur  de  divers  signes  que  nous 
lisions  un  peu  de  confiance  depuis  Champollion.   Plusieurs  valeurs  sont  devenues 

très- douteuses  pour  moi  dans  cet  examen  critique,  telles  que  ^fit    sa?      À      at  ou 

kat?,  [T\  ker?  D'autres  ont  été  rectifiés;  le  signe  y  est  de  ce  nombre.  J'ai 
exposé  les  raisons  qui  me  le  font  lire  ma  :  ce  sont  particulièrement  les  variantes 
usuelles  pour    le  nom  du   chat        j  %k     ^k  ^ffJ  /    %L    I  I  H^ 

y   %k     |  \rP      mau,  maïetmaau  (Rituels  antiques  du  Louvre,  ch.  17,  45, 

46, 47  et  passim),  au  lieu  de  l'orthographe  ordinaire   w  I   %^  H^     On  trouve  aussi 

le  lion     jfr&    en  vertu  de  son  nom  maui,  employé  comme  variante  de      U  dans 

la  formule  des  généalogies  U  1  1  Se-ma-nen,  fils  du  pareil  (V.  Prisse,  Monu- 
ments, pi.  XXVI,  1.  5).  L'orlhographe  ptolémaïque  du  mot  maui,  lumière 
^fe*  I         Wl>  que  j'avais  mal  appréciée  précédemment,  répond  aux  formes  ordi- 

naires   du  mot  :      /  ^k  xki    maui,   ou      7   ^k     Ç,      ^  zki    mawui.  En 

recherchant  les  raisons  qui  ont  pu  engager  Champollion  à  la  lecture  Çjrj,  on  ne 
trouve  qu'un  nom  copte  du  chat  m  2>f,  enregistré  sur  l'autorité  unique  de  Kircher. 

Lemot  copte  ordinaire  est  ÇJtiO'*  i  (lu>  provient  clairement  du  mau  antique,  nom 
onomatopique.  Outre  le  mot  important  kama,  gomme,  cette  lecture  a  classé  deux 
mots  très-fréquents  dans  les  textes,      Q    x        tema,  avec  le  copte    TCJU-O.    con- 

iungere  et  n       I        tema,  ville,  avec    ^yAJ-E    urbs,  pagus. 

iv.  15 


218  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

de  cette  substance,  que  paraissent  posséder  seuls,  à  cette  époque  re- 
culée, le  Ta-nuteret  le  Pount  (ou  l'Arabie),  fixent  définitivement  la 
place  du  pays  que  nous  venons  d'étudier  vers  le  nord  de  la  Pénin- 
sule arabique. 

Le  peuple  nommé  Kefa  a  été  identifié  avec  succès.  M.  Birch  (1). 
dont  les  nouvelles  recherches  de  M.  Brugsch,  dans  sa  Géographie, 
ont  complélement  confirmé  les  vues  sur  ce  point,  a  prouvé  que  ce 
peuple  habitait  les  îles  de  la  Méditerranée,  et  leur  a  attribué  Chypre 
et  la  Crète.  On  citait  des  vases  ciselés  d'or  et  d'argent  parmi  les  pro- 
duits de  leur  riche  industrie  C'est  encore  avec  une  grande  proba- 
bilité que   les  mêmes  savants  ont  rapproché  les  noms  de  Kefa  et 

Keftu  des  DnJhD?   de  la  Bible. 

Le  peuple  que  notre  verset  joint  aux  Kefa,  les  Asi,  n'étaient 
connus  jusqu'ici  que  parleur  tribut,  qui  consistait  en  une  très- 
petite  quantité  d'ivoire  (deux  dents),  de  l'ébène,  des  chevaux,  du 
lapis  en  médiocre  quantité;  mais  surtout  du  fer  et  du  plomb.  Ils 
étaient  sans  doute  métallurgistes  habiles,  car  ils  offrent  seuls  du 
fer  affiné.  Le  fer  travaillé  devait  être  un  objet  très-précieux  dans  ces 
temps  reculés.  Le  tribut  le  plus  important  des  Asi  est  celui  qui  fut 
payé  dans  l'an  34  de  Toutmès  III  :  il  consistait  en  cent  huit  barres 
de  fer  affiné  (2)  pesant  deux  mille  quarante  livres;  deux  sortes  de 


(1)  V.  Birch,  Mémoire  sur  une  patère  du  Louvre,  page  24. 

(2)  La  phrase  est  ainsi  conçue  : 

An-u      en        ur        en    Asi    em    renpe    ten 
Le  tribut    du    prince       d'Asi       en     cette  année  : 

Jtu       1 1 1 1           "W  fi    <m    *%.    ^"""A        >  «k  ^c  n  n 
£2»     1 1 1 1         ...  I  x T  a~~-a  ™«  4-  4-  n  n 

tev  108       em  {val)  setewu  (men?)       2040 

briques  (barres)      108        de  fer  affiné  livres         2040 

Le  plomb  de  diverses  sortes  vient  à  la  suite.  M.  Birch  a  cru  devoir  traduire  setew 
par  de  la  poix,  ^n;  ;  ce  mot  me  paraît  bien  clairement  placé  ici  après  le  fer  comme 
un  qualificatif  :  le  signe  des  liquides  qui  suit  les  signes  phonétiques  indique  la  fu- 
sion du  fer.  On  voit  d'ailleurs  qu'il  n'est  question  que  de  métaux  dans  ce  pas- 
sage. Les  deux  passages  paiallèles,  contenant  les  tributs  moins  développés  du  môme 
peuple,  pour  les  années  38  et  39  de  Toutmès  III,  montrent  de  même  le  plomb  sui- 
vant le  fer  immédiatement.  La  lecture  de  la  première  articulation  du  groupe  /*vww^ 

pour  l'unité  de  poids  n'est  pas  connue.  Son  poids  a  été  évalué  par  M.  Chabas  à 
90  grammes  717  millig.  Les  pesées  effectuées  sur  d'autres  étalons  par  M.  Devéria 
paraissent  donner  une  évaluation  un  peu  plus  élevée,  environ  92  grammes,  et  pour 


DIVERS   MONUMENTS   DE    TOUTMÈS   III.  219 

plomb  et  cent  dix  livres  de  bleu  de  lapis  (Chesbet).  Cette  substance, 
que  les  Égyptiens  affectionnaient  singulièrement,  était  demandée  par 
eux,  comme  l'or  et  l'argent,  à  tous  les  peuples  tributaires,  et  n'est 
pas  nécessairement  une  production  du  pays,  mais  [le  fer  el  le  plomb 
attirent  l'attention  par  leur  quantité.  C'est  désormais  vers  l'occident 
qu'il  faudra  chercher  le  peuple  d'Asi,  et  la  relation  que  notre  texte 
établit  entre  eux  et  les  Kefa  insulaires  est  encore  le  renseignement 
le  plus  précis  que  nous  possédions  sur  leur  compte. 

Le  cinquième  verset  nous  apporte  un  nom  tout  à  fait  inconnu  : 
Maten  ou  Maden.  Il  est  mis  en  relation  avec  une  sorte  de  popula- 
tions déjà  citée  plus  haut,  Am-u  nev-u  sen,  ceux  qui  résident  dans 

leurs  (?)...  ^BS^Mr' .  J'ignore  si  l'on  peut  rapprocher  cette  dési- 
gnation du  groupe  qui  servit  plus  tard  à  désigner 

les  Grecs,  mais  qui  était  l'appellation  antique  de  populations  placées 
en  effet  vers  l'Asie  Mineure  et  le  nord  de  la  Méditerranée.  Quoi 
qu'il  en  soit,  la  nation  de  Maten  ayant  été  intercalée  ici  entre  les 
peuples  de  Kefa  et  d'Asi  et  les  autres  îles  de  la  Méditerranée,  il 
faut  nécessairement  la  chercher  sur  quelques-unes  de  ses  côtes.  C'est 
ce  qui  m'empêche  de  rapprocher  Maten  des  divers  analogues  sémi- 
tiques qui  se  présentent  naturellement  à  l'esprit. 

Le  sixième  verset  nomme  les  habitants  des  îles,  ceux  qui  sont  au 

milieu  de  la  mer     j  ^*    uat-ur  ou  le  grand  bassin;  c'est  le  nom 

habituellement  appliqué  à  la  Méditerranée.  Ce  verset  prétend  certai- 
nement nous  mener  plus  loin  que  Chypre  et  la  Crète,  et  je  ne  doute 
pas  qu'il  n'ait  entendu  embrasser  môme  les  îles  occidentales.  Ces 
détails  sont  précieux  pour  nous  au  point  de  vue  de  la  puissance  ma- 
ritime de  Toutmès.  La  bataille  navale  que  soutint  Ramsès  111  sur  les 
côtes  de  Syrie  avait  fait  conjecturer  qu'il  avait  été  le  premier  à  do- 
miner la  Méditerranée;  mais  en  présence  d'un  pareil  développement 
de  la  puissance  égyptienne  vers  l'occident  sous  Toutmés  111,  je  re- 
garde comme  fort  douteux  qu'aucun  monarque  égyptien  ait  surpassé 
ce  prince  quant  à  la  domination  des  mers. 

L'auteur  achève  son  périple  au  septième  verset  :  le  groupe  |     s 

certains  poids,  jusqu'à  96.  Si  l'on  suppose  la  livre  égale  à  95  grammes,  les  Asi  auront 
fourni  193,800  grammes  de  fer  et  10,450  grammes  de  lapis.  Ces  chiffres  sont,  en 
tout  cas,  extrêmement  "rapprochés  de  la  vérité. 


4 
220  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

a  été  déterminé  par  M.  Brugsch  comme  variante  des  Tahennu,  peuple 
que  le  discours  d'Ammon  à  Médinet-Abou  nous  montre  à  l'ouest  de 
l'Egypte.  Ils  avaient  une  grande  importance  et  s'étendaient  assez  loin 
vers  le  midi  pour  avoir  été  quelquefois  énumérés  avec  les  nations 
méridionales.  Ils  nous  représentent  donc  'la  plus  intéressante  des 
nations  du  nord  de  l'Afrique  à  l'époque  de  notre  monument.  C'étaient 
des  populations  de  couleur  jaune  ou  brune  et  d'un  type  très-décidé- 
ment caucasique,  et  c'est  comme  leurs  alliés  qu'apparaissent,  sous 
Ramsès  III,  les  Tamahus  blonds  aux  yeux  bleus  et  à  la  peau  blanche 
et  dont  la  position  m'est  encore  tout  à  fait  inconnue. 

Le  groupe  joint  aux  Tahennu  dans  le  septième  verset  est  inter- 
prété par  M.  Birch  comme  une  variante  des  Rutennu.  Mais  il  n'est 
pas  croyable  que,  dans  une  aussi  rapide  énumération,  on  ait  nommé 

deux  fois  le  même  peuple.  Le  groupe  pour  les  îles  — —  est  d'ail- 
leurs absolument  identique  aux  précédents.  J'observe  que  ce  signe 
se  met  comme  déterminatif  à  beaucoup  de  pays  certainement 


situés  en  terre  continentale;  il  peut  donc  s'entendre  aussi  d'oasis  ou 
d'autres  sortes  de  territoires;  ce  n'est,  en  détinitive,  qu'une  enceinte 

ovale.  On  peut  lire  le  nom  propre   m"*"       %^      Utena  ou  bien 

Tena  (en  considérant  la  voyelle  %  comme  signe  du  pluriel).  Je 

pense  qu'il  est  question  ici  des  Tanaï,  qui  appafaissent  auprès  des 
Kefa  dans  les  tributs  de  l'an  41  de  Toutmès  III  (1).  Je  regarde  aussi 
comme  très-probable  qu'on  doit  reconnaître  une  simple  variante  du 

même  nom  dans  celui  des      X     1  ^7  I  %  I  jtf  I    Taanau,  qui 

figurent  parmi  les  nations  confédérées  avec  les  Tahennu  dans  la 
campagne  contre  Ramsès  III,  où  la  marine  des  deux  partis  joua  le 
rôle  principal.  On  est  naturellement  porté  à  rapprocher  ce  nom  de 
celui  de  Daniius,  à  qui  la  tradition  prêtait  des  rapports  avec  l'Egypte. 
Après  avoir  ainsi  terminé  sa  revue  des  bords  de  la  Méditerranée, 
et  avant  de  passer  à  l'Ethiopie,  l'auteur  de  l'inscription  va  plus  loin, 
et  si  nous  voulons  l'en  croire  sur  parole,  il  ne  tiendrait  qu'à  nous 
de  penser  que  l'Europe  entière  reconnaissait  les  lois  du  pharaon.  En 

effet,  sous  ces  mots  Pehu  mau,  Y  extrémité  des  eaux,  et  senen  sen  ur, 

(1)  Lepsius,  Denkm.,  III,  30  a,  1.  18. 


DIVERS   MONUMENTS   DE   TOUTMÈS   III.  221 

l'enceinte  de  la  grande  zone  des  eaux,  il  me  semble  impossible  de  ne 
pas  reconnaître  que  l'auteur  a  voulu  désigner  l'Océan;  c'est  sur  cet 
immense  domaine  qu'il  nous  représente  le  pharaon  planant  comme 
l'épervier  sacré,  sans  que  rien  puisse  échapper  à  sa  vue  perçante. 
Prenons  toute  fois  cette  énonciation  pour  une  simple  preuve  des 
connaissances  géographiques  que  ces  relations  avec  les  peuples  de 
l'ouest  avaient  introduites  en  Egypte  dans  une  antiquité  si  reculée. 

Je  ne  puis  apprécier  avec  certitude  la  nature  dos  populalions  indi- 
quées dans  le  neuvième  verset.  Notre  texte  y  met  en  rapport  des  peu- 
ples nommés  heru-sa?  avec  d'autres  races  amu-ha-sen,  ceux  qui 

habitent  leurs  (ha?)  — * .  Les  premiers  reviennent  dans  les  monu- 


ments, jusqu'aux  temps  des  Romains,  comme  une  des  grandes  divi- 
sions des  barbares.  M.  Birch  conjecture,  ainsi  que  nous  l'avons  dit 
plus  haut,  qu'il  faut  entendre  par  là  les  habitants  du  désert.  Quant 

au  signe        #,  qui  s'applique   aux  idées  de  commencement,  de 

priorité,  il  est  suivi  d'un  caractère  indistinct  et  je  n'ai  aucune  bonne 
conjecture  à  proposer  ici. 

Le  dixième  verset  amène  comme  complément  la  Nubie  \ 

Kenes;  il  y  joint  une  région  dont  le  nom  n'a  pu  être  déchiffré 
jusqu'ici,  quoiqu'il  figure  dans  une  quantité  de  listes  géographiques; 

il  est  écrit  par  la  patte  d'Ibis      jf  .  Il   est  précédé  ici  des  signes 
k.   er  men  em.  M.  Birch  néglige  Ym  et  pense  qu'il  faut  consi- 


dérer ermen  ou  remen  comme  la  prononciation  du  signe       j[  .    Le 

nom  des  Remenen  est  connu  comme  appartenant  à  une  riche  tribu 
liée  aux  Rutennu,  et  on  l'a  rapproché  soit  du  nom  du  Liban,  Lebanon, 
soit  du  nom  de  l'Arménie  dont,  en  tout  cas,  les  Remenen  ne  devaient 
pas  être  éloignés.  Mais  la  nation  indiquée  par  la  patte  d'Ibis  a  tou- 
jours son  nom  dans  un  cartouche  distinct  de  celui  de  tout  autre  peuple: 

il  y  a  d'ailleurs  ici  une  particule  \k   qui  sépare  les  deux  mots.  Peut- 
être  vaut-il  mieux  ici  reconnaître  la  particule  er-me»,  signifiant 
/  usqu'à.  Le  pays  nommé     _/  ligure  dans  les  listes   du 


222  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

Nord.  Je  proposerai  donc  le  sens  suivant  :  «  Jusqu'à  (ce  qui  est)  dans 
«  la  région  de...  est  dans  ta  puissance,»  et  je  considérerais  lesexpres- 
sions  de  ce  verset  comme  une  nouvelle  opposition  entre  les  habitants 
du  Midi  et  du  Nord.  Ce  qui  me  confirme  dans  cette  opinion,  c'est  le 
demi-verset  qui  vient  à  la  suite.  Des  deux'  frères  divins,  l'un, 
Horus,  représentait  la  royauté  du  Midi, et  Set  la  royauté  du  Nord;  de 
telle  sorte  qu'on  réunit  souvent  les  deux  dieux  guerriers  en  donnant 
au  pharaon  les  noms  à'Horus  vainqueur  et  Set  vainqueur;  de  même 
qu'Ammon  réunit  ici  leurs  bras  pour  donner  à  Toutmès  leur  force 
irrésistible. 

Vicomte  E.  de  Rougé. 
(La  suite  prochainement.) 


BULLETIN    MENSUEL 
DE    L'ACADÉMIE    DES    INSCRIPTIONS 

MOIS  d'août. 


Nous  ne  commençons  presque  jamais  nos  courtes  analyses  des  séances  de 
l'Académie  sans  regretter  le  peu  de  place  que  la  Revue  peut  leur  consacrer. 
Comment  choisir  entre  de  nombreuses  communications  toutes  intéressantes 
à  divers  titres,  et  émanant  des  maîtres  de  la  science?  Vaut-il  mieux  dire  un 
mot  de  toutes,  ou  bien  s'arrêter  plus  longuement  sur  quelques-unes  et  sacri- 
fier les  autres,  à  notre  grand  regret,  mais  par  force  majeure  ?  C'est  le  dernier 
parti  que  nous  préférons  d'ordinaire  :  c'est  ce  que  nous  ferons  encore  aujour- 
d'hui. Et  comment,  en  effet,  ne  pas  parler  avec  quelque  détail  de  la  séance 
publique  du  9  août?  L'éloge  de  M.  Fauriel,  par  M.  Guigniaut,  le  rapport  de 
M.  Maury  sur  le  concours  des  antiquités  nationales,  qui  ont,  malgré  une 
chaleur  étouffante,  tenu,  pendant  plus  de  trois  heures,  un  nombreux  audi- 
toire attentif,  nous  justifieront  d'oublier  tout  le  reste.  Nous  donnerons  en 
entier  le  rapport  de  M.  Maury.  Tous  les  archéologues  sont  intéressés  à  con- 
naître le  jugement  porté  par  la  Commission  qui  représente  la  science  avec 
son  caractère  le  plus  calme  et  le  plus  impartial.  Cette  cour  suprême  des 
hautes  études  ne  distribue  pas  d'ailleurs  seulement  des  couronnes,  elle  mo- 
tive ses  arrêts,  et  donne  en  même  temps  de  sages  et  précieux  conseils. 
Elle  est  le  guide  naturel  de  ceux  qui  travaillent  au  loin  et  dans  l'isolement. 
Ceux-là  doivent  réfléchir  qui  se  trouvent  en  désaccord  avec  cette  sage 
assemblée,  dépositaire  des  saines  traditions  sans  êtreennemie  des  nouveau- 
tés, pourvu  qu'elles  portent  le  cachet  de  la  science  et  du  bon  sens.  Nous 
voudrions  pouvoir  de  même  reproduire  l'étude  tout  à  fait  magistrale  que 
M.  le  secrétaire  perpétuel  a  faite  d'un  des  esprits  les  plus  sagement  har- 
dis, les  plus  délicats ,  les  plus  sincères  que  notre  siècle  ait  produits. 
L'exemple  de  M.  Fauriel,  à  lui  seul,  montrerait  quel  cas  l'Académie  fait  de 
ceux  qui  marchent  bravement  en  avant  à  la  recherche  de  la  vérité  avec 
une  audace  justifiée  par  leur  talent  et  tempérée  par  la  sincérité  de  convic- 
tions toujours  désintéressées,  toujours  prêtes  à  céder  à  de  nouvelles  raisons 
et  à  de  nouveaux  faits.  Quelques  extraits,  au  moins,  donneront  une  idée 
de  ce  remarquable  éloge. 

«  Avec  une  immense  variété  de  connaissances,  une  rare  aptitude  au 
travail,  l'amour  de  la  retraite  qui  nous  rend  pour  ainsi  dire  maîtres  du 
temps  et  double  nos  forces,  Fauriel,  dont  l'imagination  ne  se  reposait  ja- 


224  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

mais,  mais  qui  sentait  le  besoin  de  se  justifier  à  lui-même  ses  conceptions 
par  des  faits  nombreux  et  bien  établis,  ne  donna  son  premier  ouvrage 
qu'après  quarante  années  d'études,  et  encore  il  hésitait.  Il  trouvait  qu'il 
n'avait  pas  examiné  les  questions  sous  tous  les  aspects,  et  voulait  at- 
tendre. Que  lui  manquait-il  cependant?  toutes  les  langues  de  l'Europe  lui 
étaient  familières.  Il  connaissait  les  littératures  du  Nord  et  du  Midi  comme 
s'il  en  avait  fait  une  étude  spéciale  et  unique.  Les  langues  orientales  ne  lui 
étaient  point  étrangères  ;  le  premier  en  France  il  avait  abordé  le  sanscrit,  et 
cependant  il  ne  se  croyait  pas  prêt.  La  vérité  lui  apparaissait,  mais  pas  en- 
core assez  claire  :  tous  ceux  qui  l'écoutaient  étaient  entraînés  et  charmés  par 
des  aperçus  nouveaux  qu'il  développait  devant  eux  avec  une  libéralité 
prodigue;  lui  seul  n'était  pas  satisfait. 

«  Pour  déterminer  M.  Fauriel  à  produire  enfin  devant  le  public,  dit 
M.  Guigniaut,  les  grands  résultats  de  ses  travaux,  il  ne  fallait  rien  moins 
qu'une  révolution.  Cette  révolution,  fille  légitime  de  celle  de  1789,  son  ex- 
périence d'homme  et  d'historien  la  lui  avait  fait  prévoir  avant  bien  d'au- 
tres; mais  il  l'acceptait  de  la  force  des  choses  plus  encore  qu'il  ne  la  dé- 
sirait; la  modération  de  son  caractère  et  la  crainte  des  excès  dont  il  avait 
vu  jadis  les  funestes  conséquences,  tempéraient  l'ardeur  patriotique  de 
ses  opinions.  Ses  amis,  aussi  libéraux,  mais  aussi  modérés  que  lui, 
et  de  ceux  qui  l'estimaient  d'autant  plus  qu'ils  le  connaissaient  mieux, 
venaient  d'être  portés  au  pouvoir.  Une  de  leurs  premières  pensées  fut, 
pour  ainsi  parler,  de  le  mettre  en  valeur  en  dépit  de  lui-même,  de  lui 
donner  l'occasion,  disons  mieux,  de  lui  imposer  le  devoir  de  développer 
publiquement,  devant  une  jeunesse  studieuse,  ce  qu'il  y  a  de  plus  rare 
dans  les  trésors  de  la  connaissance  qu'il  avait  amassés  pendant  près  de 
quarante  ans,  ce  que  réclamaient  depuis  quelques  années,  dans  notre 
pays,  et  le  mouvement  des  esprits  et  le  besoin  de  féconder,  en  le  variant, 
notre  haut  enseignement  littéraire. 

«  Ainsi  fut  créé  pour  M.  Fauriel,  le  20  octobre  1830,  sous  le  ministère  de 
M.  le  duc  de  Broglie,  la  chaire  de  littérature  étrangère  à  la  Faculté  des  let- 
tres de  Paris,  et  l'on  ne  saurait  dire  si  l'homme  convenait  mieux  à  la  chose 
ou  la  chose  à  l'homme.  Ce  qu'il  y  a  de  sûr,  c'est  que  personne,  à  cette 
heure,  n'était,  à  beaucoup  près,  aussi  capable  en  France  de  donner  à  l'ins- 
titution nouvelle  son  vrai  caractère  et  d'y  former,  ce  qui  importait  surtout, 
une  grande  tradition  d'études.  M.  Guizot  a  donc  eu  raison  de  revendiquer 
comme  un  double  honneur  de  sa  vie,  comme  un  des  plus  grands  services 
qu'il  ait  rendus  à  l'instruction  publique,  sa  part  dans  la  création  de  la 
chaire  et  dans  la  nomination  du  professeur.  » 

La  chaire  de  littérature  étrangère  prit  bientôt,  en  effet,  entre  les  mains  de 
M.  Fauriel  une  importance  que  l'on  aurait  à  peîne  soupçonnée.  M.  Fauriel 
avait  commencé  par  la  poésie  des  troubadours  :  mais  tout  se  tient,  et  il 
est  bientôt  entraîné  vers  des  études  bien  plus  vastes. 

«  M.  Fauriel  n'aurait  pas  satisfait  ce  besoin  du  complet  qu'il  éprouvait 
toujours,  il  n'aurait  pas  éclairé  de  toutes  les  lumières  dont  il  disposait  cette 


ACADÉMIE   DES   INSCRIPTIONS,  ETC.  225 

histoire  de  la  poésie  du  Midi  et  la  formation  des  romans  chevaleresques, 
s'il  n'eût  fait  entrer  dans  le  vaste  cercle  de  ses  rapprochements  littéraires 
les  gigantesques  épopées  de  l'Inde,  les  sublimes  épopées  de  la  Grèce,  s'il 
n'eût  passé  en  revue  les  chants  héroïques  de  tous  les  peuples  à  lui  connus 
(et  quel  peuple  ne  connaissait-il  pas  ?)  en  finissant  par  ceux  des  Scandina- 
ves, et  s'arrêtant  quelque  temps  sur  l'épopée  germanique  des  Niebelungen, 
où  tant  de  chants  antérieurs  se  sont,  en  quelque  sorte,  déposés. 

«  C'est  ce  qu'il  avait  entrepris  dans  son  cours  de  1836,  dès  quil  eut  ter- 
miné ses  leçons  sur  la  poésie  provençale,  ses  études  sur  Dante  et  ses  re- 
cherches sur  les  origines  des  langues  néo-latines.  C'est  là  qu'il  montra,  plus 
que  jamais,  l'étendue,  la  fécondité,  et  alors  la  nouveauté  de  son  savoir. 
Rien  n'a  été  publié  de  cette  partie  si  riche  et  si  variée  de  l'enseignement 
du  professeur,  et  nous  devons  nous  estimer  heureux  de  pouvoir  nous  en 
faire  une  idée  par  l'analyse  étendue  qu'en  a  donnée  de  main  de  inaitre  un 
de  ses  auditeurs  les  plus  compétents,  aujourd'hui  notre  confrère. 

«  M.  Fauriel,  après  des  conjectures,  autorisées  par  les  traditions  et  par 
les  textes  mêmes,  sur  l'origine  et  la  forme  première,  sur  la  transmission 
par  la  mémoire,  soutenue  du  chant,  de  ces  poëoies  immenses,  le  Màhabhà- 
rataou.  la  Grande  Guerre,  et  le Ramàyana,  où  les  Aventures  de  Râma,  poè- 
mes successivement  développés,  remaniés  et  bien  des  fois  interpolés,  même 
quand  ils  eurent  été  fixés  par  l'écriture  et  consacrés  par  la  religion,  en  ve- 
nait à  l'Iliade  et  à  l'Odyssée,  leur  double  pendant,  réunies  de  bonne  heure 
sous  le  nom  vénéré  d'Homère,  et  revêtues,  elles  aussi,  par  la  croyance,  d'un 
caractère  sacré.  Il  y  entrait  plus  à  fond  et  il  reprenait  en  grand  détail  ces 
questions  tant  controversées,  chez  les  anciens  déjà,  et  surtout  chez  les  mo- 
dernes, à  savoir  :  l'âge  de  ces  grands  poëincs,  leur  forme  et  leurs  éléments 
primitifs,  le  mode,  les  vicissitudes  de  leur  composition,  puis  de  leur 
transmission,  enfin  la  date  et  les  circonstances  de  leur  rédaction,  qui  fut 
successive  comme  paraît  l'avoir  été  leur  composition  même,  toutes  deux 
faites  d'ailleurs  dans  des  conditions  différentes  et  par  des  moyens  divers; 
ici  l'œuvre  continuée  d'écoles  poétiques  se  rattachant  au  nom  d'Homère; 
là  celle  des  arrangeurs  et  des  critiques  qui  remanièrent  maintes  fois  les 
chants  antiques  sous  des  influences  nouvelles,  alors  même  qu'ils  eurent 
été  confiés  à  l'écriture. 

«  Ces  épineux  et  délicats  problèmes,  qui  recèlent  dans  leur  sein  les  lois 
de  la  formation  de  l'épopée,  lois  fondées  sur  les  analogies  frappantes 
que  présentent  à  l'observation  l'histoire,  les  caractères  et  la  structure 
générale  des  monuments  épiques  dans  l'antiquité  et  au  moyen  âge, 
M.  Fauriel  les  avait  abordés  avec  une  extrême  prudence;  il  les  avait  pesés, 
débattus,  encore  plus  qu'il  n'avait  voulu  les  résoudre  :  et  s'il  adopta 
les  idées  de  Wolf,  du  reste  beaucoup  moins  paradoxales  qu'on  ne  l'a  pensé 
longtemps,  il  les  modifia  sur  des  points  essentiels,  sur  celui  de  la  person- 
nalité d'Homère,  par  exemple,  et  de  la  réalité  de  son  œuvre  quelconque  > 

C'est  ainsi  que  toutes  les  questions  s'agrandissaient  et  se  généralisaient 
entre  les  mains  du  maître. 


226  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

Quelques  aunées  plus  tard  nous  sommes  avec  M.  Fauriel,  que  M.  Gui- 
gniaut  suit  pas  à  pas,  au  milieu  des  Arabes  d'Espagne. 

i  M.  Fauriel  avait  donné  une  attention  toute  particulière  à  l'histoire  des 
Arabes  d'Espagne,  à  celle  de  leurs  irruptions  répétées  dans  les  provinces 
méridionales  de  la  Gaule,  de  leurs  établissements  passagers  dans  la  Septt- 
manie. 

«  Mieux  que  personne,  grâce  à  son  savoir  dans  les  langues  orientales  et 
aux  documents  nouveaux  qu'il  employa,  il  parvint  à  éclaircir,  à  développer 
cet  épisode  de  notre  histoire,  si  étroitement  liée  à  son  sujet.  C'est  ainsi 
qu'il  raconte  et  qu'il  explique  dans  un  détail  plein  de  nouveauté  les  rela- 
tions des  Arabes  avec  les  Vasconset  les  Aquitains  des  frontières,  les  guerres 
intestines  des  chefs  de  tribus  et  des  chefs  musulmans  dans  la  Péninsule  et 
jusqu'en  Afrique. 

«  Il  ne  dissimule  pas,  du  reste,  le  penchant  qui  l'entraîne  vers  les  con- 
quérants arabes,  quand  il  compare  à  la  grossièreté,  à  l'ignorance,  à  la  bar- 
barie persistante  de  ceux  de  la  Gaule,  même  sous  Pépin  et  Charlemagne, 
les  mœurs  polies,  l'esprit  chevaleresque,  les  lumières  supérieures 'de  leurs 
adversaires.  Il  oublie  trop  ce  qu'il  y  avait  dans  le  caractère  des  Arabes  et 
dans  leurs  mœurs  de  passionné,  de  violent,  et  à  la  fois  de  voluptueux  et 
de  cruel;  dans  leur  esprit,  de  ruse  et  d'artifice;  dans  leurs  croyances,  de 
sécheresse  et  de  fanatisme  inflexible. 

«  Il  oublie  que  si  Charles  Martel,  Pépin,  Charlemagne  ne  fussent  venus 
retremper  le  génie  des  Franks  abâtardi  sous  les  mérovingiens,  s'ils  n'eus- 
sent rendu  à  la  Provence,  à  la  Septimanie,  à  l'Aquitaine  elle-même,  le  sen- 
timent-national et  chrétien  qui  allait  s'affaiblissant  et  transigeant  de  plus 
en  plus  avec  les  étrangers  et  avec  l'islamisme,  la  cause  de  la  civilisation 
moderne  européenne  eût  couru  les  plus  sérieux  dangers.  » 

M.  Fauriel  mêlait  ainsi,  sans  cesse,  l'histoire  à  la  littérature,  la  critique 
à  l'histoire,  et  l'on  voit,  malgré  quelques  critiques  légères  de  M.  le  secré- 
taire perpétuel,  avec  quel  bonheur  un  autre  jour  il  abordait  l'étude  des 
langues  primitives  de  l'Italie;  il  disait  à  son  auditoire  ce  qu'il  fallait 
penser  des  langues  osques,  il  expliquait  le  chant  des  frères  Arvales  et 
montrait  ce  qu'avait  été  le  latin  alors  que  Rome  n'avait  encore  que  des 
toits  de  chaume.  C'est  ainsi  que  l'Inde,  la  Scandinavie,  la  Gaule,  l'Espa- 
gne, l'Italie,  les  époques  les  plus  reculées  comme  le  moyen  âge  faisaient 
partie  de  son  domaine.  Aussi  M.  Guigniaut  a-t-il  pu  dire,  en  rendant  l'im- 
pression de  tout  l'auditoire,  de  la  manière  la  plus  heureuse: 

«  Ne  vous  semble-t-il  pas,  messieurs,  au  terme  de  cette  longue  exposi- 
tion, peu  proportionnée  encore  à  la  richesse  de  mon  sujet,  que  j'aie  fait 
passer  devant  vous,  pour  ainsi  dire,  toute  une  génération  de  savants,  et 
comme  toute  une  érole  de  philologues,  d'érudits,  de  critiques  également 
éminents?  C'est  qu'en  effet  M.  Fauriel  fut  tout  cela,  et  le  fut  à  un  degré 
très-élevé,  pour  l'étude  des  recherches,  pour  la  variété  et  la  nouveauté  du 
savoir,  pour  l'originalité  de  l'esprit  et  des  idées.» 


ACADÉMIE    DES   INSCRIPTIONS,    ETC.  227 

On  sentait  que  M.  Guigniaut  parlait  d'un  homme  qu'il  aimait,  dont  il  ad- 
mirait le  talent  avec  l'autorité  que  donne  une  science  égale  et  un  même 
amour  de  la  vérité. 

Nous  donnons,  avant  le  rapport  de  M.  Maury,  le  résultat  des  concours 
de  1860  :  A.  B. 

Prix  Gobert.  —  L'Académie  décerne  le  premier  prix  à  M.  B.  Hauréau, 
pour  la  seconde  partie  du  XVe  volume  du  Gallia  christiana;  in-folio. 

Le  second  prix  est  décerné  à  M.  Deloche,  pour  le  Cartulaire  de  l'abbaye 
de  Beaulieu;  1  volume  in- 4°. 

Prix  de  numismatique.  —  Le  prix  d^  numismatique  (fondation  Allier  de 
Hauteroche)  est  décerné  à  M.  Th.  Mommsen,  pour  son  ouvrage  intitulé  : 
Geschichte  des  Romischen  Mùnzwesens,  1860;  grand  in  8°. 

Une  mention  honorable  est  accordée  à  M.  Sabatier,  pour  sa  Description 
générale  des  médaillons  conformâtes  ;  1  volume  in-4°. 

Prix  Bordin.  —  Question  proposée  :  «  Faire  l'histoire  de  la  langue  et  de 
la  littérature  éthiopiennes;  dresser  une  liste  aussi  complète  que  possible 
des  ouvrages  originaux,  etc.  « 

Un  seul  mémoire  a  été  adressé  à  l'Académie.  Elle  décerne  un  encourage- 
ment de  deux  mille  francs  à  l'auteur  de  ce  mémoire,  M.  Hermann  Zottem- 
berg,  de  Trenchemberg  en  Silésie  (Prusse). 

Prix  ordinaire  de  l'Académie.  —  Question  proposée  :  «  Faire  connaître 
l'administration  d'Alfonse,  comte  de  Poitiers  et  de  Toulouse,  d'après  les  do- 
cuments originaux  qui  existent  principalement  aux  archives  de  l'empire,  et 
rechercher  en  quoi  elle  se  rapproche  et  en  quoi  elle  diffère  de  celle  de 
saint  Louis.  » 

Un  seul  mémoire  a  été  adressé  à  l'Académie. 

L'Académie  a  décerné  le  prix,  de  la  valeur  de  deux  mille  francs,  à  l'au- 
teur de  ce  mémoire,  M.  Edgar  Boutaric,  archiviste  aux  archives  de 
l'empire. 


RAPPORT  fait  à  l'Académie  des  inscriptions  et  belles-lettres,  au  nom  de  la 
Commission  des  antiquités  de  la  France,  par  M.  Alfred  Maury,  lu  dans  la 
séance  publique  annuelle  du  9  août  1861. 

Messieurs, 

En  vous  annonçant,  l'an  dernier,  que  le  chiffre  des  concurrrents  avait  tellement 
grossi  qu'il  n'était  plus  possible  à  l'Académie  de  récompenser,  comme  nous  l'eussions 
désiré,  tous  les  mérites,  nous  pouvions  craindre  de  décourager  de  louables  efforts,  de 
paralyser  le  zèle  pour  nos  antiquités  nationales.  Dieu  merci  !  il  n'en  a  point  été  ainsi: 
l'émulation  semble  au  contraire  avoir  grandi,  l'ardeur  n'a  fait  que  redoubler,  et  dans 
ce  concours,  ce  n'est  plus,  comme  en  1860,  68  ouvrages  qui  vous  ont  été  adressés. 
mais  85. 


228  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE 

Nous  nous  voyons  donc  dans  l'obligation  de  rappeler  une  fois  de  plus  aux  concur- 
rents la  difficulté  de  notre  tâche,  la  nécessité  à  laquelle  nous  sommes  condamnés  de 
prêtera  nos  distinctions  une  valeur  plus  grande  que  celle  qui  leur  appartenait  aux 
premiers  temps  du  concours. 

Non-seulement  les  ouvrages  sur  lesquels  nous  avons  à  statuer  augmente  en  nombre, 
mais  ils  deviennent  de  plus  en  plus  variés.  Us  s'étendent  actuellement  à  toute  espèce 
de  sujets,  car  chaque  ordre  de  faits  a  son  histoire  ancienne  et  son  archéologie.  L'an- 
tiquaire, l'historien,  touchent  à  tout.  Tantôt  il  leur  faut  consulter  la  géologie  pour 
déterminer  l'âge  des  monuments  qu'ils  découvrent  dans  les  profondeurs  du  sol,  tantôt 
c'est  à  la  philologie  à  leur  apprendre  si  les  variations  par  lesquelles  les  noms  ont 
passé,  les  transformations  qu'ont  subi  les  langues,  autorisent  les  identifications  géo- 
graphiques proposées,  assignent  telle  ou  telle  date  à  un  document;  tantôt,  pour  ap- 
précier le  caractère  et  la  valeur  des  vieilles  institutions  nationales,  ilsdoivent  agiter  des 
problèmes  d'économie  politique  et  sociale,  et  demander  à  l'industrie,  au  commerce, 
des  lumières  qu'ils  ne  trouveraient  pas  dans  les  seuls  enseignements  de  l'histoire; 
tantôt  c'est  la  science  de  l'ingénieur  qui  les  guide  quand  il  s'agit  de  fixer  les  caractè- 
res des  voies  antiques;  tantôt  enfin,  c'est  à  l'art  militaire  qu'ils  recourent  lorsqu'ils 
ont  à  juger  les  moyens  d'attaque  et  de  défense  des  villes  dont  ils  étudient  l'emplace- 
ment et  les  ruines,  des  armées  dont  ils  suivent  la  marche  sur  le  terrain  et  cherchent 
à  retrouver  les  anciens  champs  de  combat. 

Toutefois,  les  concurrents  supposeraient  à  tort  qu'on  a  droit  à  nos  récompenses 
par  cela  seul  que  l'on  parle  de  notre  histoire.  Il  y  a  des  ordres  de  travaux  différents  ; 
les  uns  destinés  à  rechercher  des  faits  inconnus,  à  exhumer  les  débris  qni  se  sont 
jusqu'à  présent  dérobés  à  notre  curiosité  ;  les  autres  a  répandre  le  goût  des  études 
archéologiques,  à  populariser  des  connaissances  qui  demeuraient  le  patrimoine  des 
antiquaires  de  profession.  Ces  derniers  travaux,  publiés  surtout  par  des  revues  lit- 
téraires et  des  journaux,  ont  notre  approbation  sans  doute,  mais  ils  ne  sauraient  pré- 
tendre à  des  encouragements  spéciaux,  et  en  présence  du  grand  nombre  d'articles 
tirés  à  part  qui  nous  sont  adressés  au  milieu  d'oeuvres  originales,  la  Commission 
sent  la  nécessité  de  rappeler  au  public  le  véritable  caractère  du  concours. 

Ces  aperçus  rapides,  ces  descriptions  parfois  intéressantes,  mais  toujours  superfi- 
cielles, ces  résumés  élémentaires  qui  instruisent  mais  n'ajoutent  rien  à  la  science, 
n'appartiennent  pas  à  la  catégorie  des  travaux  sur  lesquels  nous  avons  à  prononcer. 
Nous  réservons  nos  médailles  et  nos  mentions  honorables  pour  des  œuvres  qui  exi- 
gent plus  de  labeur  et  de  pénétration. 

Il  y  a  aussi  des  limites  chronologiques  entre  lesquelles  les  sujets  traités  doivent  se 
placer  pour  avoir  droit  à  notre  examen.  L'antiquité,  ce  n'est  pas  l'histoire  d'il  y  a 
deux  ou  trois  siècles,  c'est  ce  qui  s'est  passé  avant  le  grand  mouvement  de  la  Renais- 
sance, point  de  départ  des  temps  modernes.  Le  monde  est  si  vieux,  que  même  en  res- 
treignant l'objet  du  concours  aux  oeuvres  qui  se  rapportent  à  des  époque  antéritures 
au  seizième  siècle,  le  champ  des  investigations  demeure  presque  illimité.  L'étude  des 
derniers  siècles  a  certainement,  pour  notre  histoire,  une  importance  réelle  ;  nous  ne 
voulons  pas  le  méconnaître  ;  mais  les  aptitudes,  les  qualités  qu'elle  réclame  ont  pour 
j  uge  à  l'Institut  une  autre  Académie  que  la  nôtre.  Il  n'est  pas  indispensable,  pour  re- 
cueillir les  matériaux  de  l'histoire  moderne,  de  fouiller  le  sol;  les  débris  sont  encore 
à  la  surface.  La  composition  des  ouvrages  sur  la  France  d'il  y  a  deux  ou  trois  cents 
ans  n'exige  ni  la  connaissance  approfondie  des  langues  latine  et  romane,  ni  l'habi- 
leté du  paléographe,  ni  le  savoir  du  feudiste  ;  elle  n'a  pas  besoin,  en  un  mot,  qu'on 
se  soit  familiarisé  de  longue  date  avec  des  institutions,  des  idées  et  des  mœurs  dont 
nous  nous  éloignons  de  plus  en  plus. 


ACADÉMIE    DES   I:\SCRIPTIONS.    ETC.  229 

Les  études  archéologiques  offrent  un  tout  autre  caratère  :  c'est  un  travail  de  mi- 
neur et  de  pionnier  ;  une  œuvre  qui  ne  s'accomplit  que  de  nuit,  non  de  cette  nuit 
que  dissipent  au  bout  de  quelques  heures  les  clartés  du  jour,  mais  de  cette  nuit 
continue  qu'on  appelle  les  ténèbres  du  passé.  L'antiquaire  ne  s'avance  dans  les  gale- 
ries qu'il  perce  que  pour  ainsi  dire  éclairé  par  cette  lumière  latente  dont  l'optique 
nous  révèle  l'existence,  que  guidé  par  quelques  parchemins,  quelques  pierres,  qui 
gardent,  comme  certaines  préparations  chimiques,  l'empreinte  des  rayons  lumineux 
qui  les  ont  frappés.  C'est  dans  un  monde  souterrain  qu'il  pénètre,  monde  où  sont 
accumulés  des  débris  de  toute  sorte  datant  de  six,  huit,  dix,  vingt  siècles,  mais  aux- 
quels la  vétusté  a  donné  cet  aspect  uniforme,  ces  teintes  sombres,  cette  physionomie 
sévère  à  laquelle  on  reconnaît  l'empreinte  du  temps. 

Ainsi  définies,  les  études  archéologiques  feront  mieux  comprendre  notre  programme, 
et  ces  paroles  écarteront,  nous  l'espérons,  à  l'avenir,  du  concours  les  auteurs  qui  s'y 
fourvoient,  sans  songer  qu'au  tribunal  de  l'antiquaire  les  seuls  mots  :  c'est  moderne, 
sont  l'équivalent  sinon  d'une  condamnation,  au  moins  d'une  déclaration  d'incom- 
pétence. 

Si  nous  tenons  à  remonter  au  moins  à  quatre  ou  cinq  siècles,  si  nous  voulons  des 
parchemins  et  de  lointaines  généalogies,  qu'on  ne  nous  taxe  pas  pour  cela  d'aristo- 
cratie, qu'on  ne  croie  pas  que  nous  ne  nous  intéressons  qu'aux  noms  fameux  et  aux 
familles  illustres.  Il  y  a,  nous  le  savons,  de  vieilles  familles  de  roture  qui  ont  aussi 
bien  servi  le  pays  que  de  nobles  maisons.  Longtemps  l'histoire  ne  s'était  guère  atta- 
chée qu'aux  actions  des  rois  et  des  grands,  qu'aux  événements  auxquels  ils  avaient 
été  mêlés;  les  classes  moyennes,  le  peuple  étaient  presque  toujours  laissés  dans 
l'ombre;  l'on  ne  s'inquiétait  guère  de  ce  qu'ils  avaient  dit,  fait  ou  pensé.  L'érudition 
contemporaine  tient  à  réparer  cet  injuste  oubli;  elle  accorde  une  place  de  plus  eu 
plus  large  dans  nos  annales  aux  sujets  à  côté  des  maîtres,  et  en  élevant  à  l'histoire  de 
France  un  de  ses  plus  beaux  monuments,  l'un  des  hommes  qui  ont  fait  la  gloire  de 
notre  Compagnie,  Augustin  Thierry,  inscrivait  sur  le  frontispice  :  Histoire  du  Tiers, 
État. 

Il  appartenait  à  un  élève  et  à  un  collaborateur  d'Augustin  Thierry  d'attacher  une 
page  de  plus  à  ce  grand  ouvrage  demeuré  inachevé,  mais  qui  reste  ouvert,  et  où  des 
mains  nouvelles  pourront  encore  tracer  quelques  lignes,  lignes  que  ne  dictera  plus 
cette  intelligence  à  laquelle  la  perte  de  la  lumière  n'avait  donné  que  plus  de  clair- 
voyance, mais  qu'inspirera  son  esprit  toujours  vivant  dans  l'histoire. 

Alors  que  les  charges  et  les  honneurs  restaient  le  patrimoine  des  grands,  que  les 
lettres  formaient  le  privilège  des  clercs,  que  la  culture  du  sol  se  voyait  abandonnée 
aux  vilains  et  aux  serfs,  le  commerce  était  presque  l'occupation  exclubive  des  bour- 
geois. Modeste  et  timide  négoce,  qui  ne  pesait  guère  dans  la  balance  des  destinées  po- 
litiques et  influait  peu  sur  les  guerres  des  États,  mais  qui  avait  pourtant  son  impor- 
tance trop  généralement  méconnue!  le  travail  de  M.  F.  Bourquelot  nous  permet  de 
mieux  l'apprécier  et  nous  donne  la  mesure  des  relations  commerciales  au  moyen  âge. 

Ses  Études  sur  les  foires  de  Champagne,  sur  la  nature,  l'étendue  et  les  règles  du 
commerce  qui  s'y  faisait  aux  douzième,  treizième  et  quatorzième  siècles  forment  un 
manuscrit  de  660  pages  in-4u,  dans  lequel  sont  intercalées  ça  et  là  quelques  parties 
empruntées  à  des  recherches  déjà  publiées  par  l'auteur.  C'est  un  chapitre  tout  à  fait 
nouveau  de  l'histoire  de  l'industrie  nationale  et  des  classes  mercantiles.  Les  Étvdei 
sur  les  foires  de  Champagne,  fruit  de  longues  et  cons  iencieuses  recherches,  extraites 
de  nombreux  diplômes  que  l'auteur  déchiffre  et  explique  avec  l'autorité  d'un  profes- 
seur à  l'école  des  Chartes,  avaient  tous  les  droits  dans  ce  concours,  et  c'est  sans 
hésitation  que  nous  leur  attribuons  la  première  médaille. 


230  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

Après  avoir  tracé  rapidement  l'histoire  des  foires  en  général,  et  fait  connaître 
province  dont,  il  se  propose  de  nous  montrer  l'état  commercial  aux  douzième,  treizième 
et  quatorzième  siècles,  M.  Bourquelot  remonte  aux  origines  des  foires  de  Champagne 
et  de  Brie;  il  en  détermine  la  nature,  le  nombre,  les  lieux,  les  époques;  il  recueille 
dans  des  documents  de  toute  sorte  et  jusque  d,jns  la  poésie  les  mentions  qui  en  sont 
faites;  il  estime  les  produits  pécuniaires  de  ces  foires,  on  expose  le  mode  d'admini- 
stration et  les  vicissitudes. 

La  Champagne  avait  alors,  Messieurs,  de  grands  forums  où  accouraient  des  mar- 
chands de  toutes  les  parties  de  l'Europe  occidentale.  On  y  apportait  les  articles  les 
plus  divers,  et  l'étude  de  ces  produits  jette  sur  l'état  de  l'industrie  et  de  l'agriculture 
du  moyen  âge  un  jour  des  plus  vifs.  Les  voies  que  suivaient  ceux  qui  se  rendaient  aux 
foires  de  Champagne  sont  aussi  intéressantes  à  connaître  pour  l'histoire  de  la  géo- 
graphie. M.  Bourquelot  élucide  toutes  ces  questions  en  homme  entendu  et  compétent; 
puis,  ne  se  tenant  pas  seulement  à  la  description  de  ces  grandes  réunions  commer- 
ciales, il  pénètre  dans  les  opérations,  les  transactions  qui  s'y  faisaient.  11  nous  montre 
la  lettre  de  change  à  son  origine,  le  prêt  à  intérêt,  ou,  comme  on  disait  au  moyen 
âge,  l'usure  fournissant  des  capitaux,  le  change  ayant  ses  tarifs  et  ses  règles  et  per- 
mettant à  une  foule  de  monnaies  que  le  Mémoire  énumère  d'avoir  cours  sur  le  mar- 
ché. La  multiplicité  des  mesures  en  usage  dans  les  diverses  parties  de  la  France 
était  une  autre  difficulté  que  les  trafiquants  réussissaient  à  surmonter. 

Ainsi,  bien  que  M.  Bourquelot  ne  traite  que  de  la  Champagne,  il  embrasse  en 
réalité  dans  son  travail  le  commerce  de  la  France  entière,  puisque  des  marchands  de 
nos  diverses  provinces  venaient  à  Troyes,  à  Provins,  à  Bar,  à  Lagny,  pour  placer 
leurs  produits,  et  ce  qui  se  passait  dans  les  villes  champenoises  devait  se  produire 
ailleurs.  Nous  pouvons  donc,  pour  parler  le  langage  commercial,  juger  ici,  sur  les 
échantillons  qu'on  nous  offre,  des  marchandises  fabriquées,  confectionnées  dans  les 
diverses  parties  du  royaume.  Aux  foires  des  autres  provinces  se  pressaient  aussi  ces 
mêmes  Lombards,  ces  mômes  Caoursins  que  l'auteur  trouve  à  Provins  et  à  Troyes, 
ces  mêmes  juifs  que  l'on  est  sûr  de  rencontrer  partout  où  il  y  a  des  prêts  à  faire. 
Le  change  et  l'usure,  j'entends  l'usure  dans  l'acception  qu'on  donnait  à  ce  mot  au 
moyen  âge,  avaient  des  centres  principaux  qu'il  n'eût  pas  été  sans  intérêt  de  recher- 
cher. M.  Bourquelot  ne  s'est  arrêté  qu'à  Cahors,  d'où  les  Caoursins  paraissent  tirer 
leur  nom.  Là  le  maniement  de  l'argent  avait  pris  un  immense  développement,  et  les 
banquiers  de  cette  ville,  qui  rappellent  les  sarafs  de  l'Orient,  portaient  en  tout  lieu 
leur  réputation  d'avidité;  Dante,  ce  peintre  éloquent  des  ignominies  de  son  temps, 
fait  pour  ce  motif  de  Cahors  (Caorsa)  une  cité  maudite  comme  Sodome. 

M.  Bourquelot  nous  montre  qu'il  y  a  six  ou  sept  cents  ans,  les  débouchés  étaient 
beaucoup  moins  restreints  qu'on  n'aurait  été  tenté  de  le  croire.  La  recherche  des 
droits  auxquels  les  importations  et  la  vente  étaient  soumises  intéresse  notre  histoire 
financière  et  rattache  directement  le  Mémoire  du  savant  paléographe  à  l'histoire  de 
nos  institutions  politiques. 

Si  M.  Bourquelot,  avant  de  livrer  son  Mémoire  à  l'impression,  le  soumet  à  une 
révision;  si,  durant  le  travail  typographique,  il  y  introduit  cette  sévérité  de  style  et 
d'ordonnance  dont  la  correction  des  épreuves  fait  plus  sentir  la  nécessité,  l'état  de 
manuscrit,  étant  trop  souvent  un  déshabillé  littéraire,  nul  doute  que  les  Etudes  sur  les 
foires  de  Champagne  ne  prennent  place  à  côté  des  meilleurs  ouvrages  d'éi  udition  de 
ces  dernières  années.  Toutes  les  parties  ne  sont  pas  traitées  avec  une  égale  étendue  ; 
la  Commission  se  serait  aperçu,  à  la  simple  lecture,  que  l'auteur  est  de  Provins,  si 
une  médaille  que  vous  lui  décernâtes,  il  y  a  plus  de  vingt  ans,  pour  une  histoire  de 
cette  ville,  ne  le  lui  eût  déjà  appris.  D'autres  villes,  qui  avaient  aussi  leurs  foires, 


ACADÉMIE   DES   INSCRIPTIONS,   ETC.  231 

Reims,  Chàlons,  restent  trop  dans  l'ombre.  Quelques  recherches  de  plus,  et  la  lumière 
sera  également  répandue  sur  les  diverses  parties  du  tableau  ;  l'œuvre  alors  honorera 
en  tout  son  auteur.  En  Champagne  comme  dans  la  plupart  de  nos  provinces,  les  no- 
bles croyaient  déroger  par  le  commerce  ;  mais  aujourd'hui  les  choses  ont  bien  changé, 
et  ce  sont  les  marchands  champenois  qui  confèrent  à  M.  Rourquelot  la  noblesse  in- 
tellectuelle dont  nous  lui  remettons  ici  les  lettres. 

La  Champagne  a  eu  cette  année  le  privilège  de  fournir  leur  sujet  aux  deux  ou- 
vrages que  nous  avons  plus  particulièrement  distingués.  Tandis  que  M.  Rourquelot 
étudiait  l'histoire  des  assemblées  foraines  de  la  province,  M.  Max  Quantin  recueil- 
lait, pour  un  département  en  partie  formé  d'une,  des  subdivisions  de  la  Champagne, 
tous  les  documents  qui  peuvent  en  éclairer  l'histoire.  Son  Cartulaire  général  de 
l'Yonne  est  une  de  ces  œuvres  de  patience  et  d'attention  dans  lesquelles  le  travailleur 
n'est  guère  soutenu  que  par  le  sentiment  des  services  qu'il  rend  aux  études  d'autrui  . 
les  publications  de  cartulaires  n'ont,  en  effet,  ni  l'éclat  d'une  grande  composition 
littéraire,  ni  l'intérêt  saisissant  d'un  récit,  ni  le  piquant  d'un  fait  mis  en  lumière,  ni 
le  retentissement  de  ces  découvertes  inattendues  dues  à  la  critique  de  l'antiquaire 
ou  à  la  sagacité  du  philologue;  mais  ce  sont  des  actes  d'un  beau  dévouement  histo- 
rique. Le  Cartulaire  de  l'Yonne,  comme  tout  cartulaire  habilement  analysé,  est  un 
long,  un  minutieux  répertoire  de  pièces  qui  arrivent  chacune  à  leur  date  et  leur  or- 
dre, et  que  l'archiviste  doit  en  quelque  sorte  coter  et  parafer  à  la  façon  d'un  officier 
ministériel;  toutefois  ce  récolement  exige,  pour  les  siècles  passés,  un  savoir  bien 
autre  que  celui  d'un  notaire  ou  d'un  avoué.  La  méthode  et  l'exactitude  apportées 
dans  ce  dépouillement  font  le  mérite  de  l'archiviste,  mérite  qui  a  naturellement  ses 
degrés.  M.  Quantin  nous  avait  déjà,  dans  son  premier  volume,  très-honorablement 
mentionné  par  l'Académie,  donné  un  spécimen  de  sa  critique  et  de  son  érudition. 
Ce  second  volume  fait  ressortir  davantage  son  intelligence  de  paléographe.  Là  se 
trouve  réunies  toutes  les  pièces  datant  des  onzième  et  douzième  siècles,  c'est-à-dire 
appartenant  à  une  époque  pour  la  complète  connaissance  de  laquelle  il  reste  encore 
beaucoup  à  faire,  si  l'on  veut  ne  laisser  ignoré  aucun  épisode,  aucun  accessoire. 
L'éditeur  a  vérifié  avec  le  plus  grand  soin  l'authenticité  de  tous  les  documents 
qu'il  recueille  et  établit  leur  texte  avec  la  plus  extrême  rigueur.  Des  tables  des 
noms  d'hommes  et  de  lieux,  mentionnés  dans  les  chartes  dont  se  compose  le  cartu- 
laire, une  classification  des  pièces  par  ordre  d'églises,  de  monastères,  de  seigneuries, 
enfin  un  index  général  des  matières  rendent  l'ouvrage  plus  accessible  aux  travail- 
leurs et  y  facilitent  les  recherches.  Nous  avons  retrouvé,  dans  l'introduction  de  ce 
tome  II,  l'excellent  morceau  sur  la  géographie  ancienne  de  la  cité  d'Auxerre,  du  pa- 
gus  et  du  comté  de  Sens,  où  l'auteur  nous  fait,  pour  ainsi  dire,  assister  à  la  formation 
graduelle  des  deux  pays,  par  l'ordre  rigoureusement  chronologique  qu'il  s'est  imposé, 
morceau  qui  avait  mérité,  il  y  a  deux  ans,  une  de  vos  mentions  très-honorables.  A 
cette  étude  géographique  est  rattaché  un  aperçu  de  l'état  des  propriétés  et  des  per- 
sonnes, delà  justice,  des  monastères,  de  l'agriculture,  de  l'industrie  au  douzième 
siècle,  dans  la  région  de  la  Fiance  dont  s'occupe  M.  Quantin. 

Nous  regrettons  que  l'archiviste  d'Auxerre  n'ait  accordé  qu'une  si  petite  place  à 
l'étude  de  la  viabilité  antique  et  du  moyen  âge.  Une  recherche  suivie  des  routes  et 
des  chemins  tracés  par  les  Romains,  ou  fréquentés  à  l'époque  féodale,  fait  défaut 
dans  le  livre,  et  cependant  les  voies  anciennes  sont  le  guide  le  plus  sûr  au  milieu 
de  ce  terrain  encore  à  moitié  en  friche,  couvert  de  forêts,  coupé  de  cours  d'eau 
mal  aménagés,  que  l'on  appelle  la  France  du  douzième  siècle.  Sauf  cette  lacune  regret- 
table, l'ouvrage  de  M.  Quantin  est  un  travail  excellent,  et  en  accordant  la  seconde 


232  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

de  nos  médailles  à  un  labeur  poursuivi  avec  tant  de  persévérance,  nous  donnons 
la  fois  une  preuve  de  justice  et  un  utile  exemple. 

Deux  ouvrages  nous  ont  paru  dignes  de  la  troisième  médaille,  et  nous  nous 
sommes  vus  contraints  de  partager  entre  eux  une  récompense  qui,  tout  entière, 
n'eût  pas  été  trop  grande  pour  chacun  de  leurs  auteurs.  L'un  est  dû  à  M.  Tudot, 
antiquaire  distingué  du  département  de  l'Allier;  l'autre,  dont  les  mérites  plus  spé- 
ciaux frappent  moins  de  prime  abord,  quoique  tout  aussi  réels,  est  d'un  ingénieur 
en  chef  des  ponts  et  chaussées,  M.  de  Matty  de  Latnur,  déjà  honoré  d'une  médaille 
dans  un  précédent  concours.  Par  la  nouveauté  des  résultats  archéologiques,  le  tra- 
vail de  M.  Tudot  l'emporte  peut-être  sur  le  Mémoire  de  M.  de  Matty;  mais  l'exécu- 
tion vraiment  achevée  du  dernier,  l'admirable  atlas  qui  l'accompagne,  la  conscience 
scrupuleuse,  je  dirais  même  la  minutie,  si  je  ne  craignais  que  le  mot  ne  fût  entendu 
dans  un  sens  défavorable,  qui  s'y  fait  remarquer,  lui  donnent  une  grande  valeur. 
Les  envois  des  deux  candidats  offrent  donc  des  mérites  divers  ;  ils  ont,  en  réalité, 
des  droits  égaux,  et  si,  dans  cet  ex  œquo,  nous  avons  placé  M,  Tudot  le  premier, 
c'est  seulement  pour  indiquer  au  public  que  la  science  des  antiquités  recueillera 
dans  son  ouvrage  des  faits  plus  neufs  et  des  renseignements  plus  variés. 

Nous  commencerons  cependant,  Messieurs,  par  vous  entretenir  du  Mémoire  de 
M.  de  Matty  de  Latour,  parce  que,  avec  lui,  nous  nous  trouvons  encore  dans  la  pro- 
vince où  nous  ont  conduits  MM.  Bourquelot  et  Quantin,  surtout  parce  que  nous  y 
voyons  ce  que  nous  eussions  voulu  rencontrer  dans  le  Cartulaire  de  l'Yonne,  une 
étude  approfondie  des  voies  romaines.  M.  de  Matty  de  Latour  ne  quitte  pas  les 
routes  ;  M.  Quantin  les  évite  ;  il  est  vrai  qu'il  est  assez  au  fait  du  pays  pour  nous 
mener  à  travers  champs. 

L'ingénieur  français  a  spécialement  étudié  la  voie  romaine  de  Langres  à  Besan- 
çon. Il  l'a  fait  non-seulement  en  géographe,  mais  en  homme  de  l'art.  C'est  vous 
dire,  Messieurs,  qu'il  ne  s'en  tient  pas  à  la  direction  de  la  voie,  mais  en  veut  re- 
connaître la  construction,  en  mesurer  les  accotements,  en  sonder  la  profondeur,  en 
un  mot,  se  rendre  compte  des  moindres  détails.  M.  de  Matty  de  Latour  a  fait  faire 
sur  cette  route  antique  un  nombre  considérable  de  sections.  Deux  cent  quatre-vingt- 
six  fouilles  ont  été  pratiquées,  de  façon  à  déterminer  le  tracé  avec  la  plus  rigoureuse 
exactitude.  L'auteur  a  pu  ainsi  se  former  une  idée  complète  de  la  construction  de 
la  voie  sur  tout  son  parcours,  de  la  composition  du  massif  et  des  matériaux  employés. 
Rien  de  ce  qui  peut  intéresser  un  ingénieur  n'a  été  négligé,  et,  en  vérité,  M.  de 
Matty  de  Latour  est  tellement  au  courant  des  procédés  de  l'ingénieur  romain,  qu'on 
pourrait  le  prendre  pour  un  de  ces  architectes  qui  tracèrent  dans  la  Gaule  les  grandes 
voies  d'Agrippa,  et  dont  le  temps  aurait  respecté  la  vie  comme  la  science. 

Du  Mémoire  de  M.  de  Matty  de  Latour  il  ressort  que  les  voies  antiques  ne  présen- 
taient pas  la  composition  invariable  à  laquelle  le  célèbre  ouvrage  de  Bergier  nous  a 
fait  croire,  le  statumen,  le  rudus,  le  nucleus  et  la  summu  crusta.  Cette  succession  de 
couches  différentes  constituait  une  composition  typique  dont  on  s'écartait  sans  cesse 
dans  la  pratique  et  à  laquelle  on  substituait  souvent  un  système  plus  simple.  Ce  fait 
constaté  conduit  l'auteur  à  découvrir  comment  les  voies  étaient  réparées  et  refaites, 
et  lui  permet  d'évaluer  la  dépense  qu'entraînait  leur  construction,  dépense  qu'il 
compare  à  celles  que  nécessitent  aujourd'hui  nos  routes.  C'est  là  un  rapprochement 
curieux  et  important  pour  l'histoire  économique  de  l'antiquité.  Mais  M.  de  Matty  de 
Latour  ne  se  borne  pas  à  l'examen  de  la  voie  qu'il  a  fouillée,  il  en  a  parcouru  d'au- 
tres sur  lesquelles  il  a  fait  d'intéressantes  observations;  il  s'aide  aussi  des  travaux 
exécutés  sur  la  voie  Appienne  par  un  éminent  ingénieur  qui  fut  l'une  des  gloires  de 


ACADÉMIE  DES   INSCRIPTIONS,    ETC.  233 

l'Institut,  Prony,  et  de  cet  ensemble  d'indications,  il  tire  quelques  données  applica- 
bles à  tous  les  chemins  romains. 

Ce  serait  une  heureuse  pensée  chez  le  directeur  général  du  corps  auquel  M.  de 
Matty  de  Latour  appartient,  de.  prescrire  une  reconnaissance  pareille  à  celle  dont  la 
voie  de  Langres  à  Besançon  a  été  l'objet,  sur  toutes  les  voies  antiques  qui  subsistent 
par  tronçons  en  grand  nombre  dans  notre  patrie.  L'Itinéraire  d'Antonin  et  la  Table 
théodosienne,  dont  nous  ne  parvenons  le  plus  souventà  restituer  que  conjecturalemcnt 
les  indications,  sortiraient  de  l'obscurité  qui  les  voile,  et  la  Gaule  reparaîtrait  avec 
son  épais  réseau  de  routes  et  de  chemins  ;  toutes  les  stations  reprendraient  leur 
véritable  place,  et  les  fines  leur  exacte  situation. 

Nul  mieux  que  M.  de  Matty  de  Latour  ne  serait  apte  à  s'acquitter  de  cette  tâche 
car  il  a,  on  peut  le  dire,  la  passion  des  voies  romaines  et  le  culte  des  grands  che- 
mins ;  c'est  un  véritable  adorateur  de  Mercure  Enodios.  Cette  dévotion  qui,  chez 
un  ingénieur,  est  une  vertu  d'état,  nous  autorise  à  lui  rappeler  de  ne.  pas  négliger 
les  simulacres  de  sa  divinité  protectrice,  de  rechercher  les  liermès  et  les  bornes  qui 
en  avaient  été  originairement  les  grossières  images.  11  a  traité  en  termes  un  peu  trop 
brefs  de  ces  moyens  de  repère  qui  aident  à  reconstituer  le  tracé  des  chemins.  Sans 
méconnaître  l'importance  de  la  chaussée  et  des  accotements,  il  nous  semble  que  ce 
qui  se  trouvait  le  long  de  la  route  avait  aussi  droit  à  son  intérêt;  le  passant  y  jetait 
les  yeux  et  lisait  sur  l'hermès  ou  la  borne  ce  qui  lui  restait  encore  d'heures  à  mar- 
cher. Antiquaires  qui  cheminons  à  la  suite  de  M.  de  Matty  de  Latour  sur  la  voie 
qu'il  connaît  si  bien,  nous  eussions  aimé  à  apercevoir  de  distance  en  distance  quel- 
ques monuments;  ils  nous  rappelleraient  que  c'est  de  l'archéologie  et  non  exclusi- 
vement de  la  science  des  routes  que  nous  voulons  faire.  Nous  aurions  aussi  désiré 
voir  approfondie  par  l'auteur  la  question  des  embranchements  dans  ses  rapports 
avec  le  système  de  bornage,  question  qui  nous  promet  la  solution  de  certaines  diffi- 
cultés des  itinéraires  anciens.  Espérons  que  s'il  est  chargé  d'une  mission  spéciale, 
M.  de  Matty  de  Latour  éclairera  ce  problème,  et  qu'il  deviendra  plus  archéologue, 
sans  cesser  d'être,  ce  qu'il  est  assurément,  un  très-savant  ingénieur. 

Si  M.  Edmond  Tudot  nous  intéresse  davantage,  c'est  qu'il  ne  sort  jamais  du  do- 
maine de  l'antiquaire.  Il  a  aussi  fouillé  le  sol  pour  y  retrouver  des  monuments  de 
l'adresse  et  du  talent  manuel  des  anciens.  Habitant  un  pays  particulièrement  favo- 
rable à  l'étude  des  procédés  et  des  produits  de  la  céramique  gauloise,  l'ancien  Bour- 
bonnais, il  a  eu  la  bonne  fortune  de  tomber  sur  de  véritables  trésors.  Les  environs 
de  Toulon-sur-Allier  recelaient  une  multitude  de  fours  à  poterie,  de  figurines,  de 
vases  d'argile,  de  terres  cuites  que  l'auteur  décrit  et  explique. 

Les  planches  de  son  ouvrage,  où  se  révèle  le  talent  artistique  de  l'auteur,  mettent 
sous  nos  yeux  plus  de  quatre  cents  monuments  représentés  sous  leurs  divers  aspects, 
méthodiquement  classés  et  distribués  avec  une  clarté  et  un  enchaînement  qui  donnent 
aux  plus  minces  fragments  une  importance  qu'ils  n'auraient  pas  sans  cela. 

Ces  monuments,  qui  nous  offrent  des  représentations  de  divinités,  de  personnages 
privés,  d'animaux,  des  images  grotesques  même  et  de  véritables  caricatures,  sont  rap- 
prochés des  monuments  analogues  faisant  partie  de  collections  particulières.  Car, 
pour  éclairer  son  sujet,  pour  mieux  nous  initier  à  l'art  du  potier  et  du  mouleur  gau- 
lois ou  gallo-romain,  M.  Tudot  ne  s'est  pas  cantonné  dans  la  seule  étude  des  riches- 
ses de  son  département.  Il  nous  apporte  sur  cet  art  des  données  tout  à  fait  neuves  ; 
il  retrouve  des  moules  à  pièces  et  jusqu'aux  petits  poinçons  modelés  en  relief  à  l'aide 
desquels  on  imprimait  dans  les  moules  ces  mille  combinaisons  d'ornements  et  de  figu- 
res qui  ajoutent  tant  à  la  beauté  des  charmantes  poteries  rouges  que  fabriquaient 
les  populations  de  la  Gaule. 

iv.  16 


234  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

Les  mérites  que  nous  faisions  ressortir  tout  à  l'heure,  en  parlant  de  l'ouvrage  de 
M.  Quantin,  nous  les  retrouvons  en  partie  dans  celui  de  M.  Célestin  Port,  intitulé  : 
Inventaire  analytique  des  archives  anciennes  de  la  mairie  d'Angers.  Seulement  la 
tâche  était  ici  moins  étendue;  la  date  des  pièces  ne  remontant  pas  si  haut,  la  criti- 
que des  documeuts  n'exigeait  pas  tant  de  sagacité.  Au  reste,  même  correction  de 
textes,  même  sûreté  d'indications.  La  Commission,  qui  dans  un  précédent  concours 
décernait  une  médaille  à  l'auteur,  vous  rappelle  solennellement  cette  récompense  à 
laquelle  il  s'est  donné  de  nouveaux  droits. 

Il  s'opère  parfois,  en  effet,  chez  ceux  qui  obtiennent  nos  médailles  novation  de  titres. 
Des  œuvres  analogues  à  celles  qui  ont  mérité  nos  récompenses,  également  estimables, 
bien  qu'elles  n'offrent  plus  le  même  caractère  de  nouveauté,  rappellent  de  premiers 
succès.  L'auteur  ne  conquiert  pas  sans  doute  alors  une  seconde  médaille,  mais  il  em- 
preint plus  fortement  sur  la  première  sa  palme  et  son  nom. 

Sans  accorder  un  rappel  de  médaille  à  M.  l'abbé  Raillard  pour  ses  deux  Mémoires 
sur  la  Restauration  du  chant  grégorien  et  sur  les  Quarts  de  ton  du  graduel  Tibi  Do- 
mine, nous  devons  cependant  les  citer  d'une  manière  toute  spéciale  et  en  quelque 
sorte  hors  ligne. 

L'auteur  y  confirme  par  des  faits  nouveaux  ce  qu'il  avait  établi  dans  son  Mémoire, 
honoré  l'an  dernier  d'une  médaille  :  il  fortifie  les  découvertes  sur  l'emploi  du  quart 
de  ton,  qui  sont  dues  à  la  sagacité  d'un  de  nos  confrères;  enfin  il  nous  montre,  dans 
l'horreur  inspiré  par  un  certain  intervalle  de  quarte,  qu'un  passage  mal  compris  de 
Guy  d*Arezzo  avait  fait  rejeter,  l'une  des  causes  principales  des  modifications  intro- 
duites depuis  dans  le  chant  liturgique. 

Ces  deux  Mémoires  sont  donc  comme  un  appendice  de  l'œuvre  que  nous  vous  si- 
gnalions, il  y  a  moins  d'une  année,  et  ils  nous  prouvent  que,  persévérant  dans  ses 
louables  efforts,  le  savant  ecclésiastique  s'avance  d'un  pas  de  plus  en  plus  sûr  dans 
ces  ténèbres  des  neumes  où  la  finesse  de  l'oreille  doit  suppléer  à  l'incertitude  de  la 
vue. 

Nous  vous  proposions  en  1860  de  décerner  neuf  mentions  très-honorables  ;  le  grand 
nombre  de  travaux  vraiment  dignes  de  votre  approbation  ne  permet  pas  d'en  abais- 
ser le  chiffre  cette  année.  Nous  nous  sommes  trouvés  de  nouveau  en  face  d'ouvrages 
qui  n'étaient  pas  sans  quelques  droits  à  une  meilleure  place  dans  la  série  des  récom- 
penses ;  mais  ne  l'oubliez  pas,  Messieurs,  nous  n'avions  pas  à  prononcer  sur  des  va- 
leurs absolues;  nos  jugements  sont  relatifs;  c'est  un  ordre  de  mérite  que  nous  éta- 
blissons. Il  y  a  eu  des  combats  où  tous  les  soldats  valaient  des  généraux,  et  des  batailles 
où  le  général  n'était  qu'un  médiocre  soldat.  Nos  luttes  ont  grandi,  et  les  conscrits  d'il 
y  a  vingt-cinq  ans  sont  maintenant  des  capitaines  éprouvés. 

La  première  mention  très-honorable  a  été  accordée  à  M.  Germain,  professeur  à 
la  Faculté  des  lettres  de  Montpellier,  pour  ses  Mélanges  académiques  d'histoire  et 
d'archéologie.  Cet  ouvrage,  dont  le  titre  a  le  tort  de  ne  pas  indiquer  suffisamment  le 
contenu,  est  un  recueil  de  dissertations  sur  divers  sujets  relatifs  à  l'histoire  du  midi 
de  la  France,  surtout  à  celle  de  la  partie  du  Languedoc  où  est  situé  Montpellier.  Le 
mot  Mélanges  montre  assez  qu'il  ne  faut  point  chercher  dans  le  livre  d'unité.  Les  deux 
volumes  renferment  des  Mémoires  sur  des  sujets  très-variés,  publiés  à  diverses  époques, 
mais  réunis  depuis  en  un  seul  corps  dont  les  diverses  parties  sont  rapprochées  par  le 
lien  commun  d'une  érudition  solide  et  d'une  critique  exercée.  Tantôt  c'est  la  biogra- 
phie d'un  personnage  mal  connu,  tantôt  c'est  l'exposé  de  l'organisation  religieuse  ou 
de  la  charité  publique  et  hospitalière  au  moyen  âge,  tantôt  le  tableau  animé,  et  tiré  des 
pièces  du  temps,  d'une  émeute  populaire  sous  Charles  V,  tantôt  un  Mémoire  sur  les 
monnaies  de  Maguelone  et  de  Montpellier,  tantôt  une  notice  sur  les  seigneurs  d'un  vil- 


ACADÉMIE   DES   INSCRIPTIONS,   ETC.  235 

lage  des  environs  de  cette  ville,  Courdonterral,  et  sur  leurs  luttes  avec  la  population  ; 
tantôt  enfin  une  chronique  inédite  ou  l'histoire  d'une  localité  de  l'évêché  de  Maguelone. 
Presque  tous  cessujets  sont  traités  d'après  les  documents  originaux,  que  l'auteur  manie 
avec  intelligence  et  sobriété.  En  accordant  à  M.  Germain  une  mention  très-honorable, 
l'Académie,  qui  le  compte  parmi  ses  correspondants,  ne  fera  qu'ajouter  un  témoignage 
de  plus  à  la  haute  estime  que  lui  inspire  son  savoir,  honoré  déjà  d'une  récompense 
plus  haute  que  celle  dont  dispose  la  Commission. 

V Iconographie  des  sceaux  et  bulles  conservés  dans  la  partie  antérieure  à  1790  des 
archives  du  département  des  Bouches-du-Rhône,  par  M.  Blancard,  rentre  dans  la  caté- 
gorie des  œuvres  d'érudition  patiente  et  de  persévérants  efforts  pour  lesquelles  la 
Commission  a  déjà  tout  à  l'heure  indiqué  sa  prédilection.  Ce  travail,  conduit  avec 
une  ardeur  soutenue,  avait  droit  à  vous  être  signalé  dans  des  termes  qui  sont  une  ré- 
compense. Les  sceaux  ont  une  grande  importance  en  diplomatique;  ce  sont  généra- 
lement des  marques  d'authenticité;  œuvres  d'art,  ce  sont  aussi  des  documents  pour 
l'histoire  monétaire;  leurs  empreintes  nous  donnent  des  figures,  des  détails  de  cos- 
tume, d'ornements  qui  ne  s'observent  parfois  que  là;  ces  reproductions  de  sceaux 
prennent  surtout  une  valeur  particulière  quand  elles  sont  exécutées  avec  le  talent 
que  M.  Laugier  a  apporté  dans  les  planches  du  livre,  de  M.  Blancard. 

Les  sceaux  sont  classés  par  ordre  de  date  ;  leurs  légendes  sont  expliquées  et  tran- 
scrites avec  une  grande  exactitude.  On  regrette  seulement  que  l'auteur  ait  été  si  sobre 
de  détails  historiques.  L'exactitude  a  sans  contredit  son  prix,  mais  la  solidité  n'en- 
traîne pas  nécessairement  la  sécheresse,  et  les  personnages  dont  nous  avons  sous  les 
yeux  les  effigies  ou  les  armoiries  ne  sont  pas  assez  connus  pour  qu'il  ait  été  inutile 
de  nous  en  rappeler  l'histoire. 

Toutefois  la  méthode  de  M.  Blancard  a  l'avantage  de  ne  pas  exposer  à  des  rappro- 
chements hasardés  et  à  des  idées  systématiques.  C'est  l'abus  de  ces  idées  qui  nous  a 
empêchés  de  décerner  une  médaille  à  un  autre  antiquaire,  M.  Frédéric  Troyon,  dont 
le  livre  aurait  eu  certainement  droit  par  l'intérêt  qu'il  présente  à  nos  plus  hautes  ré- 
compenses. 

Les  restes  d'habitations  sur  pilotis,  découverts  sur  les  bords  ou  dans  les  eaux  de  diffé- 
rents lacs  de  la  Suisse,  éveillèrent  vivement,  il  y  a  quelques  années,  l'attention  des 
antiquaires  de  ce  pays.  Le  dessèchement  partiel  du  petit  lac  de  Moosseedorf,  dans  le 
canton  de  Berne,  mit.  au  jour  de  la  tourbe  et  quelques  instruments  en  pierre  et  en  os. 
On  fouilla  afin  de  reconnaître  d'où  provenaient  ces  vestiges,  et  l'on  ne  tarda  pas  à 
constater  que  des  pieux  occupaient  toute  la  partie  du  fond  desséché  sur  une  lar- 
geur de  plus  de  15  mètres,  et  que  plus  à  l'ouest  les  pieux  se  continuaient  sous  le  ni- 
veau des  eaux.  Ces  pieux,  plantés  verticalement,  traversaient  une  ancienne  couche 
de  tourbe,  dans  la  partie  inférieure  de  laquelle  étaient  déposés  des  ossements  d'ani- 
maux, des  fragments  de  poterie,  et  des  instruments  de  la  même,  matière  que  ceux 
qui  avaient  été  déterrés  antérieurement,  et  ne  portant  aucune  trace  de  métal. 

On  ne  tarda  pas  à  retrouver  ailleurs  de  pareilles  restes  d'habitations,  auxquels 
leur  emplacement  fit  donner  l'épithètede  lacustres,  à  la  tourbière  de  Wauwvl,  dans 
le  canton  de  Lucerne,  au  lac  de  Zurich,  à  celui  de  Pfeffikon,  dans  le  même  canton,  à 
ceux  de  Constance,  de  Bienne,  de  Neufchàtcl,  de  Genève. 

A  quel  peuple  devait-on  rapporter  ces  vestiges?  avait-on  là  des  antiquités  de  la  pé- 
riode celtique?  fallait-il  croire  que  les  Helvètes  habitaient,  comme  le  font  aujour- 
d'hui les  Malais,  dans  des  huttes  construites  sur  pilotis? 

Tel  fut  le  problème  qu'agitèrent  les  antiquaires  suisses,  et  à  la  solution  duquel 
M.  Frédéric  Troyon  a  consacré  de  savantes  recherches.  Son  livre  est  le  résumé  de 
tous  les  travaux  entrepris  à  ce  sujet  depuis  la  découverte  des  premières  habitations 


236  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

lacustres.  L'antiquaire  vaudois  ne  s'est  pas  borné  à  décrire  les  vestiges  mis  au  jour 
et  les  objets  de  toute  sorte  qui  s'y  trouvent  associés  ;  il  a  fondé  sur  ces  découvertes 
archéologiques  une  théorie  dont  il  avait  été  chercher  les  bases  chez  les  antiquaires 
Scandinaves.  Frappé  de  ce  fait  que  les  habitations  qui  dénotent  l'industrie  la  plus 
primitive  et  la  plus  grossière  ne  renferment  guère  que  des  instruments  en  pierre, 
que  les  ossements  d'animaux  qui  y  sont  mêlés  n'appartiennent  généralement  pas  à 
la  faune  actuelle,  il  distingue  dans  les  établissements  anciens  de  l'Helvétie  une 
époque  antéhistorique  qu'il  appelle  l'âge  de  pierre. 

La  présence  d'instruments  en  bronze  dans  les  habitations  lacustres  des  bords  du 
Léman  et  d'autres  lacs  l'ont  conduit  à  admettre  qu'à  l'âge  de  pierre  en  avait  succédé 
un  autre,  correspondant  a  une  civilisation  plus  avancée  et  où  le  bronze  fut  employé 
pour  la  confection  des  armes  et  des  ustensiles. 

Enfin  la  présence  du  fer  dans  les  habitations  lacustres  de  quelques  parties  de  la 
Suisse,  par  exemple  sur  les  bords  des  lacs  de  Bienne  et  de  Neufcliâtel,  a  fait  croire 
à  M.  Troyon  que  dans  un  âge  plus  récent,  mais  antérieur  déjà  à  l'époque  où  César 
entrait  en  Gaule,  le  fer  avait  pris  la  place  du  bronze. 

C'est  en  se  guidant  sur  cette  chronologie  supposée  que  l'auteur  a  entrepris  d'écrire 
ce  qu'on  pourrait  appeler  l'histoire  de  l'industrie  primitive  de  l'humanité.  Étendant 
le  cercle  de  ses  études,  il  a  été  chercher  dans  tous  les  pays  de  l'Europe,  en  France,  en 
Irlande,  en  Angleterre,  en  Ecosse,  en  Danemark,  en  Allemagne  et  jusque  dans  la 
Turquie  et  le  Caucase,  des  témoignages  en  faveur  de  la  théorie  à  laquelle  il  subor- 
donne trop  souvent  l'exposé  des  découvertes  que  nous  venons  de  mentionner. 

Les  faits  qu'analyse  M.  Troyon,  en  recourant  aux  publications  d'un  grand  nombre 
de  ses  compatriotes,  intéressent  au  plus  haut  degré  notre  archéologie  celtique,  car 
l'Helvétie  était  une  partie  de  la  Gaule.  Toutefois  votre  Commission  aurait  préféré 
que  l'auteur  eût  plus  nettement  séparé  la  description  pure  et  simple  des  monuments 
découverts  de  la  théorie  qu'il  y  mêle.  Cette  théorie,  malgré  ce  qu'elle  a  d'ingénieux 
et  de  séduisant,  nous  paraît  beaucoup  trop  absolue,  et  nous  inclinons  à  penser  que 
son  livre  scinde,  en  des  époques  trop  tranchées,  des  formes  de  l'industrie  de  nos  an- 
cêtres qui  ont  pu  être  contemporaines,  et  qui  ne  remontent  pas  toujours  à  la  haute 
antiquité  qu'il  leur  prête.  Les  découvertes  faites  en  plusieurs  points  de  la  France  dé- 
montrent, par  exemple,  que  les  Gaulois  faisaient  encore  usage  d'armes  en  bronze 
quand  ils  combattirent  contre  les  Romains,  et  l'on  a  retrouvé  des  ustensiles  en  pierre 
qui  ne  sauraient  dater  d'uneépoque  beaucoup  plus  ancienne  que  César. 

Les  systèmes  établis  à  l'avance  nuisent,  vous  le  savez,  Messieurs,  à  l'étude  critique 
des  faits  ;  et,  trop  infatué  d'une  théorie,  l'antiquaire  ferme  involontairement  les 
yeux  sur  les  circonstances  qui  la  contredisent.  Ce  défaut  de  critique  peut  être  repro- 
ché à  M.  Troyon.  Des  objets  signalés  depuis  comme  controuvés,  des  ustensiles  imités 
par  des  faussaires  de  ceux  qui  avaient  été  authentiquement  découverts,  se  voient  con- 
fondus, dans  les  planches  qui  accompagnent  son  livre,  avec  les  objets  d'une  origine 
incontestablement  antique. 

Il  resterait  donc  à  faire  sur  les  monuments  que  l'auteur  décrit  une  étude  plus  sé- 
vère et  plus  exigeante,  à  s'assurer  si  le  divorce  entre  la  pierre,  le  bronze  et  le  fer, 
est  aussi  prononcé  que  ce  savant  le  suppose,  et,  par  la  comparaison  des  objets  d'ori- 
gine gauloise  et  de  ceux  que  recelaient  les  habitations  lacustres,  à  fixer  d'une  ma- 
nière plus  sûre  la  date  à  laquelle  on  doit  les  faire  remonter. 

Quoi  qu'il  en  soit,  l'ouvrage  de  M.  Troyon  n'en  est  pas  moins  d'une  réelle  impor- 
tance ;  il  appelle  l'attention  sur  des  faits  que  l'on  ne  soupçonnait  pas  il  y  a  vingt-cinq 
ou  trente  ans.  Il  se  lie  à  ce  grand  problème  de  l'âge  auquel  notre  Europe  a  été 
peuplée,  mytérieuseque  oitsn  où,  depuis  que  des  produits  de  notre  industrie  ont  été 


ACADÉMIE   DES    INSCRIPPIONS,   ETC.  237 

déterrés  dans  les  profondeurs  du'sol,  se  trouvent  en  présence  le  géologue  et  l'antiquaire. 
L'histoire  des  habitations  lacustres  appartient  à  ce  qu'on  pourrait  appeler  l'archéolo- 
gie primordiale;  elle  nous  transporte  vraisemblablement  bien  au  delà  des  temps  que 
peuvent  revendiquer  nos  annales;  mais  les  origines  de  l'humanité  sont  le  premier 
chapitre  de  l'histoire  de  toutes  les  nations;  en  cherchant  à  découvrir  quels  furent  les 
premiers  hommes  qui  pénétrèrent  dans  la  contrée  qne  nous  habitons  aujourd'hui, 
nous  sommes  donc  encore  dans  le  domaine  de  nos  antiquités  nationales. 

Ce  que  je  dis  est  applicable  à  la  Grammaire  comparée  des  langues  de  la  France 
de  M.  Louis  de  Baecker,  qui  a  obtenu  dans  ce  concours  la  quatrième  mention  très- 
honorable. 

Les  anciens  dialectes  sont  comme  les  fossiles  des  révolutions  intellectuelles  de  l'hu- 
manité, et  l'étude  des  caractères  communs  qu'ils  présentent  nous  reporte  à  un  âge 
où  ne  s'étaient  point  encore  opérées,  entre  les  tribus  de  souche  indo-européenne,  ces 
séparations  tranchées  qui  les  constituèrent  en  nations  distinctes.  M.  de  Baecker  à  dû 
nécessairement  franchir  les  limites  de  l'antiquité  gauloise  et  remonter  jusqu'au  ber- 
ceau asiatique  ;  mais  par  son  examen  des  formes  grammaticales  des  idiomes  sortis 
du  latin,  il  nous  ramène  en  deçà  de  ces  temps  reculés.  Le  tort  de  la  Grammaire  com- 
paré des  langues  de  la  France  est  d'avoir  rapproché,  sans  autre  motif  que  leur  voi- 
sinage géographique,  des  idiomes  de  branches  distinctes.  C'est  par  leurs  affinités 
grammaticales.,  non  par  les  lieux  qu'habitent  les  peuples  qui  les  parlent,  que  les  langues 
doivent  être  comparées.  Mais  si  M.  de  Baecker  a  mal  choisi  son  point  d'attache,  il  a 
du  moins  bien  fait  connaître  les  vicissitudes  des  idiomes  qu'il  analyse.  Vulgarisateur 
des  principes  des  Guillaume  de  Humboldt,  des  Bopp,  des  Jacques  Grimm,  il  les  ré- 
sume et  les  applique  non  sans  intelligence.  Au  lieu  de  remonter  à  des  questions  géné- 
rales qu'il  n'est  pas  suffisamment  préparé  pour  traiter  complètement,  nous  eussions 
préféré  que  l'auteur  se  fût  donné  pour  tâche  de  suivre  province  par  province,  canton 
par  canton,  les  altérations  des  différents  types  de  langues  qu'il  distingue;  il  aurait 
ainsi  rendu  un  plus  grand  service  à  la  philologie  comparée,  et  son  livre  eût  mieux 
répondu  au  titre  qu'il  porte.  Les  philologues  ont  jusqu'à  présent  fait  l'histoire  des 
genres;  les  espèces  demandent  h  être  étudiées  à  leur  tour,  et  rien  n'eût  mis  plus  en 
évidence  les  caractères  différentiels  de  ces  espèces  linguistiques  qu'une  bonne  compa- 
raison des  dialectes  provinciaux.  Le  sujet,  comme  l'a  entendu  M.  de  Baecker,  man- 
que d'homogénéité,  et,  malgré  les  qualités  de  son  œuvre,  la  conscience  qu'il  y  a 
apportée,  nous  n'avons  pu  lui  accorder  une  récompense  digne  de  ce  qu'aurait  dû 
attendre  une  Grammaire  comparée  composée  par  un  véritable  philologue.  Une  bro- 
chure intéressante  sur  la  seigneurie  de  Nordpenne  ne  constituait  pas  d'autre  part  un 
titre  assez  considérable  pour  modifier  notre  décision. 

Ce  que  nous  tenons  à  faire  ressortir  dans  l'ouvrage  de  M.  de  Baecker,  c'est  le  bon 
aloi  des  idées  et  le  caractère  vraiment  scientifique  des  recherches.  Ce  mérite  manque 
trop  souvent  h  M.  Cénac-Moncaut,  qui  vous  a  adressé  une  seconde  édition  de  son 
Histoire  des  peuples  et  des  États  pyrénéens.  L'auteur  a  quelques  qualités  de  l'histo- 
rien, mais  celles  de  l'antiquaire  ne  sont  pas  chez  lui  assez  développées,  et  celles  du 
philologue  font  défaut.  M.  Cénac-Moncaut  s'est  tracé  un  cadre  trop  vaste  pour  ses 
forces;  il'a  voulu  tout  embrasser  dans  ce  monde  pyrénéen  au  milieu  duquel  il  vit 
et  qu'il  observe  depuis  longtemps.  Privé  des  ressources  qui  lui  étaient  nécessaires, 
il  nous  a  forcément  donné  un  tableau  inégal  de  dessin  et  de  couleur,';  il  a  oublié  le 
précepte  : 

Sumite  materiam  vestris  gui  scribitis  œquam 
Viribus. 

Rien  en  effet  n'obligeait  l'auteur  à  joindre  à  son  récit,  à  ses  appréciations  histori- 


23S  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

ques,  toujours  intéressantes,  des  parties  archéologiques,  épigraphiques,  philologiques 
qui  déparent  un  travail,  à  certains  égards,  satisfaisant.  Le  lecteur,  en  rencontrant 
dans  YHistoire  des  peuples  et  des  États  pyrénéens  tant  de  détails  neufs  et  bien  trai- 
tés sur  les  royaumes  éphémères  qui  se  sont  succédé  aux  deux  versants  des  Pyrénées, 
n'eût  pas  été  tenté  d'en  demander  davantage.  Ces  cinq  volumes,  réduits  à  quatre,  à 
trois  peut-être,  aurait  suffi  pour  la  tâche  qu'il  s'était  imposée,  et,  séparée  du  billon 
qui  altère  un  métal  précieux,  son  œuvre  se  serait  présentée  irréprochable  dans  ce 
concours.  En  général,  M.  Cénac-Moncaut  n'a  le  pied  sur  que  quand  il  marche  sur  le 
terrain  espagnol  ou  français;  remonte-t-il  jusqu'aux  Phéniciens,  aux  Romains,  aux 
Ibères,  veut-il  démêler  à  travers  les  étymologies  des  questions  d'origine,  il  s'égare 
facilement,  faute  de  cette  connaissance  approfondie  des  sources  antiques  que  décèlent 
l'exactitude  et  la  précision  des  renvois. 

Ce  n'est  pas  cependant  sans  regret  que  la  Commission  n'accorde  à  l'auteur  que  le 
cinquième  rang  dans  les  mentions  très-honorables;  elle  aurait  voulu  pouvoir  témoi- 
gner autrement  son  estime  pour  un  si  long  labeur.  Mais  la  pensée  qu'elle  aurait 
sanctionné  par  une  plus  haute  récompense  des  idées  qui  sont  en  désaccord  avec  les 
données  de  la  science  et  une  méthode  que  la  saine  critique  condamne,  a  dû  l'arrêter. 
Car,  s'il  y  a  pour  les  tribunaux  des  circonstances  atténuantes  qui  affaiblissent  l'ap- 
plication de  la  loi,  il  y  a  de  même,  dans  la  distribution  des  récompenses,  des  cir- 
constances qui  atténuent  les  mérites  des  candidats,  qui  font  que  la  couronne  s'effeuille 
au  moment  où  on  allait  la  déposer  sur  leur  front. 

MM.  H.  Mesnault  et  H.  de  Monteyremar  ont  fait  preuve  d'intelligence  et  de  zèle 
dans  le  travail  manuscrit  intitulé  :  Cartulaire  de  Saint- Jean-en-Vallée ,  près  Char- 
tres, Etudes  du  paysan  beauceron  aux  XII*  et  XIIIe  siècles.  Danslalongue  introduc- 
tion placée  en  tète  de  l'ouvrage,  M.  Mesnault  a  mis  en  œuvre  les  principaux  faits  que 
fournissent  les  pièces  qu'il  classe  et  reproduit.  Mais  on  regrette  de  ne  pas  toujours 
rencontrer  dans  la  publication  de  ce  cartulaire  la  science  approfondie  du  paléographe, 
de  voir  percer  çà  et  là  des  indices  d'inexpérience.  L'intérêt  des  documents  rassemblés 
rachète  toutefois  amplement  ces  défauts,  et  nous  avons  accordé  à  MM.  Mesnault  et 
de  Monteyremar  la  sixième  mention  très-honorable. 

Les  publications  de  cartulaires  abondent  cette  année;  c'en  est  une  autre  qui  a  reçu 
la  septième  de  nos  mentions  très-honorables.  En  nous  donnant  les  fragments  qui  ont 
été  découverts  du  Cartulaire  de  la  Chapelle  Aude,  M.  Chazaud,  archiviste  du  dépar- 
tement de  l'Allier,  a  rendu  à  l'érudition  un  service  d'autant  plus  grand  qu'on  avait 
depuis  un  siècle  perdu  la  trace  de  ce  curieux  monument  paléographique.  Le  Cartu- 
laire de  la  Chapelle  Aude  est  sans  contredit  l'une  des  sources  les  plus  abondantes 
qui  puissent  être  consultées  pour  l'histoire  du  Bourbonnais.  Le  travail  de  M.  Cha- 
zaud témoigne  d'un  vrai  savoir  et  d'un  grand  esprit  d'exactitude,  quoiqu'on  yremar- 
que  des  imperfections  analogues  à  celles  qui  déparent  la  publication  de  MM.  Mes- 
nault et  Monteyremar.  Ce  qui  tient  à  la  chronologie  laisse  beaucoup  à  désirer. 

Un  travail  qui,  à  raison  de  son  peu  d'étendue,  ne  pouvait  prétendre  à  une  de  nos 
premières  récompenses,  mais  qui,  tout  circonscrit  qu'il  est,  n'en  décèle  pas  une  moins 
remarquable  sagacité  et  une  grande  intelligence  topographique,  la  Notice  sur  la  topo- 
graphie primitive  de  la  ville  de  Meuux,  par  M.  Carro,  mérite  d'être  cité  très-hono- 
rablement dans  ce  concours.  Bien  des  villes  de  France  ont  gardé  les  noms  des  oppida 
qu'elles  ont  remplacés,  des  pejples  qui  occupaient  ces  forteresses  gauloises,  mais 
rarement  les  habitations  modernes  ont  pris  exactement  la  place  des  grossières  cabanes 
et  des  demeures  rustiques  élevées  par  nés  aïeux.  Le  nom,  bien  qu'altéré,  subsiste 
encore  ;  l'emplacement  a  quelque  peu  changé  ;  c'est  ce  qui  est  arrivé  pour  la  ville  des 
Meldi,  ce  Jatinum  dont  le  nom  corrompu  se  trouve  sur  la  Table  théodosienne.  M.  Carro 


ACADÉMIE   DES   INSCRIPTIONS,   ETC.  239 

a  entrepris  de  déterminer  exactement  la  place  et  l'étendue  de  la  ville  antique;  il  en  a 
suivi  les  déplacements  et  les  extensions  successifs  -,  il  a  retrouvé  la  trace  des  diverses 
enceintes  et  refait  sur  les  lieux,  à  l'aide  do  témoignages  savamment  discutés,  la  carte 
du  Meaux  antique  qu'il  a  placée  sous  nos  yeux. 

Ce  genre  de  recherches  importe  à  la  géographie  générale  de  la  Gaule  pour  l'éva- 
luation exacte  des  distances  d'une  station  à  l'autre;  il  éclaire  aussi  la  question  du 
chiffre  de  la  population  primitive  de  la  France,  en  nous  donnant  une  idée  de  la  gran- 
deur des  oppida. 

M.  Carro  aime  l'antiquité  et  la  comprend;  il  nous  le  prouve  par  son  Voyage  dam 
le  pays  des  Celtes,  qui  eût  été  un  titre  de  plus  à  nos  éloges,  si  la  date  du  livre  avait 
permis  de  l'admettre  à  ce  concours.  Nous  décernons  la  huitième  mention  très-hono- 
rable à  M.  Carro. 

Enfin,  la  neuvième  mention  très-honorable  est  accordée  à  M.  Renault  pour  sa  Revue 
monumentale  et  historique  de  l'arrondissement  de  Coûtantes,  travail  estimable  et 
complet,  inspiré  par  les  publications  analogues  dues,  pour  d'autres  parties  de  la  Nor- 
mandie, à  son  compatriote,  M.  de  Caumont.  Notre  correspondant  a  imprimé,  en 
effet,  dans  cette  province,  une  heureuse  impulsion  à  l'étude  des  monuments.  Le  zèle 
s'est  communiqué  à  ce  point  qu'il  pèche  aujourd'hui  plutôt  par  excès,  et  fait  prêter 
souvent  un  intérêt  hors  de  proportion  à  des  constructions  insignifiantes.  On  s'en 
aperçoit  en  lisant  e  livre  de  M.  Renault;  mais  nous  n'en  tenons  pas  moins  à  récom- 
penser par  nos  éloges  l'ardeur  de  cet  antiquaire  intelligent  et  consciencieux.  En  l'absence 
d'un  plus  grand  nombre  d'oeuvres  proposées  dans  l'arrondissement  de  Coutances  à 
son  admiration,  on  doit  l'excuser  de  s'être  extasié  devant  des  monuments  qui  nous 
auraient  laissé  plus  froids. 

J'arrive  maintenant  aux  mentions  honorables.  La  liste  en  est  étendue,  et  vous 
n'attendrez  pas  de  moi,  Messieurs,  des  jugements  longuement  motivés.  Ce  rapport 
doit  avoir  des  bornes;  la  Commission  a  entendu,  dans  ses  séances,  des  rapports  parti- 
culiers; je  ne  puis,  ici,  qu'en  prendre  la  substance.  Sous-entendez  donc  des  mérites 
que  je  n'ai  pas  la  place  de  vous  signaler;  sous-entendez  aussi  des  critiques  qu'il  m'est 
doux  de  passer  sous  silence;  n'oubliez  pas  d'ailleurs  que  les  motifs  qui  nous  ont  fait 
quelquefois  ranger,  dans  la  catégorie  qui  va  nous  occuper,  des  ouvrages  laborieuse- 
ment composés,  sont  la  date  comparativement  moderne  des  principaux  faits  rap- 
portés, l'absence  de  développements  qui  nous  semblaient  indispensables.  Les  travaux 
ici  mentionnés  appartiennent  à[presque  toutes  les  branches  de  l'archéologie  nationale, 
mais  plus  particulièrement  au  moyen  âge.  Je  suivrai,  autant  que  possible,  l'ordre  des 
temps. 

Un  officier  de  marine,  M.  Ed.deRostaing,vous  a  adressé  une  Etude  géographique  et 
hydrographique  sur  les  port  s  de  Coriallo,  Corbilo  et  Iktin,  et  sur  les  rivages  des  Corivel- 
lones  et  desCorivallensesduColentin.  C'est,  comme vouslevoyez,une  questionde  géo- 
graphie ancienne.  La  détermination  du  véritable  emplacement  de  ces  villes  présentait 
degrandesdifficultésqui  avaient  embarrassé  plus  d'un  critique.  M.  de  Rostaing,  grâce 
à  ses  connaissances  spéciales  sur  la  presqu'île  du  Cotentin,  a  réussi  à  jeter  de  nou- 
velles lumières  sur  un  problème  déjà  en  partie  résolu  par  d'Anville.  Il  a  présenté, 
à  l'appui  de  l'opinion  du  célèbre  géographe  qui  retrouvait  Coriallo  au  cap  de  la  Ha- 
gue,  des  considérations  d'un  grand  poids;  il  a  montré  qu'il  faut  reconnaître  dans 
Coriallo  le  Corbilo  que  citait  Strabon  sur  la  foi  d'auteurs  plus  anciens.  Legedia  est 
Coutances  selon  M.  de  Rostaing,  qui  allègue  en  faveur  de  cette  identité  des  raisons 
qu'il  a  su  habilement  faire  valoir  ;  son  argumentation  est  moins  démonstrative  quand 
il  identifie  Ictis  au  cap  Portland.  Ce  travail  manuscrit,  œuvre  d'une  critique  intelli- 
gente, mérite  tous  les  encouragements  de  l'Académie. 


240  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

Une  autre  question  de  géographie  qui  ne  nous  reporte  pas  si  haut,  mais  qui  n'a 
pas  moins  d'intérêt,  est  l'emplacement  du  fameux  Champ  du  Mensonge,  théâtre  de  la 
trahison  dont  les  fils  de  Louis  le  Débonnaire  se  rendirent  coupables  envers  ce  prince 
malheureux.  Les  chroniqueurs  nous  apprenaient  que  l'entrevue  de  l'empereur  carlo- 
vingien  et  de  ses  fils  avait  eu  lieu  dans  la  région  des  Vosges.  Un  conseiller  à  la  cour 
impériale  de  Colmar,  M.  Boyer,  a  réussi,  par  des  recherches  ingénieuses  et  un  heu- 
reux emploi  des  étymologies,  à  fixer  d'une  manière  très-plausible  l'emplacement  de 
ce  champ  fameux,  le  Cliamp  rouge,  comme  on  l'appelait  avant  que  la  perfidie  des  petits- 
fils  do  Charlcmagne  lui  eût  valu  un  nom  qui  fait  leur  éternel  opprobre.  C'est  au  voi 
sinage  de  Colmar  et  de  Sigolsheim,  dans  le  canton  qu'arrose  la  Fechte,  que  M.  Boyer. 
a  placé  le  Champ  du  Mensonge.  La  Commission  a  été  frappée  de  la  solidité  de  ses 
raisons;  mais,  lors  môme  qu'elle  n'eût  pas  été  convaincue,  elle  aurait  toujours  tenu 
à  consigner  ici  ses  éloges  pour  un  travail  qui  déuote  autant  de  critique  que  d'éru- 
dition. 

Ces  mêmes  qualités,  nous  sommes  habitués  à  les  rencontrer  dans  les  ouvrages  de 
M.  H.  Lepage,  dont  le  nom  a  déjà  été  plusieurs  fois  honorablement  cité  dans  le  con- 
cours des  antiquités  nationales.  Son  Dictionnaire  géographique  de  la  Meurthe,  qu'ac- 
compagne une  carte  historiq  ue  répondant  pour  le  dixième  siècle  à  la  contrée  qu'embrasse 
ce  département,  est  une  œuvre  exacte  et  consciencieuse  chez  laquelle  on  voudrait 
seulement  rencontrer  plus  de  développements;  mais  elle  n'en  fournira  pas  moins 
des  indications  précieuses  pour  la  géographie  d'une  partie  de  l'ancienne  Lorraine  pen- 
dant le  moyen  âge.  Assurément  le  Dictionnaire  géographique  de  la  Meurthe  avait 
droit  à  une  de  vos  citations  spéciales. 

LePouillé  de  l'évéché  de  Luçon,  de  M.  Aillery,  est  un  document  géographique  im- 
portant. L'auteur  a  pris  pour  base  de  son  travail  le  pouillé  de  Gautier  de  Br.uges, 
rédigé  avant  1306,  et  qui  embrasse  les  parties  de  l'ancien  diocèse  de  Poitiers  qui  fu- 
rentcomprises  postérieurement  dans  les  évèchés  de  Luçon  et  de  Maillezais.  Il  a  com- 
plété ces  documents  à  l'aide  d'autres  moins  anciens  et  patiemment  compulsés  par  lui. 
Un  pouillé  du  quatorzième  siècle  lui  a  toutefois  échappé.  Deux  bonnes  cartes  ajoutent 
à  l'intelligence  du  livre.  On  regrette  seulement  l'absence  de  tables.  En  somme,  cette 
publication  fait  honneur  au  zèle  et  au  savoir  de  M.  Aillery. 

Laissons  maintenant  la  géographie  pour  l'archéologie  proprement,  dite,  deux  scien- 
ces qui  se  donnent  la  main  et  dont  l'histoire  a  intérêt  à  voir  subsister  la  bonne  har- 
monie. La  Statistique  archéologique  d Eure-et-Loir,  de  M.  de  Boisvillette,  peut  être 
proposée  comme  un  modèle  du  genre,  et  il  faut  en  remercier  la  Société  qui  en  a  dirigé 
la  publication.  L'auteur  décrit  brièvement;  mais  ses  descriptions,  accompagnées  d'ex- 
cellents dessins,  sont  d'une  clarté  et  d'une  précision  qui  leur  donnent  un  grand  prix. 
Si  le  texte  ne  va  guère  au  delà,  c'est  que  les  documents  manquent.  Pour  expliquer 
plus  au  long  les  monuments  dits  celtiques  qui  abondent  dans  l'Eure-et-Loir,  il  aurait 
fallu  faire  appel  à  l'imagination,  puisque  les  anciens  ne  nous  ont  rien  dit  de  ces  an- 
tiques constructions.  M.  de  Boisvillette  est  un  esprit  trop  positif  pour  se  laisser  aller 
à  ces  explications  de  fantaisie  ;  il  préfère  se  taire  quand  les  documents  se  taisent  eux- 
mêmes  :  louable  exemple  qui  n'a  pas  été  suivi. 

La  Notice  manuscrite  sur  la  Beauce,  du  même  auteur,  renferme  des  aperçus  justes 
et  quelques  données  utiles,  sans  cependant  épuiser  un  sujet  qui,  plus  creusé,  aurait 
pu  devenir  plus  fécond. 

Ces  deux  envois  de  M.  de  Boisvillette  sont  dignes  de  tous  vos  encouragements. 

Les  dissertations  de  M.  Ed.  Fleury  sur  les  pavages  émaillés  dans  le  département  de 
l'Aisne,  sur  lespeintures  murales  des  églises  du  Laonnais,  annoncent  une  étude  attentive 
et  sérieuse  des  monuments,  poursuivie  avec  intelligence  et  avec  amour.  Elles  nous  ré- 


ACADÉ    IE   DES   INSCRIPTIONS,    ETC.  241 

vêlent  quelques  faits  intéressants.  Ainsi  l'auteur  a  prouvé  que  les  armoiries  tracées  sur 
les  pavés  émaillésne  sont  souvent  que  des  motifs  d'ornement.  Ces  deux  dissertations, 
et  une  autre  qui  a  le  tort  de  porter  un  titre  trop  ambitieux  :  la  Civilisation  et  l'art 
des  Romains  dans  la  Gaule  Belgique,  forment  un  ensemble  de  travaux  que  nous 
mentionnons  ici  avec  honneur.  Vous  y  trouverez,  Messieurs,  la  description  de  monu- 
ments curieux  associée  parfois  à  des  vues  hasardées,  mais  toujours  instructives;  vous 
y  reconnaîtrez  le  fruit  de  recherches  persévérantes  et  une  connaissance  approfondie 
des  richesses  archéologiques  d'un  de  nos  départements  les  mieux  dotés  par  l'histoire. 

M.  Bretagne  est  aussi  un  antiquaire  exercé  qui  a  le  flair  des  sujets  intéressants  et 
des  faits  nouveaux.  Son  Mémoire  sur  ce  qu'il  appelle  les  peignes  liturgiques,  c'est-à- 
dire  sur  les  peignes  dont  on  faisait  jadis  usage  dans  les  églises  et  les  sacristies,  abonde 
en  détails  curieux  et  nous  initie  à  des  particularités  de  la  vie  sacerdotale  au  moyen 
âge.  L'auteur  aurait  éclairé  davantage  son  sujet  s'il  avait  rapproché  ces  vieux 
usages  ecclésiastiques  de  certains  rites  de  l'antiquité  ;  son  travail  eût  alors  pris 
des  proportions  et  une  importance  qui  nous  eussent  permis  de  le  classer  dans  notre 
première  catégorie. 

L'histoire  proprement  dite  fournit  à  ce  concours  quelques  ouvrages  dignes  de  nos 
mentions  honorables.  Pour  commencer  par  l'œuvre  la  plus  considérable,  je  dois  citer 
l'Histoire  de  Châlons-sur-Marne  et.  de  ses  monuments,  par  M.  Barbât.  C'est  un  gros 
livre  qui  accuse  beaucoup  de  travail  et  d'ardeur.  Malheureusement  l'exécution  ne 
répond  pas  toujours  à  la  grandeur  du  plan.  Très-complète,  trop  complète  peut-être 
à  certains  égards,  l'Histoire  de  Châlons-sur-Marne  est  visiblement  insuffisante  en 
d'autres  points.  Ce  qui  a  trait  aux  monuments  annonce  peu  de  méthode  et  une  con- 
naissance imparfaite  de  l'archéologie.  La  critique  chronologique  manque  égale- 
ment. Toutefois,  il  y  a  là  un  grand  labeur  et  des  faits  non  sans  importance  pa- 
tiemment réunis.  Ce  sont  des  mérites  qu'il  serait  injuste  de  méconnaître  et  qui  ont 
droit  à  nos  éloges,  même  quand  ils  n'ont  pas  produit  tout  ce  qu'on  aurait  pu  en 
attendre. 

M.  Darsy,  dans  son  livre  intitulé  :  Picquigny  et  ses  seigneurs  vidâmes  d'Amiens, 
en  ajoutant  un  chapitre  à  l'histoire  de  Picardie,  rend  à  une  ville  jadis  célèbre  un 
rang  que  l'obscurité  où  elle  est  tombée  depuis  pourrait  peut-être  lui  faire  perdre. 
C'est  un  ouvrage  consciencieux  et  soigné,  pour  lequel  l'auteur  a  consulté  avec  intel- 
ligence et  discernement  un  nombre  considérable  de  documents. 

L'histoire  de  nos  églises  occupe  une  place  intermédiaire  entre  l'archéologie  et  l'his- 
toire proprement  dite.  Deux  des  ouvrages  relatifs  à  cette  branche  de  nos  études,  qui 
vous  sont  parvenus,  ont  des  droits  égaux  à  nos  éloges.  C'est,  d'une  part,  l'Histoire 
de  la  fondation  et  de  l'état  ancien  de  la  cathédrale  de  Dol,  de  M.  Gauthier  ;  c'est,  de 
l'autre,  l'Histoire  du  chapitre  de  Saint-Thomas  de  Strasbourg,  de  M.  Schmidt.  Le 
premier  est  une  bonne  et  exacte  monographie  d'un  des  plus  beaux  monuments  reli- 
gieux de  la  Bretagne.  L'auteur  connaît  à  fond  les  documents  ;  s'il  ne  se  montre  pas 
toujours  antiquaire  consommé,  s'il  n'a  pas  fait  une  étude  de  toute  notre  architecture 
ecclésiastique  au  moyen  âge,  il  sait  du  moins  admirablement  sa  cathédrale  de  Dol; 
il  suit  les  phases  de  sa  construction  pièce  par  pièce,  et,  fort  de  ses  recherches  spé- 
ciales, il  critique  avec  avantage  ceux  qui  n'avaient  décrit  qu'en  passant  la  vieille 
basilique  bretonne. 

Le  second  ouvrage  est  dû  S  un  écrivain  dont  l'Institut  a  déjà  apprécié  les  travaux. 
La  science  des  faits  se  montre  aussi  dans  ce  livre  plus  que  la  connaissance  de  l'art. 
On  y  trouve  des  détails  intéressants  sur  la  constitution  de  Strasbourg  au  moyen  âge, 
sur  la  bibliothèque  du  chapitre.  Le  livre  est  accompagné  d'un  riche  répertoire  de 


242  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

pièces  où  le  lecteur  trouvera  la  justification  des  faits  énoncés  dans  le  cours  du 
livre. 

Les  Documents  inédits  sur  la  grande  peste  de  1348,  publiés  parM.  Joseph  Michon, 
nous  ont  paru  mériter  une  mention  honorable.  On  se  demandera  peut-être  si  donner 
les  caractères  d'une  maladie  contagieuse,  c'est  faire  de  l'histoire  ;  mais,  hélas!  expo- 
ser les  maux  dont  nous  avons  souffert,  n'est-ce  pas  écrire  aux  trois  quarts  notre  vie? 
Mal  physique,  mal  moral,  tout  se  lie,  et  les  événements  sont  bien  souvent  le  reflet 
de  nos  souffrances.  Les  documents  réunis  et  commentés  par  M.  Joseph  Michon  com- 
plètent l'histoire  d'une  peste  qui  ravagea  au  milieu  du  quatorzième  siècle  une  grande 
partie  de  l'Europe  occidentale;  ils  éclairent,  sans  pourtant  la  rendre  moins  sombre, 
une  des  pages  les  plus  tristes  de  notre  histoire;  ils  nous  font  concevoir  une  idée 
plus  exacte  de  la  pratique  médicale  dans  des  temps  d'ignorance  et  de  préjugés  scien- 
tifiques. 

Entre  les  biographies  qui  ont  été  soumises  à  la  Commission  et  qui  se  rapportent  à 
des  personnages  dont  la  vie  appartient  à  l'histoire  générale  de  notre  pays,  quelques- 
unes  nous  ont  paru  dignes  de  vous  être  signalées  d'une  manière  toute  particulière. 

C'est  d'abord  la  Notice  de  M.  Ed.  Garnier  sur  Louis  de  Bourbon,  évêque-prince  de 
Liège  (1455-1482).  Nous  avons  là  mieux  qu'une  biographie;  tout  un  épisode  de  lafindu 
quinzième  siècle  nous  est  raconté,  pièces  en  mains,  et  ces  pièces,  l'auteur  n'a  négligé 
aucune  recherche,  aucun  voyage  pour  se  les  procurer.  Louis  de  Bourbon  est  un  de 
ces  rares  Français  qui  portèrent  chez  nos  voisins  leurs  talents  et  leurs  services,  vraies 
plantes  exotiques  qui  ont  embaumé  d'autres  cieux  que  ceux  pour  lesquels  elles 
avaient  été  créées;  une  culture  étrangère  en  a  recueilli  les  fruits,  mais  sans  en  faire 
disparaître  la  sève  vigoureuse,  sans  en  altérer  la  saveur,  dues  au  sol  où  elles  avaient 
primitivement  germé. 

La  biographie  de  Marguerite  de  Flandre,  duchesse  de  Bourgogne,  de  M.  Canat,  est 
une  œuvre  où  l'érudition  patiente  et  les  recherches  que  n'effraye  pas  l'aridité  du  tra- 
vail jouent  le  principal  rôle.  C'est  en  dépouillant  des  pièces  de  comptabilité  que  l'au- 
teur est  parvenu  à  restituer  la  vie  d'une  princesse  célèbre.  Il  a  su  tirer,  d'indica- 
tions en  apparence  toutes  spéciales  et  qui  ne  promettaient  guère  de  renseignements 
généraux,  d'abondants  détails  sur  la  vieprincière  à  la  fin  du  douzième  siècle,  et,  tout 
en  restant  solide,  il  n'a  pas  cessé  d'intéresser  et  de  plaire. 

Une  autre  biographiéqui  a  droit  aussi  à  nos  éloges  est  celle  que  nous  a  envoyé  M.  Jean- 
det.  Elle  est  consacrée  à  Pontus  de  Thiard,  seigneur  de  Bissy,  puis  évoque  de  Màcon  ; 
l'une  des  étoiles  de  cette  pléiade  qui  brilla  de  feux  si  vifs  au  seizième  siècle,  mais 
dont  tant  d'astres  levés  depuis  ont  quelque  peu  affaibli  l'éclat.  M.  Jeandet  a  pénétré 
dans  l'histoire  intérieure  de  la  famille  à  laquelle  appartient  Pontus,  et  en  fait  con- 
naître les  héros.  Mais  c'est  surtout  Pontus  lui-même  auquel  il  a  consacré  ses  études, 
et  sous  le  couvert  d'une  biographie,  son  ouvrage  est  en  réalité,  pour  ce  motif,  une  page 
d'histoire  littéraire.  Si  l'histoire  du  seizième  siècle  n'est  déjà  plus  de  l'archéologie,  il 
n'eu  est  pas  tout  à  fait  ainsi  de  la  poésie  du  même  âge  ;  cette  poésie  est  plus  loin  de 
nous  que  les  événements  qui  l'inspirèrent  ;  on  sent,  dans  les  œuvres  de  Ronsard  et  de 
ses  émules,  la  veine  antique  encore  à  peine  dégagée  de  la  gangue  où  elle  s'était  con- 
servée sous  le  sol  gaulois.  L'imitation  du  genre  ancien  s'y  montre  sous  une  forme 
naïvement  servile;  ce  n'est  point  le  grand  style  français,  bien  que  ce  ne  soit  plus  le 
parler  roman.  Notre  langue  s'éveille.  Le  seizième  siècle  est  donc,  pour  notre  littéra- 
ture, un  siècle  d'origines  ;  nous  trouvons  là  les  premières  lueurs  de  notre  génie  poé- 
tique, et  nous  pouvons  appeler  ce  temps  l'antiquité  de  notre  poésie.  M.  Jeandet  nous 
fait  goûter  les  beautés  de  Pontus  de  Thiard  ;  il  nous  initie  davantage  à  sa  vie  et  à 
ses  travaux,  et  nous  montre  le  rôle  que  joua  la  pléiade  dans  un  siècle  où  l'enthou- 


ACADÉMIE    DES   INSCRIPTIONS,    ETC.  243 

siasme  pour  les  chefs-d'œuvre  grecs  et  latins  inoculait  à  notre  langue,  en  les  rajeunis- 
sant, des  formes  dont  il  faut  aller  chercher  l'invention  à  une  époque  vraiment  archéo- 
logique. 

L'histoire  ne  dédaigne  rien  :  poésies  comme  récits  en  prose,  témoignages  sérieux  et 
relations  naïves.  Il  lui  faut  parfois  glaner  dans  des  champs  bien  pauvres,  et  ces 
champs,  ils  sont  si  nombreux,  si  distants  les  uns  des  autres,  qu'il  est  nécessaire  que 
des  hommes  complaisants  prennent  le  soin  de  nous  les  indiquer.  Le  bibliographe  aide 
l'érudit  et  l'antiquaire,  de  môme  que  l'antiquaire  et  l'érudit  aident  l'historien,  et 
tous  concourent  à  élucider  les  questions  qui  se  rattachent  à  nos  annales.  En  publiant 
son  Manuel  du  bibliographe  normand,  M.  Ed.  Frère  a_  donc  rendu  un  service  à  l'his- 
toire de  la  Normandie  ;  ce  livre  est  un  répertoire  d'indications,  une  liste  de  tous  les 
ouvrages  qui  ont  trait  à  la  Normandie,  ou  qui  sont  dus  à  des  auteurs  normands. 
Quiconque  voudra  désormais  écrire  sur  cette  province,  qui  a  déjà  tant  exercé  les 
amis  de  l'érudition  et  de  l'histoire,  devra  puiser  dans  le  livre  de  M.  Frère.  Bien  qu'on 
y  puisse  encore  signaler  quelques  lacunes,  surtout  pour  ce  qui  concerne  les  manu- 
scrits, le  Manuel  du  bibliographe  normand  n'en  est  pas  moins  un  excellent  instru- 
ment de  travail.  M.  Frère  n'a  pas  lui-même  labouré  le  champ  historique  ;  mais  il  nous 
a  façonné  un  soc  avec  lequel  on  le  creusera  davantage,  et  perfectionner  la  charrue, 
n'est-ce  pas  servir  autant  l'agriculture  que  semer  et  moissonner  soi-même? 

Tel  est  l'ensemble  des  ouvrages  auxquels  nous  vous  avons  proposé  de  décerner  une 
mention  honorable. 

Entre  les  travaux  auxquels  nous  avons  cru  ne  devoir  point  accorder  cette  distinc- 
tion, il  en  est  quelques-uns  cependant  qui  ne  sont  pas  sans  mérite  ni  sans  utilité;  des 
recherches  nouvelles  en  pourront  accroître  la  valeur  et  leur  permettront  d'aspirer  à 
une  récompense  dont  ils  s'étaient  beaucoup  approchés.  Plusieurs  nous  avaient 
été  adressés  manuscrits  ;  nous  accueillons  sans  doute  avec  faveur  les  auteurs  qui 
veulent,  avant  l'impression,  obtenir  nos  avis;  mais  ces  manuscrits,  nous  sommes  ici 
forcés  de  le  rappeler,  doivent,  par  leur  netteté  et  leur  bonne  exécution,  permettre 
une  appréciation  facile  des  travaux  qu'ils  renferment.  Si  la  Commision  récompense 
les  paléographes  qui  ont  transcrit  des  documents  presque  indéchiffrables,  c'est  sans 
doute  parce  qu'elle  croit  qu'un  ouvrage  n'est  pas  toujours  mis  en  lumière  par  le  fait 
seul  qu'il  est  écrit.  Lui  adresser  des  mémoires  qu'on  serait  tenté  parfois  de  prendre 
pour  des  monuments  paléographiques  et  qui  réclament,  pour  être  lus,  des  efforts 
presque  aussi  grands  que  ceux  que  les  recherches  mêmes  ont  pu  exiger,  c'est  en  vérité 
se  méprendre  sur  le  rôle  des  juges! 

Tant  de  livres,  de  notices  et  de  mémoires  composés,  imprimés  dans  le  cours  de 
moins  de  trois  années,  nous  annoncent  pour  l'avenir  encore  bien  des  œuvres  impor- 
tantes. Notre  sol  archéologique  est  vraiment  inépuisable,  et,  comme  la  terre  arable, 
il  donne  des  produits  de  plus  en  plus  abondants  à  ceux  qui  le  fouillent  et  le  re- 
muent. Cet  élan  enthousiaste  pour  la  connaissance  de  notre  passé,  de  notre  ancienne 
géographie,  de  nos  monuments,  est  bien  fait,  Messieurs,  pour  nous  inspirer  un  légi- 
time orgueil,  à  nous  dont  la  mission  est  d'encourager,  d'étendre,  de  stimuler  ces 
recherches  laborieuses.  On  a  répondu  de  toutes  les  parties  de  la  France  a  notre  ap- 
pel, et  c'est  nous  maintenant  qui  nous  demandons  si  nous  ne  plierons  pas  sous  la 
tâche  que  nous  impose  le  concours.  Car  l'histoire,  l'archéologie,  semblent  promettre 
d'être  cultivées  avec  plus  d'ardeur  que  jamais;  l'exemple  ne  part  plus  seulement  de 
l'Académie,  il  descend  de  plus  haut. 

L'Empereur  montre  pour  ce  qui  nous  intéresse  le  goût  le  plus  vif;  il  ne  se  borne 
pas  à  protéger  nos  études,  il  les  pratique;  il  visite  les  lieux  auxquels  s'attachent  nos 


244  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

vieux  souvenirs;  il  en  recueille  tous  les  vestiges;  il  ordonne  des  fouilles;  il  enrichit 
les  musées.  En  même  temps  qu'il  imprime  aux  études  d'archéologie  nationale  un 
nouvel  essor,  que  par  ses  ordres  la  carte  des  Gaules  est  dressée  aux  principales  épo- 
ques de  son  histoire,  que  chaque  département  rédige  sa  statistique  archéologique, 
qu'il  prescrit  la  publication  de  documents  épigraphiques,  il  envoie  des  savants  en 
Italie,  en  Grèce,  en  Asie  Mineure,  en  Phénicie,  et  fait  amener  à  Paris  les  merveilles 
de  l'art  étrusque  et  de  l'art  hellénique. 

Si  pour  l'Empereur  l'étude  des  antiquités  a  l'importance  d'une  institution  de 
l'État,  c'est  qu'il  comprend  que  l'amour  et  le  respect  du  passé  n'ont  rien  d'incom- 
patible avec  un  légitime  besoin  de  progrès.  Rechercher  ce  qui  fit  jadis  la  grandeur, 
la  puissance,  l'autorité  de  la  France,  n'est-ce  pas  en  même  temps  travailler  pour  son 
avenir,  puisque  tout  se  lie  ici-bas?  La  connaissance  des  voies  que  nous  avons  par- 
courues est  un  élément  nécessaire  pour  déterminer  celles  où  nous  devons  entrer  et 
marcher  d'un  pas  sûr.  L'antiquité  a  d'ailleurs  un  parfum  de  jeunesse  et  de  simplicité 
qui  rafraîchit  nos  corps  épuisés  par  la  vie  d'affaires  et  d'intérêts  dont  nous  sommes 
trop  souvent  absorbé;;  c'est  l'école  des  grands  esprits  et  l'inspiratrice  des  grandes 
œuvres.  Au  début  de  l'humanité,  il  y  avait  en  elle  une  sève  et  une  énergie  que  les 
sociétés  vieillies  ont  besoin  de  se  communiquer  pour  assouplir  leurs  ressorts  et  re- 
tremper leurs  idées. 

L'Empereur  et  vous,  Messieurs,  vous  le  sentez  également;  aussi  en  distribuant  des 
récompenses  à  ceux  qui  achèvent  notre  initiation  à  la  connaissance  d'un  passé  loin- 
tain dont  sont  sortis  les  temps  où  nous  vivons,  accomplissez-vous  une  œuvre  à  la 
fois  utile  à  la  science  et  profitable  à  la  nation. 


NOUVELLES    ARCHÉOLOGIQUES 


Dans  sa  séance  du  9  août,  l'Académie  des  inscriptions  a  proposé,  pour 
1863,  les  sujets  de  prix  suivants  : 

Prix  ordinaire  de  l'Académie.  —  Retracer,  d'après  les  monuments  de 
tout  genre,  l'histoire  des  invasions  des  Gaulois  en  Orient;  suivre  jusqu'aux 
derniers  vestiges  qui  subsistent  de  leurs  établissements  en  Asie  Mineure, 
de  leur  constitution  autonome,  de  leur  condition  sous  l'administration  ro- 
maine, de  leurs  alliances  avec  les  divers  peuples  qui  les  entouraient; 
comparer,  pour  les  mœurs  et  les  usages,  les  Galates  avec  les  Gaulois  de 
l'Occident.  Ce  prix  est  de  2,000  francs. 

Prix  Bordin.  —  Examen  des  sources  du  Spéculum  historiale  de  Vincent 
de  Beauvais. 

Distinguer  les  portions  du  Spéculum  qui  ont  été  empruntées  à  des  ou- 
vrages dont  le  texte  original  nous  est  parvenu.  Signaler  ce  qui  a  été  tiré 
d'ouvrages  perdus  ou  inédits  et  ce  qui  est  l'œuvre  personnelle  de  Vincent 
de  Beauvais.  Ce  prix  est  de  3,000  francs. 

—  La  Société  des  antiquaires  de  Picardie  nous  envoie  les  sujets  suivants, 
mis  au  concours  pour  1862  et  1863  :  Prix  de  500  francs.  —  Fondation 
Le  Prince.  —  Concours  de  1862.  —  Une  médaille  d'or  de  la  valeur  de 
500  fr.  à  l'auteur  du  meilleur  Mémoire  critique  sur  les  statistiques  archéo- 
logiques publiées  jusqu'à  ce  jour,  suivi  d'un  programme  de  statistique  archéo- 
logique historique  spécial  à  la  province  de  Picardie. 

Concours  de  1863.  —  Une  médaille  d'or  de  500  fr.  à  l'auteur  du  meil- 
leur Mémoire  sur  un  sujet  d'histoire  ou  d'archéologie  relatif  à  la  province  de 
Picardie. 

—  Dans  la  dernière  séance  de  la  Société  des  antiquaires  de  France,  ont  été 
élus  membres  résidants  :  notre  collaborateur  M.  Alexandre  Bertrand  et 
M.  Louis  Passy,  ancien  élève  de  l'École  des  chartes. 

—  De  nombreux  débris  d'antiquités  ont  été  trouvés  récemment  dans 
l'île  Tristan,  près  de  Douarnenez,  à  la  suite  des  travaux  et  des  mouve- 
ments de  terre  qu'y  poursuit  M.  Penanros,  propriétaire  de  cette  île. 

Des  armes  et  des  monnaies  celtiques,  de  la  plus  helle  conservation,  for- 
ment comme  le  premier  lot  de  ces  antiquités.  Viennent  ensuite  des  sta- 
tuettes, des  fibules,  des  monnaies  et  un  magnifique  bas-relief  en  hronze 
de  l'époque  romaine.  Puis  de  nombreux  débris  de  l'époque  féodale  avec 
des  monnaies  françaises  et  espagnoles  de  l'époque  de  la  Ligue,  parmi 
lesquelles  deux  pièces  en  argent  aux  initiales  du  cardinal  de  Bourbon,  qui 
fut  un  instant  acclamé  par  les  ligueurs  sous  le  titre  de  Charles  X,  roi  de 
France  et  de  Navarre. 

Les  plus  importants  de  ces  objets  ont  été  dessinés  et  feront  l'objet  d'une 
communication  au  congrès  archéologique  de  Reims,  réuni  en  ce  moment 
sous  la  présidence  de  S.  Em.  le  cardinal  Gousset. 


BIBLIOGRAPHIE 


Der  Apollon  Stroganoff  und  der  Apollon  vom  Belvédère,  von  Friedrich  Wie- 
seler,  —  L'Apollon  Stvoganoff  et  l'Apollon  du  Belvédère.  Mémoire  archéologique 
composé  à  l'occasion  de  la*  fête  anniversaire  de  Winckelmann,  1860,  au  nom  de 
l'Institut  archéologique  de  l'Université  George-Auguste,  par  Frédéric  Wieseler. 
Goettingue,  18G1.  In-8°. 

L'attention  des  antiquaires  a  été  ramenée  dans  ces  derniers  temps  sur  la 
célèbre  statue  de  l'Apollon  du  Belvédère,  depuis  qu'un  archéologue 
distingué,  M.  L.  Stephani,  l'a  rapprochée  d'une  statuette  en  bronze  ap- 
partenant à  M.  le  comte  Serge  Stroganoff.  M.  Stephani  a  reconnu  dans 
cette  figurine  un  monument  signalé  jadis  par  le  voyageur  français  Pou- 
queville,  et  qui  avait  été  découvert  en  1792  à  Paramythia,  près  de  Janina, 
avec  quinze  autres  bronzes  antiques.  Pouqueville  avait  été  frappé  lui- 
même  de  l'analogie  de  l'aspect  de  cette  statuette  avec  l'Apollon  du  Belvé- 
dère. M.  Stephani  a  mis  cette  ressemblance  dans  tout  son  jour,  non  pas 
quil  faille  admettre  que  l'un  et  l'autre  monuments  soient  précisément  la 
copie  d'un  même  original,  il  y  a  entre  eux  des  différences  qui  s'y  oppo- 
sent; mais  l'on  peut  admettre  que  la  statue  et  la  statuette  sont  la  repro- 
duction d'un  même  type  emprunté  à  quelque  chef-d'œuvre  de  l'art  grec. 
M.  Stephani  suppose  que  l'Apollon  du  Belvédère  et  l'Apollon  Stroganoff 
représentaient  l'Apollon  Boëdromios.  Un  savant  professeur  de  Goettingue, 
M.  Wieseler,  combat  cette  attribution  et  y  voit  plutôt  l'Apollon  Apotropaios. 
L'opinion  longtemps  accréditée  que  l'Apollon  du  Belvédère  avait  dû  tenir 
originairement'un  arc  à  la  main,  est  aujourd'hui  à  peu  près  abandonnée. 
Tout  donne  à  penser  que  le  dieu  qu'a  voulu  figurer  l'artiste  portait  la  tête 
de  Méduse,  non  pas,  comme  le  remarque  M.  Wieseler,  pour  détourner  la 
contagion,  mais  pour  combattre  Ares  ou  Mars,  personnification  des  effets 
pestilentiels.  Le  dieu  a  jeté  ses  armes,  et  il  ne  recourt  plus  qu'au  terrible 
effet  de  la  face  de  la  Gorgone.  Suivant  M.  Wieseler,  nous  aurions  dans  ces 
deux  monuments  à  peu  près  une  reproduction  de  la  statue  de  Léocharès 
élevée  à  Athènes  devant  le  temple  d'Apollon  Patroos  de  Délos. 

Nous  engageons  les  antiquaires  qui  veulent  se  tenir  au  courant  de  cette 
intéressante  question  à  prendre  connaissance  de  l'article  de  M.  Gerhard, 
publié  dans  les  numéros  151-153  de  Y Archeologischer  Anzeiger,  juillet  à 
septembre  1861. 

Un  éminent  antiquaire  français,  M.  le  duc  de  Luynes,  avait  cru  recon- 
naître dans  la  peau  que  porte  l'Apollon  Stroganoff,  non  un  débris  de  la 
tête  de  Gorgone,  mais  un  fragment  de  la  peau  du  sylène  Marsyas.  M.  Wie- 


BIBLIOGRAPHIE.  247 

seler,  tout  en  reconnaissant  ce  qu'il  y  a  de  spécieux  en  faveur  de  cette 
idée,  ne  l'adopte  pas  cependant  complètement;  mais  M.  Gerhard  nous 
montre  que  le  caractère  démoniaque  de  Marsyas  justifierait  l'emploi  de 
cette  peau  comme  épouvantai!  dans  un  combat  contre  le  génie  de  la  con- 
tagion. A.  M. 

Notice  sur  le  temple  des  Druides  d'Uzès,  par  V.  de  Baumefort.  Lyon,  1861.  In-8°. 

A  peu  de  distance  de  la  ville  d'Uzès  se  trouve  un  monument  apparte- 
nant à  la  catégorie  de  ceux  qu'on  désigne  sous  le  nom  de  celtiques,  et 
qui  est  appelé  dans  le  pays  Temple  des  Druides.  M.  de  Baumefort  nous  donne 
une  description  intéressante  de  ce  curieux  dolmen.  Il  cherche  à  cette  oc- 
casion à  déterminer  le  véritable  caractère  des  monuments  de  cette  sorte, 
examine  les  différentes  opinions  qui  ont  été  proposées  et  soutient,  en  s'ap- 
puyant  sur  des  faits  assez  probants,  que  les  dolmens  avaient  une  destina- 
tion funéraire.  Sa  dissertation,  accompagnée  de  planches,  est  courte  mais 
substantielle,  et  devra  être  consultée  par  tous  ceux  qui  s'occupent  des  mo- 
numents celtiques. 

La  Bhagavad-Gîtâ  ou  le  Chant  du  bienheureux,  poème  indien  publié  par  l'Aca- 
démie de  Stanislas,  traduit  par  M.  Emile  Burnouf.  Paris,  B.  Duprat,  1861.  In-8°. 

Depuis  que  les  recherches  comparatives  sur  les  mythes  védiques  et  la 
religion  grecque  ont  démontré  l'origine  commune  des  conceptions  mytho- 
logiques des  Aryas  et  des  Hellènes,  tout  ce  qui  tend  à  populariser  et  à 
faciliter  l'étude  du  brahmanisme  et  de  la  langue  dans  laquelle  ses  monu- 
ments littéraires  ont  été  écrits,  importe  beaucoup  à  l'archéologie.  Nous  ne 
pouvons  donc  qu'applaudir  cà  la  tentative  d'un  professeur  de  la  Faculté  des 
lettres  de  Nancy  pour  répandre  la  connaissance  et  le  goût  du  sanscrit. 
Héritier  d'un  nom  qui  a  conquis  une  belle  place  dans  la  philologie  in- 
dienne, M.  Emile  Burnouf  a  entrepris  de  faire  pénétrer  chezle  public  lettré 
une  science  qui  demeurait  en  France  le  patrimoine  exclusif  d'un  très-petit 
nombre  d'érudits  de  profession.  Adoptant  un  système  nouveau  de  tran- 
scription de  l'alphabet  devanagari,  il  n'exige  pas  tout  d'abord  de  ceux  qu'il 
initie  à  la  connaissance  du  sanscrit  la  pratique  de  cet  alphabet  et  de  ses 
ligatures  multipliées.  Sa  Méthode  pour  étudier  la  langue  sanscrite,  rédigée 
de  concert  avec  M.  Leupol,  permet  à  tout  Français  de  pénétrer  sans  peine 
dans  cette  magnifique  grammaire,  d'où  découlent  les  grammaires  de 
presque  toutes  les  langues  de  l'Europe,  tant  mortes  que  vivantes;  et,  à  part 
quelques  imperfections,  elle  répond  parfaitement  aux  besoins  de  notre 
enseignement  classique.  M.  Emile  Burnouf  ne  s'est  pas  borné  là  :  il  a  voulu 
donner  de  plus  un  texte  tout  entier,  transcrit  d'après  le  même  système 
adopté  déjà  dans  sa  Méthode,  et  accompagné  d'une  version  fidèle  qui  per- 
met au  lecteur  de  suivre  mot  par  mot  la  parole  du  chantre  indien.  Il  a 
choisi  fort  à  propos  le  célèbre  épisode  de  la  Bhagavad-Gîtfi,  qui,  comme 


248  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

il  le  dit  justement,  contient  l'essence  môme  delà  philosophie  brahmanique, 
et  nous  fait  entrer  de  plain-pied  dans  la  connaissance  de  l'Inde.  Nous  re- 
commandons à  tous  les  amis  des  lettres  savantes  la  traduction  de  M.  Emile 
Burnouf,  qui  met  à  la  disposition  des  personnes  vouées  à  l'étude  des  my- 
thologies  comparées  de  précieux  documents.  A.  M. 

Études  sur  la  géographie  ancienne  appliquées  au  département  de  l'Aube, 
par  M.  Boutiot.  Paris,  Techener,  1861.  In-8,  avec  une  carte. 

Voici  un  bon  travail  qui  prendra  place  à  côté  de  ceux,  déjà  fort  nom- 
breux, dont  nos  départements  sont  l'objet.  M.  Boutiot  ne  se  borne  pas  à 
rechercher  les  localités  antiques,  à  en  suivre  les  noms  dans  leurs  trans- 
formations successives,  à  déterminer  l'étendue  des  anciens  pagi  con- 
tenus dans  le  département  de  l'Aube,  il  met  encore  en  rapport  ses  divi- 
sions avec  l'état  physique  du  pays,  exposé  dans  quelques  pages  substantielles. 
Il  esquisse  l'histoire  de  la  partie  de  la  Champagne  répondant  à  ce  dépar- 
tement, nous  indique  ses  monuments  et  signale  tous  les  vestiges  de  l'époque 
gauloise  et  du  moyen  âge. 

Quoique  son  mémoire  ne  renferme  que  180  pages,  on  y  trouve  des  dé- 
tails nombreux,  semés  de  quelques  vues  originales,  dénotant  chez  l'auteur 
une  bonne  méthode  philologique  et  des  recherches  solides.  Ces  Études  sont 
assurément  un  document  d'une  grande  valeur  pour  la  géographie  ancienne 
de  la  France  ;  elles  peuvent,  dès  aujourd'hui,  être  regardées  comme  un 
chapitre  achevé  du  grand  ouvrage  qu'élèvent,  assises  par  assises,  les  sa- 
vants de  nos  départements.  A.  M. 


ERRATUM.  —  Au  Numéro  d'août  1861,  p.  117, 1.  25  :  au  lieu  de  Q-  N\  lisez  C"  N* 


'.JETTE  DE  BASALTf'.  VRRT    r.DNSRRVRF     AI!    MlïCFF 


LETTRE  A  M.  AUGUSTE  MARIETTE 


sur;  QUELQUES 


MONUMENTS  RELATIFS  AUX  HYQS'OS 


OU  ANTERIEURS  A  LEUR   DOMINATION 


Mon  cher  collègue, 

Les  nouvelles  découvertes  dont  vous  avez  rendu  compte  dans  une 
lettre  adressée  du  Sérapéum  de  Memphis,  le  20  février,  à  M.  Alfred 
Maury  (1),  sont  venues  confirmer  par  de  plus  récentes  observations 
les  résultats  que  vous  aviez  pressentis  (2)  relativement  à  l'âge  des 
deux  grands  sphinx  de  granit  rose  du  musée  du  Louvre.  Ces  résultats 
reposent  en  effet,  ainsi  que  vous  le  supposiez,  sur  la  constatation  du 
martelage  de  légendes  royales  antérieures  à  celles  de  la  dix-neuvième 
dynastie  qu'ils  portent  aujourd'hui  (3). 

L'examen  attentif  que  M.  le  vicomte  de  Rougéfit  avec  moi  des  in- 
scriptions du  colosse  dit  de  Ramsés  II  (4)  ne  fut  pas  aussi  décisif 
pour  ce  monument,  en  ce  sens  que  nous  ne  parvînmes  pas  à  y  recon- 
naître d'abord  la  présence  d'un  martelage;  mais  le  style  archaïque  de 
cette  belle  sculpture,  si  bien  caractérisé  et  si  différent  de  celui  des 
admirables  statues  de  la  dix-neuvième  dynastie  que  possède  le  musée 
de  Turin,   a   suffi  pour  faire   penser  depuis    longtemps  à   notre 


(1)  Revue  archéologique,  t.  III,  1861,  p.  337. 

(2)  Revue  archéologique,  t.  III,  1861,  p.  98.  * 

(3)  Revue  archéologique,  t.  III,  1861,  p.  2/i9. 

(/i)  A.  20,  de  la  Notice  des  monuments  exposes  dans  la  galerie  d'antiquités  égyp- 
tiennes  [salle  du  rez-de-chaussée)  au  musée  du  Louvre,  par  Emmanuel  do  Rougé; 
n"  27'i,  do  l'inventaire  de  la  collection  Drovetti. 

IV.    —  Octobre  I8CI.  il 


250 


REVUE    ARCHEOLOGIQUE. 


savant  maître  qu'il  pouvait  appartenir  aussi  à  une  époque  antérieure 
aux  rois  pasteurs  (I).  Quant  à  moi,  je  ne  conservais  aucun  doute  à 
cet  égard,  et  j'en  étais  si  convaincu  que  je  recommençai  plusieurs 
fois  le  mémo  examen,  dans  l'espérance  toujours  déçue  de  découvrir 
quelques  traces  de  martelage.  Je  croyais  donc  que  ce  témoignage  irré- 
cusable de  son  antiquité  n'existait  pas,  quand  un  hasard  heureux  me 
l'a  fait  découvrir:  je  m'avisai  un  jour  de  passer  la  main  sur  le  champ 
des  légendes  profondément  gravées  de  Ramsès,  et  le  toucher  me  révéla 
de  suite  ce  qui  avait  échappé  à  nos  yeux. 

Je  reconnus  en  effet  de  cette  manière,  et  avec  la  plus  grande  faci- 
lité, une  différence  de  plan  bien  marquée  entre  les  diverses  parties 
des  légendes,  différence  que  le  poli  presque  égal  des  surfaces  et  l'é- 
clairage du  monument  empêchent  de  distinguer  autrement.  Je  fis 
alors  une  empreinte  qui  ne  me  laissa  plus  la  moindre  incertitude,  les 
traces  du  martelage  étant  parfaitement  apparentes  par  une  sorte  de 
pointillage  irrégulier  dans  les  parties  surbaissées.  Voici  comment 
ce  martelage  se  présente  sur  les  côtés  du  trône: 


La  place  qu'il  occupe  n'est  pas,  il  est  vrai,  celle  d'une  légenderoyale, 
car  un  grand  nombre  d'autres  statues  portent  à  cet  endroit  un  orne- 
ment symbolique,  ordinairement  le  sam  T  combiné  avec  les  plantes 


;i)  Revue  archéologique, t.  III,  1861,  p.  249. 


LETTRE  A  M.   AUG.   MARIETTE.  2ol 

des  deux  régions  ^  et  JT,  et  je  ne  suis  pas  sûr  qu'on  connaisse 

un  seul  exemple  de  légendes  royales  inscrites  ainsi  à  la  partie  infé- 
rieure du  trône  d'une  statue,  si  ce  n'est  quand  elle  est  combinée  avec 
les  signes  dont  je  viens  de  parler.  Quoiqu'il  en  soit,  la  question 
n'est  pas  là  :  il  suffisait  de  constater  un  martelage  sous  les  légendes 
actuelles  pour  acquérir  la  cerlitude  que  ces  légendes  sont  postérieu- 
res à  la  sculpture,  et  être  en  droit  de  restituer  le  monument  à  l'épo- 
que qu'accuse  son  style,  c'est-à-dire  à  la  douzième  dynastie. 

Le  fragment  de  statue  que  vous  avez  découvert  à  Tell-Mokdam, 
sur  lequel  un  roi  pasteur  a  fait  inscrire  son  nom  de  chaque  côté  des 
pieds,  nous  prouve  du  reste  que  les  Hyq-s-os  n'étaient  pas  si  difficiles 
que  les  pharaons  pour  le  choix  de  la  place  où  ils  gravaient  leurs  car- 
touches; il  serait  donc  possible  à  la  rigueur  que  notre  monolithe, 
comme  tant  d'autres,  n'ait  jamais  été  décoré  de  la  légende  du  roi 
qu'il  représentait,  et  que  l'un  de  ces  usurpateurs  se  soit  contenté 
de  mettre  son  nom  dai^s  le  carré  laissé  sans  décoration  de  chaque 
côté  du  trône.  Ceci  n'est  qu'une  conjecture  à  laquelle  je  n'attache  au- 
cune importance,  mais  qui  ne  change  rien  au  fait  établi  :  celui  de 
l'existence  d'un  martelage  sous  les  inscriptions  actuelles. 

Quant  aux  légendes  inscrites  par  derrière,  elles  sont  disposées  en 
quatre  colonnes  verticales,  comme  celles  qui  décorent  le  dossier  du 
trône  de  la  statue  de  Ra-s-mem/-ka  (I),  et  ne  contiennent  de  même 
que  des  répétitions  des  noms  et  des  titres  de  Ramsès  II. 

On  y  remarque,  dans  la  partie  inférieure  des  deux  colonnes  laté- 
rales, une  différence  de  plan  qu'on  n'a  pas  cherché  à  dissimuler  et 
qui  les  met  en  retraite  d'un  centimètre.  S'il  n'y  a  pas  eu  là  d'autres 
inscriptions,  ce  fait  prouve  au  moins  que  le  colosse  n'a  pas  été 
destiné  à  recevoir  celles  dont"  il  est  décoré  aujourd'hui. 

Un  point  reste  plus  embarrassant  au  premier  abord;  mais  un  exa- 
men attentif  du  monument  fait  disparaître  toute  difficulté  :  le  prénom 
de  Ramsès  est  encore  gravé  sur  la  ceinture  dans  un  cartouche  qui 
n'a  certainement  jamais  contenu  d'autres  caractères;  or  comment 
admettre  que  le  sculpteur  égyptien  qui  fit  cette  belle  ligure  aurait 
gravé  sur  la  ceinture  l'encadrement  d'un  cartouche  sans  y  inscrire 
le  nom  du  souverain  qu'il  représentait?  Ce  n'est  guère  possible.  Si 
l'on  compare  eneffet  la  décoration  de  cette  ceinture  au  travail  du  col- 


(1)  Revue  archéologique,  t.  III,  1SG1,  p.  10i>. 


252  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

lier,on  ne  tarde  pas  à  s'apercevoir  qu'elle  est  exécutée  d'une  manière 
beaucoup  plus  grossière  et  qu'elle  a  certainement  été  faite  en  même 
temps  que  le  cartouche  lui-même  par  le  lapidaire  qui  grava  sur  toutes 
les  autres  parties  du  monument  les  profondes  légendes  deRamsès  II. 
Il  ne  reste  donc  aucune  incertitude  sur  l'antériorité  de  la  sculpture 
quant  aux  légendes  actuelles,  et  si  cette  statue  ne  porte  pas  la  trace 
du  passage  des  Pasteurs  d'une  manière  plus  évidente  que  notre  se- 
cond grand  sphinx  (dit  de  Ramsès  II),  on  est  du  moins  en  droit,  à 
l'aide  de  vos  observations,  de  la  restituer  également  à  l'ancien  em- 
pire. 

Ce  monument  n'est  du  reste  pas  le  seul  qui  se  trouve  dans  ce  cas 
au  musée  du  Louvre:  les  jambes  d'une  statue  colossale  de  brèche 
rose  (1),  dont  le  socle,  orné  d'une  série  de  noms  de  peuples  vaincus, 
porte  à  la  partie  supérieure  la  légende  d'Aménophis  III,  présentent 
les  mêmes  indices.  On  y  reconnaît  facilement  que  la  surface  de  la 
pierre  couverte  par  les  noms  et  les  titres  royaux  a  été  aussi  surbaissée 
pour  faire  disparaître  une  inscription  antérieure,  et  n'est  pas  polie 
comme  les  autres  parties  de  ce  beau  fragment,  dont  le  style  dénote 
encore  l'art  des  anciennes  dynasties.  Les  noms  des  peuples  vaincus, 
accompagnésde  figures  de  prisonniers  africains  qui  entourent  la  base, 
me  paraissent  avoir  été  gravés  antérieurement  à  la  légende  royale  d'A- 
ménophis, et  pourront  aider  à  retrouver  lenom  du  pharaon  leur  con- 
quérant, que  représentait  le  colosse,  si  l'on  rencontre  sur  un  autre 
monument  la  même  liste  de  conquêtes  attribuée  à  un  roi  antérieur  à 
la  dix-huitième  dynastie.  On  sait  en  effet  que  sous  lerégne  d'Améno- 
phis III,  les  possessions  de  l'Egypte  s'étendaient  en  Asie  jusqu'à  la 
Mésopotamie,  et  que  ce  pharaon,  qui  ne  fit  qu'une  seule  expédition 
militaire  de  peu  d'importance  en  Afrique,  conserva  les  conquêtes 
de  ses  prédécesseurs  sans  les  augmenter  (2);  tandis  que  les  rois  de  la 
douzième  dynastie  firent  de  nombreuses  expéditions  en  Ethiopie, où 
ils  remportèrent  de  grandes  victoires,  d-jns  un  temps  où  les  armes 
égyptiennes  n'avaient  pas  encore  franc  i  le  mont  Sinaï. 

Une  autre  observation  qui  n'est  peut-être  pas  sans  intérêt,  c'est 
que  si  les  Pasteurs  ont  eu  assez  de  tolérance  pour  respecter  l'effigie 
des  pharaons  leurs  prédécesseurs,  je  crois  que  les  Égyptiens,  de  leur 
côté,  ont  eu  assez  d'impartialité  pour  consigner  et  reconnaître  dans 


(1)  A.  18  du  livret,  n°  3831  de  la  collection  Sait;  ce  beau  fragment  doit  provenir 
du  môme  colosse  que  la  tête/A.  19,  n°  3826  de  la  même  collection. 

(2)  Brugsch,  Histoire  d'Egypte,  p.  11"). 


LETTRE   A    M.    AUG.    MARIETTE. 


253 


leur  histoire  la  domination  réelle  de  ces  usurpateurs  :  Manéthon,  qui 
n'a  fait  que  des  extraits  des  listes  chronologiques  égyptiennes,  en 
donne  la  preuve  en  mentionnant  les  noms  de  leurs  six  premiers 
rois  : 


Joseph,  c.  A  pion. 


Joseph,    arm. 


1.  Ed&orctç,     19  ans.  Silitis,         15  ans  (1.  19). 

2.  Btjuv,         44  ans.  j  Banon,         43  ans  (1.  44). 

3.  'Aizayy&ç,  36  ans  7  m.  I  Apachnan,  30  ans  7  m. 

4.  "Atuo^iç,    61  ans.  I  Aphôsis,      61  ans. 

5.  "Awa;,   50  ans  1  m.  !  Anan,     50  ans  1  m. 

6.  "Affffiç,   49  ans  2  m.  '  Âseth,    49  ans  2  m. 


A 

FRICANUS 

SaÎTSç, 

19  ans 

Bvwv, 

44  ans 

lla/và/, 

61  ans 

Sraôcv, 

50  ans 

Ao/./r,:. 

49  ans 

"Açoêiç, 

61  ans 

Brugsch  a  bien  remarqué  dans  son  Histoire  d'Egypte  que  cette  liste, 
d'après  l'assertion  formelle  de  Flavius  Josèphe  (1),  ne  pouvait  se  rap- 
porter qu'aux  premiers  rois  pasteurs,  et  conséquemment  que  le  roi 
Apepï,  contemporain  du  pharaon  Tâ-ââ-qen  (Râ-s-qenen)  et  dernier 
de  leur  race,  d'après  le  papyrus  Sallier.  devait  répondre  au  dernier 
des  trente-trois  Hyq-s'osqui  les  suivirent.  Il  est  probable  cependant 
que  l'Apophis,  Aphôsis  ou  Aphôbis  de  cette  triple  liste  n'est  que  la 
transcription  plus  ou  moins  exacte  de  ce  nom,  quia  pu  être  porté  par 
plusieurs  de  ces  usurpateurs.  On  remarque  en  effet  que  l'Africain 
place  Aphôbis  au  dernier  rang,  et  cela  peut-être  seulement  parce  qu'il 
savait  que  le  dernier  des  rois  pasteurs  était  un  Apepi;  car  il  est  évident, 
d'après  la  durée  de  son  règne  (61  ans),  qu'il  répond  à  Apôphis  ou 
Aphôsis  des  deux  versions  de  Josèphe,  que  Staan,  auquel  le  même  au- 
teur attribue  50  ans,  doit  répondre  à  l'Annasou  Anan  de  Josèphe  qui 
régna  le  même  temps,  et  par  suite.  Archlès  à  Assis  ou  Aseth,  auquel 
Josèphe  assigne  49  ans  et  deux  mois.  Cette  concordance  une  fois  éta- 
blie dans  le:,  listes,  on  observera  que  les  quatre  derniers  noms  de  celle 
de  Josèphe,  qui'doit  être  la  plus  exacte  puisqu'elle  est  la  plus  an- 
cienne, commencent  par  un  A,  comme  celui  d'Apépï. 

Or  le  fragment  n°  112  du  canon  hiératique  de  Turin  porte  le  com- 
mencement de  trois  cartouches  qui  présentent  la  même  particularité  : 


(1)  Kai   o'jto'.    [ièv   ï\   èv   aOioï;    i^z'/rfir,?™   nçiïnoi   àv/yt-zz,  7ïoXep.ouvreç  àv.  koî 
noBoimeç  [i.à/>,ov  ■:•?,:  AiyOTrtou  È^âpa'.  ttjv  pîÇav,  (Jos.  c.  Ap.,  lib.  I,  cap.  14.) 


254  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

de  plus,  l'A  initial  de  deux  d'entre  eux  est  précisément  le  même  que 


celui  du  nom  d'Apepï,  c'est-à-dire  la  transcription  hiératique  du 
groupe  ï  3},  qu'on  ne  trouve  en  tète  d'aucun  autre  cartouche 
connu,  et  cet  A,  ainsi  écrit,  est  suivi  des  restes  d'un  caractère  dans 
lequel  on  reconnaît  un  H,  P;  enfin,  le  premier  nom  peut  se  lire 
An-nub  et  présente  beaucoup  de  ressemblance  avec  l'Annas  ou  Anan 
de  Josèphe.  Ces  différentes  raisons  me  donnent  la  conviction  que  ces 
trois  noms  étaient  ceux  de  trois  rois  pasteurs,  et  il  me  paraît  permis, 
je  le  répète,  d'en  tirer  cette  déduction  que  les  Hyq-s'os,  bien  qu'usur- 
pateurs et  détestés  des  Égyptiens,  ont  figuré  dans  leurs  listes  chro- 
nologiques officielles  comme  dans  celles  de  Manéthon,  et  que  les  his- 
toriens nationaux  ont  considéré  leur  domination  comme  trop  impor- 
tante pour  pouvoir  la  passer  sous  silence.  Je  dois  dire  cependant  que 

ces  trois  noms  sont  précédés  des  restes  du  titre  i&,  tandis  que 

le  nom  d'Apepa  ou  Apepï  dans  les  légendes  des  monuments  de  Ta- 
nis  (1)  ne  se  rencontre  que  dans  le  second  cartouche,  celui  du  nom 

propre,  précédé  régulièrement  de  l'épithète   4»^  si-r.\,  fils  du  so- 


leil. Ce  fait  n'est  pas,  il  est  vrai,  un  obstacle  à  l'attribution  que  je  pro- 
pose; au  contraire,  il  est  très-probable  que  les  premiers  rois  pasteurs, 


(1)  Brugsch,  en  parlant  de  la  statue  de  Rà-s-menx-ka  vue  par  Burton,  et  trompé 
par  les  légendes  qui  y  ont  été  gravées  postérieurement,  commet,  dans  son  Histoire 
d'Ëçjijptc,  un  singulier  anachronisme;  il  dit  que  cette  statue  représente  Ramsès  II, 
et  porte  sur  l'épaule  la  légende  d'Apophis,  sans  observer  que  ce  dernier  est  de  beau- 
coup antérieur  aux  Ramsès. 


LETTRE   A   M.   AUG.    MARIETTE. 


255 


si  tant  est  qu'ils  aient  adopté,  comme  les  derniers,  l'usage  de  l'écri- 
ture égyptienne,  n'ont  pas  eu  de  prénoms  royaux,  et,  conséquem- 
ment,  qu'ils  ont  inscrit  simplement  leur  nom  propre  dans  un  seul 

cartouche,précédé  du  groupe  tart,  de  même  que  les  pharaons  des 

plus  anciennes  dynasties. 

Si  nous  essayons  maintenant  de  faire  concorder  notre  fragment 
hiératique  avec  les  noms  des  six  premiers  Hyq-s'os  que  nous  donnent 
les  listes  manéthoniennes,  nous  trouvons  d'abord  que  les  deux  Ap.... 
peuvent  très-bien  répondre  aux  Apachnas  ou  Apachnan  et  Apôphis 
ou  Aphôsis  de  Josèphc,  Pachnan  et  Aphôbis  de  l'Africain  ;  mais  leur 
prédécesseur  immédiat,  Béôn,  Banon  ou  Bnôn,  ne  paraîtrait  pas 
répondre  à  l'An-nub  du  papyrus,  si  la  version  arménienne  de  Josè- 
phe  ne  nous  avait  conservé  dans  une  annotation  marginale  la  leçon 
Anon  (1),  qui  se  rapproche  beaucoup  plus  d'An-nub.  Voici  donc  la 
concordance  et  les  rectifications  que  je  propose  pour  ces  listes  : 


Joseph,  c.  Apion. 
. . .  lâ).axi;.   19  ans.     — 

Joseph. 
Silitis, 

Canon  (1.  anon) 

Apachnan, 

Aphôsis, 

An  an, 

Ascth, 

ARM. 

15  ans  (1.19). 
43    -  (1.44). 

30  —  7  mois 

61   —          — 

50  —      1  — 
40—      2- 

1. 

2. 

3. 

6. 

4. 
5. 

Africanus. 
Sorf'T>iç,    19  ans 

(Fragm.  n"  112.) 

•    trJr^l    1  Av**«A  Br,wv,        44  —       — 

livwv,      44  — 

■  **(ta 

\  g    A7t7./_va;  30  —  7  m. 

lia/viv,   61  — 
(i."30  —  )  ? 

■i»rja 

B    "Araixpiç,    01  —      — 
"Avva;,      50  —  1  in. 

"Açoêiç,  01  — 

Sraav,      50  — 
"ApxXYiç,  49  — 

De  celle  manière  la  durée  du  règne  de  chacun  de  ces  rois  est  à  peu 
près  la  môme  dans  les  trois  listes,  excepté  celle  du  Pachnan  de  l'Afri- 
cain, pour  laquelle  le  chiffre  61  est  prouvé  fautif  par  les  deux  listes  de 
Josèphc,  tandis  que  les  deux  premiers  de  la  version  arménienne 
sont  corrigés  par  celle  de  l'Africain,  ainsi  qu'on  s'accorde  à  le  recon- 
naître aujourd'hui  (3) . 


(1)  Bunsen,  Egypfs  place  inuniversal  history,  vol.  I,  p.  645,  note  II 

(2)  Apap-àn/?,  suivant  M.  Brugsch, 

(3)  Voir  Lepsius,  Kœnigsbuch;  Brugsch,  Ilist.  d'Egypte,  etc. 


256 


REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 


Un  autre  fragment  du  canonhiératique,  n°  150,  présente,  comme  le 

monolithe  de  Tell-Mokdam,  le  nom  de  Set  ou  Sutekh  dans  un  car- 
touche royal  (1).  Ce  fragment  porte  les  restes  de  quatre  noms;  mais 
il  n'est  pas  possible  de  le  placer  immédiatement  après  celui  dont 
uous  venons  de  parler;  car  l'écriture  est  moins  grosse  et  moins  écar- 
tée, ce  qui  semble  indiquer  qu'il  provient  d'une  autre  colonne  du 
manuscrit.  Les  cartouches  qu'il  contient  appartiennent-ils  aussi  à  la 
série  des  rois  pasteurs  ?  C'est  ce  que  rien  ne  prouve  jusqu'ici  ;  mais 
la  présence  du  nom  de  Set  eu  tète  de  l'un  d'eux  pourrait  le  faire 
penser.  On  peut  admettre  cependant  que  le  nom  de  Set,  qui  figure 
parmi  ceux  des  dieux  dynastes  (fragment  n°  2),  a  pu  entrer  dans  la 
composition  du  cartouche  d'un  roi  antérieur  aux  Pasteurs.  La  place 
du  fragment  n°  150  reste  donc  encore  incertaine,  et  je  ne  tirerai  au- 
cune conséquence  du  fait,  que  je  signale  seulement  à  votre  attention, 
considérant  comme  beaucoup  plus  probable  l'attribution  que  je  pro- 
pose pour  le  fragment  n°  112. 

Je  vous  rappellerai  à  cette  occasion  un  monument  sur  lequel  je 
crois  reconnaître  un  autre  exemple  de  l'emploi  du  nom  de  Set  ou 
Sutekh  dans  un  cartouche  royal  :  c'est  un  petit  lion  de  granit  gris 


trouvé  dans  les  matériaux  d'une  muraille  à  Bagdad  et  appartenant  à 


(1)  Je  ne  puis  pas  admettre  la  distinction  que  vous  semblez  établir  {Revue  archéo- 
logique, t.  III,  1861,  p.  100)  entre  les  signes      fl  et  hL      pour  exprimer  les  noms  de 


Set  et  de  Sutekh,  ce  dernier  étant  toujours  écrit 


dans  le  Traité    de 


KamsesIJ,  avec  le  prince  des  Héthicns.  (Lepsius,  Denkni.,  III,  146.] 


LETTRE   A    M.   AUG.    MARIETTE. 


M.  Saint-Sauveur.   La  légende  verticale,  malheureusement  fruste, 


qu'il  porte  sur  la   poitrine,   me  paraît,   d'après   le   moulage  que 


11 


nm 


vous  en  avez  fait   taire  au  Louvre,  devoir  se  lire  ainsi 


NTK  NWR  RÂ.-ST-XJ  !!-  Le  llifll  bon  Rd-Set-Nub. 

La  sculpture  rappelle  bien  un  style  antique,  niais  elle  est  négligée 
et  même  assez  grossière.  La  tète  de  l'animal,  un  peu  endommagée,  a 
été  retravaillée  par  une  main  maladroite,  ce  qui  la  rend  trop  petite 
pour  le  corps  ;  cependant  ce  qui  reste  de  la  crinière  est  identiquement 
disposé  comme  celle  des  lions  androcéphales  que  vous  avez  décou- 
verts à  San;  mais  malgré  cette  ressemblance,  il  faut  remarquer  que 
celui-ci  ne  peut  pas  avoir  eu  primitivement,  comme  eux,  une  face 
humaine.  Néanmoins  des  analogies  d'ensemble,  jointes  à  la  présence 

du  signe  TL     dans  le  cartouche,  à  l'emploi  du  titre  "]  î  ntr  nwr, 

dieu  bon,  que  les  Pasteurs  semblent  s'être  particulièrement  appro- 
prié, et  entin  la  provenance  de  ce  monument,  me  font  penser  que 
le  nom  royal  qu'il  porte  peutavoir  appartenu  à  l'un  (]e^  Hyq-s'os,  el 
que  sa  petite  dimension  a  permis  à  quelque  Asiatique  de  trans- 
porter dans  l'Irak-Arabie  ce  témoignage  de  la  longue  domination  des 
usurpateurs;  lorsqu'ils  furent  expulsés  d'Égj  pte. 


258  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

Mais  il  résulte  aussi  do  vos  observations  que,  si  le  dernier  de  ces 
rois  fut  repoussé  en  Asie  quand  les  souverains  légitimes  rentrèrent 
en  possession  d'Àvaris,  il  laissa  derrière  lui  une  nombreuse  popula- 
tion agricole  qui  s'est  perpétuée  jusqu'à  nos  jours  dans  cette  localité, 
sans  mélange  avec  la  race  égyptienne.  Cette  population  dut  conser- 
ver, au  moins  pendant  un  certain  temps,  le  culte  particulier  du  dieu 
Sutekh,  qui  paraît  avoir  été  assimilé  sous  la  dix-huitième  dynastie, 
ens'introduisanldans  la  religion  égyptienne,  à  celui  de  Set  ou.  Typhon, 
frère  et  ennemi  d'Osiris,  dieu  de  la  force  et  de  la  violence;  or,  si  l'on 
considère  que  le  nom  de  ce  dieu  fut  choisi  par  les  premiers  rois  de  la 
dix-neuvième  dynastie  pour  former  le  nom  propre  des  Séti,  et  qu'il 
fut  ensuite  martelé  (1)  avec  acharnement  partout  où  on  put  le  ren- 
contrer, il  semble  résulter  de  là  l'indication  de  faits  importants;  il  se 
peut  en  effet  que  ces  changements  religieux  n'aient  pas  eu  d'autres 
causes  que  des  revirements  politiques  dont  les  monuments  pourront 
nous  donner  un  jour  l'explication. 

Il  me  reste  pour  terminer  ces  quelques  notes  à  vous  communiquer 
une  observation  qui  ne  m'appartient  pas  en  propre,  mais  que  j'em- 
prunte à  M.  de  Rougé,  dont  vous  connaissez  comme  moi  le  tact  et  la 
sagacité  arebéologiques.  C'est  qu'un  magnifique  fragment  de  statuette 
royale  de  basalte  vert,  dont  je  joins  ici  la  représentation  (2),  porte  tous 
les  caractères  de  race  que  vous  avez  reconnus  dans  la  tète  des  quatre 
sphinx  ou  plutôt  lions  à  face  humaine  que  vous  attribuez  aux  Pasteurs 
et  dont  vous  avez  donné  le  dessin.  Les  yeux  sont  petits  comparative- 
ment au  type  égyptien,  le  nez  est  vigoureux  et  arqué  en  même  temps 
que  plat  (ce  sont  les  expressions  mêmes  dont  vous  vous  servez  en 
décrivant  les  monuments  dont  je  viens  de  parler),  les  joues  sont 
osseuses  et  les  muscles  de  la  bouche  fortement  marqués,  les  lèvres 
sont  assez  épaisses  et  les  coins  n'en  sont  pas  relevés;  le  menton,  mal- 
heureusement brisé,  paraît  avoir  été  saillant;  l'ensemble  du  visage 
enfin  présente  un  caractère  remarquable  de  rudesse.  Ici  cependant, 
comme  dans  les  sphinx  de  San,  le  corps  annonce  un  travail  pure- 
menl  égyptien  et  du  plus  bel  art  :  les  proportions  sont  élégantes  et 
parfaites.  Le  personnnage  ainsi  représenté  porte  la  coiffure  égyp- 
tienne habituelle  et  l'urœus  ro\a!sur  le  front;  il  est  vêtu  d'une  schenti 
finement  plissée,  et  un  poignard  dont  le  manche  a  la  forme  d'une 
tête  d'épervier  est  passé  dans  sa  ceinture.  Le  support  réservé  parder- 

(1)  On  n'a  malheureusement  pas  encore  pu  déterminer  l'époque  précise  où  cette 
proscription  eut  lieu,  mais  on  l'observe  le  plus  souvent  sur  les  monuments  de  la 
dix-neuvième  dynastie. 

(2)  Voyez  les  planches  XVI  et  XVII. 


LETTRE   A   M.  AUG.    MARIETTE. 


2o9 


hère  n'a  malheureusement  jamais  reçu  d'inscription  gravée,  et  à 
part  le  style,  qui  rappelle  pour  le  corps  les  plus  belles  sculptures  de 
l'ancien  empire,  rien  ne  peut  nous  indiquer  l'âge  de  ce  fragment. 
Seraît-ce  encore  un  portrait  d'un  des  Hyq-s'os?  C'est  ce  que  de  nou- 
velles découvertes  viendront  peut-être  établir,  si  elles  confirment 
vos  conjectures  relatives  aux  quatre  sphinx  de  San  ;  car  il  est  évident 
qu'il  appartient  au  même  art  et  reproduit  les  traits  de  la  même  race 
que  ces  précieux  monuments. 
Veuillez  agréer,  etc. 

T.  Devéria. 

16  avril  1861. 


NOTE  ADDITIONNELLE 

Depuis  que  cette  lettre  est  sous  presse,  M.  Mariette,  de  retour  en 
France,  a  bien  voulu  me  communiquer  et  m'autoriser  à  publier  les 
légendes  qu'un  roi  pasteur  fit  graver  sur  la  base  et  de  chaque  côté 
des  pieds  du  colosse  dont  il  a  découvert  la  partie  inférieure  à  Tell- 
Mokdam  (1). 


tT 

ix 


A 


Ces  légendes,  que  je  reproduis  en  marge, 
sont  intérersantes  sous  plusieurs  rapports; 
elles  se  lisent  :  Le  dieu  bon,  étoile  des  deux 
mondes,  Sulekli-...lï,  aimé  de  [Sutekh]  sei- 
gneur d'Hà-udr  (Avaris),  et  nous  donnent  : 
1°  la  connaissance  d'un  nouveau  titre  officiel 
adopté  par  un  Hyq-s'os,  celui  d'étoile  des 
deux  mondes;  2°  la  qualification  de  fils  du 
soleil,  au-dessus  du  cartouche  nom-propre, 
qui  suppose  dans  une  légende  royale  com- 
plète le  groupe  du  roseau  et  de  l'abeille 
précédant  un  cartouche-prénom,  et  ceci  uent 
à  l'appui  de  ce  que  j'ai  dit  relativement  au 
fragment  n°  112  du  canon  hiératique  de  Tu- 
rin; 3°  le  nom  d'un  roi  pasteur,  nom  mal- 
heureusement fort  mutilé  quoiqu'il  n'ait 
pas  été  martelé,  et  en  tête  duquel  on  peut 
encore  distinguer  l'hiéroglyphe  du  dieu  Su- 
tekh,  dieu   des   Hyq-s'os  et   de   leur  ville 


(1)  Voyez  la  Revue  archéologique,  t.  III,  année  1861,  p.  337,  Lettre  à  M.  Maury, 


2(50  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

d'Avaris.  Je  rappellerai,  d'après  les  observations  de  notre  habile 
explorateur,  que  le  style  de  la  sculpture  appartient  à  la  douzième 
ou  à  la  treizième  dynastie,  que  la  légende  primitive  du  roi  qu'elle 
représentait  a  été  soigneusement  elîacée  sur  le  devant  du  trône,  de 
chaque  côté  des  jambes,  quand  on  a  gravé  sur  la  base,  au  simple 
trait  et  sans  profondeur,  celles  du  roi  pasteur,  et  enfin,  que  le  dos 
et  les  deux  côtés  du  siège,  dans  'les  parties  que  n'occupait  pas  le 
groupe  symbolique  du  Sam  et  des  plantes  des  deux  régions,  ont  été 
couverts  postérieurement  de  grands  caractères  hiéroglyphiques 
contenant  le  nom  et  les  titres  du  roi  Ménéptah  Ier. 

On  retrouve  donc  encore  ici  les  mêmes  usurpations  que  sur  le 
grand  sphinx  du  Louvre  et  les  monuments  de  San,  c'est-à-dire 
d'abord  celle  d'un  Hyq-s'os,  puis  celle  d'un  pharaon  égyptien  de 
la  dix-neuvième  dynastie  (1). 

Le  soin  qu'on  a  mis  à  faire  disparaître  sur  le  monolithe  la  légende 
primitive  a  appelé  de  nouveau  notre  attention  [sur  la  statue  dite  de 
Ramsès  II,  et  mon  savant  collègue  m'a  fait  observer  sur  le  devant 
du  trône  et  sur  la  base,  de  chaque  côté  des  pieds,  des  traces  presque 
imperceptibles,  mais  qui  existent  en  réalité:  il  n'y  a  donc  plus  le 
moindre  doute  sur  l'époque  véritable  de  ce  beau  monument  et  les 
usurpations  successives  dont  il  fut  l'objet.  Il  devient  de  plus  très- 
probable,  par  la  comparaison  des  deux  statues,  que  le  groupe  sym- 
bolique respecté  par  Ménéptah  Ier,  sur  les  côtés  du  siège  du  colosse 
de  Tell-Mokdam,  a  été  effacé  sur  celui  du  Louvre  par  le  roi  Ramsès  11. 
dans  le  simple  but  de  donner  plus  de  développement  aux  titres 
royaux  qu'il  lit  inscrire  ainsi  en  surcharge. 

M.  Mariette  m'a  également  signalé,  sur  la  base  du  grand  sphinx 
dont  je  vien3  déparier  (A.  23  du  catalogue),  de  chaque  côté  du 
corps  dé  l'animal  symbolique,  des  restes  d'inscriptions  martelées 
qui  avaient  échappé  à  mon  attention,  el  en  réunissant  nos  efforts, 
nous  sommes  parvenus  à  déchiffrer  quelques-uns  des  signes  qui 
composaient  celle  du  côté  droit;  ils  sont  disposés  comme  ci-contre 
et  formaient  une  légende  royale  dans  laquelle  on  peut  reconnaître 


(1)  Il  résulte  d'observations  récemment  faites  au  musée  de  Turin  par  M.  A.  de 
Longpérier,  que  les  légendes  de  plusieurs  statues  de  cette  belle  collection  peuvent 
aussi  avoir  subi  des  changements  analogues.  Mais  il  est  à  remarquer  qu'on  n'a  pas 
encore  trouvé  une  seule  légende  royale  de  la  dix-huitième  dynastie  gravée  c:i  sur- 
charge sur  celle  d'.m  roi  pasteur. 


LF.TTRF.   A    H.    AUG.    MARIETTE. 


261 


lu  roseau  et  de  l'abeille  au-dessus  de  celui  du  vautour 
et  de  l'urasus  qui  était  suivi  d'un  titre  particulier, 
et  d'un  cartouche  dans  lequel  se  trouve  un  P  hiéro- 
glyphique assez  bien  marqué,  précisément  à  la  place 
qu'il  occuperait  dans  le  nom  d'Apepï.  Il  serait  inté- 
ressant de  pouvoir  constater  que  cette  légende,  en 
tête  de  laquelle  on  trouve,  comme  je  l'ai  dit',  le 
groupe  du  roseau  et-de  l'abeille,  de  même  que  devant 
les  noms  du  fragment  du  canon  de  Turin  que  j'ai 
cité  plus  haut,  était  bien  aussi  celle  d'un  Hyq-s'os. 
Malheureusement,  son  état  de  dégradation  nous  met 
dans  l'impossibilité  d'en  acquérir  la  certitude.  J'ai  cru 
néanmoins  devoir  ajouter  ici  ces  nouvelles  indications, 
car  ce  n'est  qu'en  groupant  des  observations  de  ce 
genre  et  en  les  comparant  entre  elles  qu'on  pourra 
arriver  à  éclaircir  un  point  de  l'histoire  qui  semblait, 
avant  les  dernières  découvertes  de  M.  Mariette,  être 
voué  pour  toujours  à  l'obscurité. 


H. 


UN  CÉRAMISTE  ARVEME 


On  ne  peut  guère  douter  que  l'art  céramique  se  soit  développé  en 
Gaule  sous  des  influences  étrangères  :  non-seulement  ce  sont  des 
produits  étrangers  qui  ont  d'abord  servi  de  modèles  à  nos  plasticiens, 
mais  le  nom  des  artistes  eux-mêmes  indique  le  plus  souvent  une  ori- 
gine étrangère.  Il  en  est  cependant  de  Gaulois  et  bien  Gaulois  :  ce 
sont  probablement  ceux  des  céramistes  qui  ont  imprimé  aux  figurines 
exbumées  de  notre  sol  ce  caractère  original  et  barbare  que  nous 
leur  connaissons.  L'un  d'eux  a  pris  soin  de  nous  apprendre  qu'il  était 
Arverne,  et  sa  marque  mérite  assurément  d'être  reproduite. 


Elle  est  doublement  curieuse  :  non-seulement  on  y  lit  clairement 
NATTI  ARYE.  M.  (Natti  arverni  manu),  mais  le  nom  (ce  qui  est  une 
nouveauté)  est  placé  sur  le  petit  disque  qui  cacbe  dans  les  bustes  la 
partie  attachée  au  piédouche  servant  de  support.  Cette  fantaisie  est 


UN  CÉRAMISTE    ARVERNE.  263 

jusqu'ici  unique  chez  nos  iïgurisîes.  Elle  est  toutefois  beaucoup  moins 
précieuse  pour  nous  que  celle  quia  poussé  l'artiste  à  nous  apprendre 
qu'il  était  Arverne. 

Certainement  on  ne  pouvait  douter  que  plusieurs  figuristes  eussent 
été  longtemps  fixés  clans  la  Gaule  cenlrale,  à  supposer  qu'ils  n'en  fus- 
sent pas  originaires:  ainsi,  PISTILLUS  a  dû  appartenir  aux  Éduens, 
PESTIKA  aux  Bituriges,  SACRILLOS  à  la  contrée  qui  répond  au  dé- 
parlement de  l'Allier;  mais  cette  opinion  n'était  fondée  que  sur 
le  grand  nombre  de  pièces  signées  de  ces  noms  et  découvertes  dans 
des  localités  appartenant  aux  peuples  dont  nous  venons  de  parler. 
Nattus  nous  donne  un  renseignement  plus  précis.  Il  nous  apprend 
qu'il  élait  Arverne  et  semble  s'en  faire  gloire. 

Il  ne  paraît  pas  toutefois  avoir  toujours  ajouté  celte  épilhète  à  son 
nom.  Sur  quelques  pièces  on  lit  simplement  Natti  forma.  D'autres 
fois,  au  lieu  d'imprimer  sa  marque  avec  une  estampille,  il  nous  donne 
sa  signature  autographe. 


Cette  signature  se  trouve  sur  l'une  des  pièces  d'un  moule  de  Vénus 
de  notre  cabinet. 

Plusieurs  fragments  de  lampes,  en  terre  blanche  et  moulée,  por- 
tent aussi,  sur  la  partie  extérieure  du  fond,  la  légende  circulaire 
NATTVSF. 

Nous  supposons  volontiers  que  toutes  ces  marques  appartiennent 
au  môme  personnage. 

Il  paraît  cependant  que  le  nom  de  Nattus  n'était  pas  l'are,  et  à  la 
rigueur  ce  pourraient  être  des  homonymes. 

Nous  retrouvons  en  effet  un  autre  Nattus  évidemment  distinct  du 


-2(j\  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

premier,  cl  qui  signe  C.  NATTVS  XANTVS,  ainsi  qu'on  le  voit  sut 
un  fragment  de  vase  rouge  que  nous  reproduisons  ici. 


Ce  nom  de  Xantus  peut  nous  faire  supposer  que  celui-ci  avai 
une  origine  grecque  et  n'était  pas  Arverne,  ni  même  Gaulois  comme 
le  céramiste  qui  ne  signait  peut-être  de  son  titre  d'Arverne  que  pour 
se  distinguer  de  ceux  qui  portaient  le  même  nom  que  lui.  Quoi  qu'il 
en  soil,  nous  regardons  comme  une  bonne  fortune  d'avoir  mis  la 
main  sur  la  marque  de  Nattus  l'Arverne,  et  nous  sommes  heureux 
de  communiquer  noire  petite  trouvaille  aux  lecteurs  de  la  Revue. 

Edmond  Tidot. 


NOTE 

SUR    LA 

BATAILLE  LIVRÉE  PAR  LABIENUS 

SOUS  LES  MURS  DE  PARIS  (1) 


J'interviens  dans  le  débat  soulevé  au  sein  de  l'Académie  par  le 
dissentiment  de  deux  de  nos  confrères  au  sujet  d'un  récit  qui  nous 
intéresse  extrêmement,  puisqu'il  ne  s'agit  de  rien  moins  que  du 
combat  livré  sous  les  murs  de  Paris  par  le  plus  célèbre  des  lieute- 
nants de  Jules  César,  et  dont  l'issue  contribua  d'une  manière  efficace 
à  faire  cesser  la  résistance  des  Gaulois.  M.  de  Saulcy,  qui  le  premier 
avait  saisi  l'Académie  de  cette  question  toujours  controversée,  m'avait 
d'avance  communiqué  son  explication  des  difficultés  que  présente  le 
récit  de  César,  et  ses  raisons  m'avaient  frappé  comme  extrêmement 
plausibles  :  c'est  dire  assez  que  je  me  présente  dans  l'arène  afin 
d'appuyer  sa  manière  de  voir.  Toutefois,  si  je  n'avais  qu'à  opiner 
dans  le  même  sens,  je  laisserais  à  notre  confrère  le  soin  de  se  défen- 
dre et  je  resterais  spectateur  du  combat;  mais  j'ai  un  motif  parti- 
culier pour  intervenir.  Il  me  semble  que  notre  confrère  a  trop  cru  à 
la  clarté  et  à  la  consistance  du  récit  de  César  et,  loin  de  partager 
cette  confiance,  je  crois  que  le  texte,  tel  qu'il  nous  est  parvenu  et 
quoiqu'il  ne  laisse  soupçonner  aucune  trace  de  lacune,  ne  saurait 
donner  à  lui  seul  une  explication  satisfaisante  de  l'événement.  Je 
me  rends  compte  ainsi  de  l'état  où  les  savants  les  plus  illustres  ont 
laissé  la  question,  et  je  trouve  tout  naturel  qu'aujourd'hui  encore 

(1)  Ce  mémoire,  que  nous  publions  tel  qu'il  a  été  trouvé  dans  les  papiers  de  M.  Ch. 
Lenormant,  a  été  écrit  et  lu  à  l'Académie  des  inscriptions  et  belles-lettres,  en  jan- 
vier 1858.  Par  respect  pour  la  mémoire  de  l'auteur,  nous  avons  cru  n'y  devoir  faire 
aucun  changement. 

iv.  18 


266  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

deux  critiques  aussi  exercés  que  M.  Brunet  de  Presle  et  M.  de 
Saulcy  ne  s'accordent  pas  sur  l'interprétation  d'un  texte  à  l'occasion 
duquel  nos  deux  grands  géographes,  Sanson  et  d'Anville,  ont  émis 
des  opinions  différentes. 

César  raconte  avec  rapidité,  et  c'est,  au  point  de  vue  de  l'art 
d'écrire,  un  des  mérites  de  ses  admirables  Commentaires  ;  mais 
celte  rapidité  empêche  l'historien  de  fournir  des  explications  de 
détail  qui,  aujourd'hui,  sembleraient  bien  nécessaires.  Néanmoins, 
quand  César  parle  de  ce  qu'il  a  fait,  les  indications  qu'il  donne  sont 
tellement  précises  qu'il  suffit  de  la  connaissance  des  lieux  pour  se 
retrouver  parfaitement  dans  son  récit.  Mais  il  n'assistait  pas  à  la 
bataille  de  Paris,  et  n'en  avait  connu  les  circonstances  que  par  le 
rapport  de  Labienus.  Les  lieux  qu'il  avait  vus,  l'année  précédente, 
lorsqu'il  avait  présidé  dans  Luièce  même  à  une  réunion  des  peuples 
de  la  Gaule,  devaient  être,  il  est  vrai,  assez  présents  à  sa  mémoire 
pour  lui  rendre  facile  l'intelligence  des  opérations  de  son  lieutenant: 
mais  sa  propre  renommée  n'était  pas  directement  en  jeu:  il  s'agissait 
d'une  victoire  de  Labienus,  et  l'historien  avait  moins  de  raisons  que 
jamais  pour  accumuler  les  détails.  Quoi  qu'il  en  soit  du  motif,  je  m'at- 
tacherai à  démontrer  que  l'intelligence  de  la  bataille  de  Pans  n'est 
si  difficile  que  parce  que  le  récit  de  César  est  incomplet  et  défec- 
tueux. Je  marquerai,  aulant  que  possible,  les  points  où  cet  incon- 
vénient se  fait  sentir  et  je  suppléerai,  suivant  ma  manière  de  voir, 
à  l'insuffisance  et  à  l'obscurité  du  récit. 

Avant  de  commencer  l'analyse  du  texte  de  César,  je  dois  prévenir 
que  je  n'ai  recherché  ni  relu  aucun  des  travaux  antérieurs  sur  la 
question.  Je  me  borne  à  ce  que  j'ai  entendu  dans  le  sein  de  l'Aca- 
démie ainsi  que  tous  nos  confrères,  et  en  me  guidant  d'après  l'opi- 
nion qui  me  semble  la  plus  probable,  je  m'efforce  de  faire  jaillir  la 
vérité  soit  des  assertions,  soit  même  des  réticences  de  l'historien. 

César  vient  de  raconter  la  défection  des  Éduens,  après  l'échec,  mal 
dissimulé  dans  son  récit,  qu'il  avait  éprouvé  devant  Gergovie,  le 
péril  dans  lequel  l'a  jeté  un  moment  la  destruction  de  Noviodunum, 
et  son  heureux  passage  de  la  Loire,  dans  la  marche  rapide  qu'il  fait 
pour  rejoindre  à  Agedincum  son  lieutenant  Labienus. 

Celui-ci  ne  s'était  pas  contenté  de  l'attendre  dans  cette  dernière 
cité:  accru  des  légions  qui  lui  étaient  arrivées  de  l'Italie,  ne  crai- 
gnant rien  pour  le  moment  de  la  Gaule  Belgique,  qui  avait  été 
domptée  dans  la  campagne  précédente,  et  comptant  sans  doute  sur 
la  fortune  comme  sur  les  talents  de  César,  il  avait  voulu,  avec  les 
ressources  dont  il  disposait,  assurer  aux  Romains  la  possession  du 


BATAILLE    LIVRÉE    PAR    LABIENUS.  267 

nord-ouest  de  la  Gaule.  Il  ne  réussit  pas  dans  cette  entreprise;  mais 
les  circonstances  qui  le  forcèrent  d'y  renoncer  furent  un  bonheur 
pour  César  qui,  affaibli  par  l'insuccès  du  siège  de  Gergovie  et  le  sou- 
lèvement des  Ëduens,  eut  la  fortune  de  retrouver  non  loin  de  Sens 
les  légions  de  Labienus,  qu'une  victoire  venait  de  consoler  d'avoir 
manqué  une  conquête.  L'expédition  de  Labienus,  expédition  avortée 
mais  couronnée  par  un  combat  illustre,  fait  l'objet  du  mémoire  de 
M.  de  Saulcy  et  du  présent  examen. 

Labienus  laisse  dans  Agedincum,à  la  garde  de  ses  bagages,  le  ren- 
fort qu'il  venait  de  recevoir  de  l'Italie,  et  se  dirige  avec  quatre 
légions  sur  Lutèce.  «  C'est,  dit  César,  un  oppidum  des  Parmi,  situé 
dans  une  île  de  la  Seine.  »  Id  est  oppidum  Parisiorum,  positum  in 
insula  fluminis  Sequanœ.  Ainsi  l'historien  place  Lutèce  dans  l'île 
même  de  la  Cité.  En  soumettant  ce  renseignement  au  contrôle  de 
nos  observations  sur  les  lieux  choisis  pour  l'établissement  des  cités 
gauloises,  nous  arrivons  à  conclure  que  celle  des  Parisii  n'avait  pas 
toujours  été  placée  dans  l'île,  et  qu'originairement,  suivant  un  usage 
de  la  nation  qui  n'a  dû  souffrir  qu'un  bien  petitnombre  d'exceptions, 
{'oppidum  où  les  Parisii  devaient  avoir  originairement  fondé  leur 
eapitale  était  situé  sur  la  rive  gauche  du  fleuve,  au  commet  de  la 
colline  qui  reçut  le  nom  de  Collis  Lucotitius.  Ainsi  que  le  dé- 
montre l'autorité  des  auteurs  et  des  médailles,  Lutetia  est  la  forme 
contracte  du  mot  Lucotitia,  analogue  au  nom  même  de  la  colline. 
J'en  induis  que  d'abord  les  Parisii  avaient  placé  le  centre  de  leur 
cité  sur  la  montagne  Sainte -Geneviève,  et  que  les  besoins  du 
commerce  les  déterminèrent  plus  tard  à  se  transporter  dans  l'île 
de  la  Seine,  qui  dès  lors  vit  substituer  le  nom  de  Lutetia,  emprunté 
à  la  montagne  voisine,  à  celui  qu'elle  avait  d'abord  porté.  Il  n'est 
pas  impossible  qu'une  trace  du  premier  nom  de  l'île  se  soit  con- 
servée dans  la  Notice  de  l'empire,  à  l'endroit  où  il  est  question  de 
la  Classis  Anderitianorum  Parisiis.  Dans  cette  hypothèse,  ce  nom 
auraitété  celui à'Anderitum.  Cependant,  quoi  qu'il  en  soit,  les  Parisii, 
en  transportant  peut-être  longtemps  avant  les  campagnes  de  César  le 
centre  de  leur  cité  dans  File  de  la  Seine,  n'avaient  pas  dû  aban- 
donner complètement  le  premier  oppidum;  du  moins  on  le  vit 
reprendre  une  grande  partie  de  son  importance  sous  les  Romains,  et 
cela  à  tel  point  que  le  Parloir  aux  bourgeois,  lieu  sans  doute  tradi- 
tionnel de  l'assemblée  des  Parisii,  ne  fut  transporté  qu'au  quator- 
zième siècle  de  l'autre  côté  de  la  Seine,  à  portée  de  l'île  où  déjà 
César  avait  trouvé  l'établissement  de  Lutetia. 

Cependant  César,  en  indiquant  la  marche  de  Labienus  depuis 


268  REVUE    ARCHEOLOGIQUE. 

Sens  jusqu'à  Paris,  ne  dit  rien  des  obstacles  qu'il  avait  dû  rencontrer 
sur  sa  route,  et  particulièrement  du  passage  des  rivières.  Sens  étant 
située  sur  la  rive  droite  de  l'Yonne,  ou  le  général  romain  avait 
suivi  cette  rive  jusqu'à  l'embouchure  de  ITonne  dans  la  Seine,  et 
alors,  en  continuant  sa  marche  par  le  nord,  il  avait  eu,  avant  d'ar- 
river à  Paris,  à  franchir  successivement  la  Seine  et  la  Marne,  ou  il 
s'était  transporté  immédiatement  au  sud  de  l'Yonne  et  de  la  Seine. 
La  facilité  qu'il  avait  de  traverser  le  premier  de  ces  cours  d'eau  à 
Sens  même,  où  sans  doute  la  communication  avec  l'autre  rive  était 
établie  au  moyen  d'un  pont,  et  la  certitude  de  ne  rencontrer  depuis 
là  jusqu'à  Paris  aucune  rivière  aussi  importante  que  la  Seine  et  la 
Marne,  dut  lui  faire  préférer  le  second  parti.  Nous  voyons  en  effet 
par  la  suite  du  récit  que,  lors  de  sa  première  attaque,  Labienus  était 
arrivé  par  la  rive  gauche  de  la  Seine. 

M.  de  Saulcy  suppose  que  l'existence  d'un  grand  chemin  gaulois 
d'Agedincum  à  Lutèce  aura  déterminé  la  direction  suivie  par  La- 
bienus. Je  suis  loin,  pour  mon  compte,  de  contester  l'existence  des 
grands  chemins  gaulois,  antérieurs  aux  voies  romaines,  et  qui 
souvent  continuèrent  d'être  fréquentés  indépendamment  de  ces 
voies.  Notre  confrère,  M.  Aug.  Le  Prévost,  a  développé,  à  l'occasion 
des  grands  chemins  gaulois,  des  opinions  dignes  d'être  prises  en 
très-sérieuse  considération.  Mais  s'il  existait,  comme  il  y  a  lieu  de  le 
présumer,  avant  la  domination  romaine,  un  grand  chemin  de  Sens 
à  Paris,  ce  chemin  devait  néce  sairement  passer  par  Melun,  oppidum 
très-important  des  Senones;  or,  pour  aller  de  Sens  à  Melun,  il  faut 
nécessairement  passer  la  Seine  à  Montereau,  et  de  Melun  à  Paris,  la 
voie  naturelle,  et  constamment  suivie,  est  par  la  rive  droite  de  la 
Seine.  De  cette  remarque  il  faut  conclure  que  si  Labienus  avait  suivi 
dans  sa  première  marche  le  grand  chemin  gaulois,  il  serait  arrivé 
forcément  par  la  rive  droite  de  la  Seine,  ce  qui  n'eut  pas  lieu. 

En  tout  cas,  soit  que  le  général  romain,  profitant  de  la  saison 
favorable  et  négligeant  les  chemins  battus,  ait  suivi  consomment  la 
rive  gauche  de  l'Yonne  et  de  la  Seine  jusqu'à  Paris,  soit  qu'après 
avoir  traversé  la  Seine  à  Montereau,  il  l'ait  repassée  à  Melun.  afin 
de  pouvoir  attaquer  les  Parisii  parle  côté  qu'il  jugeait  alors  le  plus 
favorable  à  son  entreprise,  la  concision  de  César  nous  prive  de  tout 
moyen  de  décider  la  question,  et  cette  concision  implique  l'omission 
du  nom  des  cours  d'eau  que  l'armée  romaine  avait  eu  à  franchir  sur 
l'une  ou  sur  l'autre  rive.  Dans  l'hypothèse  d'une  marche  constante 
sur  la  rive  gauche,  le  Loing  présentait,  à  son  embouchure  dans  la 
Seine,  un  obstacle  assez  considérable  pour  arrêter  l'armée  romaine. 


BATAILLE   LIVRÉE   PAR   LABIENUS.  3(59 

si  les  Gaulois  avaient  voulu  défendre  l'autre  bord.  César,  se  bornant 
aux  traits  essentiels  du  récit,  son  silence  sur  les  rivières  traversées 
par  l'armée  romaine  ne  peut  fournir,  je  le  dis  d'avance,  aucun  argu- 
ment plausible,  lorsque  d'ailleurs  la  direction  suivie  est  assez  clai- 
rement indiquée.  Peu  importe  le  volume  de  ces  cours  d'eau,  si  les 
Romains  n'y  ont  pas  rencontré  une  résistance  digne  de  l'attention 
de  l'historien. 

Les  Gaulois  ont  connaissance  de  la  marche  de  l'armée  romaine;  ils 
rassemblent  à  la  hâte,  mais  en  grand  nombre,  les  contingents  des 
cités  voisines  de  Paris.  Cujus  adventu  ab  hostibus  cognito  magnœ 
ex  ftnitimis  civitatibus  copiœ  convenerunt.  On  choisit  pour  général 
en  chef  de  cette  confédération  Camulogène,  de  la  nation  des  Auler- 
ques, vieillard  d'un  âge  très-avancé,  mais  consommé  dans  l'art  de  la 
guerre.  Summa  imperii  transditur  Camulogeno  Aulerco,  qui,prope 
confectus  œtate,  lamen  propter  singularem  scientiam  rei  militarisa  ad 
eum  est  honorem  evocatus.  A  quelle  tribu  des  Aulerques  appartenait 
Camulogène?  Était-il  des  Eburoviques,  des  Cenomani,  des  Diablintes 
ou  des  Brannovices?  La  proximité  de  Lutèce  porterait  à  le  faire 
considérer  comme  un  Eburovique,  et.  à  l'appui  de  cette  conjecture,. 
je  crois  pouvoir  citer  le  témoignage  des  monuments  numismatiques. 
Guidé  par  des  indications  que  je  crois  sûres,  j'ai  groupé  autour 
de  statères  d'or  qui,  portant  la  légende  LVCOTINNA,  doivent 
être  rangés  à  Lutèce,  une  série  de  pièces  analogues  en  or,  en  argent 
et  en  bronze,  que  je  rapporte  aux  Aulerques  Eburoviques,  aux 
Veliocasses,  aux  Meldi,  aux  Veromandui,  et  même  à  ceux  des  Se- 
nones,  dont  le  centre  était  à  Melodunum.  Les  Bellovaci,  qui  ne  purent 
secourir  à  temps  l'armée  de  Camulogène,  ont  aussi  leurs  pièces  très- 
reconnaissables,  et  à  celles-ci  se  rattache  celle  que  je  donne  aux 
Vadecasses,  tribu  peu  importante  et  qui  dut,  avec  les  Silvanectes. 
subir  l'impulsion  des  Bellovaci.  La  confédération  commandée  par 
Camulogène  se  bornait-elle  aux  Parisii,  Aulerci  Eburovices,  Velio- 
casses, Meldi,  Veromandui,  et  à  la  partie  révoltée  des  Senones?  On 
peut  le  présumer,  puisque  cette  confédération,  limitée  au  nord  par 
l'immobilité  des  Bellovaci,  se  composait  de  contingents  rassemblés 
en  hâte  à  la  nouvelle  de  l'arrivée  de  Labienus.  Du  côté  du  sud,  les 
Carnutes  devaient  être  trop  affaiblis  par  la  destruction  récente  de 
Genabum;  par  conséquent,  des  Aulerques,  situés  au  delà  des  Car- 
nutes, tels  que  les  Cenomani  ou  les  Diablintes,  se  rangeraient  diffici- 
lement parmi  les  troupes  rassemblées  autour  de  Lutèce  :  à  plus  forte 
raison  ne  peut-il  être  question  des  Brannovices,  dépendant  des  Éduens 
à  l'époque  de  César,  et  que  d'Anville  place  dans  le  diocèse  de  Mâcon. 


270  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

De  tout  cela,  il  faut  conclure  que  Camulogène  appartenait  à  la  tribu 
des  Eburoviques. 

César  ne  dit  rien  des  premières  opérations  de  ce  général  :  s'il  avait 
d'abord  rassemblé  des  troupes  à  portée  de  sa  patrie,  la  numismatique 
serait  seule  peut-être  en  état  de  nous  le  dire.  En  se  réduisant  aux 
Commentaires,  on  trouve  d'abord  Labienus  arrivant  sous  les  murs  de 
Lutèce,  et  séparé  par  un  marais  de  Camulogène,  qui  s'apprête  à  dé- 
fendre la  capitale  des  Parisii. 

C'était  le  général  gaulois  qui,  à  l'approche  de  Labienus,  avait 
choisi  sa  position.  De  chaque  côté  de  Lutèce,  des  marais  formaient 
sa  défense  naturelle.  Sur  la  rive  droite,  se  trouvait,  dans  la  direction 
du  nord-est,  le  marais  qui  aujourd'hui  donne  encore  son  nom  au 
quartier  de  Paris  qui  l'a  remplacé.  Mais  ce  marais  ne  formait  pas  un 
obstacle  continu;  par  les  terrains  cultivés  ou  cultivables  de  Reuilly, 
de  Popincourt  et  de  la  Grange  aux  Belles,  des  troupes  en  marche 
seraient  arrivées  sans  peine  jusqu'aux  environs  de  la  place  du  Châ- 
telet,  et  cette  dernière  position,  on  le  verra  plus  loin,  fut  celle  que 
Labienus  vint  occuper  lors  de  la  seconde  attaque.  Il  n'en  était  pas 
de  même  de  la  rive  gauche.  Le  cours  de  la  Bièvre  formait  autour  du 
mont  Lucotitius  un  obstacle  continu,  et  c'est  ce  que  César,  par  une 
expression  qui  lui  est  familière,  appelle  palus  perpétua.  En  remon- 
tant la  Bièvre  dans  la  direction  du  sud,  on  s'éloigne  de  Paris  de 
plus  en  plus,  et.  le  coude  qu'à  la  hauteur  d'Antony  forme  la  vallée 
vers  l'ouest  pour  arriver  au  village  de  Bièvre,  ne  tend  pas  à  rap- 
procher de  la  capitale  le  voyageur  qui  voudrait  le  suivre.  Quant  à  la 
vallée,  c'est  évidemment  un  terrain  conquis.  Le  fond  constamment 
vaseux  de  la  rivière  indique  quel  devait  être  l'état  du  sol  avant  que 
l'industrie  agricole  ne  l'eût  recomposé.  En  arrivant  de  Melun  par  la 
rive  gauche,  il  n'aurait  été  ni  prudent  ni  facile  de  s'engager  dans 
ces  marécages.  Si  l'on  ajoute  à  cette  difficulté  que  Camulogène  avait 
pour  se  défendre,  non-seulement  le  relief  considérable  du  terrain, 
mais  encore  l'enceinte  de  ['oppidum  bâti  sur  la  montagne  Sainte- 
Geneviève,  on  comprend  quel  dut  être  l'embarras  de  Labienus. 

Nous  pouvons  croire  qu'il  n'avait  pas  prévu  cet  obstacle  :  les 
Commentaires  nous  apprennent  qu'il  était,  l'année  d'avant,  engagé 
dans  des  opérations  difficiles  sur  les  frontières  de  la  Germanie,  quand 
César  vint  présider  à  Paris  le  congrès  des  nations  gauloises.  Mais  le 
général  romain  s'était  trop  avancé  pour  reculer  sans  avoir  au  moins 
tenté  le  passage  du  marais.  Je  rappelle  d'abord  la  description  que 
César  en  donne  :  Is  (Camulogenus)  quum  animum  advertisset,  per- 
pétuant esse  paludem  quœ  in/lueret    in  Sequanam,  atque  omnem 


BATAILLE    LIVRÉE    PAR    LABIENUS.  371 

ilhun  locum  magnopere  impediret,  hic  consedit  nostrosque  transite 

prohibere  institua.  M.  de  Saulcy,  à  l'exemple  de  d'Anville,  avait 
parfaitement  reconnu  dans  ce  passage  l'embouchure  de  la  Bièvre 
et  l'emplacement  du  faubourg  Saint-Marceau  :  je  ne  fais  ici  que 
corrorober  par  de  nouveaux  arguments  une  explication  qui  me 
paraît  parfaitement  exacte. 

César  nous  représente  ensuite  Labienus  tentant  le  passage,  mais 
mollement,  et  en  quelque  sorte  pour  l'acquit  de  sa  conscience.  Il 
pousse  des  mantelets,  il  entasse  des  fascines  et  essaye  de  se  faire  un 
chemin  à  travers  le  marais.  Labienus  primo  vineas  agere,  cratibus 
otque  aggere  paludem  e.rplere  atque  iler  munire  conabatur;  mais  il 
reconnaît  bientôt  l'inutilité  de  ses  efforts  et  n'hésite  plus  a  battre 
en  retraite,  afin  de  recommencer  l'attaque  par  un  côté  plus  favorable. 
Sans  dire  pendant  combien  de  temps  le  général  romain  est  resté  à 
tenter  le  passage,  l'historien  nous  raconte  qu'il  profita  de  la  nuit 
pour  partir  en  silence  à  la  troisième  heure  et  pour  reprendre  le  che- 
min qu'il  avait  d'abord  suivi.  Cette  marche  rétrograde  le  conduit  ou 
le  ramène  à  Melun.  Postquam  ici  clifficilius  confieri  animadvertit,  si- 
lentio  e  castris  tertio,  vigilia  egressus,  eodem  quo  venerat  ilinere, 
Melodunum  pervenit.  J'ai  dû  laisser  indécise  la  question  de  savoir 
si.  en  venant.  Labienus  avait  traversé  Melun  une  première  fois.  Sup- 
pose-t-on  que  cette  ville,  située  dans  une  île  de  la  ^eine,  de  même 
que  Paris  (id  est  oppidum  Senonum,  in  insula  Sequanœ  positum,  ut 
paulo  ante  Lutetiam  diximus),  était  réunie  par  deux  ponts  à  l'une 
et  l'autre  rive,  on  devra  pencher  pour  l'opinion  que  je  viens  d'indi- 
quer en  dernier  lieu.  Si  l'on  reconnaît  au  contraire  que  Melodunum. 
moins  importante  que  Lutèce.  n'avait  de  pont  que  d'un  seul  côté  de 
l'île,  alors  il  devient  évident  que  Labienus, dans  sa  première  marche, 
n'avait  point  passé  cette  ville. 

Qu'il  n'y  eût  qu'un  seul  pont,  c'est  ce  que  le  texte  des  Commen- 
taires ne  permet  guère  de  mettre  en  doute  {refecto  ponte,  quem  su- 
perioribus  diebus hostes  resciderant)  :  or,  à  quelle  rive  ce  pont  aboutis- 
sait-il? L'étude  du  texte  semble  prouver  que  c'était  à  la  rive  droite, 
opposée  à  celle  que  Labienus  avait  suivie  en  allant  vers  Paris,  et  en 
revenant  de  la  première  attaque.  César  en  effet,  en  disant  que  La- 
bienus avait  besoin  d'un  pont  de  bateaux  afin  de  parvenir  dans  l'île 
de  Melun,  ne  parle  pas  encore  du  pont  que  les  habitants  avaient 
détruit.  Labienus  était  arrivé  une  première  fois  devant  Melun,  et  les 
habitants  simulant  sans  doute  la  soumission,  à  l'exemple d*Agedin- 
cum,  leur  métropole,  avaient  laissé  sans  faire  un  mouvement  passer 
l'armée  romaine,  contents  qu'ils  étaient  d'en  être  séparés  par  toute 


272  REVUE   ARCHEOLOGIQUE. 

la  largeur  d'un  grand  bras  du  fleuve.  Mais  à  peine  les  aigles  ro- 
maines furent-elles  hors  de  vue,  qu'ils  se  hâtèrent  de  diriger  leur 
contingent  vers  l'armée  de  Camulogène.  Ceux  qui  étaient  restés  dans 
l'oppidum,  afin  de  le  mettre  mieux  en  sûreté,  coupèrent  le  pont  qui 
menait  à  la  rive  droite,  ce  qui  complétait  l'isolement  de  l'île  :  cette 
coupure  du  pont  n'eut  lieu  sans  doute  qu'au  moment  où  l'on  sut  que 
Labienus  revenait  sur  ses  pas  :  auparavant,  elle  n'aurait  pas  eu 
d'objet. 

Jusqu'alors  Labienus  ne  s'était  pas  inquiété  des  moyens  de  trans- 
port que  le  fleuve  pouvait  lui  fournir.  Ayant  laissé  dans  Agedincum 
tous  les  embarras  de  l'armée,  il  avait  suivi,  selon  l'hypothèse  la 
plus  vraisemblable,  aussi  rapidement  que  possible  les  bords  de 
l'Yonne  et  de  la  Seine,  et  après  l'échec  éprouvé  devant  Paris,  il  était 
revenu  aussi  vite  sur  ses  pas.  Mais  pour  réussir,  il  lui  fallait  désor- 
mais employer  d'autres  moyens.  Passer  la  Seine  à  Mclun,  franchir 
l'embouchure  de  la  Marne,  traverser  la  Seine  devant  Lutéce  ou  dans 
le  voisinage  de  cette  cité,  tel  était  son  nouveau  plan  de  campagne,  et 
pour  cela  les  moyens  de  transport  sur  l'eau  lui  devenaient  néces- 
saires. Si  dans  le  chemin  qu'il  venait  de  parcourir,  à  Corbeil  par 
exemple,  il  avait  rencontré  un  nombre  suffisant  de  bateaux,  il  n'au- 
rait pas  été  obligé  de  s'éloigner  autant  du  lieu  définitif  de  son  entre- 
prise. Mais  Melun  seul,  à  ce  qu'il  semble,  lui  offrait  les  ressources 
dont  il  avait  besoin  :  et  pourquoi?  J'aurais,  je  crois,  une  réponse 
satisfaisante  à  faire,  mais  cette  réponse  demanderait  de  trop  longs 
développements.  Si  Strabon,  qui  a  parlé  de  la  Gaule  sans  l'avoir  vue, 
n'avait  pas  confondu  les  renseignements  qu'on  lui  avait  fournis  ou 
qu'il  avait  trouvés  dans  les  précédents  auteurs,  sur  les  voies  fluviales 
de  cette  contrée,  l'importance  commerciale  de  la  position  de  Melun 
éclaterait  plus  aisément  à  tous  les  yeux. 

Qu'il  me  suffise  pour  le  moment,  après  avoir  ajourné  une  discus- 
sion qui  trouvera  sa  place  ailleurs,  d'établir,  en  fait,  d'après  le  texte 
de  Strabon,  sagement  rectifié  par  l'examen  des»  conditions  natu- 
relles du  pays,  que  la  principale  voie  commerciale  de  la  Gaule,  celle 
qui  servait  à  transporter  les  marchandises  depuis  la  Méditerranée 
jusque  dans  le  voisinage  delà  Grande-Bretagne,  après  avoir  remonté 
le  Rhône  jusqu'à  Lyon,  comportait  un  premier  transbordement  dans 
la  Loire  aux  environs  de  Roanne,  où  elle  devient  navigable,  la 
descendait  jusqu'à  l'endroit  où  elle  se  rapproche  le  plus  de  la  Seine, 
et  en  suivant  après  un  second  transbordement  le  cours  de  ce  dernier 
fleuve  jusqu'à  son  embouchure,  arrivait  ainsi  presque  en  vue  des 
côtes  delà  Bretagne.  L'isthme  que  j'indique  entre  la  Loire  et  la  Seine 


BATAILLE   LIVRÉE    PAR    LÀB1ENUS.  373 

est  dessiné  aujourd'hui  par  le  canal  du  Loing.  Entre  Briare  et  Moret, 
bâti  vers  l'embouchure  du  Loing,  il  y  a  environ  dix  lieues  de  moins 
qu'entre  Orléans  et  Paris,  et  quoique  César  lui-même  indique  l'exis- 
tence à  Genabum  d'un  commerce  considérable,  principalement  en 
céréales,  il  n'est  pas  à  présumer  qu'on  eût  préféré  la  route  la  plus 
longue  pour  transporter  les  marchandises  de  la  Loire  dans  la  Seine. 
La  vallée  du  Loing,  au  contraire,  offrait  une  communication  non- 
seulement  beaucoup  plus  courte,  mais  très-facile,  et  de  l'embouchure 
du  Loing  jusqu'à  Melun  il  n'y  a  qu'une  faible  distance.  On  peut  donc 
affirmer  avec  vraisemblance  que  les  grandes  embarcations  dont  La- 
bienus  se  servit  pour  construire  à  la  hâte  un  pont  de  bateaux  et  y 
faire  passer  ses  troupes  (deprehensis  navibus  circiter  L,  celeriterque 
conjunctis,  atque  eo  militibus  impositis)  appartenaient  au  port  voisin 
de  Melun  où  commençait  le  grand  mouvement  commercial  de  la 
basse  Seine,  qui  avait  dès  lors  assuré  une  grande  importance  à  Lutèce, 
et  faisait  aussi  celle  de  Melodunum. 

La  nouveauté  du  moyen  employé  par  Labienus  avait  effrayé  les 
habitants  de  cette  ville  (rei  novitate perterritis  oppidums);  la  plupart 
des  hommes  en  état  de  porter  les  armes  étaient  d'ailleurs  avec  Ca- 
mulogène  (quorum  magna  pars  erat  ad  bellum  evocata);  la  place  fut 
occupée  sans  résistance  (sine  contentione  oppido  potitur)  :  il  eût  été 
trop  long,  sans  doute,  de  défaire  le  pont  de  bateaux,  afin  de  le  réta- 
blir sur  l'autre  bras;  le  pont  qui  reliait  l'île  à  la  terre  du  côté  du 
nord  ne  devait  avoir  été  détruit  qu'en  partie.  Labienus  fit  jeter  des 
madriers  sur  l'arche  rompue  et  l'armée  acheva  son  passage  sur  la  rive 
droite  (refecto ponte...  exercitum  transducit).  Par  cette  nouvelle  voie, 
l'armée  romaine  reprend  le  chemin  de  Paris,  en  se  faisant  accom- 
pagner des  bâtiments  qui  avaient  servi  à  faire  le  pont  de  bateaux,  et 
probablement  par  d'autres  encore  (naves  quas  a  Meloduno  deducerat). 
Les  troupes  suivent  le  bord  à  portée  des  embarcations;  les  bateaux 
descendent  le  courant  de  concert  avec  l'armée,  et  l'on  arrive  ainsi 
de  nouveau  en  vue  de  Lutèce,  et  secundo  flumine  ad  Lutetiam  iter 
facere  cœpit. 

Dans  tout  ceci,  je  n'ai  point  hésité  sur  le  nom  qu'il  faut  donner  à 
l'oppidum  surpris  par  Labienus:  tous  les  manuscrits  portent  Melo- 
dunum: je  m'en  rapporte  sur  ce  point  à  Oberlin  :  Melodunum  sic 
codices  omnes.  La  description  du  site  de  cet  oppidum,  la  compa- 
raison qu'on  en  fait  avec  l'emplacement  de  Lutèce,  conviennent  à 
Melun,  dont  le  nom  se  retrouve  avec  une  faible  altération  dans  celui 
de  Melodunum.  César  a  recueilli  sur  les  lieux  celte  forme,  qui  repré- 
sentait probablement  dès  lors  la  prononciation  locale.    Mccletum, 


274  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

dans  l'Itinéraire  A'  Anionin,  M  etcglum  (avec mélathèse),  selon  la  Table 
Tliéodosienne,  Mecledo,  dans  la  lettre  d'un  évèque  de  Sens  au 
sixième  siècle,  offrent,  il  est  vrai,  une  forme  un  peu  différente.  Mais 
en  restituant,  à  l'aide  de  cette  seconde  version  diversement  rapportée; 
la  forme  pleine  Mecletodunum,  on  arrive  à  reconnaître  le  nom  pri- 
mitif, déjà  altéré  dès  le  temps  de  César,  par  la  prononciation  usuelle. 
Melodunum  est  à  Mecletodunum  à  peu  près  ce  que  Lutetia  est  à 
Lucotetia.  Quant  à  la  substitution,  en  cet  endroit,  de  Metiosedum  à 
Melodunum,  c'est  une  conjecture  de  Scaliger,  réfutée  depuis  plus 
d'un  siècle  par  Cellarius,  et  repoussée  également  par  Oberlin.  «  Les 
éditeurs  de  César,  mais  seulement  les  plus  récents,  ont  jeté  ici  une 
grande  perturbation  dans  le  texte,  eu  voulant  effacer  le  nom  de  Me- 
lodunum des  trois  endroits  où  il  est  rapporté,  et  lui  substituer,  contre 
l'autorité  des  manuscrits,  celui  de  Metiosedum  ;  ils  ont  été  induits  à 
cela  par  l'autorité  de  Scaliger,  qui  veut  que  Melodunum  et  Metiose- 
dum soient  le  même  lieu,  malgré  la  distinction  formelle  que  César 
établit  entre  ces  deux  endroits,  plaçant  l'un  en  amont  de  Lutèce,sur 
le  territoire  des  Senones,  et  l'autre  à  quatre  milles  en  aval  de  la 
même  cité.  »  Voilà  ce  que  Cellarius  imprimait  en  1701,  et  M.  de 
Saulcy  a  parfaitement  bien  fait,  selon  moi,  de  s'en  tenir  à  l'opinion 
de  ce  géographe.  Pourquoi,  cependant,  un  critique  tel  que  Scaliger 
était-il  tombé  dans  une  erreur  aussi  grave?  Pourquoi  d'Anville  lui- 
môme  l'a-t-il  partagée?  Pourquoi  tente-t-elle  encore  quelques-uns 
des  esprits  les  plus  distingués  de  notre  époque?  C'est  ce  que  je  m'ef- 
forcerai d'expliquer  dans  la  suite  de  ce  travail. 

J'en  reviens  à  la  marche  de  Labienus  depuis  Melun  jusqu'à  Paris. 
César  n'a  qu'un  mot  pour  cette  marche  :  je  l'ai  déjà  cité;  et  cependant 
l'armée  romaine  devait  rencontrer  un  grand  obstacle  au  passage  de 
la  Marne.  C'était  une  position  facile  à  défendre  pour  Camulogène: 
en  tout  cas,  si  le  général  gaulois  l'avait  négligée,  cela  valait  la  peine 
de  le  dire.  Du  silence  de  César,  il  faut  conclure  que  Labienus  ne  fut 
pas  en  cet  endroit  arrêté  par  ses  adversaires.  Ils  n'avaient  pas  été 
prévenus  de  son  approche;  ils  avaient  besoin  de  se  réserver  une 
retraite  sur  Lutèce,  chose  impossible  avec  -le  parti  qu'ils  prenaient 
de  détruire  les  ponts  de  cette  ville:  ils  comptaient  sans  doute  sur 
l'arrivée  des  Bellovaques  pour  enfermer  Labienus  dans  la  position 
sur  le  bord  de  la  Seine.  Aucune  de  ces  hypothèses  n'est  invrai- 
semblable, et,  faute  ou  calcul,  il  faut  bien  admettre  que  si  Labienus 
est  arrivé  par  la  rive  droite  de  la  Seine,  Camulogène  n'a  pas  défendu 
le  passage  de  la  Marne  à  l'endroit  de  son  embouchure  Ce  passage 
d'ailleurs  était  facile  pour  Labienus,  du  moment  qu'il  n'était  pas 


BATAILLE    LIVREE    PAR    LABIENUS.  2/;j 

inquiété:  il  pouvait  l'opérer  à  l'aide  des  bateaux  dont  il  se  faisait 
accompagner.  C'est  ainsi  sans  doute  qu'il  franchit  l'obstacle, et  César 
n'est  pas  plus  concis  qu'à  l'ordinaire  en  s'abstenantde  le  mentionner. 

Nous  avons  retracé  d'avance  la  marche  suivie  par  Labienus,  en 
approchant  de  Paris,  pour  tourner  le  marais  de  La  rive  droite,  et  cette 
observation  nous  a  conduit  à  marquer  l'endroit  où  il  dut  asseoir  son 
camp.  Ce  que  l'ennemi  fit  de  son  côté  est  rapporté  expressément 
par  César.  Camulogène  était  resté  sur  le  revers  oriental  du  mont 
Lucotitius,  au-dessus  du  marais  de  la  Biévre.  Enivrés  par  une  vic- 
toire trop  facile,  les  Gaulois  se  laissaient  probablement  aller  à  une 
fausse  sécurité.  Ils  n'avaient  pas  encore  remué  que  déjà  les  défen- 
seurs de  Melun.  qui  avaient  pu  s'échapper  de  cette  ville,  annonçaient 
l'approche  des  Romains.  A  cette  nouvelle,  Camulogène  fait  mettre  le 
feu  aux  cabanes  en  bois  dont  se  composait  Lulèce,  et  couper  les  deux 
ponts  qui  unissaient  cette  cité  à  chaque  rive  :  lui-même  il  quitte  le 
marais  de  la  Bièvre,  et  vient  s'asseoir  sur  le  bord  de  la  Seine,  en 
face  de  Lutèce,  à  l'opposé  de  Labienus.  Hostes,  re  cognita  ab  Us  qui  a 
Meloduno  profugerant,  Lutetiam  incendunt  pontesque  ejus  oppidi 
rescindi  jubent  :  ipsi  profecti  a  palude,  in  ripis  Sequanœ,  e  regione 
Lutetiœ,  contra  Labieni  castra  considunt. 

E  regione  Lutetiœ,  contra  Labieni  castra,  les  deux  expressions 
sont  formelles,  et  ne  permettent  pas  une  autre  interprétation  que 
celle  à  laquelle  M.  de  Saulcy  s'est  arrêté.  Labienus  avait  suivi  le 
grand  chemin  qui  l'amenait  au  pont  destiné  à  relier  l'île  de  Lutèi  e  à 
la  rive  droite  du  fleuve.  Trouvant  ce  pont  coupé,  il  disposa  son  camp 
dans  le  voisinage  entre  la  forêt  de  Rouvray  à  l'ouest,  le  marais  à 
l'est,  et  derrière  lui  le  ruisseau,  devenu  aujourd'hui  souterrain, 
mais  alors  à  fleur  de  terre,  qui  sortait  du  marais  et  allait  s'emboucher 
dans  la  Seine,  au  pied  des  hauteurs  de  Chaillot.  Cependant,  on  ne 
peut  s'empêcher  de  remarquer  qu'avec  le  choix  d'un  tel  emplacement 
l'interposition  d'une  île  abandonnée  devait  l'empêcher  de  suivie 
avec  facilité  les  mouvements  de  l'ennemi  sur  l'autre  bord,  et  que 
l'ennemi  lui-même,  en  occupant  la  rive  opposée  de  l'autre  côté  de 
l'île,  se  privait  du  moyen  de  surveiller  les  manœuvres  de  Labienus. 
Mais  si,  comme  tout  porte  à  le  croire,  la  situation  du  pont  au  Change 
est  traditionnelle;  si  c'était  à  la  même  place  que  s'élevait  le  pont 
gaulois,  Labienus,  en  plantant  ses  tentes  sur  la  partie  la  plus  relevée 
du  terrain,  devait  avoir  choisi  plutôt  la  droite  que  la  gauche  du  pont, 
et  de  cette  manière,  sa  ligne  s'étendait  aisément  au  delà  de  la  pointe 
occidentale  de  Lutèce.  C'est  là  une  opinion  à  laquelle  on  se  rendra 
sans  peine,  surtout  si  l'on  réfléchit  qu'à  la  place  du  terre-plein  que 


276  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

surmonte  la  statue  de  Henri  IV,  on  n'a  eu  pendant  le  cours  des 
siècles,  jusqu'à  une  époque  rapprochée  de  la  nôtre,  que  deux  îlots 
très-bas,  et  qui  n"empêchaient  pas  qu'on  se  vît  de  l'une  à  l'autre 
rive.  Qu'on  étende  donc  en  imagination  la  ligne  de  Labienus  depuis 
le  pont  au  Change  jusque  par  delà  le  Pont-Neuf;  qu'on  se  représente 
celle  de  Camulogène  à  partir  du  marché  de  la  Vallée  (dont  le  nom 
indique  une  ancienne  dépression  du  terrain  encore  sensible  à  l'œil) 
.jusqu'aux  environs  de  la  Monnaie  et  du  palais  de  l'Institut,  on  trou- 
vera que  les  deux  armées  pouvaient  être  réciproquement  en  vue, 
sans  pour  cela  que  les  Gaulois  cessassent  de  camper  en  face  de  Lu- 
tèce,  e  régime  Lutetiœ;  et  cette  première  obscurité  du  texte,  légère 
encore  en  comparaison  de  ce  qui  suit,  se  trouvera  dissipée  par  une 
explication  qui  n'a  rien  d'extraordinaire. 

Nous  voici  donc  sur  l'emplacement  même  de  l'armée  de  Camu- 
logène. Les  esprits  y  sont  montés  par  les  nouvelles  qu'on  a  reçues  de 
Gergovie.  César  est  en  fuite,  les  Éduens  ont  fait  défection;  la  Gaule 
se  lève  en  masse;  César,  séparé  des  siens  par  l'obstacle  delà  Loire 
et  par  un  immense  intervalle,  n'a  plus  d'autre  ressource  que  de  se 
rabattre  sur  la  Province.  La  puissante  nation  des  Bellovaques,  à  la 
nouvelle  de  la  résolution  des  Éduens,  s'est  enfin  décidée  à  se  mettre 
en  campagne:  encore  deux  ou  trois  jours,  et  elle  arrive  en  force  sur 
le  dos  de  l'armée  romaine.  Pris  désormais  entre  la  forêt,  les  hauteurs 
du  nord  de  Paris  et  l'embouchure  de  la  Marne,  Labienus  est  perdu  : 
car  si  on  l'a  empêché  de  traverser  le  marais  de  la  Bièvre,  à  combien 
plus  forte  raison  est-il  possible  de  lui  interdire  le  passage  d'un  grand 
tleuve  tel  que  la  Seine?  Jamais,  même  devant  Alesia,  les  Gaulois  ne 
crurent  le  salut  de  leur  patrie  plus  assuré. 

Labienus,  de  son  côté,  se  rendait  parfaitement  compte  dudangerde 
sa  position.  Tum  Labienus,  tanta  rerum  commututione,  longe  aliud  sibi 
capiendum  consilium  atque  antea  senscmt,intelligebat  ;  il  ne  s'agissait 
plus  pour  lui  de  terrain  à  gagner  par  les  combats  de  chaque  jour  : 
uequejam,ut  aliquid  acquireret^prœlioquehostes  lucesseret;  il  ne  lui 
restait  plus  qu'un  parti  à  prendre,  c'était  de  ramener  son  armée  intacte 
dans  Agedincum  :  sed  ut  incolumem  exercitum  Agedincum  reduceret, 
cogitabat.  D'un  côté  les  Bellovaques,  peuple  qui  passait  pour  le  plus 
brave  de  la  Gaule,  de  l'autre  Camulogène  avec  une  armée  organisée 
et  toute  prête,  le  serraient  de  près;  Namque  altéra  ex  parte  Bellovaci, 
quœ  civitus  in  Gallia  maximum  habet  opinionem  virlutis,  instabant  ; 
alteram  Cumulogenus,parato  atque  instructo  exercitu  tenebat.  Com- 
ment franchir  le  fleuve  considérable  qui  le  séparait  de  son  refuge  et 
de  ses  magasins?  Tum  legiones  a  prœsidio  atque  impedimentis  inter- 


BATAILLE    LIVRÉE   PAR    LABIENUS.  il  i 

clusas  maximum  {lumen  distinebat.  Un  coup  d'audace  pouvait  seul  le 
tirer  d'un  péril  aussi  imminent  :  Tantis  subito  diflitultatibus  objectis 
ab  animi  virtute  auxilium  petendum  videbat. 

Le  problème  que  Labienus  avait  à  résoudre  consistait  à  dérober 
sa  marche  à  Camulogène,  en  franchissant  le  fleuve  sans  que  celui-ci 
s'en  aperçût  à  temps  pour  lui  disputer  le  passage  :  revenir  sur  ses 
pas  par  la  rive  droite,  c'était  à  quoi  il  ne  fallaitplus  penser,  à  cause 
de  l'approche  des  Bellovaques  :  la  rive  gauche  pouvait  seule  le  mettre 
hors  de  portée  de  ce  nouvel  et  redoutable  ennemi;  ou  du  moins, 
comme  il  ne  pouvait  pensera  rentrer  dans  Agedincum  sans  avoir 
écrasé  Camulogène,  connaissant  les  Gaulois,  il  espérait,  par  une  vic- 
toire, non-seulement  renverser  la  coalition  qui  lui  fermait  le  passage, 
mais  encore  frapper  de  stupeur  ceux  même  qui  n'étaient  pas  encore 
engagés. 

Labienus  avait  avec  lui  quatre  légions;  il  s'en  réserve  trois,  et 
compromet  provisoirement  la  quatrième,  celle  sur  la  solidité  de 
laquelle  il  pouvait  le  moins  compter,  afin  de  sauver  les  autres.  Dans 
un  conseil  de  nuit,  il  arrête  le  plan  des  fausses  attaques  qui  doivent 
dissimuler  son  mouvement  principal.  Il  veut  que  l'attention  de  l'en- 
nemi soit  attirée  sur  deux  côtés  à  la  fois,  afin  de  dérober  à  sa  vigi- 
lance le  troisième  point  et  le  plus  essentiel.  Par  ses  soins,  la  légion 
qui  doit  rester  en  arrière  est  divisée  en  deux  moitiés  de  cinq  cohortes 
chacune  :  la  première  a  pour  mission  de  remonter  la  rive  droite  avec 
un  grand  bruit;  quoique  Labienus  ait  laissé  ses  magasins  dans  Age- 
dincum, il  n'a  pu  se  mettre  en  marche  sans  effets  de  campement;  les 
chariots  qui  les  portent  accompagneront  les  cinq  cohortes  dirigées 
vers  l'est,  afin  de  suppléer  au  nombre  par  l'agitation  :  c'est  ce  que 
signifie  l'expression  cum  omnibus  impedimenlis,  qui  semble  au  pre- 
mier abord  en  contradiction  avec  ce  qu'on  a  lu  précédemment... 
subplemento . . .  relicto  Agedinci,  ut  esset  impedimenlis  prœsidio. 

Ce  n'est  point  assez  :  le  général  romain  n'avait  amené  de  Melun  que 
de  grand  bateaux  de  commerce,  naves  ;  il  les  réserve  pour  le  transport 
des  trois  légions  qui  doivent  passer  la  rivière.  Ce  n'aurait  été  qu'à 
l'aide  d'un  halage  lent  et  pénible  qu'on  aurait  pu  faire  remonter  ces 
lourdes  embarcations.  Il  rassemble  de  tous  côtés  des  batelels,  lintres, 
et  de  même  qu'il  a  compté  sur  le  bruit  que  feraient  les  chariots  joints 
aux  cinq  cohortes  détachées  de  la  quatrième  légion,  il  recommande 
aux  rameurs  embarqués  sur  les  batelets  de  faire  le  plus  de  fracas 
possible  avec  leurs  rames,  en  remontant  la  rivière  dans  la  même 
direction  que  les  cinq  cohortes  :  conquirit  etiam  lintres;  lias  magno 
sonitu  remorum  incitatas  in  eamdem  partem  mittit.  On  voit  que 


278  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

j'admets,  sans  hésiter,  la  distinction  très-neuve  et  très-solide,  selon 
moi,  établie  par  M.  de  Saulcy  entre  les  naves  et  les  linlres:  cette 
distinction  contribue  notablement  à  éclaircir  le  texte;  on  aurait 
grand  tort  de  la  négliger. 

Restaient  de  la  légion  divisée  cinq  cohortes,  considérées  par  La- 
bienus  comme  les  moins  propres  aux  combats  :  quinque  cohortes, 
quas  minime  firmas  ad  dimicandum  esse  existimabat ;  proie  assurée 
d'avance  aux  Bellovaci,  encore  plus  que  les  cinq  autres,  si  Labienus 
avec  ses  trois  légions  n'avait  pu  qu'imparfaitement  triompher  de  Camu- 
logène. César  semble  dire  que  Labienus  s'est  contenté  de  laisser  ces 
cinq  cohortes  de  mauvaises  troupes  à  la  garde  de  son  camp...  castris 
prœsidio  relinquit.  Mais  quand  le  récit  revient  a  Camulogène,  on 
s'aperçoit  que  l'historien  n'a  pas  tout  dit  en  exposant  le  plan  de  Labie- 
nus. En  effet,  le  général  gaulois  se  figure,  à  l'approche  du  jour,  que 
les  Romains  ont  l'intention  de  passer  la  rivière  en  trois  endroits, 
quod  existimabant  tribus  locis  transire  legiones;  ce  qui  le  jette  dans 
cette  erreur,  c'est,  d'une  part,  qu'on  a  entendu  une  grande  troupe 
remonter  le  fleuve  et  le  bruit  des  rames  retentir  dans  la  même  di- 
rection, magnum  ire  agmen  adverso  flumine,  sonitumque  remorum  in 
eadem  parte  exaudiri;  c'est,  de  l'autre,  que  ses  vedettes  lui  ont 
appris  que  des  navires  transportaient  des  troupes  en  aval  de  la  posi- 
tion des  deux  armées,  paulo  infra  milites  navibus  transportai  ;  c'est 
enfin  qu'une  agitation  inaccoutumée  s'est  manifestée  dans  le  camp 
romain.,  in  castris  Romanorum  prœter  consuetudinem  tumultuari; 
et  cette  agitation  n'est  pas  seulement  le  résultat  du  départ  des  cinq 
premières  cohortes,  autrement  Camulogène  n'aurait  cru  qu'à  deux 
tentatives  de  passage.  Ce  qu'il  faut  donc  suppléer,  dans  l'exposition 
du  plan  de  Labienus,  c'est  le  rôle  départi  aux  cinq  dernières 
cohortes,  et  qui  consistait  à  simuler  un  mouvement  extraordinaire, 
comme  si  leur  intention  eût  été  d'essayer  une  attaque,  soit  contre 
l'île,  soit  contre  la  rive  opposée.  Cette  division  des  forces  romaines 
n'aurait  pas  fait  honneur  à  la  prudence  de  Labienus  ;  mais  César  fait 
entendre  que  le  vieux  Camulogène  avait  cédé  à  la  confiance  un  peu 
étourdie  de  sa  nation.  Il  jugeait  d'après  la  position  des  Romains  que 
leur  général  avait  dû  perdre  la  tête  à  la  nouvelle  de  la  défection  des 
Éduens.  Ce  que  celui-ci  préparait,  ce  n'est  pas  une  retraite,  mais 
une  débandade;  l'armée  romaine,  désorganisée,  cherchait  par  trois 
endroits  différents  son  salut  dans  sa  fuite,  quod  existimabant  tribus 
locis  transire  legiones,  atque  omnes  perturbatos  defectione  Mduorum 
fugam  parare. 

Si  l'on  a  suivi  avec  quelque  attention  jusqu'ici  le  commentaire  que 


BATAILLE   LIVRÉE  PAR   LABIENUS.  279 

j'ai  donné  du  texte  de  César,  on  retrouvera  sans  doute  en  germe, 
dans  ce  texte,  tous  les  éléments  du  récit.  Mais  on  n'aura  pas  de  peine 
à  s'apercevoir  qu'il  faut  une  attention  peu  commune  pour  dégager 
quelques-uns  de  ces  éléments  et  leur  rendre  la  place  qui,  dans  l'ex- 
position des  faits,  leur  appartient  nécessairement,  quelque  rapide 
qu'on  la  suppose. 

Nous  arrivons  à  quelque  chose  de  plus  grave,  c'est-à-dire  aux 
circonstances  qui  présentent  des  caractères  d'impossibilité.  César  dit 
expressément  qu'à  la  môme  heure  et  vers  la  pointe  du  jour,  uno 
fere  tempore  sub  lucem,  Camulogéne  eut  connaissance  des  mouve- 
ments vrais  ou  feints  de  Labienus.  Je  ne  m'arrête  pas  à  discuter  le 
sens  de  l'expression  sub  lucem,  quoique  les  lexicographes  ne  l'aient 
pas  éclaircie.  Contre  l'ordinaire,  il  existe  une  différence  essentielle 
entre  sub  luce  et  sub  lucem.  Sub  luce ,  qui  se  rencontre  fréquemmenl 
dans  les  auteurs,  veut  dire  en  plein  jour;  sub  lucem,  dans  César,  in- 
dique certainement  les  derniers  moments  de  la  nuit,  puisque  après 
cela  le  récit  rapporte  ce  qui  se  passa  prima  luce,  c'est-à-dire  aux 
premiers  moments  du  jour.  Mais  s'il  n'existe  pas  de  doute  sur  la 
valeur  de  l'expression,  on  a  bien  de  la  peine  à  admettre  que  les 
Gaulois  aient  attendu  l'approche  du  jour,  dans  une  saison  surtout  où 
la  nuit  est  courte,  pour  s'apercevoir  de  ce  qui  se  passait  dans  l'armée 
romaine. 

Labienus  tient  conseil  vers  le  soir,  sub  vesperum  concilio  convocato, 
et  il  n'attend  que  la  nuit  close  pour  mettre  à  exécution  ce  qui  a  été 
décidé  dans  ce  conseil.  Des  trois  partis  arrêtés, 'le  plus  important 
demandait  sans  doute  le  plus  de  temps  :  on  ne  pouvait  mettre  en 
mouvement  cinquante  grands  bateaux  sans  éveiller  l'attention  de 
l'autre  rive.  César,  il  est  vrai,  semble  prévoir  l'objection;  le  soin 
que  l'ennemi  avait  pris  de  disposer  des  vedetles  tout  le  long  du 
tleuve  fut  inutile,  un  violent  orage  s'étant  tout  à  coup  déclaré, 
quod  magna  subito  erat  coorta  tempestas  :  mais  le  moment  précis  de 
cet  orage  reste  encore  à  fixer,  el,  suivant  toute  vraisemblance,  il 
n'éclata  qu'au  moment  où  le  passage  de  l'armée  avait  lieu  à  quatre 
milles  en  avant  de  Lutéce.  Quoi  qu'il  en  soit,  Labienus  n'avait  pas  de 
temps  à  perdre,  tant  pour  exécuter  son  entreprise  principale  que 
pour  en  détourner  l'attention  de  l'ennemi,  et  je  suis  disposé  à  croire 
que  l'exécution  de  tout  le  plan  fut  à  peu  près  simultanée.  Dès  avanl 
le  milieu  de  la  nuit,  on  devait  entendre  dans  le  camp  gaulois,  et 
l'agitation  qui  s'était  emparée  de  celui  des  Romains,  et  les  chariots 
qui  roulaient  lourdement  pur  la  rive  droite  à  rebours  du  courant,  et 
les  rames  qui  frappaient  la  rivière  de  conserve  avec  les  chariots. 


280  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE, 

Si,  par  ses  rumeurs  étudiées,  l'attention  de  Camulogène  fut  quelque 
temps  distraite  de  ce  qui  se  passait  au-dessous  de  Paris,  il  ne  tarda  pour- 
tant pas  à  apprendre  qu'un  mouvement  de  bateaux  avait  lieu  aussi  de 
ce  côté,  et  c'est  la  réunion  de  ces  indices  qui  lui  fit  croire  à  trois  ten- 
tatives de  passage.  Mais  tout  en  se  décidant  à  y  opposer  un  triple 
obstacle,  il  les  appréciait  diversement;  car  autrement,  pourquoi 
César  vanterait-il  le  stratagème  de  son  lieutenant?  On  faisait  plus 
de  bruit  qu'à  l'ordinaire  dans  le  camp  des  Romains,  in  castris  Roma- 
norum  prœter  consuetudinem  tumultaari,  on  transportait  des  soldats 
dans  des  bateaux  en  aval  de  Lutèce,  paulo  infra  milites  navibus 
transportari  ;  sur  ces  deux  points,  il  croyait  donc  à  des  menaces  sé- 
rieuses; mais  en  remontant  la  Seine,  les  indications  étaient  bien  plus 
importantes.  Une  grande  troupe,  l'armée  presque  entière  semblait 
suivre  cette  direction,  magnum  ire  agmen  adverso  flumine,  et  l'on 
entendait  du  môme  côté  un  grand  bruit  de  rames,  sonitumque  remo- 
rtim  in  eadem  parte  exaudiri.  C'est  d'après  ces  renseignements  que 
Camulogène  se  décide  :  il  laisse  une  partie  de  ses  troupes  à  la  garde 
de  son  camp,  en  face  de  celui  des  Romains,  prœsidio  e  regione  cas- 
trorumrelicto;  et  comme  il  juge  moins  important  le  mouvement  qui 
avait  lieu  dans  la  basse  Seine,  il  n'envoie  de  ce  côté  qu'un  faible 
corps  d'observation,  en  lui  recommandant  d'aller  aussi  loin  que  les 
bateaux,  afin  d'être  en  mesure  de' s'opposer  au  débarquement  des 
troupes  qu'ils  portaient,  parva  manu  Metiosedum  versus  missa,  quœ 
tantum  progrederetur  quantum  naves  processissent ;  enfin  il  se  dirige 
lui-même  à  la  tête  du  gros  de  son  armée  vers  le  point  où  il  croyait 
rencontrer  Labienus,  reliquas  copias  contra  Labienum  duxerunt. 

La  conséquence  à  laquelle  je  viens  d'arriver  semble  tellement 
forcée  que  si  nous  n'avions  des  Commentaires  qu'un  manuscrit 
unique,  et  si  ce  manuscrit  eût  présenté  une  lacune  après  les  mots 
que  je  viens  de  transcrire,  on  n'aurait  pu  les  entendre  autrement 
que  je  ne  l'ai  fait.  Mais  cette  interprétation  semble  contredite  par  ce 
qui  suit  immédiatement  dans  le  texte  :  Prima  luce  et  noslri  omnes 
erant  transportât!  et  hostium  acies  cernebatur.  «  Le  jour  venu,  le 
passage  de  nos  troupes  était  achevé,  et  l'on  avait  en  vue  l'armée 
ennemie.  »  Les  bateaux,  après  être  descendus  à  quatre  milles  en  aval 
de  Lutèce,  ayant  embarqué  les  troupes,  avaient  surpris  les  vedettes 
ennemies,  exploratores  hostium,  dont  l'orage  avait  trompé  la  vigi- 
lance; accablées  inopinément,  les  vedettes, qui  ne  formaient  pas  une 
troupe  particulière,  mais  qui  faisaient  partie  des  surveillants  disposés 
tout  le  long  du  fleuve  (ut  omni  fluminis  parte  erant  dispositif  inopi- 
nantes... ab  nostris  opprimuntur),  n'avaient  pu  s'opposer  au  débar- 


BATAILLE   LIVREE   PAR   LABIENUS.  281 

quement.  Labienus,  ayant  franchi  le  principal  obstacle,  revenait  sur 
Paris,  et  c'est  dans  cette  marche  qu'il  rencontre  Camulogène  et  son 
armée. 

Si  les  choses  se  sont  ainsi  passées,  ou,  comme  d'autres  l'ont  cru, 
le  général  gaulois  n'avait  envoyé  qu'une  faible  troupe,  parvamanus, 
en  amont  du  fleuve,  du  côté  où  l'on  entendait  pourtant  le  plus  de 
bruit;  ou,  conformément  à  l'opinion  développée  par  M.  de  Saulcy, 
Camulogène,  instruit  à  temps  du  principal  mouvement  de  l'armée 
romaine,  après  s'être  fait  précéder  d'une  petite  troupe  qui  allait  en 
reconnaissance  dans  la  direction  suivie  par  Labienus,  arrivait  à  peu  de 
distance  avec  ses  principales  ressources,  de  manière  à  remédier  aux 
conséquences  funestes  du  débarquement. 

La  première  opinion  est  selon  moi  inadmissible  :  Camulogène  ne 
peut  avoir  envoyé  le  moins  de  troupes  là  où  il  entendait  le  plus  de 
bruit;  je  le  répète,  le  stratagème  de  Labienus  ne  valait  pas  la  peine 
d'être  mentionné,  s'il  n'avait  pas  mieux  réussi;  la  seconde  opinion 
est  fondée,  mais  tout  est  dans  la  question  de  l'heure.  Sub-  lucem,  au 
point  du  jour,  Camulogène  était  déjà  informé  de  la  surprise  de  ses 
vedettes  et  du  passage  de  la  Seine.  Vaguement  instruit  d'un  mouve- 
ment de  l'armée  romaine  au-dessous  de  Lutèce,  il  avait  bien  détaché 
quelques  troupes  dans  cette  direction;  mais  en  apprenant  que  La- 
bienus se  trouvait  en  force  au  lieu  du  débarquement,  il  n'hésite  pas 
à  croire  que  ses  soldats,  en  trop  petit  nombre,  seraient  aisément 
balayés  par  la  cavalerie  romaine.  Toutefois,  un  temps  précieux 
s'était  perdu  dans  les  fausses  manoeuvres  de  la  nuit;  il  avait  fallu 
l'apparition  du  jour  pour  lui  faire  apercevoir  distinctement  les  objets. 
En  face  de  son  camp,  celui  des  Romains,  où  ne  se  trouvaient  plus 
que  cinq  cohortes,  était  vide  et  désormais  silencieux.  Vers  le  levant, 
dont  il  est  pour  ainsi  dire  nécessaire  qu'il  eût  pris  d'abord  la  di- 
rection, les  bateaux  qui  avaient  fait  tant  de  bruit  n'étaient  que  de 
minces  nacelles,  et  la  rive  droite  n'offrait  à  ses  yeux  que  quelques 
soldats  épars.  Il  avait  supposé  dans  Labienus  l'intention  de  débar- 
quer entre  l'embouchure  de  la  Bièvre  et  le  mont  Lucotitius,  sur 
l'emplacement  du  Jardin  des  Plantes  et  de  l'Entrepôt  des  vins;  il 
apprenait  que  le  passage  avait  eu  lieu  à  deux  lieues  et  demie  au 
delà,  vers  le  Bas-Meudon.  Force  lui  était  de  revenir  immédiatement 
sur  ses  pas,  et  d'offrir  promptement  une  ligne  de  bataille  à  l'armée 
de  Labienus  reformée  sur  la  rive  gauche.  Ce  changement  de  front  se 
lit  assez  rapidement  pourquelechoc  des  Gaulois  et  des  Homains  eut 
lieu  dans  la  matinée.  Mais  tous  les  avantages  étaient  désormais  du 
côté  de  Labienus  ;  il  arrivait  en  bon  ordre,  et  ses  adversaires  n'avaient 
iv.  19 


282  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

pas  eu  le  temps  de  reformer  leur  ligne.  Le  terrain  d'ailleurs  ne  leur 
était  pas  propice;  sur  leur  droite,  ils  pouvaient  profiter  de  l'élévation 
du  sol  à  la  hauteur  de  la  rue  des  Saints-Pères,  et  c'est  pourquoi 
leur  résistance  en  cet  endroit  fut  plus  acharnée;  sur  leur  gauche, 
au  contraire,  et  à  la  droite  des  Romains,  la  dépression  du  terrain 
entre  la  hutte  de  la  rue  des  Saints-Pères  et  le  plateau  de  Montrouge 
offrait  à  la  légion  romaine  une  supériorité  décidée  sur  des  troupes  plus 
braves  que  rompues  à  la  discipline:  aussi  Lahieuus  en  eut-il  bon  mar- 
ché. Après  les  avoir  dispersées,  il  put  ensuite  tourner  la  position,  eten- 
velopper  la  butte  où  Camulogène  en  personne  opposait  une  résistance 
désespérée.  On  sait  qu'en  cet  endroit  les  Gaulois  se  firent  tuer 
jusqu'au  dernier,  y  compris  leur  chef.  Les  troupes  restées  à  la  garde 
du  camp  reprirent  vainement  la  colline  si  héroïquement  disputée: 
une  dernière  charge  des  Romains  les  mit  en  fuite. 

Dans  l'analyse  qui  vient  d'être  présentée,  j'ai  circonscrit  autant 
que  possible  les  expressions  du  texte,  dans  lequel  se  laissent  aper- 
cevoir des  inexactitudes,  et  je  me  suis  efforcé  de  marquer  les  lacunes 
que  l'historien  a  laissées  dans  son  récit.  Je  résume  ici  en  peu  de  mots 
ces  points  si  essentiels  à  déterminer. 

Ainsi  j'ai  fait  voir  qu'il  était  impossible  que  Camulogène  eût  appris 
tout  à  la  fois  et  seulement  à  l'approche  du  jour,  uno  fere  temporesub 
lucem,  ce  qui  se  passait  dans  l'armée  romaine.  Le  mouvement  qui 
avait  lieu  dans  le  camp  et  en  amont  de  Lutèce  avait  dû  fixer  son 
attention  dès  les  premières  heures  de  la  nuit.  Pour  que  Labienus  ac- 
complit tout  son  projet,  c'est-à-dire  pour  qu'après  avoir  détaché  les 
grands  bateaux,  divisé  cinq  cohortes  du  côté  de  Gharenton,  et  ras- 
semblé des  batelets  afin  de  leur  faire  remonter  le  fleuve,  il  pût 
immédiatement  après  paullo  post,  sortir  du  camp  en  silence  et  re- 
joindre avec  ses  trois  légions  les  bateaux  qui  l'attendaient  à  quatre 
milles  en  aval  de  Lutèce,  embarquer  ses  troupes  en  cet  endroit  et 
surprendre  les  vedettes  sur  l'autre  rive;  pour  que  la  nouvelle  du 
succès  de  ce  coup  de  main  parvint  aux  oreilles  de  Camulogène,  il  ne 
fallait  pas  moins  de  quatre  grandes  heures,  et  l'on  conçoit  que  Camu- 
logène n'ait  appris  qu'à  l'approche  du  jour,  sub  lucem,  ce  que  La- 
bienus avait  fait  en  personne.  Mais  dire,  comme  le  fait  César,  qu'au 
môme  moment  et  seulement  un  peu  avant  l'aube,  les  rumeurs  parties 
des  trois  points  différents  arrivèrent  pour  la  première  fois  à  Camulo- 
gène,c'est  pailer  contie  toute  vraisemblance.  Entre  sub  lucem,  à 
l'approche  du  jour,  et  prima  lace,  au  point  du  jour,  il  ne  peut  y 
avoir  qu'un  faible  intervalle.  Cependant,  comment  admettre  que 
Camulogène,  averti  à  l'approche  du  jour  que  Labienus  avait  passé  la 


BATAILLE    LIVRER    PAR    LABIENUS.  283 

Seine  à  Meudon,  fût  en  mesure  d'engager  la  bataille  au  point  dû 
jour? prima  luce  et  nostri  erant  transportati  et  hostium  acies  cerne- 
batur.  Si  à  ce  moment  les  soldats  de  Labienus  aperçurent  l'en- 
nemi, ils  ne  pouvaient  avoir  en  vue  que  la  petite  troupe,  parva 
manus,  envoyée  à  leur  rencontre.  Mais,  pour  le  gros  de  l'armée 
gauloise,  on  ne  saurait  admettre  qu'ils  fussent  encore  arrivés. 
L'expression  prima  luce,  contre  l'usage,  comprend  donc  les  premières 
heures  de  la  matinée. 

Une  expression  qui,  je  le  crains,  joint  l'obscurité  à  l'inexactitude, 
n'a  pas  jusqu'ici  attiré  notre  attention.  En  même  temps  que  Camu- 
logène  apprenait  que  le  camp   romain  était  en   rumeur,  que  des 
troupes  remontaient  la  rive  droite,  et  qu'un  grand  bruit  de  rames  se 
faisait  entendre  dans  1 1  même  direction,  on  venait  lui  dire  qu'un 
peu  au-dessous,  des  soldats  étaient  transportés  dans  des  bateaux, 
paullo  infra  milites  navibus  transpor tari. Que  signifie  ce  paullo  infrai 
S'agit-il  d'un  point  de  débarquement  situé  à  peu  de  distance  de  l'en- 
droit où  le  bruit  des  rames  se  faisait  entendre?  Des  critiques  très- 
autorisés  l'ont  cru,  et  cette  interprétation  erronée  a  jeté  pour  eux 
un  trouble  irrémédiables  dans  l'intelligence  du  morceau.  Alais  si 
nous  comparons  ce  récit  des  impressions  reçues  par  Camulogène 
avec  ce  que  l'auteur  disait  auparavant  de  l'exécution  du  plan  de  La- 
bienus, on  voit  qu'il  ne  peut  être  question  dans  le  membre  de 
phrase  discuté  que   des  navires  détachés  avec  ordre  de  descendre  le 
fleuve  jusqu'à  la   distance  de  quatre  nwlles  au-dessous  de  Lutèce, 
quatuor  millia  passuum  secundo  flumine  progredi.  Ces  navires,  qui 
devaient  attendre  Labienus  au  point  convenu,  étaient  destinrs  à 
transporter  des  troupes;  mais  ils  n'en  avaient  pas  a  bord   quand 
ils  se   mirent  en  mouvement.  Or  si  paullo  infra  (malgré  le  voisi- 
nage des  mots  in  eadem  parte)  ne  s'applique  pas  à  ce  qui  avait  lieu 
en  amont  de  Lutèce,  mais  doit  se  rapporter  à  la  position  centrale 
occupée  par  Camulogène,  il  faut  l'entendre  de  ce  qui  s'était  passé 
prima  confecta  vigilia,  quand  les  vedettes  gauloises  purent  s'aper- 
cevoir que  des  bateaux  descendaient  le  courant  à  peu  de  distance  de 
Lutèce.  Lorsque  ces  bateaux  furent  arrivés  à  destination  et  qu'on  eut 
mis  des  troupes  à  bord,  ils  étaient  bien  infra  par  rapporta  Lutèce  et 
à  Camulogène,  mais  ils  n'étaient  plus  paullo  infra.  Camulogène,  à 
mesure  que  la  nuit  avançait,  dut  recevoir  plusieurs  messages  :  le 
dernier  fut  celui  qui  lui  apprit  que  des  troupes  passaient  dans  les 
bateaux,  et  nécessairement  il  n'arriva  qu'à  rapproche  du  jour. 

Cette  seconde  inexactitude    d'expression  est  la  conséquence  de 


284  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

la  première.  Le  procédé  de  l'historien  a  consisté  à  réunir  pour 
ainsi  dire  en  bloc  tous  les  événements  de  la  nuit,  en  reportant  à 
l'extrême  limite  du  temps  ce  point  précis  qui  les  rassemble.  Il  suffit 
d'être  averti  de  ce  procédé  pour  éviter  les  inconvénients  qu'il  doit 
produire. 

La  conséquence  la  plus  grave  qui  en  résulte  est  l'omission  du  récit 
des  manœuvres  dans  lesquelles  Camulogène,  trompé  par  de  fausses 
observations,  perdit  la  plus  grande  partie  de  la  nuit,  jusqu'au  moment 
où,  averti  enfin  du  passage  opéré  par  Labienus,  il  se  porta  le  plus 
rapidement  possible  au-devant  de  ce  général.  Pour  arriver  à  cette 
rencontre,  je  laisse  à  Labienus  la  plus  longue  route  à  parcourir;  car 
il  dut  y  employer  les  dernières  heures  de  la  nuil,  tandis  que  je  fais 
arriver  Camulogène  seulement  à  la  double  butte  que  couvrit  plus 
tard  l'abbaye  de  Saint-Germain  du  côté  du  sud  et  de  l'ouest,  et  qu'on 
retrouve  encore  au  sommet  de  la  rue  de  Tournon  et  de  la  rue  des 
Saints-Pères.  Avant  que  ces  buttes  n'eussent  été  en  partie  nivelées, 
elles  devaient  offrir  une  position  militaire  assez  passable.  Je  laisse 
au  lecteur  à  choisir  entre  les  deux,  à  moins  qu'il  n'aime  mieux  les 
considérer  comme  les  deux  exlrémités  d'un  relief  du  terrain  qui 
a  bien  pu  recevoir  le  nom  de  collis.  S'il  fallait  opter  à  toute  force, 
je  donnerais  la  préférence  à  la  butle  de  la  rue  des  Saints-Pères 
comme  plus  occidentale  et.  par  conséquent,  plus  rapprochée  de  La- 
bienus. De  même,  quand  les  troupes  laissées  à  la  garde  du  camp 
gaulois  reprirent  la  position  où  Camulogène  avait  déjà  péri,  en 
partant  du  point  qu'elles  occupaient  sur  le  bord  de  la  rivière,  vers 
le  bas  de  ce  qui  fut  plus  tard  le  clausum  arcis,  ou  Jardin  du  palais  des 
empereurs,  appelé  par  corruption  dans  le  moyen  âge  le  clos  de  Laas, 
elles  avaient  moins  d'espace  à  parcourir  pour  arriver  au  sommet  de 
a  rue  des  Saints-Pères  que  pour  atteindre  à  celui  de  la  rue  de 
Tournon. 

Les  points  essentiels  que  j'ai  touchés  dans  cette  dissertation  ont 
été  déterminés  par  M.  de  Saulcy  avec  une  sagacité  remarquable.  En 
restreignant,  comme  je  l'ai  fait,  la  ligne  de  bataille  des  Gaulois  lois 
du  dernier  engagement,  j'écarte  louteallusion  au  nom  de  Montrouge, 
ou  à  celui  de  Vitry,  en  latin  Victoriacum.  Avant  nous,  Henri  de 
Valois  avait  fait  remarquer  qu"il  y  a  bien  trop  de  Vitry  en  France 
pour  que  ce  nom  se  rapporte  partout  au  souvenir  d'une  victoire.  Les 
relevés  officiels  nous  fournissent  en  effet  treize  communes  du  nom 
de  Vitry,  et  dans  le  nombre,  on  en  compte  nécessairement  plus  d'une 
dont  le  nom  provient  plutôt  de  quelque  Victor  ou  Victorius.  L'attri- 


BATAILLE    LIVRÉE   PAR    LABIENUS.  285 

butif  en  acus,  usité  chez  les  Latins,  mais  dominant  dans  les  idiomes 
celtiques,  peut,  suivant  les  doctes  observations  de  notre  confrère 
M.  Le  Prévost,  servir  de  support  à  toute  espèce  de  chose  ou  d'idée  : 
toutefois,  dans  le  plus  grand  nombre  de  cas,  il  se  joint  comme  dési- 
nence au  nom  d'un  propriétaire  ou  d'un  fondateur;  c'est  ce  qui  fait 
que,  pour  nous,  la  forme  Victoriacum,  frappante  au  premier  abord, 
n'offre  pourtant  pas  une  signification  remarquable.  On  ne  compren- 
drait pas  que  Labienus,  après  avoir  remporté  la  victoire  dans  le 
faubourg  Saint-Germain,  fût  allé  en  dresser  le  monument  sur  la  hau- 
teur de  Vitry,  à  deux  lieues  du  champ  de  bataille. 

Arrivé  à  ce  point  de  mon  travail,  il  me  semble  que  la  difficulté 
soulevée  à  l'occasion  de  la  position  réciproque  ou  commune  de  Melo- 
dunum et  de  Metiosedum  peut  se  résoudre  sans  beaucoup  de  peine. 
Suivant  le  texte  adopté  par  les  éditeurs  les  plus  estimés,  Melodunum 
est  nommé  trois  fois,  et  Metiosedum  une  seule  fois.  Dans  les  trois 
premiers  passages,  il  s'agit  du  même  lieu,  c'est-à-dire  d'un  oppidum 
situé  dans  une  île  de  la  Seine  en  amont  de  Paris;  par  le  quatrième, 
Nicolas  Sanson  et  Henri  de  Valois  ont  cru,  au  dix-septième  siècle, 
que  César  avait  voulu  indiquer  une  localité  différente,  voisine  de  la 
Seine,  mais  en  aval  du  fleuve  par  rapport  à  Paris.  Au  dix-huitième 
siècle  au  contraire,  l'abbé  Le  Beuf  et  d'Anville  furent  d'avis  que  sous 
les  deux  noms,  et  même  sous  un  seul,  l'historien  n'avait  entendu 
parler  que  d'une  seule  ville.  M.  de  Saulcy  en  est  revenu  à  l'opinion 
du  dix-septième  siècle,  et  c'est  aussi  celle  que  nous  embrassons  sans 
hésiter. 

Notre  conviction,  comme  celle  de  notre  confrère,  s'appuie  sur 
le  rapprochement  indispensable  de  deux  membres  de  phrase.  La- 
bienus a  d'abord  donné  l'ordre  aux  bateaux  qu'il  avait  amenés  de 
Melodunum  de  descendre  au  fil  de  l'eau  à  quatre  milles  au-dessous 
de  Lutèce,  naves,  quas  a  Meloduno  deduxerat  ..,  quatuor  millia  pas- 
suum  secundo  flumine  progredi...  jubet:  plus  loin,  il  est  question  de 
la  petite  troupe  que  Camulogène  envoya  dans  la  direction  de  Metio- 
sedum, avec  ordre  de  s'arrêter  au  même  point  que  les  bateaux  expé- 
diés par  Labienus,  parva  manu  Metiosedum  versus  missa,  quœ  tan- 
tum  progrederetui\  quantum  naves  processissent.  Sans  doute,  il  ne 
résulte  pas  nécessairement  de  lacomparaison  decesdeux  passages  que 
Metiosedum  fût  situé  en  effet  à  quatre  milles  au-dessous  de  Paris.  Mais 
la  relation  des  deux  membres  de  phrase  est  d'une  telle  évidence  qu'il 
en  faut  conclure  à  la  situation  de  Metiosedum  en  aval  de  Lutèce.  Or 
il  se  trouve  que  précisément  à  quatre  milles  romains  au-dessous  de 


286  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

Paris,  à  l'endroit  où  Labienus  dût  faire  passer  son  armée,  une  col- 
line qui  s'élève  au-dessus  de  la  Seine  porte  un  village  dont  le  nom 
offre  autant  de  ressemblance  avec  celui  de  Metiosedum,  qu'on  a  pu 
en  constater  dans  les  trois  premiers  passages  enlre  le  nom  actuel  de 
la  ville  clairement  désignée  par  César,  et  l'appellation  de  Melodu- 
num  dont  il  fait  usage.  La  question  étant  ainsi  posée,  il  faut  conclure 
avecSanson,  Henri  de  Valois  et  M.  de  Saulcy,  contre  Le  Beuf  et 
d'Anville,  que  César  a  parlé  de  deux  localités  différentes  dont  l'une 
est  Meudon,  de  même  que  l'autre  correspond  à  Melun. 

Le  Beuf,  dans  l'Histoire  du  diocèse  de  Paris,  tout  en  convenant 
que  le  nom  de  Meudon  avait  une  origine  celtique,  ne  rencontrait  rien 
que  de  très-moderne  dans  les  souvenirs  de  cette  localité.  Mais  depuis 
quelques  années  elle  a  recouvré  en  quelque  sorte  ses  titres  de  no- 
blesse. Le  vaste  ossuaire  surmonté  de  pierres  gigantesques  qu'on  y 
a  découvert  indique  avec  certitude  une  localité  qui,  dans  les  temps 
antérieurs  aux  Romains,  devait  jouir  d'une  assez  grande  importance. 
Mais  n'eussions-nous  pas  ce  témoignage  précieux,  l'explication  pro- 
posée par  les  géographes  du  dix-septième  siècle  n'en  serait  pas  moins 
assuiée.La  position  occupée  par  Meudon  a  quelque  chose  d'assez 
saillant  pour  que  les  Gaulois,  qui  habitaient  ordinairement  les  hau- 
teurs, n'aient  pas  dû  la  négliger.  C'est  peu  de  chose  sans  doute  que  la 
preuve  d'une  origine  celtique  que  fournit  la  physionomie  du  mot;  car 
la  nomenclature  de  la  France  est  gauloise  pour  les  dix-neuf  vingtiè- 
mes. Mais  on  ne  saurait,  d'un  autre  côté,  soutenir  que  Meudon  avait 
trop  peu  d'importance  du  temps  de  César  pour  qu'il  en  lit  mention. 
La  Gaule  n'était  rien  moins  qu'un  pays  désert,  et  sa  population  devait 
se  presser  sur  son  territoire  presque  autant  qu'à  notre  époque. 

Mais  il  ne  suffit  pas  d'avoir  constaté  que  Melodunum  ressemble  à 
Melun,  et  Metiosedum  à  Meudon.  Nous  devons  faire  voir  que  ces 
deux  dénominations  ne  sauraient  se  confondre,  parce  qu'elles  ont 
chacune  une  origine  différente,  et  que  la  contraction  de  l'une  et  de 
l'autre  s'est  opérée  d'une  manière  distincte,  quoique  suivant  une  loi 
commune.  A  ce  sujet,  je  dois  rappeler  ce  que  j'ai  dit,  au  commence- 
ment de  cette  dissertation,  des  contractions  subies  par  les  n  ms  gau- 
lois, non-seulement  à  des  époques  plus  récentes,  mais  dès  le  temps 
même  de  l'indépendance  de  nos  ancêtres.  L'organisation  naturelle 
des  peuples  d'origine  celtique  n'a  point  changé  avec  les  siècles. 
Quand  nos  pères  par'aient  une  langue  qui  leur  était  propre,  ils  fai- 
saient subir  aux  mots  dont  elle  se  composait  des  crases  exactement 
semblables  à  celles  qui,  sur  leurs  lèvres,  ont  défiguré  les  mots  latins, 


BATAILLE   LIVRÉS    PAK    LABIENUS.  287 

après  qu'ils  eurent  abjuré  leur  propre  idiome  pour  adopter  celui  de 
leurs  vainqueurs.  De  cette  observation,  qui  avait  frappé  le  génie 
grammatical  d'Eugène  Burnouf,  résulte  l'explication  de  la  double 
orthographe  que  nous  offrent  les  noms  géographiques  delà  Gaule, 
sous  les  formes  diverses  que  les  anciens  en  ont  rapportées.  Les  Gau- 
lois avaient  sans  doute,  comme  nous,  une  orthographe  étymologique 
et  une  prononciation  abrégée  différente  de  celte  orthographe.  Sou- 
vent les  Grecs  et  les  Romiins,  dans  la  transcription  des  noms  de 
lieux,  ont  figuré  la  prononciation,  au  lieu  d'exprimer  l'orthographe 
étymologique;  quelquefois  les  Gaulois  eux-mêmes,  sur  leurs  mon- 
naies, ont  rendu  l'articulation  vulgaire  au  lieu  de  reproduire  les 
lettres  propres  à  faire  comprendre  l'origine  du  mot. 

Dans  cette  diversité  de  transcription,  on  ne  trouve  pas  d'in- 
fluence d'époque  appréciable.  Il  arrive  souvent  ainsi  à  Ptolémée, 
écrivain  du  second  siècle  de  notre  ère,  d'être  plus  exact  que  César, 
qui  vivait  plus  d'un  siècle  et  demi  auparavant  ;  de  sorte  que  les 
contractions  qui  ont  prévalu  dans  les  temps  modernes  et  que  nous 
fournissent  déjà  les  textes  du  moyen  âge,  peuvent  bien  remonter 
jusqu'aux  temps  mêmes  de  l'autonomie  gauloise. 

Les  observations  que  je  viens  de  présenter  s'appliquent  à  toutes 
les  parties  du  territoire  gaulois,  et  l'on  en  trouve  la  preuve  dans  les 
noms  de  villes  comme  dans  les  noms  de  peuples  :  ainsi,  chez  les  Celto- 
Ligures  de  la  Provence,  nous  rencontrons,  pour  le  même  peuple,  la 
forme  pleine  Salluvii,  et  la  forme  contracte  Salyes;  les  Celto-Aqui- 
tains  nous  offrent,  pour  rendre  le  nom  de  la  tribu  qui  habitait  les 
environs  de  Bazas,  BasavocMes,  forme  pleine,  et  Vasates,  forme 
contracte;  les  Cambolectri,  dans  la  même  partie  de  la  Gaule,  ont  des 
médailles  reconnaissables  à  leur  nom  restreint  de  Cambotre;  sous  la 
domination  des  Allobroges,  nous  trouvons  le  double  nom  des  Sego- 
vellauni  et  des  Segalauni.  Il  se  pourrait  que  la  Ventia  tant  cherchée, 
où  C.  Pomptinus  vainquit  les  Allobroges  (61  ans  av.  J.  C),  fut  la 
même  que  la  Valentia,  capitale  des  Segalauni,  malgré  la  physio- 
nomie romaine  du  nom  le  plus  connu  de  cette  ville,  et  le  titre  de 
colonie  qu'elle  paraît  avoir  porté.  Il  aurait  suffi  que  le  nom  gaulois 
fût  légèrement  latinisé.  Quoi  qu'il  en  soit,  en  remontant  vers  le 
nord  de  la  Gaule,  nous  voyons  se  multiplier  les  exemples  de  la 
double  nomenclature  que  nous  avons  signalée  :  ainsi,  les  Diablintes 
sont  aussi  IcsDiaiilitœ,  et  cette  dernière  orthographe  est  justifiée  par 
la  légende  des  monnaies  gauloises  de  ce  peuple.  Diaoulos.  Nous 
trouvons  à  l'ouest  les  Pictones  ou  Pictavi;  à  l'est  la  ville  de  Caballo- 


288  REVUE   ARCHEOLOGIQUE. 

dunum,  avec  les  formes  de  plus  en  plus  contractes  Caballinum,  Ca- 
billonum,  Cabilonum;  au  nord-ouest  les  Sesuvii  ou  Saii;  tout  auprès 
de  là  les  Bodiocasses  ou  Badiocasses  sont  devenus  de  très-bonne 
heure  les  Bajocasses. 

Nous  avons  déjà  signalé,  pour  y  revenir  encore  plus  tard,  la  con- 
traction de  Lucotitia  en  Lutelia;  tout  auprès  de  la  cité  des  Parisii, 
le  peuple  dont  le  nom  est  resté  affecté  au  Vexin  va  nous  fournir  un 
des  plus  curieux  et  des  plus  riches  exemples  de  la  règle  que  nous 
avons  posée.  Dans  Ptolémée,  nous  avons  Veneliocassii;  Pline  et 
César  nous  donnent  Vellocasses  et  Belocasses.  Entre  ces  deux 
formes,  Henri  de  Valois  a  restitué  avec  vraisemblance,  d'après 
Ma  gnon,  écrivain  du  neuvième  siècle,  Veliocasses;  de  Veliocasses 
est  dérivé  le  Vulcassinus  Pagns  du  moyen  âge,  par  lequel  on  est 
arrivé  au  Veuxin,  encore  en  usage  au  dix- huitième  siècle,  et  au 
Vexin  de  nos  jours.  Des  médailles  qui  fournissent  la  légende  BELINOC 
dégénérant  bientôt  en  BIIIOC  (Beioc)  ont  été,  par  l'erreur  des  meil- 
leurs numismatistes,  placées  à  une  grande  distance  de  leur  véri- 
table lieu  d'émission;  c'est  dans  la  légende  la  plus  complète,  la  forme 
du  nom  des  Veliocasses,  conservée  par  Ptolémée,  Veneliocassii,  avec 
la  métathèse  de  l'w  et  de  l,  échange  d'autant  plus  convenable  que, 
d'après  nos  observations,  rien  n'est  plus  fréquent  sur  les  monnaies 
gauloises  que  la  permutation  de  ces  deux  lettres.  Quant  à  Beioc  pour 
Beiocasses,  c'est  une  forme  déjà  plus  voisine  du  mot  de  Vexin  que 
les  Belocasses  de  César,  si  ce  n'est  pas  cette  dernière  forme  elle- 
même,  la  troisième  lettre  de  la  légende  en  question  pouvant  bien 
être  une  L  à  barre  oblique  et  très-courte,  au  lieu  d'un  I. 

C'est  dans  la  contrée  tout  à  fait  voisine  des  Veliocasses,  entre 
leur  capitale  encore  inconnue  (Botomagus  n'ayant  dû  être  pendant 
longtemps  que  leur  principal  oppidum)  et  celle  des  Parisii,  que  s'éle- 
vait le  Metiosedum  de  César.  Au  delà  de  Lutèce,  la  Seine  montrait, 
dans  une  position  analogue  à  celle  de  cette  dernière  cité,  le  Melo- 
dunum  du  même  écrivain.  On  a  vu  que  le  nom  de  Melodunum  était 
soumis  à  la  règle  précédemment  posée  et  qu'avant  la  forme  contracle 
qu'il  nous  révèle,  on  avait  écrit  Mecletodunum.  Metiosedum,  a  son 
tour,  subit  la  loi  commune  à  presque  tous  les  noms  gaulois,  puisque 
dans  les  titres  du  moyen  âge  la  forme  où  la  physionomie  celtique 
qui  s'est  le  mieux  conservée  est  Meodum.  C'est  exactement  de  la 
même  manière  que  du  nom  des  Viducasses  on  avait  fait  celui  de 
Veocae  appliqué  à  la  capitale  de  ce  dernier  peuple,  dont  les  ruines 
sont  encore  inconnaissables  dans  le  village  de  Vieux,  à  peu  de 


BATAILLE   LIVRÉE    PAR    LABIENUS.  289 

distance  de  Caen.  D'après  ce  qu'on  a  vu  précédemment,  Meodum 
pour  Metiosedum  doit  remonter  bien  plus  haut  que  les  titres  du 
treizième  siècle  qui  portent  ce  nom,  et  jusque  dans  l'antiquité.  Mais, 
faute  de  preuves,  il  est  plus  sage  de  s'en  tenir  à  la  donnée  d'une  con- 
traction postérieure. 

Au  sujet  de  Metiosedum,  on  a  rappelé,  d'après  Cellarius,  qu'un 
manuscrit  de  César  portait  la  leçon  Meliosedum,  et  cette  leçon  a  fait 
concevoir  l'espérance  d'un  rapprochement  possible  entre  les  noms 
de  Melodunum  et  de  Metiosedum.  Je  serais,  pour  mon  compte,  disposé, 
avec  la  plupart  des  éditeurs  de  César,  à  considérer  la  leçon  Meliose- 
dum comme  une  erreur  de  transcription.  Fût-elle  la  véritable,  elle 
pourrait  encore,  tout  aussi  bien  que  Meliosedum,  avoir  servi  de 
point  de  départ  à  la  forme  Meodum,  17  s'étant  élidée  dans  le  nom 
moderne  du  Vexin,  de  la  même  manière  que  le  T  de  Botomagus  ou 
Rotumus,  dans  celui  de  Rouen.  Pour  décider  absolument  entre  Me- 
liosedum et  Metiosedum,  il  faudrait  remonter  à  l'étymologie,  ce  qui 
n'est  pas  en  notre  pouvoir  personnel.  Mais  en  aucun  cas,  ni  Metiose- 
dum, ni  même  Meliosedum,  ne  sauraient  se  confondre  avec  Melodu- 
num ou  Medetodunum.  Et  voici  la  raison  de  cette  impossibilité,  que 
nous  allons  exposer  aussi  brièvement  que  possible. 

Lorsqu'on  étudie  la  composition  des  noms  géographiques  de  la 
Gaule,  on  s'aperçoit  que  la  plupart  d'entre  eux  sont  soumis  à  des  lois 
d'agrégation  régulière.  Sans  parler  de  la  forme  attributive  en  acus, 
la  plus  fréquente  de  toutes  et  la  plus  persistante,  un  très-grand  nom- 
bre de  noms  de  lieux  comptent  parmi  leurs  éléments  constitutifs 
l'indication  de  la  situation  qu'ils  occupent,  des  circonstances  natu- 
relles ou  artificielles  qui  les  dislingent,  tandis  que  les  noms  de  peu- 
ples ont  souvent  pour  désinence  un  mot  qui  les  caractérise,  comme 
homme  ou  comme  tribu.  C'est  ainsi  qu'on  trouve  fréquemment  à  la 
fin  des  noms  dépeuples  le  mot  Casses  ou  Cassii,  répondant  à  Gwaz, 
le  vir  des€elles;  tels  que  Veliocasses.  Viducassses,  Vadecasses,  etc.; 
c'est  par  la  même  raison  qu'un  grand  nombre  de  noms  de  lieux  se 
terminent  par  dunum,  qui  désigne  une  éminence  isolée,  Duras  ou 
Vurum,  indiquant  un  cours  d'eau,  Magus  (en  breton  meaz),  exprimant 
un  lieu  de  réunion,  une  place  publique  ou  un  champ  de  foire:  briga, 
briva  ou  bria,  à  cause  d'un  pont  construit  dans  la  localité,  clc... 
Medetodunum  rentre  dans  une  des  catégories  que  je  viens  d'indi- 
quer, et  comme  la  désinence  de  ce  mot  ne  peut  s'appliquer  à  l'île 
de  la  Seine,  on  peut  conclure  hardiment  de  sa  présence  que  Melun, 
avant  de  descendre  sur  le  fleuve  par  suite  des  besoins  du  commerce, 


200  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

s'était  d'abord  assis  sur  la  hauteur  voisine  de  la  rive  droite  appelée 
aujourd'hui  montée  des  Capucins.  Metiosedum  possède  aussi  sa  dési- 
nence propre  :  le  mot  qui  termine  ce  nom  se  rencontre  isolément 
dans  celui  de  Seduni,  peuple  du  Valais,  dans  Sedunum,  aujourd'hui 
Soudon,  village  voisin  de  Cluny.  On  le  trouve  aussi  compris  dans 
Melcosedum,  nom  d'une  stalion  des  Alpes  Cottiennes,  voisines  de 
Cularo  ou  Grenoble.  Je  laisse  aux  savants  qui  se  livrent  à  l'élude  des 
idiomes  celtiques  le  soin  de  déterminer  la  signification  du  mot  de 
sedum.  Il  me  suffit  d'en  avoir  séparé  les  éléments  pour  faire  com- 
prendre que  le  nom  dans  lequel  il  est  entré  ne  peut  se  confondre 
avec  un  nom  où  dunum  sert  de  désinence.  C'est  ainsi  que  la  raison 
philologique  vient  confirmer  la  distinction  que  l'étude  de  l'histoire  et 
de  la  topographie  nou  avait  conduit  à  établir  entre  Melodunum  et 
Metiosedum. 

Ch.  Lenormant. 


OBSERVATIONS    CRITIQUES 


SUK    LA 


RHÉTORIQUE  D'ARISTOTE 


(Suite) 


I,  5.  1360  b  7  [2].  Aristote  annonce  qu'il  va  dire  ce  que  c'est 
que  le  bonheur  et  quels  sont  les  éléments  qui  le  constituent, 
TrapaSeiY^onroç  /apiv.  De  même  9,  1306  a  32  [2],  à  propos  de  la  vertu 
et  du  vice,  de  ce  qui  est  honorable  et  de  ce  qui  est  honteux,  il  an- 
nonce qu'il  en  traitera  o<rov  7:afaS£iy[/.aTo;  /apiv.  Vater  (p.  36)  entend 
par  là  :  pour  servir  de  règle  à  l'appréciation  de  ce  qu'il  faut  dire.  Mais 
o<7ov,  qui  est  un  restrictif,  indique  plutôt  qu'il  faut  entendre  :  à  titre 
d'exemple*  sans  rigueur  scientifique.  Aristote  veut  dire  qu'il  fera 
connaître  ce  qu'est  le  bonheur  plutôt  par  des  exemples  que  par  une 
définition  exacte;  et  en  effet,  il  en  donne  quatre  définitions.  La  lo- 
cution me  paraît  analogue  à  ôç  tutuo  qui  signifie  en  gros.  Voir  Tren- 
delenburg,  Elementa  logices  Aristoteleœ,  p.  49- 

I,  5.  1361  b  22  [14].  4yî°vi<rox^  os  o-o')(/.a-ro;  àps-r/i  au^XEiTai  sx  jjieys'Oou; 
xai  îcr/uoç  xat  xayouç  ■  xai yàp  ô  Tayùç  î<r/upo'ç  saxiv.  Oïl  ne  comprend  pas 

que  la  hauteur  et  la  grosseur  ([xsysOo?)  puissent  faire  partie  des  qua- 
lités qui  rendent  le  corps  propre  aux  exercices  pour  lesquels  on  pro- 
posait des  prix  dans  les  jeux  de  la  Grèce.  Il  est  assurément  inutile, 
si  ce  n'est  nuisible,  d'être  grand  et  gros,  si  l'on  concourt  pour  le  prix 
de  la  course;  et  ce  n'est  nécessaire  ni  pour  la  lutte,  ni  pour  le  pu- 
gilat: il  suffit  qu'on  soit  agile  et  vigoureux.  D'autre  part,  Spengel 
a  mis  Ta/ouç  entre  crochets,  et  il  semble  avoir  raison  de  le  supprimer  ; 
car  dans  ce  qui  suit,  Aristote  dit  formellement  que  l'agilité  Fait  partie 
de  la  force,  et  il  rapporte  à  la  force  la  définition  du  bon  coureur  : 
celui  qui  peut  agiter  ses  jambes  d'une  certaine  façon,  c'est-à-dire  (xa\ 
est  ici  explicatif)  les  remuer  vite  et  loin,  est  bon  coureur.  Or  Ans- 


292  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

tote  a  dit  plus  haut  que  la  force  consiste  à  remuer  autre  chose  (exepov 
est  ici  au  neutre)  ^omme  l'on  veut.  Mais  si  l'on  supprime  ^(bous  et 
ta/ou;,  il  faudra  aussi  changer  <7UYXEiTat.  Je  crois  que  ixeye'ôou;  est  une 
altération,  et  qu'il  y  a  une  lacune  après  to/ou;.  On  pourrait  lire: 

àYtoviaTixrj    os    G-t-Waro;    apETT]    o-UYXE~<76at    [/iv   SoxeT  ï\  iayyoq    xat   xa/ou;, 

uâXXov  Se  î<r-/ù;  oXï)  £<m.  La  qualité  qui  rend  le  corps  apte  aux  exer- 
cices des  jeux  publics  semble  se  composer  de  la  force  et  de  l'agilité; 
mais  au  fond  elle  n'est  que  de  la  force;  car  l'agilité  est  une  espèce  de 
force.  Il  est  à  remarquer  que  les  définitions  du  bon  coureur,  du  bon 
lutteur,  de  celui  qui  sait  combattre  au  pugilat,  du  pentathle  se  rap- 
portent toutes  à  la  définition  de  la  force.  C'est  ce  qui  me  semble 
justifier  le  supplément  que  je  propose,  pour  le  sens  du  moins;  car  je 
ne  prétends  pas  garantir  les  mots. 

I,  5.  1362  a  3  [17].  aîxt'a  S"  iorrlv  r,  tu/y]  svimv  t/iv  wv  xat  aï  xÉ/vat, 
rroXXwv  Ss  xat  àxs"/vtov,  olov  oacov  y\  cpuaiç  •  svoÉyExat  Ss  xat  Tiapa  cpuatv  eîvat  • 
ir/tEta;  [xèv  Y^p  xéyvv)  aîxta,  xaXXou;  Se  xat  jjleyeOouç  cpuct;.  Il  faut  une  Vir- 
gule devant  hiSéjsraa.,  et  non  un  point  en  haut.  Les  deux  membres  de 
phrase  sont  inséparables.  La  fortune  ne  produit  ce  que  produit  la 
nature,  que  quand  c'est  susceptible  d'arriver  contre  nature.  Ainsi,  la 
beauté  est  un  don  de  la  nature;  mais  si  un  homme  est  beau,  tandis 
que  ses  frères  sont  laids,  la  beauté  est  un  don  de  la  fortune;  car  il 
est  contraire  à  la  nature  que  des  frères  ne  se  ressemblent  pas  soit 
pour  la  beauté,  soit  pour  la  laideur.  Il  ne  faut  pas  oublier  qu'Aris- 
tote  n'admet  pas  que  les  lois  de  nature  soient  immuables;  il  laisse 
une  part  au  hasard. 

I,  6.  1363  a  11.  14  [24].  Aristote  énumère  les  différents  caractères 
auxquels  on  reconnaît  qu'une  chose  est  bonne.  Kal  §  oî  l-/ôpo\  xat  oî 

cpauXot  izatvoiïdiv  ■  wïTrsp  y*P  ^^vteç  y}St)  ôu.oXoyou<71v,  et  xat  ot  xaxoj; 
TteicovôoTeç  ■     Stà  Y^p   xb  cpavepov  ôuoXoYo'tsv  àv,  oxnrEp  xat  cpaùXot  ou;  oî  JçiAoi 

>\>éyouGi  xat  àYaôoi  où;  oî  lyOpot  iTiatvoùcriv .  Le  sens  me  paraît  indiquer 
qu'il  faut  lire  (ligne  11)  oî  cptXot  au  lieu  de  oî  çauXot.  Aristote  veut  dire 
que  ceux  qui  sont  loués  à  la  fois  par  leurs  ennemis  et  par  leurs 
amis  ont  des  qualités;  car  quand  ceux  qui  ont  eu  à  souffrir  d'eux  se 
joignent  à  leurs  amis  pour  les  louer,  c'est  comme  si  tout  le  monde 
les  louait.  Si  on  adopte  celte  correction,  il  faudra  supprimer  avec 
Muret  dans  la  proposition  réciproque  (ligne  14)  «xYaôot  ou;;  et  en 
adoptant  la  leçon  du  manuscrit  1741  ur,  tyêywew  au  lieu  de  bratvoïïdiv, 
on  aura  :  de  même  un  homme  a  des  défauts  quand  il  est  blâmé  par  ses 
amis  et  n'est  pas  blâmé  par  ses  ennemis.  Le  caractère  auquel  on 


RHÉTORIQUE   d'aRISTOTE.  293 

reconnaît  ici  le  bien  et  le  mal  est  tiré  de  la  comparaison  entre  les 
jugements  des  amis  et  ceux,  des  ennemis. 

I,  6.  1363  a  26  [27].  Aristote  énumère  les  choses  que  les  hommes 
font  de  préférence;  entre  autres  choses  ils  font  de  préférence  ce  qui 
est  possible,  ce  qui  est  facile,  Koù  tàv  &ç  (iouXovxai  •  ftouXovxai  8è  yj[h)$év 

xaxov  r\  sXaxxov  xoù  àyaOou  ■  touto  S"  saxat,  tàv  r,  XavOàvY)  V)  xiy.wfia  i\    [xwpa 

rj.  il  est  évident  que  cette  dernière  proposition  suppose  une  idée  qui 
n'est  pas  antérieurement  exprimée,  l'idée  d'injustice,  et  en  outre 
qu'elle  est  altérée;  il  faut  transposer  •/)  xiuwpia  devant  fmpa.  Cf.  12, 
1372  a  5-9  [1].  Pour  interpréter  ce  passage  et  reconnaître  l'endroit 
où  se  trouve  la  lacune  indiquée  par  la  dernière  proposition,  il  faut 
se  rappeler  que  dans  la  langue  d'Aristote,  comme  on  peut  le  voir  10, 
1369o  3  [8],pouAecOai  se  rapporte  à  la  tendance  générale  vers  le  sou- 
verain bien,  comme  par  exemple,  le  désir  du  bonheur,  et  Trpoou- 
peTff6ai  au  choix  des  moyens  par  lesquels  on  peut  atteindre  la  fin  qu'on 
se  propose.  Par  conséquent,  tàv  wç  pouWrou  sous-entendu  v/y  doit  se 
traduire  par  :  si  le  résultat  de  l'action  est  conforme  à  nos  désirs. 
Je  crois,  en  conséquence,  qu'il  faut  suppléer  après  xoù  quelque 
chose  comme  xh.  aowa  dépendant  de  irpoaipouvxat.  J'entends  ainsi 
tout  ce  passage  :  on  se  décide  pour  l'injustice  si  le  résultat  est  con- 
forme à  ce  que  nous  désirons;  or,  on  désire  que  l'inconvénient  soit 
nul  ou  moindre  que  l'avantage;  et  c'est  ce  qui  arrivera  si  elle 
doit  rester  cachée  ou  n'être  que  faiblement  punie.  Remarquons  que 
12,  1372  a  5-9  [1],  Aristote  définit  ainsi  le  cas  où  l'injustice  est  pos- 
sible (Suvaxov). 

1,  7.  1363  b  36  [7].  xoù  xà  (xeiÇovoç  àyaôoiï  iroiTjXixà  [«£(•>  ■  xouxo  yàp  yjv 

xo  fxeiÇovoç  TtotYixixw  stvai.  L'imparfait  a  paru  ici  embarrassant.  Mais  il 
n'y  a  rien  à  changer.  Remarquons  d'abord  que  dans  la  langue 
d'Aristote,  le  datif,  ainsi  construit  avec  etvai,  désigne  l'essence  de 
l'objet  dont  on  parle,  abstraction  faite  des  cas  particuliers  auxquels 
la  définition  s'applique;  ainsi,  ici,  le  datif  signifie  :  ce  qui  constitue 
essentiellement  la  propriété  par  laquelle  un  objet  produit  quelque  chose 
de  plus  grand  qu'un  autre.  Voir  Trendelenburg,  De  anima,  p.  471  et 
suiv.  Aristote  emploie  une  autre  formule  pour  exprimer  la  même  idée, 
c'est  xo  xt^jv  eïvat  avec  le  datif;  ici,  comme  l'a  fait  remarquer  Trende- 
lenburg (De  anima,  p.  193),  qui  a  le  premier  bien  expliqué  cette  locu- 
tion, l'imparfait  exprime  que  la  notion  essentielle  d'un  objet  est 
logiquement  antérieure  aux  autres  idées  qui  se  rapportent  à  cet 
objet.  Ainsi,  on  ne  définit  pas  la  ligne  par  sa  notion  essentielle,  par 
le  x(  yjv  etvai,  quand  on  dit  qu'elle  est  la  limite  de  la  surface;  il  faut 


29i  REVUE    ARCHEOLOGIQUE. 

la  définir  par  le  point  dont  la  notion  est  antérieure.  Par  conséquent, 
dans  le  texte  que  nous  discutons,  l'imparfait  signifie  :  ce  qui  constitue 
essentiellement  la  propriété  par  laquelle  un  objet  produit  quelque 
chose  de  plus  grand  qu'un  aulre,  suppose  comme  notion  antérieure 
que  le  premier  objet  est  plus  grand  que  le  second. 

I.  7.  1364  a  10  [12].  En  énumérant  les  cas  où  un  bien  est  plus 
grand  qu'un  autre,  Aristote  mentionne  celui  où  un  bien  est  cause, 
tandis  que  l'autre  ne  l'est  pas  :  xav  ^  aînov,  to  8'  oùx  at-nov.  La  syntaxe 
demande  \A  au  lieu  de  oô,  comme  on  lit  dans  la  proposition  précé- 
dente xav  r,  àp/Ji,  to  Se  jxr,  àsyr'. 

I,  7.  1365  a  35  [35].  Aristote  énumère  les  différents  cas  où  un  bien 
est  plus  grand  qu'un  autre,  et  entre  autres  il  mentionne  le  suivant  : 
xai  to  aÙTw  xa\  aicXSç!  Beaucoup  d'éditeurs  ont  substitué  %  à  xal,  ce 
qui  donne  le  sens  suivant  :  le  bien  relatif  est  plus  grand  (pour  celui 
qui  y  est  intéressé)  que  le  bien  absolu  (qui  n'est  pas  un  bien  pour 
celui-là).  Cette  conjecture  semble  confirmée  par  la  proposition  sui- 
vante :  le  bien  que  nous  pouvons  obtenir  est  plus  grand  que  celui  qui 
est  hors  de  notre  portée;  car  l'un  est  un  bien  pour  nous,  l'autre  ne 
l'est  pas.  Mais  la  leçon  des  manuscrits  peut  être  conservée,  si  on  l'in- 
terprète ainsi  :  le  bien  qui  est  à  la  fois  relatif  et  absolu  (est  plus  grand 
que  celui  qui  n'est  que  l'un  ou  l'autre). 

1,8.  1366  a  11  [6]'.  Après  avoir  dit  que  l'orateur  politique  doit 
connaître  la  fin  et  les  intérêts  de  chaque  genre  de  gouvernement, 

Aristote  ajoute  :  Itzzi  oè  ou  jjidvov  aï  TCiareiç  yivovrai  oY  ajrooctXTixou  Aovou 
àAAa  xat  Si'  Yiôixou  (tm  y«P  tm6v  tivoc  cpaivscOai  tov  Kyovxa.  TU<JT£uotj.ev, 
toùto  8'  laxiv  av  àyaôo;  <&aivy|Tai  r,  euvou;  vj  a(u.(pa)),  Ssoi  av  toc  v)Ôy]  twv 
ttoAiteiwv  IxàW,;  f/siv  rjuaç  ■  to  asv  «f^p  £x«ro|ç  rfioç  xiOavwTaTOV  iva.'(X.7\ 
ttooç  éxaavrp  étvat.  La  proposition  TOÙTO-ajxçw  offre  une  difficulté 
relativement  à  la  suite  des  idées.  Si  la  connaissance  des  mœurs 
de  chaque  gouvernement  sert  à  l'orateur  politique,  c'est  comme 
la  connaissance  des  mœurs  des  vieillards,  des  jeunes  gens,  des 
hommes  mûrs,  des  nobles,  des  riches,  des  gens  puissants,  des 
gens  heureux  sert  à  celui  qui  veut  les  persuader.  Aristote  indi- 
que ici  comment  la  connaissance  des  mœurs  sert  à  l'orateur,  et  il 
s'exprime  encore  plus  clairement  sur  ce  point,  après  avoir  décrit 
les  mœurs  des  jeunes  gens  et  des  vieillards,  II,  13.  1390  a  2  5  [16  : 
Comme  tous  les  hommes  écoutent  volontiers  les  raisons  qui  sont 
en  rapport  avec  leur  caractère  et  les  gens  qui  leur  ressemblent,  on  voit 
comment  il  faut  se  servir  de  la  parole  pour  donner  cette  conformité 


RHÉTORIQUE    d\\RIST0TE.  295 

à  ses  discours  et  à  sa  personne.  Mais  alors,  si  un  orateur  politique 
peut  persuader  parce  qu'il  se  conforme  aux  mœurs  du  gouvernement 
où  il  parle,  c'est  là  un  moyen  qui  est  étranger  à  la  sagesse,  à  la  pro- 
bité, et  même  à  la  bienveillance.  Au  lieu  de  développer  la  propo- 
sition :  Nous  croyons  l'orateur  parce  qu'il  parait  avoir  tel  caractère, 
en  ajoutant  :  C'est  à-dire  parce  qu'il  nous  paraît  sage,  honnête  ou 
bien  disposé  pour  nous,  Aristote  aurait  dû  dire  :  Nous  le  croyons 
s'il  nous  paraît  nous  ressembler.  On  pourrait  dire  que  nous  sommes 
disposés  à  penser  que  ceux  qui  nous  ressemblent  sont  sages,  hon- 
nôtes  et  bien  disposés  pour  nous,  par  conséquent,  que  se  confor- 
mer à  l'humeur  de  ses  auditeurs  est  un  moyen  de  leur  faire  croire 
qu'on  a  les  qualités  intellectuelles  et  morales  qui  inspirent  con- 
fiance. Je  crois  la  chose  vraie  ;  mais  il  faut  convenir  qu'elle 
valait  la  peine  dètre  dite,  et  que  si  c'était  là  la  pensée  d'Aris- 
tote,  il  est  singulier  qu'il  ne  l'ait  pas  exprimée.  Il  est  possible 
qu'Aristote  ait  rédigé  avec  négligence.   " 

An  reste,  si  dans  ce  passage  Aristote  a  considéré  la  connaissance 
des  mœurs  et  des  caractères  comme  faisant  partie  des  moyens 
de  persuasion  qui  se  rapportent  au  caractère  personnel  de  l'o- 
rateur, il  est  singulier  qu'en  traitant  des  mœurs  oratoires  (II.  I) 
il  ne  dise  pas  un  mot  de  la  nécessité  de  se  conformer  à  l'humeur 
des  auditeurs;  et  plus  tard,  après  avoir  traité  des  passions,  il 
décrit  les  mœurs  des  hommes  suivant  l'âge  et  la  condition,  sans 
avoir  dit  nulle  part  que  cette  connaissance  fournissait  un  moyen 
de  persuasion,  et  sans  déterminer  si  elle  se  rapporte  aux  mœurs 
oratoires  ou  aux  passions.  Il  annonce  I,  10.  1369  a  30  [11]  qu'il 
en  traitera,  mais  sans  dire  à  quel  point  de  vue.  Il  y  a  certainement 
la,  comme  l'a  déjà  remarqué  M.  Havet  (p.  56-57),  une  grande 
confusion.  Si  l'on  s'attache  au  fond  des  choses,  on  remarquera 
que  la  connaissance  des  mœurs  des  hommes  et  des  gouverne- 
ments sert  à  la  fois  pour  les  mœurs  oratoires  et  pour  les  pas- 
sions. Elle  donne  à  l'orateur  le  moyen  de  revêtir  le  caractère 
le  plu?  propre  à  lui  concilier  la  coniiance  des  auditeurs,  puis- 
que nous  écoutons  volontiers  ceux,  qui  paraissent  nous  ressem- 
bler; d'autre  part,  elle  indique  à  quelles  passions  il  faut  s'adresser, 
puisque  les  passions  des  hommes  diffèrent  suivant  la  moralité,  l'âge, 
la  condition,  les  institutions  politiques. 

I,  9.  1366  b  37.  38  [17].  Aristote  énumère  les  différents  biens  qui 

SOllt   honorables    (xaAa)    xal   Ta  arcAcoç   àyaôa,    oaa   J/rcep   te    TOXTpiSo;  tiç 
ir.oirfîs.,   Tta&towv   to  auTOu.    xal  xà   ttj  c&ugei  àyaGa,  xal  a  jjlyj  aCiTw   àyaOâ  ■ 


296  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

auxou  yàp  evexa  xà  xotaura.  Il  y  a  ici  deux  remarques  à  faire  :  1°  La 
proposition  ô'o-a  —  xb  auxou  paraît  hors  de  sa  place;  car  tout  ce 
qu'on  fait  pour  sa  patrie  sans  considérer  son  intérêt  personnel  est 
honorable,  quel  que  soit  le  bien  procuré,  qu'il  soit  absolu  ou  relatif; 
ensuite  la  conjonction  xs  ne  s'explique  pas  bien.  Je  crois  qu'il  faut 
lire  xai  osa  Emèp  xrjç  x.  x.  X.,  et  transposer  la  proposition  plus  bas 
1367  a  4  [19]  après  -fcxov  yàp  a&xou;  2°  une  fois  cette  proposition 
transposée,  je  crois  qu'il  faut  lire  :  xat  xà  à^XâSç  àyaôà  xat  xà  x?i  cpucst 
àyaOa,  a  xal  p.-))  aùxw  àyaôa.  Les  biens  absolus  et  les  biens  de  nature 
sont  honorables,  quand  ils  ne  sont  pas  en  même  temps  relatifs;  car  les 
bi.ns  relatifs  n'ont  de  rapport  qu'à  l'intérêt  personnel.  La  restriction 
exprimée  me  paraît  essentielle  ici  ;  car  Aristote  répète  sous  toutes  les 
formes  dans  ce  passage  que  ce  qui  se  rapporte  à  l'intérêt  personnel 
n'est  pas  xaXov. 

I,  9.  1367  b  26-33  [33].  saxt  S'  stoxivoç  Xo'yo;  £[j.<pavtÇcov  [xsysôo;  àpsxyjç. 
Ssï  oûv  xà;  irpaçetç  iirioeixvuvai  wç  xotauxai.  xo  S'  eyxwuuov  xwv  spywv  ecriv, 
xà  os  xuxXio  elç  7ri5Xiv,  otov  sùysvsta  xat  Tiatosta  ■  slxoç  yàp  ï\  ayaôcôv 
àyaQoùç  xat  xbv  ouxw  xpa^svxa  xoiouxov  sïvai.  otb  xat  iyYMit.ié£Qi>.zv  itpaçavxaç. 
xà  S'  spya  cr(u.sTa    ttJç    s;sa)ç    saxtv,  Irai  £7:aivo?(J.sv  av   xat  \x-<\  Trsrcpayoxa,    et 

■jrio-xEuoijjLsv  sTvat  xoiouxov.  Il  est  évident  que  dans  ce  passage,  Aristote 
distingue  entre  I'stoxivo;  qui  a  pour  but  de  célébrer  les  vertus  d'un 
homme  et  qui  rapporte  tout  à  ce  point  de  vue,  et  l'vpu&iuw  qui  ne 
célèbre  que  les  actions,  qui  montre  combien  elles  ont  été  importants 
et  utiles.  Le  texte,  qui  a  paru  déjà  embarrasssant,  est  certainement 
altéré.  Il  faut  remarquer  tout  d'abord  que  si  Ton  met  à  part  les  pro- 
positions relatives  à  l'èyxfViov,  c'est-à-dire  xb  o  cyxtopttov  xwv  spywv 
£<7xtv,  et  Sib  xal  ÈYxw[jtta^o[xsv  -jrpaçavxaç,  tout  le  reste  se  rapporte  exclusi- 
vement à  l'âxaivo;.  En  effet,  si  l'on  fait  valoir  en  faveur  de  quelqu'un 
les  circonstances  extérieures,  comme  la  naissance  et  l'éducation,  ce 
ne  peut  être  que  dans  le  but  de  louer  sa  vertu;  la  raison  donnée  par 
Aristote  l'indique  clairement.  Ce  ne  peut  être  également  que  dans 
r&roxtvoç  que  les  actions  sont  considérées  comme  signes  des  qualités 
morales  de  l'agent.  Il  en  résulte  que  les  propositions  relatives  à 
riyxwuuov  sont  hors  de  leur  place,  et  ne  se  lient  ni  l'une  ni  l'autre 
avec  ce  qui  précède  ni  avec  ce  qui  suit.  Je  crois  que  la  suite  des  idées 
est  rétablie,  si  en  lisant  xà  yàp  spya  cr^sta,  on  transpose  les  proposi- 
tions et  qu'on  les  range  dans  l'ordre  suivant  :  L'sroxtvoç  est  un  discours 
qui  meten  relief  combien  le  mérite  d'un  homme  est  grand.  Il  faut  mon- 
trer que  les  actions  sont  d'un  homme  de  mérite.  En  effet,  les  aclions 
ne  sont  ici  que  le  signe  de  la  disposition  morale  ;  car  nous  accorderions 


RHÉTORIQUE    D'ARISTOTR.  •  297 

l'&reatvoç  à  un  homme,  n'eùt-il  rien  fait,  si  nous  étions  convaincus 
qu'il  avait  du  mérite.  Quant  aux  circonstances  extérieures,  comme 
la  noblesse  et  l'éducation,  elles  servent  à  prouver  notre  thèse:  car 
il  est  vraisemblable  qu'on  a  du  mérite  si  les  parents  en  ont  et 
qu'on  est  ce  que  l'éducation  vous  fait.  Quant  à  rê-p«&[«ov  il  ne  porte 
que  sur  les  actes;  aussi  nous  accordons  non-seulement  I'etoxivoç,  mais 
encore  rè-pcc-V107  à  ceux  que  n°us  louons,  s'ils  ont  fait  quelque  chose. 

I,  9.  1368  a  21  (38).  Si  un  homme  ne  fournit  pas  par  lui-môme 
une  assez  ample  matière  à  l'éloge,  il  faut  le  mettre  en  parallèle  avec 

d'autres,     7tpo<;   aXXouç    àvxt7rapa£aXX£iv  ■    oirep     'I<joxpaTY|ç   È7toiEt  Sià    r^y 

àduvr^ôeiav  xoiï  otxoXoysTv.  Faut-il  lire  <ruvr,Ô£iav,  comme  portent  trois 
manuscrits,  et  comme  M.  Rossignol  a  essayé  de  le  démontrer  par 
une  savante  discussion  {Journal  des  savants,  septembre  1843,  p.  104)  ? 
D'abord  la  leçon  àduv^Osiav  a  pour  elle  le  manuscrit  1741;  ensuite  elle 
est  d'accord  avec  ce  qu'on  sait  d'Isocrate,  qui  ne  cultivait  pas  le 
genre  judiciaire,  qui  n'aurait  pu  protester  de  son  éloignement  pour 
le  métier  de  logographe,  s'il  l'avait  exercé  habituellement,  et  dont  on 
aurait  conservé,  en  ce  cas,  un  plus  grand  nombre  de  plaidoyers; 
enfin  cette  leçon  est  confirmée  par  l'ensemble  du  passage  où 
elle  se  trouve,  comme  nous  allons  essayer  de  le  montrer.  D'abord, 
qu'est-ce  qu'Aristote  a  entendu  par  ces  parallèles  dont  l'emploi  était 
familier  à  Isocrate?  Je  crois  qu'on  en  trouve  un  exemple  remar- 
quable dans  le  Panégyrique  et  dans  le  Panât  liénaique,  où  Isocrate 
fait  un  long  parallèle  entre  les  Athéniens  et  les  Lacédémoniens;  c'est 
ainsi  encore  qu'il  fait  souvent  dans  ses  autres  discours  le  parallèle 
du  temps  présent  et  du  temps  passé;  que  dans  l'éloge  d'Evagoras 
il  compare  Evagoras  aux  autres  tyrans  (34  etsuiv.).  Rien  n'est  a.-suré- 
ment  plus  éloigné  des  habitudes  du  genre  judiciaire  que  ces  déve- 
loppements. Aristote  dit  d'ailleurs  un  peu  plus  bas,  lignes  26-33  [40], 
que  l'amplification  convient  plus  particulièrement  au  genre  démon- 
stratif, et  l'enthymème  ou  démonstration  au  genre  judiciaire,  il  a 
donc  voulu  dire  qu'Isocratc  employait  souvent  le  parallèle,  qui  est 
un  des  procédés  de  l'amplification,  non  point  parce  que  le  sujet  le 
rendait  nécessaire,  mais  parce  qu'il  n'avait  pas  l'habitude  du  genre 
judiciaire  et  de  la  démonstration  directe.  Ce  n'est  pas  un  reproche 
qu'Aristote  fait  à  Isocrate,  puisqu'il  s'agit  de  discours  dans  le  genre 
démonstratif  auxquels  les  procédés  de  l'amplification  conviennent; 
Aristote  constate  et  explique  un  fait  par  une  remarque  incidente.  On 
ne  trouve  d'ailleurs  dans  la  Rhétorique  d'Aristote  aucune  trace  de  la 
rivalité  entre  le  philosophe  et  Isocrate.  tradition  dont  M.  Havet 
iv.  2l> 


298  '    KEVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

(Étude  sur  la  Rhétorique  d' Aristote,  p.  12)  me  paraît  avoir  très-bien 
démontré  l'invraisemblance.  Je  ne  puis  voir  avec  Spengel  (Artium 
scriptores,  p.  169)  une  moquerie  contre  Isocrate  dans  le  passage 
III,  10.  14 10  b  29  [4]  où  Aristole  plaisante  les  rhéteurs  qui  veulent 
que  la  narration  soit  courte.  D'abord  Aristote  parle  de  contempo- 
rains, vuv  Si...  cpactv,  et  si,  comme  il  est  probable,  la  Rhétorique  a 
été  composée  lors  du  second  séjour  à  Athènes,  et  plutôt  à  la  fin  qu'au 
commencement,  Isocrate  était  mort  depuis  longtemps.  Ensuite  le 
texte  de  Quinlilien  IV,  2,  31,  que  Spengel  entend  d'Isoerate,  me 
paraît  désigner  plutôt  ses  disciples  :  «  Maxime  qui  sunt  ab  Isocrate 
volunt  (narrationem)esse  lucidam,  brevem,  verisimilem.  »  Quintilien 
ajoute  il  est  vrai  :  «  Quamquam  et  Aristoleles  ab  Isocrate  parte  in  una 
dissenserit;  »  mais  il  a  attribué  au  maître  ce  qu'enseignaient  les  disci- 
ples; car  il  doutait  (et  il  n'était  pas  le  seul)  de  l'authenticité  de  la 
Rhétorique  attribuée  à  Isocrate  (II,  15,  4);  Cicéron  en  doute  égale- 
ment, mais  il  atteste  que  les  élèves  d'Isoerate  avaient  beaucoup  écrit 
sur  la  rhétorique  (De  inv.  II,  2,  8);  c'est  très-probablement  à  eux 
qu'Aristote  a  fait  allusion:  et  il  est  bien  possible  qu'il  ait  pensé  aux 
mêmes  rhéteurs  contemporains  quand  il  dit  1, 1. 1354  a  11  [3]  qu'on 
néglige  les  préceptes  relatifs  à  l'argumentation  pour  insister  sur  la 
manière  d'exciter  les  passions.  On  a  dit  (voir  Spengel,  Artium  scrip- 
tores, p.  16)  qu'Aristote  s'attaquait  ici  à  ses  devanciers;  mais  il  faut 
ajouter,  à  ses  devanciers  immédiats,  aux  rhéteurs  contemporains  qui 
avaient  écrit  sur  leur  art  avant  lui,  à  l'enseignement  de  son  temps; 
car  plus  bas  2,  1350  a  17  [5]  il  emploie  l'expression  toù;  vuv  xzyyoko- 
yoùVraç  pour  désigner  les  rhéteurs  qu'il  a  attaqués  dans  le  premier 
chapitre.  On  n'aurait  pas  pu  dire  de  Corax,  de  Tisias,  ni  des  autres 
premiers  rhéteurs,  qu'ils  négligeaient  l'argumentation  pour  ne  s'oc- 
cuper que  des  moyens  d'exciter  les  passions;  car,  autant  qu'on  l'en- 
trevoit par  le  Phèdre  de  Platon  et  par  Aristote  lui-môme,  dans  II,  24. 
1402  a  17  [11].  23,  1400  a  3  [21],  les  rhétoriques  de  Corax  et 
de  Tisias  ne  conienaient  qu'un  ou  deux  lieux  développés  sans  doute 
par  des  exemples. 

I,  11.  1370  b  24  [II].  Aristote  développe  que  dans  l'amour,  le 
souvenir  de  l'objet  aimé  est  toujours  accompagné  d'un  sentiment  de 

plaisir.  Kai  àpy)|  Ss  toù  epwTOç  auxYi  fiyvETai  TrSfftv,  oxav  uv)  u.ovov  -rcapovTo; 
-/aipuxjiv  àXXà  xal  à^o'vTOç  u.eut.vTjUic'voi  IpSaiv.  ô\b  xat  ô'xav  /Wripo;  yéS/r/rai 
Toi   u.Y)  xapeTvat,  xat  ev  toïç  TtÉvôsfft  xal  ôpr^votç  bfl'wz-toii   Ttç  r,Sov7i.  Bekker 

a  mis  èpwciv  entre  crochets  comme  devant  être  supprimé;  et,  en  effet, 
le  sens  indique  que  (jleu.vyhj.evoi  doit  se  construire  avec  x.at'pw(7lv-  Mais 


RHÉTORIQUE     DARISTOTE.  299 

il  serait  possible  de  conserver  épScriv  en  le  joignant  comme  participe  à 
la  phrase  suivante,  où  l'on  substituerait  Se  à  oio:  Quand  on  aime,  si 
on  est  affligé  par  l'absence  de  l'objet  aimé,  il  y  a  encore  du  plaisir 
même  dans  le  deuil  et  dans  les  lamentations. 

I,  12.  1372  a  23  [5].  Un  coupable  a  des  chances  pour  n'être  pas 
découvert,  quand  il  se  trouve  dans  des  conditions  personnelles  qui 
semblent  exclure  l'attentat  commis,  oïcv  âaôev^ç  rcepl  aïxi'aç  xai  â  it&n\ç  xai 
ô  atu/poç  TO-p!  ixof/£taç.  Spengel  et  Bekker  suppriment  l'article  devant 
aîc^poç;  niais  il  me  semble  qu'il  faut  admettre  plutôt  qu'il  manque 
après  ttév/îç  quelque  chose  comme  7cep\  Sia<p8opSç  xgitwv.  Car  la  pau- 
vreté n'exclut  pas  le  crime  d'adultère.  11  en  est  autrement  de  la 
laideur,  qui  suffi!  pour  rendre  cette  accusation  peu  vraisemblable, 
sans  que  la  pauvreté  s'y  joigne.  Il  est  d'autres  crimes  qui  sont  en 
contradiction  avec  la  pauvreté,  par  exemple  ceux  qui  exigent  une 
grande  dépense,  comme  la  corruption  des  juges. 

I,  12.  1373  a  16  [28].  Arislote  énumère  les  différentes  classes  de 
gens  à  qui  les  hommes  font  tort  ordinairement.  Kal  oTç  -/aptouVrai  £, 

oiXoiç  7]   Oauua^ojjLEVoiç   r,    èoiouivotç  r,   xupioiçj  y)   oXcoç  -npôç  ou;  Çwaiv  oôrof. 

11  faut  évidemment  ouç  et  non  oTç.  Cf.  Xénophon,  Ci/rop.  III,  3,  i. 
Dans  cette  construction  de  -/ao^scOcu  il  faut  suppléer  l'idée  contenue 
dans  le  verbe  de  la  proposition  principale;  ici  àSutouvreç.  Aristote  a 
voulu  dire  :  On  fait  du  tort  à  quelqu'un,  quand  par  là  on  fera  plaisir 
à  ses  amis  ou,  etc.  —  Le  manuscrit  1741  porte  ou?. 

I,  13.  1374  b  4  [15].  Aristote,  après  avoir  défini  l'équité,  énumère 

ses  différentes  applications,  et  commence  ainsi  :  sY  oïç  ts  yàp  Set 

a-uyYViouv/iv  £/£iv,  £7uaxr,  xaùra,  xai  tÔ  Ta  apuxprr \m-^  xai  xà  àotxr'^ara  \i\ 
toù  ïaou  àçioùv,  jxr|0£  xà  &[AapT7)[Jt,aTa  xai  rà  à-Tuy^ua-ra.  On  traduit  géné- 
ralement ainsi  le  premier  membre  de  phrase  :  Nam  quitus  oportet 
veniam  dare  œqua  sunt.  Ce  sens  n'est  pas  satisfaisant  :  l'équité  est 
dans  l'appréciation  du  fait,  et  non  dans  le  fait  lui-même;  du  moins, 
c'est  ainsi  qu'Aristote  emploie  le  mot  dans  le  membre  de  phrase 
suivant,  et  dans  tout  ce  qui  suit.  Il  faut  donc  considérer  lyav  comme 
sujet  de  la  proposition:  et  s'il  y  a  le  pluriel  xauxa  c'est  qu'Aristote  a 
en  vue  en  même  temps  le  premier  membre  de  phrase  et  le  second, 
qui  sont  d'ailleurs  liés  étroitement  par  te  xai  :  Avoir  de  l'indulgence 
pour  ce  qui  en  réclame,  et  ne  pasaroir  la  même  mesure  pour  les  fautes 
et  pour  les  injustices  ni  pour  les  fautes  et  les  malkejirs,  voilà  ce  qui  est 
équitable. 

\,  14.  1374  b  32  2].  Arislote  énumère  les  cas  où  une  injustice  est 


300  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

aggravée,  xat  o&  pi  Icnv  taaiç  •  ^aXe^ov  yàp  xa\  àSûvaxov.  Bekker  sub- 
stitue to  à  xat,  comme  Vater  (p.  69)  y  avait  déjà  pensé;  mais  il  avait 
cru  à  tort  que  l'article  n'était  pas  nécessaire.  Il  me  semble  qu'en 
mettant  to,  il  faut  conserver  xa\,  qui  est  utile  au  sens.  Car  on  a  :  Au 
dommage  qui  provient  de  l'injustice  elle-même  s'ajoute  celui  qui  vient 
de  ce  qu'elle  est  irréparable,  àouvaxov  est  employé  ici  elliptique- 
ment. 

I,  14.  1375  a  8.  10  [5].  Après  avoir  énuméré  les  circonstances  qui 
aggravent  réellement  une  injustice,  Aristote  traite  des  artifices  ora- 
toires qui  la  font  paraître  plus  grave  :  Kcù  xà  jj.èv  pvjxoptxa  s<m  xotaùxa, 

ô'xi  -rcoXXà  av^pv]XE  Stxata  r\  u7tepê£ê7)XEV,  otov  opxouç  ÔE^tàç  TriaxEiç  lTzi^a\ii<x<;  ' 
TtoXXwv  yàp    àotx-/)[ji.axa)v   înrepo^.    xat  xo  x.   x.   X.   1°   Spengel    propose  : 

xai  xà  [xév  Ecxi  xotaùxa,  pïixoptxà  S'  oxt...  Mais  quand  Aristote  emploie 
cette  formule  de  transition,  il  ajoute  oùv  après  f/iv,  et  se  sert  de  l'impé- 
ratif. On  pourrait  lire  par  une  simple  transposition  :  xalxà^Èv  xotaùxa 
ectxi  pixopixa,  ô'xt...  Les  moyens  qui  suivent  sont  oratoires...  [xe'v  serait 
employé  elliptiquement,  avec  la  valeur  du  lalin  quidem:  les  moyens 
qui  suivent  sont  oratoires,  mais  les  précédents  ne  le  sont  pas;  2°  Le  pre- 
mier de  ces  moyens  oratoires  se  rapporte  a  l' artifice  dont  Aristote  a 
déjà  parlé  7,  1363  a  10-11  [31]  :  Un  tout  divisé  en  ses  parties  en  parait 
plus  grand,  parce  qu'il  semble  surpasser  un  plus  grand  nombre  de 
choses(\e  tout  élant  plus  grand  que  chacune  de  ses  parties).  La  dernière 
proposilion  signifie  donc  :  car  l'injustice  incriminée  surpasse  un  grand 
nombre  d'injustices  (celles  qui  sont  contenues  en  elle  comme  les 
parties  dans  le  tout).  Mot  à  mot  :  Il  y  a  excès  sur  un  grand  nombre 
d'injustices. 

1, 15.  1375  b  22  [12].  Quand  la  loi  écrite  est  pour  vous,  vous  devez 
représenter  combien  il  est  nécessaire  qu'elle  soit  observée,  et  rap- 
peler, entre  autres  arguments,  xat  ô'xt  £v  xaïç  aXXatç  xé/vatç  où  XusixeXe? 

Trapaaocpt^EaOat  xôv    îaxpov  ■   ou  y«p    xocoùxo    j3Xa7CXEt   i]    àfj.apxta  xoù    îaxpoù 

ô'aov  xb  iôtÇEGOat  (xtiêiôeiv  tù  apyovxt.  Telle  est,  la  leçon  du  manuscrit 
1741.  Après  TOxpcurocptÇEffôai,  trois  manuscrits  mettent  Trapà  :  méprise 
évidente,  car  Aristote  veut  dire  qu'il  n'est  pas  avantageux  qu'un 
médecin  prétende  faire  l'habile  en  sortant  des  prescriptions  de  l'art. 
Dans  un  autre  manuscrit,  on  a  ajouté  olov  au  lieu  de  irapa.  Cette  cor- 
rection ne  semble  pas  nécessaire;  lv  xaTç  àXXatç  xÉ/vatç  se  construit 
avec  l'ensemble  de  la  proposition  et  paraît  équivalent  à  :  On  voit 
dans  un  domaine  étranger  à  l'administration  de  la  justice,  dans  le 
domaine  des  arts,  qu'il  n  est  pas  avantageux,  etc.  En  tout  cas,  la  con- 
jonction 7<xp  dans  la  proposition  suivante  est  inintelligible  :  //  n'estpas 


RHÉTORIQUE    d'aRISTOTE.  301 

avantageux  qu'un  médecin  fasse  l'entendu  en  sortant  des  prescriptions 
de  son  art;  car  la  faute  d'un  médecin  a  moins  de  conséquence  que 
l'habitude  de  la  désobéissance  à  l'autorité.  Il  y  a  évidemment  une 
lacune  après  ïaxpo'v,  et  il  faut  supposer  qu'on  lisait  quelque  chose 
comme  :  et  il  est  encore  plus  dangereux  de  ne  pas  observer  les  lois. 

I,  15.  1376  a  7.  12.  10  [15-17].  Aristote  distingue  deux  espèces  de 
témoins,  les  témoins  anciens  qui  sont  les  poètes  et  les  personnages 
illustres  dont  on  rapporte  des  mots  célèbres,  et  les  témoins  nouveaux, 
dont  les  uns  sont  engagés  dans  le  procès,  et  dont  les  autres  sont  en 
dehors.  11  cite  comme  exemples  de  témoignages  anciens  des  vers 
d'Homère  et  de  Solon,  des  oracles,  des  proverbes;  puis  il  traite  des 
témoins  nouveaux  dans  les  termes  suivants  :  ÏIpoacpaToi  8'  ôW  yvoiptiAoi 

Tt  XEXptxaaiv  •  yp7)Gi|ji.oi  yàp  aï  xouxojv  xpiastç  xoîç  itspi  xwv  aùxwv  à|j.cpt<jër]xoij<7iv 
otov  EuëouÀoç  Iv  xoTç  otxaffXY]pioi;  Eypvfcaxo  xaxa  Xapr]xoç  w  IlXaxojv  étire 
7rcoç  Apyt'ëtov,  oxt  £7tiO£Ocox£v  Iv  XV)  iroXei  xo  ôf/.oXo'yE?v  rcovripoùç  stvai.  xat  oî 
iaexevovxeç  xoû  xtvoùvou,  àv  ooçojgi  <j/euoEff8ai.  oï  [aev  oùv  xotoùxct  xwv  xotouxtov 
[xo'vov  [xapxupéç  eïcriv,  Et  yiyovz^  r,  [rr\,  si  egxiv  r,  jjiy],  irepi  8e  xou  ttoTov  où 
txapxupEç,  otov  Et  otxatov  r,  à'Stxov,  et  cru[/.cpspov  y?  àduuicpopov  ■  oi  S  octto/Jev  xat 
TTEpt  xouxojv   7tt<7xoxaxot .   TTiaxoTaxot    3'   ot  TCaXatot  ■   àotàcpOopot  yap.  1°  Oïl  ne 

peut  tirer  aucun  sens  raisonnable  de  la  lettre  du  texte  :  Les  gens 
éminents  qui  ont  porté  un  jugement  et  les  témoins  qui  seraient  com- 
promis dans  l'affaire  s'ils  paraissaient  mentir  sont  des  témoins  nou- 
veaux. Car  Aristole  a  dit  plus  haut  que  les  témoins  nouveaux  sont 
ou  engagés  dans  l'affaire  ou  en  dehors;  et  il  restreindrait  ici  sans 
motif  le  sens  du  terme  qu'il  a  employé;  les  témoins  engagés  dans 
l'affaire  de  quelque  manière  que  ce  soit  sont  des  témoins  nouveaux; 
et  les  gens  célèbres  dont  on  invoque  l'autorité  ne  peuvent  être  des 
témoins  nouveaux  qu'à  moins  d'être  contemporains.  Ensuite,  il  est 
étrange  qu'Aristote  ne  parle  ici  que  des  gens  illustres  contemporains 
et  de  ceux  qui  seraieni  compromis  dans  l'affaire,  s'ils  paraissaient 
mentir,  el  qu'il  ne  dise  pas  un  mot  des  autres  témoins  nouveaux. 
2°  Le  terme  oî  S'  ômwÔEv  signifie  littéralement  :  ceux  qui  sont  éloignés. 
Il  ne  peut  désigner  ici  que  les  témoins  qui  ne  comparaissent  pas 
personnellement,  c'est-à-dire  les  témoins  anciens  et  les  contempo- 
rains illustres  dont  on  invoque  l'autorité.  Cependant,  il  est  ensuite 
question  des  témoins  anciens  comme  différents  des  témoins  éloigne-. 
—  Le  texte  est  donc  gravement  altéré.  Les  variantes  des  manuscrits 
sontde  peu  d'importance,  si  ce  n'est  celle  du  manuscrit  1741,  où  on  lit 

xotouxwv  àv  àirtffxdxaxoi   au   lieu    de  xoùxo>v  7U<rxo'xaxoi,   et  celle   de   trois 

autres  manuscrits  qui  donnent  ?àp  au  lieu  de  8'  (même  ligne).  Je 


302  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

crois  qu'il  faut  supposer  après  Trpoaœaxoi  8'  une  lacune;  Aristote 
distinguait  sins  doute  différentes  espèces  de  témoins  nouveaux,  et 
traitait  du  degré  de  confiance  qu'ils  méritent;, c'est  peut-être  ainsi 
qu'il  arrivait  à  dire  :  (Les  témoins  nouveaux  les  plus  dignes  de 
foi  sont)  les  gens  illustres  qui  ont  porté  quelque  jugement,  et  ceux 
qui  seraient  compromis  dans  l'affaire  s'ils  paraissaient  mentir.  Ces 
derniers  ne  peuvent  témoigner  que  du  fait,  sur  la  question  de 
savoir  s'il  a  eu  lieu  ou  non,  s'il  est  ou  non;  leur  témoignage  ne  sert 
pas  pour  la  question  d'appréciation,  pour  savoir  s'il  est  juste  ou  in- 
juste, utile  ou  nuisible.  Les  témoins  éloignés  sont  les  plus  dignes  de 
foi  sur  la  question  d'appréciation;  car  ils  sont  incorruptibles.  Je 
crois  que  oî  xaXaioi  est  une  glose  de  ort  aîrwQsv  qui  a  été  introduite 
dans  le  texte  et  qui  a  amené  la  répétition  de  THororaTot. 

I,  15.  1377  a  16.  18  r29\  Aristote  indique  comment  on  doit  argu- 
menter, si  l'on  refuse  le  serment  :  ou  Xa;xêàv£i  S',  ô'xi  «vt\  ypr^tmov  ô'pxoç. 

xal  ô'xi  eï  rçv  cpauXoç,  xaxt>)|xo'<7axo  av  ■  xp£Ïxxov  yàp  evsxa  xou  cj,aù'Xov  aval  r, 
u.7)Sevoç  '  ouo'ca;  uîv  oûv  i'Hei,  i/.ïj  ô[/.o<raç  o  ou.  ouxw  Se  Si'  àp£x?]v  àv  £iy],àXX'  où 

Si'  iTTiopxtav  to  n^.  Si  l'on  s'attache  au  fond  des  idées,  il  faut  traduire  : 
Quand  on  refuse  le  serment, on  dira  qu'il  s'agit  de  prêter  serment  pour 
de  l'argent,  et  que  si  on  était  malhonnête  homme,  on  jurerait  (car  il  vaut 
mieux  être  malhonnête  homme  pour  quelque  chose  que  de  l'être  sans 
profit)  ;  en  prêtant  le  serment  on  aura  donc  l'argent,  en  refusant  on  ne 
l'aura  pas.  Eu  argumentant  ainsi,  on  pourra  paraître  refuser  le  ser- 
ment par  un  motif  honorable,  et  non  pour  éviter  le  parjure.  Puisqu'on 
n'a  là  qu'un  seul  raisonnement,  il  faut  supprimer  après  xal  la  con- 
jonction ÔTi,  qui  indiquerait  un  nouvel  argument.  Comme  il  est  d'ail- 
leurs évident  que  la  réflexion  finale  s'applique  à  l'argumentation 
précédente,  et  qu'Aristole  ne  passe  pas  à  un  autre  ordre  d'idées, 
il  faut  lire  outco  &q  au  lieu  de  outw  Se. 

II,  1.  1377  b  29-31  \  .-oXù  yàp  Stacpépei  Trpoç  tticixiv,  fjiaXicxa  i/iv  Iv  xaT; 
TuaCouXaT;,  dxa  xal  Iv  xa~;  oixai;,  xo  iroio'v  xiva  tpaivetTÔat  xov  Xsyovxa  xal 
xo  7rpoç  auxoù;  uTroXaaêavstv  sysiv  -ntoç  aùxo'v,  Tipoç  os  xoùxoiç  làv  xal  aurai 
otaxîUJLEVOi  ttcijç  xuy/âvcoo"iv.  xo  u.vt  ouv  ttoiov  xiva  coatvscrOai  xôv  Xsyovxa 
-/OTiTiaioxepov  eîç  xàç  auaëouXaç  Icxtv,  xo  os  oiaxsTcrOai  tcwç  xôv  àxpoaxyjv  d; 
xaç  Oi'xaç  ■  •  ou  yàp  xauTa  -iai'vsxai  tpiXouai  xal  [Xiffoutriv,  où8'  opytÇoii.£vot?  xal 
Trpao);  iyouciv^  àXX'  r;  xo  7:apa7:av  crêpa  r,  xaxà  xo  aÉysOoç  exspa  ■  xw  txèv 
yàp  cpiXoiïvxi,  rapt  ou  irot£Ïxai  xv)v  xpttrtv,  v)  oùx  àSixsïv  *j  uuxpà  ooxeï  àoixsïv, 
xâi  os  jjucoù'vxi  xoùvavxiov  ■  xal  xw  u.sv  Ituôuulouvxi  xal  eûeXmSt  ovxi,  làv  r, 
xo  lo"o'u.£vov  -?joû,    xal  £<7£c:6ai  xat   ayaOov   sascôat   :paiv£xai,  xw  S:  onzaftv.  xal 

ou7y£pai'vovxi  xoùvavxiov.  A  considérer  l'enchaînement  des  idées,  il  me 


RHÉTORIQUE    D'ARISTOTE.  303 

semble  qu'il  faut  mettre  entre  parenthèses  to  uiv  ouv — oîxaç,  et  rap- 
porter dans  où  fào  tocùtoc  la  conjonction  à  wpoç  SI  toutoiç — ?j*r/iv<aai. 
Aristote  commence  par  dire  qu'il  importe  beaucoup  à  la  persuasion, 
et  cela  encore  plus  dans  les  assemblées  délibérantes  que  devant  les 
tribunaux,  que  l'orateur  paraisse  aux  auditeurs  avoir  tel  caractère  et 
telles  dispositions  à  leur  égard:  il  ajoute  ce  qui  concerne  ies  passions 
des  auditeurs,  et  le  subordonne  grammaticalement  à  la  proposition 
principale,  quoiqu'il  ne  soit  pas  exact  que  les  passions  des  auditeurs 
jouent  un  rôle  plus  important  dans  les  assemblées  délibérantes  que 
dans  les  tribunaux.  S'apercevant  de  cette  inexactitude,  il  se  corrige 
en  faisant  remarquer  que  l'impression  produite  par  la  personne  de 
l'orateur  a  plus  d'importance  dans  le  genre  délibératif,  et  que  les 
passions  des  auditeurs  ont  plus  d'importance  dans  le  genre  judi- 
ciaire. Puis  il  revient  à  ce  qu'il  a  dit  des  passions  en  général  (icpoç  oè 
toutou;— Tuyyavwci),  pour  expliquer  comment,  dans  les  tribunaux,  les 
passions  excitées  par  celui  qui  est  en  cause  influent  sur  la  décision 
dea  juges,  et  comment,  dans  les  assemblées  délibérantes,  où  on  a  à 
statuer  sur  l'avenir,  on  est  disposé  à  considérer  une  chose  agréable 
comme  possible  et  bonne  quand  on  la  désire  et  qu'on  a  confiance, 
tandis  qu'on  esldans  une  disposition  contraire  dans  le  cascontraire.il 
est  clair  qu'avec  la  ponctuation  vulgaire  du  texte,  on  croit  que  la  pro- 
position où  yàp  xaùrava  expliquer  la  différence  d'importance  qui  vient 
"d'être  signalée  entre  les  deux  moyens  de  persuasion,  et  cette  attente 
est  trompée  puisque  Aristot;  ne  parle  que  de  l'influence  des  passions 
dans  les  tribunaux  et  les  assemblées  délibérantes. 

11.  2.  1378  b  10  [3].  La  conjonction  causale  irai  3'  rs  oAiywpfo  n'a 
pas  d'apodose.  On  a  cherché  cette  apodose  dans  137S  b  13  [3  rpi'a  S' 
en  supprimant  o  avec  trois  manuscrits.  Mais  une  division  n'est  pas 
la  conséquence  d'une  définition  :  pour  que  le  raisonnement  fût  ré- 
gulier, il  faudrait  qu'il  y  eût  ce  que  Yater  (p.  79)  est  obligé  d'ajouter  : 
Quando  igitur  neglectusest  aclus  opinionis  de  re  aliqua  ita  concept» 
ut  ea  nibili  facienda  videatur,  quandoque  triplici  modo  hœc  opinio 
ostenditur,  tria  sunt  gênera  neglcctus.  Il  faut  chercher  l'apodose 
d'Imù  quant  au  sens  dans  1379  a  9  9j  cpavepov  ouv  x.  t.  X.  Aristote 
définit  le  mépris,  cause  de  la  colère,  explique  et  distingue  les  diffé- 
rentes espèces  de  mépris,  et  il  en  conclut  qu'on  voit  par  là  dans 
quelles  dispositions,  contre  qui,  et  pour  quelles  causes  les  hommes 
se  mettent  en  colère.  Seulement  la  longueur  des  explications  où  il  est 
entré  lui  a  fait  perdre  de  vue  son  point  de  départ.  Cf.  Éludes  sur 
Aristote,  p.  44. 


304  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

II,  2.  1378  6  16  4j.  Tfi'a  o'  estiv  £107)  oXiywpiaç,  xaTacppovr^iç  te  xai 
£TCYip£airu.oç  xai  uêpiç  •  OTEyàp  xaraopovwv  oXifCAps!'  ôca  yaP  oiovtoci  [/.rjoevoç 
a;ia,  TOuttov  xaxa'ipovoûciv.  twv  oÈ  (X.7)8evoç  àçicov  ôXiyojpoijo-iv.  Spengel  pro- 
pose d'intercaler  xaTOKppovouvreç  après  a;(wv,  et  Bekker  a  unis  clans  son 
édition  de  1839  :  twv  Se  xaTacppovoufxÉviov  ôXiytopoîiaiv.  Mais  il  me  semble 
que  ces  corrections  font  faire  à  Aristote  un  cercle  vicieux:  car  pour 
prouver  que  celui  qui  dédaigne  méprise,  Aristote  raisonnerait  ainsi  : 
On  dédaigne  ce  qu'on  croit  n'avoir  aucune  valeur;  or,  on  méprise  ce 
qu'on  dédaigne;  donc,  celui  qui  dédaigne  méprise.  La  mineure  de 
ce  syllogisme  suppose  évidemment  la  conclusion.  Le  raisonnement 
tel  que  le  donne  le  texte  me  semble  exact  :  ce  qui  paraît  n'avoir 
aucune  valeur  est  dédaigné;  ce  qui  n'a  pas  de  valeur  est  méprisé; 
donc,  quelque  espèce  de  mépris  est  dédain.  Il  serait  plus  régulier 
qu'il  y  eût  fpaivofJLévwv  après  àaojv;  mais  Aristote  le  laisse  à  entendre. 

IL  2.  1379  a  13  [9].  Aristote  dit  qu'on  est  irritable  quand  on  est 
affligé,  parce  que  celui  qui  est  affligé  désire  quelque  chose;  eav  te 

O'jv  xaT   cùOntopiav  ôtiouv  àvxixpoucr,  tiç,    fAov   tw  SuJ/wvti   7rpbç  to  tueiv,   làv 

TE     [lTt,     &JA01WÇ    TOC'JTO    CpOUVETOtl    TTOIeTv    ■     XOU     E(XV     TE    àvil-pOCTTY)    TIÇ    làv    TE    (i.7, 

ou(XTrûaTT7)   làv  te  àXXo  ti    èvoy\r\  outcoç  r/ovTa,  toïç  ttôcgiv   opyt^ETai.    Les 

mots  ô[xo(ioç — itoieïv  se  rapportent  par  le  sens  au  second  membre  de 
l'alternative  posée,  et  pourtant  par  la  construction  ils  se  rapportent 
aux  deux.  La  conjonction  oûv  indique  d'ailleurs  que  toïç  ttSciv  op- 
YiÇexai  est  l'apodose  de  toutes  les  propositions  hjpotbétiques  qui  pré- 
cèdent. Enfin  Vater  (p.  81)  a  remarqué  avec  raison  que  ô|j.oitoç  fait 
double  emploi  avec  toùto.  Je  crois,  en  conséquence,  qu'il  faut  lire  : 

dcXX'  ô'fjudç  TauTO   cpaivrjTai  toheiv,  xai  làv  x.  t.  X. 

II,  2.  1379  b  36  26].  oXiytopt'aç  y*p  Soxeï  xai  v*,  \rf}-r\  <rr\}x.ûov  £ivai  ■  oY 
àuÉXEiav  ijlev  yàp  vj  \r\Qr\  yiyvexca,   r,   ô"   àfxéXeia  ôXiywpi'a    ectiv.    (xev  est  de 

trop.  Aristote  fait  un  syllogisme,  et  les  propositions  oV  à^ÉXEiav,  r,  S' 
àaÉXEia  ne  sont  pas  dans  le  rapport  de  coordination  marqué  par  (xs'v 
—  oé.  —  Il  faut  ajouter  tiç  après  ôXiywpta  avec  le  manuscrit  1741. 

II,  4.  1381  a  35  [13].  Nous  aimons  ceux  qui  veulent  la  même 
chose  que  nous;  par  suite,  nous  aimons  les  gens  dont  le  commerce 
est  agréable;  tels  sont  ceux  qui  sont  faciles  et  qui  ne  sont  pas  que- 
relleurs; car  les  gens  querelleurs  aiment  à  combattre,  et  celui  qui 
combat  a  des  volontés  contraires  à  celles  de  son  adversaire.  Sont 
encore  d'un  commerce  agréable  xal  oï  ItcioéIjioi  xal  Ttoôào-ai  xal  6-7rolu.Eïvat  • 

l:ù  tocuto  yàp   àu/^OTEpoi   <77T£i>oou<7i  tw   7iXr,o"(ov,  ouvà|/.£voi  te  axi07vT£ffôat  xat 

è^eXôç  o-xcWtovteç.  On  a  appliqué  à^-^oTEpoi  et  on  ne  peut  l'appliquer 


RHÉTORIQUE    d'\RISTOTE.  305 

qu'a  ceux  qui  entendent  raillerie  et  à  ceux  qui  savent  railler,  consi- 
dérés comme  formant  deux  classes  différentes.  Mais  ici  les  deux  qua- 
lités doivent  être  réunies  dans  les  mêmes  individus.  Peut-être  faut-il 
lire  à[x<poT£pov,  en  l'entendant  des  deux  qualités  dont  Aristote  vient 
de  parler.  Voici  ce  qu'Aristote  veut  dire  :  Les  gens  qui  savent  à  la 
fois  railler  et  supporter  la  raillerie  sont  faciles  à  vivre;  car  sous  ce 
double  rapport  ils  veulent  la  même  chose  que  celui  avec  qui  ils 
vivent;  s'ils  n'entendaient  pas  raillerie  à  leur  tour,  ils  seraient  en 
opposition  avec  celui  qui  voudrait  leur  rendre  raillerie  pour  raillerie; 
s'ils  ne  raillaient  pas  finement,  ils  blesseraient. 

II,  5.  1383  a  12  [15].  Entre  autres  moyens  de  faire  naître  la 
crainte  chez  les  auditeurs,  Aristote  indique  celui-ci  :  xat  toù?  ôfwfouç 

OEtxvuvat    7:otcjyovTaç   tj    7T£7rovÔoTaç,    xat    O710  toutojv  ucp1    wv    oux  (oovto,  xat 

Taùxa  xal  tote  ô'ts  oùx  «Sovto.  Spengel  a  très-bien  senti  que,  si  ou 
construit,  comme   le  texte  l'exige,  xauta  et  tote  avec  TtâV/ovTaç  -ô 

7C£7rovôoTaç,  il  faut  lire  xat  TaÙTa  a  oùx  cSovro  ou  bien  xat  a  xat  ote 
oux  coovto.  Je  crois  qu'on  peut  se  tenir  plus  près  des  manuscrits  en 
supprimant  seulement  ô'te,  et  en  construisant  xat  Taùxa  xat  tote  oùx 
movto  (sous-entendu  Tcaa^etv)  avec  6cp'  Jiv.  Aristote  dislingue  les  gens 
de  qui  on  ne  s'attendait  pas  à  souffrir  quelque  chose  en  général,  ceux 
de  qui  on  ne  s'attendait  pas  à  souffrir  telle  chose  déterminée 
(t<xut<x),  enfin  ceux  de  qui  on  ne  s'attendait  pas  à  souffrir  quelque 
cliose  a  tel  moment  (tote). 

II,  5.  1383  b  1.  2  [20].  Aristote  énumère  les  avantages  dont  la  pos- 
session rend  hardi  :  TaÙTa  S'  ëarl  Ttkrfio;  £pv][/.aTtov  xal  Ï07ÙÎ  <jo)j/.aTwv  xai 
cpi'Xwv  xat  )(_wpaç  xat  twv  Trpo;  7cdXepiov  TtapaaxEuwv,  r,  7raarwv  r\  xwv  [i-EyiaTtov. 
Je   Crois   qu'il    faut  lire  TaÙTa    8'    sWtv   107Ù;   xat    ttXyjOoç   -/fv]u.aTMv    xat 

<TW[xaTO)v Il  faudrait  (koijuxto;  avec  ïa/u;;  ensuite  ce  complément  est 

inutile,  le  mot  signifiant  à  lui  seul  la  force  corporelle;  enfin  la/y;  ne 
va  pas  avec  cptXwv. 

II,  5.  1383  b  7  [21].  Aristote  énumère  quels  sont  ceux  qui  sont 

hardis  :  xat  làv  [jiy|  y|8ix7)xotsç  waiv  ■},  ijtrioÉva  77  (x*/)  uoXXoùç  r>  (i.Y)  toioutou; 
7t6ûl  àv  cpoëoijVTai.  xat  ô'Xtoç  àv  xà  •rcpo;  6eouç  aÙToTç  xaXwç  eyv).  Ta  te  aXXa 
xat  Ta  âmb  <jr\u.£ww  xat  Xoyûov  •  OappaXE'ov  yàp  '<\  opY'O,  to  oe  (av)  àotxEÎv  àXX 
àôixstcrôai  opyrjç  7rot7]Ttxov,  to  81  OeTov  inroXajjiêavETai  pO7)0Etv  toTç  àStxouixEvotç. 

Vator  (p.  81))  pense  que  opy>i  est  ici  absolument  inintelligible,  si  l'on 
ne  suppose  pas  qu'avant  OappaXÉov  il  est  question  de  ceux  qui  ont 
souffert  une  injure.  Cependant,  il  préfère  considérer  OappaXÉov— 
àStxoufXE'votç  comme  une  glose  née  d'une  observation  marginale.  Sa 


306  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

première  idée  me  paraît  la  plus  juste.  Il  devait  y  avoir  devant  OappaXsov 
quelque  chose  comme  xal  làv  r,SixrjU£vot  waiv  opposé  à  xal  lav  [xyj 
rSix^xoreç;  de  plus,  il  faut  transposer  la  proposition  xal  oXwç — Xoyiojv 
après  àoixoutjtivoiç;  car  le  mot  oX«;  indique  qu'il  a  été  question  aupa- 
ravant de  la  confiance  inspirée  par  l'espérance  de  la  protection  divine 
dans  un  cas  déterminé.  En  somme,  Arislote  a  voulu  dire  :  On  a 
confiance  quand  on  a  souffert  une  injustice;  car  la  colère  donne  de 
la  confiance,  et  ce  n'est  pas  de  comme Itre  une  injustice,  c'est  de  la 
subir  qui  met  en  colère;  d'ailleurs,  on  pense  que  la  divinité  vient  en 
aide  à  ceux  qui  sont  victimes  d'une  injustice.  Et.  en  général,  on  a 
confiance  quand  les  rapports  avec  les  dieux  sont  favorables,  en  par- 
ticulier les  présages  et  les  oracles. 

II,  6.  1383  b  30  [7].  Aristote  énumère  quelles  sont  les  actions  hon- 
teuses :  xal  oavEiÇecOai  oit  So;£t  aîx£Ïv,  xal  aïxeTv  ots  àracixEiv,  xal  a7raix£tv 
ors   aîx£iv,  xal  imxiveiv  ïva  So^r,  atx£Ïv,   xal  xô   à7rox£xuy7]xo'xa   jt/jSev   ^ttov  ■ 

■Travra  ^àp  àveXsuôsptaç  xaùxa  tn)[/.eîa.  D'après  la  construction,  il  fautsous- 
entendre  iTratvav  avec  pjSèv  vyrrov,  quoique  le  sens  exige  qu'on  sous- 
entende  aî-n-ïv.  Ensuite,  je  ne  comprends  pas  ce  que  signifie  :  77  est 
honteux  de  louer  quelqu'un  pour  paraître  lui  demander.  Je  crois  qu'il 

faut  lire  :  xal  ETtaivàv  ïva  Sw,  xal  xo  à7rox£xir/7]xo'xa  ijltjSÈv  Yjxxov  aïx£Ïv.  Il  est 

honteux  de  louer  quelqu'un  pour  qu'il  vous  donne  quelque  chose,  et 
de  demander  quoiqu'on  ait  été  refusé. 

II,  6.  1383  6  3i  (8).  xb  S'  iTOttvétv  Ttapovra  xoXax£i'aç,  xal  xb  xàyaOà  piv 
u7T£p£7taiV£~v  xà  Si  -.paùXa  auvaXeifieiv,  xal   xo   u7T£paXy£Ïv  àXyouvxi   7ïapo'vxa.   Il 

faudrait  àXyoùvxi  icapovxt  exagérer  sa  sympathie  avec  une  affliction  en 
présence  de  la  personne  affligée,  comme  plus  haut  i-natvav  •jrapo'vxa, 
louer  quelqu'un  en  face. 

11,7.  1385  a  20  [2].  £ffxb>  Sri  /apiç,  xa6"  r>  ô  £/wv  Xi^xai  yapiv 
UTtoupY£Îv  8eop.Éviû  [AT|  àvxl  Tivoç,  i/.7)S"  l'va  xi  a'jxco  xw  yzoupvouvxi,  àXX'  tva 
lx£i'vto  xi  •  \xv(i\rt  S'  av  v;  c^oSpa  Seouevm,  jj  [xeyaXwv  xal  ^aXeitSv,^  Iv  xatpo?; 

xotouxoiç,  y)  [jlo'vo;,  ri  TcpSxoç,  ft  [MtXiora.  Je  pense  qu'il  faut  sous-entendre 
uTroupYvi  en  lisant-?,  au  lieu  de -^autrement  la  phrase  commence  comme 
si  ri  avait  pour  sujet  /api;,  et  finit  comme  s'il  avait  pour  sujet  6 
yiroupYwv;  ensuite  rj  ne  peut  se  construire  avec  ^aXicxa. 

II,  8.  1386  a  O.  6  [8].  oca  Tsyàp  xwv  XwïY|p£iv  xal  ôSuv/jpwv  cpôapxixa, 
-avxa  IXeetvà,  xal  ooa   àvaipExixa,  xal  offaiv  vj  tu/Y|  aïxia  xaxcov  jjisYeôo;  £/ov- 

xor;.  Muret  n'a  pas  rendu  <pQapxixa,  et  Spengel  le  retranche.  Ce  mot 
fait  double  emploi  avec  dvatp£xixa;  et,  en  outre,  un  mal  douloureux 
excite  la  pitié,  quand  même  il  ne  causerait  pas  la  mort  de  celui  qui  le 


RHÉTORIQUK    d'ARISTOTK.  307 

souffre,  comme  l'indiquent  l'expérience,  la  définition  d'Àristote  qui 

est  en  tête  du  chapitre,  et  la  proposition  1386  a  7  [9].  Mais  d'autre 
part,  si  l'on  supprime  <pôapxixd,  le  relatif  foee  n'a  plus  de  complément, 
et  le  génitif  partitif  ne  se  comprend  pas;  car  tout  mal  douloureux  est 
digne  de  pitié.  Je  crois  qu'il  faut  lire  :  Zen  xs  yàp  twv  xox<ov  Xuxrçpà 

xat  ô8uv»jpa,  7ravxa  x.  t.  X.,  et  Supprimer  xaxtov  après  aîxîa. 

II,  8.  1386  6  2.  7  [16].  (dvdyxv)  sXEEivà  eïvai)  xat  xà  cr.aeTa  xai  xà; 
7rpaç£tç,  oiov  laO^xa;  xe  twv  ttîxovOo'xwv  xai  oaa  xotaùxa,  xat  Xo'you;  xat  osa 
àXXa  xâiv  lv  tw  itdOei  ovxcov,  oïov  Y-or,  teXeuxcovxiov.  xat  udcXiara  xô  fficouSaiouç 
EÏvai  lv  xoTç  xotouxotç  xatpoïç  ovxaç  IXsetvov  ■  d-avxa  yàp  xauxa  Stà  xb  syyù; 
cpaivEcrôai  jxàXXov  txoieT  xbv  eXeov,  xat  wç  àva^tou  ovxoç  xat  ev  ôoOaXu.oïç  cpatvo- 
[xsvou  xou  -jrdôouç.  1°  oïov  Eo-Oyïxaç  se    rapporte  à  07|jjieTa,  non  à  npaÇeiç;  je 

pense  qu'il  faut  transposer  xat  xà?  -pd;Et?  devant  xat  Xo'youç  dont  l'idée 
est  étroitement  liée  à  celle  d'actions.  2°  Les  idées  exprimées  par  les 
mots  wç  àvaçt'ou — xou  Ttàôou?  semblent  toutes  deux  subordonnées  à  celle 
qui  est  exprimée  par  Stdé  xo  ly^bç  cpaive<j8at,  ce  qui  ne  peut  être  vrai  de 
wç  àva;i'ou  ovxoç.  Peut-être  faut-il  transporter  lv  ocpôaXfjwxç  cpaivojjtE'vou  xoù 
ridOouç  après  cpaive<rOai;  Aristote  a  dit  plus  haut  1386  a  33  [14]  :  èyyùç 

yap  -rtotouat  tpaîveaÔat  xo  xaxov  7cpo  ôululocxcov  7rotoùvxsç.  Aristote  veut  dire 

ici  :  Tous  ces  moyens  sont  plus  efficaces  pour  produire  la  pitié  parce 
qu'ils  rapprochent  le  malheur  en  le  mettant  sous  les  yeux  et  que  le 
malheureux  est  représenté  comme  n'ayant  pas  mérité  son  sort. 

II,  9.  1387  a  27  [H],  xat  eicel  É'xasxov  xîov  àyaOtov  où  xoù  xu^o'vxoç  d;tov, 
àXXd  xtç  èaxtv  àvaXoyta  xat  xb  àp^o'xxov,  oïov  07tXwv  xdXXo;  où  xco  otxat'w 
àpjxoxxa  àXXa  xw  àvopstw,  xat  yàuot  SiOKpspovxeç  où  xoï;  vsuxjti  irXouxouTiv  àXXà 
xoT;  euyeveffiv.   làv   oùv  àya6o;   wv  ;j.-/]   xou   àpu.o'xxovxo;  Tuy/dv/j,    veueo~/)xo'v. 

L'apodose  de  luet  est  évidemment  èàv  ouv—,  vejjié<n)Tov.  Il  faut  donc 
une  virgule  après  eûyevéaiv.  La  particule  ouv  indique  ici  l'apodose, 
comme  dans  les  exemples  cités  par  Waitz,  ad  Organon  L  p.  336. 

II,  11.  1388  a  30-36  [1].  dvdyr/i  o-/-  est  l'apodose  de  eï  ydp  tcrxt 
ligne  30;  et  les  propositions  Sw— «pOovov  doivent  être  mises  entre 
parenthèses,  comme  Buhle  l'avait  déjà  fait.  II  ne  faut  donc  pas  sup- 
primer Br„  comme  Spengel  le  propose.  B-n  marque  souvent  l'apodose 
dans  Aristote;  voir  les  exemples  rassemblés  par  Waitz,  ad  Organon 
I,  336. 

Il,  11.  1388  6  4  [1].  (Çy]Xo)xixoi  eÎo-iv)  oïç  U7:dp-/£t  xotauxa  àyaOà  a  xwv 
£vxt';j.0)v  à'^tà  è<7xiv  àvopwv  •  eoti  yàp   xaùxa   ttXoûxoç  xat  TroXucstXîa   xat  àpyai 

xat  oaa  xotaùxa   La  conjonction  yàp  n'exprime  pas  le  rapport  des  deux 


308  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

propositions;  la  seconde  ne  motive  pas  la  première.  Il  faudrait 
substituer  Bé,  ou  transposer  7rXouxoç — oaroToiotura  après  mrapyei,  etxoiaîixa 
— avSpSv  après  yàp,  en  supprimant  xaùxa. 

II,  17.  1391  a  30  [5].  Après  avoir  exposé  quelles  sont  les  mœurs 
propres  à  la  noblesse,  à  la  richesse,  à  la  puissance,  Aristote  passe  à 

la  prospérité  .  'r\  o  EÙxuyia  xaxà  xs  [xo'pta  xwv  £ipï][X£voJV  e'-^ei  xà  rfiv\  •  e tç yàp 
xauxa  ctuvxeivougiv  ai  (jt-éyiaxat  Soxoùaat  Eivai  aùxuviai,  xai  exi  eiç  EÙxEXviav  xac 
xà  xaxà  xo  o-w[/.a  àyaôà  7tapaax£uàÇ£i   f,   EÙxu^ia  ttXeovexxeTv.    La   particule 

xe  ne  peut  se  construire,  et  même  en  la  supprimant,  on  n'a  pas  un 
sens  clair.  Cette  leçon  n'est  donnée  que  par  le  manuscrit  1741;  les 
trois  autres  manuscrits,  collationnés  par  Bekker,  donnent  EÙxu^i'a  xà 

[xo'pta  £^Et  xwv  £ipv][X£Vwv  xà  yj6yj.  Il  faut  peut-être  lire  :  v\  o  EÙxuyia  xà 
x£  ixopia  xwv   £tpri|ji.£Vcov   £-^£t   xa\  xà   rfir[. 

II,  17.  1391  6  3  [6].  ev  o'  àxoXouOa  pÉXxifTxov  r)6o;  x9j  EÙxuyia,  ô'xi  cpiXo6so( 
sïffi  xat  iyouat  7rpoç  xo  6eTo'v  tooç,  ttkixeuovxeç  Stà  xà  yiyv6\xsva  àyaôà  arco  tvjç 

tu£Y)ç.  L'indéterminé  thoç  ne  s'explique  pas.  La  disposition  des  gens 
heureux  à  l'égard  des  dieux  est  déterminé,  puisqu'ils  aiment  la  divi- 
nité. Si  on  supprime  la  virgule  et  qu'on  construise  toi;  avec  tusxeuov- 
xeç,  l'enclitique  sera  mal  placée  devant  le  verbe  auquel  elle  se  rap- 
porte, et  ensuite  le  sens  de  mcTeuovxeç  n'a  pas  besoin  d'adoucissement 
ni  de  restriction.  Il  faut  peut-être  lire  :  xat  èyav  -rrpoç  aùxoù;  xo  6e?ov 
ouxwç  TTiaxeuovxEç  x.  x.  X.  Ils  aiment  les  dieux  parce  que  les  avantages 
que  leur  a  procurés  la  fortune  leur  donnent  la  confiance  que  la  divi- 
nité est  aussi  dans  cette  disposition  à  leur  égard. 

Charles  Thurot. 

(La  suite  prochainement.) 


TUMULUS  DU  FORST 

PRES  NEUENICK 

(canton    de    berne) 


M.  de  Bonstetten,  dont  les  publications  ont  rendu  tant  de  services 
à  l'archéologie,  nous  envoie  la  note  suivante  que  nous  nous  em- 
pressons d'imprimer.  La  présence  d'une  poinLe  de  flèche  en  silex, 
à  côlé  d'objeis  de  l'époque  burgonde,  rend  la  fouille  dont  il  nous 
communique  le  résultat  particulièrement  curieuse.  La  Revue  a  déjà 
signalé  la  présence  de  haches  en  silex,  dans  les  tombes  du  cimetière 
franc  de  Samson,  près  Namur.  Elle  invite  tous  les  archéologues  qui 
auront  trouvé  des  fails  semblables  à  les  lui  signaler.  La  classifica- 
tion d'objets  de  pierre,  or,  bronze,  même  de  1er,  par  époque  et  par 
peuplade,  est  encore  bien  peu  avancée.  Le  temps  est  venu  de  recueil- 
lir tous  les  faits  déjà  nombreux,  mais  encore  épars,  qui  peuvent 
éclairer  cette  délicate  question  de  chronologie  archéologique. 

«  Ce  tumulus  du  Forst  qui  vient  d'être  fouillé  renfermait,  nous 
écrit  M.  de  Bonstetten,  sept  sépultures  disposées  assez  irrégulièrement 
autour  de  son  axe.  Les  squelettes  reposaient  dans  une  terre  sablon- 
neuse; pour  quelques-uns,  on  avait  ajouté  de  grosses  pierres  jetées 
sans  ordre  autour  de  la  tête  et  aux  pieds.  La  présence  de  sept  sque- 
lettes différemment  placés  dans  le  tumulus  et  dans  un  ordre  qui 
n'avait  rien  de  régulier,  a  pu  être  constatée.  C'était  comme  sept 
tombes  différentes. 

Tombe  Ve  :  Couche  de  terre  grasse  et  noirâtre,  sans  traces  d'os- 
sements. —  Bracelet  en  til  de  bronze.  —  Boucles  d'oreilles  (iig.  4)  en 
lil  de  bronze,  dont  les  deux  extrémités  se  rejoignent  en  formant 
crochet.  —  Fibule  (Iig.  3)  comme  on  en  rencontre  fréquemment 
dans  les  sépultures  post-romaines.  —  Deux  objets  (Iig.  1,  2)  com- 
posés chacun  d'une  mince  feuille  de  bronze  roulée  autour  d'une  tige 
de  fer  surmontée  à  l'une  de  ses  extrémités  d'un  petit  cône  enchâssé 


310 


REVUE   ARCHEOLOGIQUE. 


dans  le  tube  par  une  forte  pression;  l'extrémité  opposée  d'un  de  ces 
tubes  se  termine  par  un  chaton  de  verre  bleu,  uni  ;  l'autre  tube,  dont 
la  base  manque  mais  qui  doit  avoir  une  terminaison  semblable,  est 
rempli  d'une  substance  rougeâtre  paraissant  être  le  reste  d'une  tige 
en  fer  réduite  en  poussière  par  la  rouille.  Ces  tubes  sont  ornés  de 
dessins  circulaires  à  dent  de  loup  grossièrement  estampés;  ils  ne 
portent  aucun  moyen  d'attache  et,  comme  il  ne  restait  pas  traces  de 
squelette,  il  est  difficile  de  se  rendre  compte  de  leur  destination. 


Tombe  2.  Traces  de  squelette.  —  Deux  bracelets  en  lignite  (fîg.  5) 
(reproduit  ici,  1/2  grandeur). 

TombeZ.  Squelette  placé  dans  la  direction  du  nord  au  sud.  — 
Boucle  de  ceinturon  en  fer  (fig.  6)  (1/2  grandeur;,  avec  traces  de  da- 


TUMULUS    DU    FORST.  311 

masquinures  en  argent,  quatre  clous  en  fer  à  tète  ronde  sur  les  bords. 
—  Pointe  de  flèche  en  silex  blond  (lig.  7).  —  La  présence  de  cet 
objet  avec  des  antiquités  de  l'époque  burgonde  ou  plutôt  allemani- 
que  mérite  d'être  signalée  aux  archéologues;  il  est  peu  probable 
qu'on  se  fût  donné  la  peine